Quelques années
suffirent à la bataille des Thermopyles et au sacrifice du roi Léonidas et de
ses 300 Spartiates pour entrer dans la légende. Les récits de cet épisode
précoce de l’histoire militaire retiennent aussi la présence des immenses
armées levées par l’empereur des perses Xerxès I et lancées à l’assaut des
cités grecques. Face à ces hordes, la survie, puis la victoire des cités-états
hellènes paraît miraculeuse. Cependant, derrière la légende se cachent des
instruments militaires bien réels. Si l’organisation et la tactique des
phalanges grecques sont en général bien connues, l’armée des empereurs
achéménides l’est moins ; en voici donc une brève description.
Adrien Fontanellaz, août 2012
La fondation de l’empire achéménide peut
être considérée comme l’œuvre de Cyrus II, ou encore Cyrus le Grand. Roi des
Perses, il unifia son royaume avec celui des Mèdes après avoir défait leur
monarque. Ce faisant, il hérita de leur outil militaire et de leurs compétences
administratives. Cyrus le Grand conquit ensuite les royaumes de Lydie et de
Babylone, étendant ensuite au fil des campagnes les frontières de son empire
jusqu’ à l’Ouest de l’Indus. Les vertus du souverain n’étaient pas seulement
guerrières ; l’empire fut divisé en provinces gouvernées par des satrapes,
alors que les religions, les langues et les coutumes des populations
assujetties étaient respectées. A sa mort, en 530 av. J-C, Cyrus laissa donc à
son fils, Cambyse II, un royaume stable et puissant. Ce dernier paracheva
l’œuvre de son père en franchissant le Sinaï en 525 av. J-C, avant de vaincre
le Pharaon et son armée à Peliusum. L’Egypte fut ensuite définitivement soumise
après trois années de campagne. La conquête de celle-ci achevée, l’empire perse
dominait l’ensemble du monde civilisé, à l’exception de l’Inde, de la Chine et
de la Grèce.
Représentation des Immortels (Hansueli Krapf, 2009, via wikimedia) |
La mort de Cambyse déclencha une farouche
lutte de succession. Darius I, un autre membre de la famille achéménide, en
sortit vainqueur et accéda au trône en 521 av. J-C. L’empire s’étendait alors
sur plus de sept millions de km2, peuplés par environ vingt millions d’habitants.
Il était divisé en vingt satrapies chargées de l’administration et de la
collecte des impôts, supervisées par un gouvernement central fort et efficace. Sous
l’impulsion de Darius, un réseau de routes royales fut mis en place. La plus
connue de celles-ci s’étendait sur 2700 kilomètres et reliait Suse, dans le
Sud-Ouest de la Perse à Sardis à l’Ouest de l’Anatolie. Des auberges étaient
établies tous les 24 kilomètres, afin d’offrir un abri aux voyageurs et à leurs
animaux. Ces voies de communications contribuèrent à la richesse de l’empire en
favorisant les échanges commerciaux, mais avaient également un rôle stratégique
car elles facilitaient le mouvement des armées. Dans ce but, des dépôts de
ravitaillement avaient été construits le long de celles-ci. Un réseau de
stations-relais, séparés par l’équivalent d’une journée à cheval, avait aussi été mis en place pour
accélérer l’acheminement du courrier. Ces stations et l’emploi de cavaliers et
de chevaux spécialement entraînés permettaient à un courrier partit de Suse d’atteindre
Sardis en sept jours.
La mort de Darius en 486 av. J-C l’empêcha
de venger la défaite de Marathon en subjuguant les cités grecques et cette tâche
revint à son fils Xerxès I. En montant sur le trône, il héritait d’une machine
de guerre patiemment élaborée par ses prédécesseurs. L’extension fulgurante de
l’empire perse n’aurait en effet pas été possible sans un instrument militaire de
première envergure. Cyrus le Grand créa une armée professionnelle modelée sur
celle de ses nouveaux sujets mèdes, comportant approximativement 20'000
fantassins et 20'000 cavaliers perses et mèdes. Ceux-ci servaient de noyau
auquel s’agglomérait, en cas de crise, les troupes levées dans les différentes
satrapies. La kara (armée, levée) perse
hérita non seulement des traditions militaires mèdes, mais aussi des techniques
d’archerie à cheval des Scythes, alors que les techniques assyriennes en
poliorcétique, comme l’usage de béliers et de tours de siège, avait été
également transmis par les Mèdes. Cyrus II renforça également la discipline et
l’entraînement de la kara. Les unités
étaient inspectées chaque année par le roi en personne ou des proches en qui il
avait confiance. A cette occasion, les chefs dont les troupes ne répondaient
pas aux standards étaient punis ou, dans le cas inverse, récompensés. Le roi
reprit une autre pratique assyrienne en attribuant des terres à ses soldats
professionnels, ce qui permettait d’une part de les rétribuer pour leurs
fidèles services, mais aussi d’implanter des populations médo-perses dans les
satrapies nouvellement ajoutées à l’empire. Les Romains utilisèrent à leur tour
ce système des siècles plus tard.
Sous Darius et Xerxès, l’empire était capable
de lever des forces considérables ; ainsi les estimations des historiens
sur la taille du corps expéditionnaire rassemblé par Xerxès pour envahir la
Grèce varient entre 80'000 et 360'000 hommes, ce qui, dans tous les cas,
représentait une force énorme compte tenu de la démographie et des contraintes
logistiques de l’époque. Masser un tel nombre de soldats et subvenir à leurs
besoins durant des mois constitue en soi une démonstration des capacités
organisationnelles perses. Les préparatifs de l’invasion durèrent quatre ans,
et des dépôts de vivre furent placés le long des axes de progression. Lors de
la campagne, les ingénieurs perses démontrèrent leurs savoir-faire en
établissant deux ponts flottants, comptant 670 bateaux chacun, à travers
l’Hellespont, ou encore en faisant creuser à travers la péninsule de l’Athos un
canal long de plus de deux kilomètres et assez large pour permettre à deux
galères d’avancer de front. Outre leur nécessité purement militaire, ces
entreprises gigantesques servaient aussi à démontrer la puissance de l’empire. Si
elles étaient moins spectaculaires, la construction ou l’agrandissement de
routes pour préparer l’avance des troupes puis faciliter leur ravitaillement
demandaient également des moyens considérables. Comme l’avait déjà démontré Cambyse
en faisant traverser le Sinaï à ses soldats, la maîtrise logistique constituait
un pilier essentiel de la puissance de l’empire achéménide car elle était un pré-requis indispensable à
la constitution d’armées aussi importantes.
La kara
était structurée selon une base décimale. Son ossature continua à reposer sur les
soldats d’origine mèdes et perses. Les régions centrales de l’empire
fournissaient une contribution en hommes plus importante que les satrapies
périphériques, mais étaient en contrepartie moins taxées. En outre, le roi
faisait appel à ces dernières pour compléter les effectifs. Ainsi, l’armée rassemblée par Xerxès ne
comprenait pas mois de 46 contingents régionaux, dont 14 étaient suffisamment
grands pour former des unités autonomes. L’utilisation optimale de ces troupes
demandait des officiers expérimentés et au fait de leurs caractéristiques, car
celles-ci conservaient leurs armements et leurs méthodes de combat
traditionnels. Les Assyriens et les Lydiens étaient par exemple connus pour la
qualité de leur infanterie. Ces contingents pouvaient être mélangés au sein
d’unités mixtes en fonction de leurs spécificités. Ainsi les piquiers assyriens
pouvaient être couplés à des archers babyloniens.
Unité
|
Nombre
d’hommes
|
Dathabam
|
10
|
Satabam
|
100
|
Hazarabam
|
1000
|
Baivarabam
|
10000
|
Selon
http://members.ozemail.com.au/~ancientpersia/army_frm.html
Contrairement aux Grecs, l’infanterie médo-perse
était mal équipée pour le combat au corps-à-corps. Les fantassins étaient armés
d’arcs, d’épées de petite taille, et de lances. Leur protection reposait sur des
boucliers en bois et en osier et des tuniques renforcées en lin. Des sparabara, équipés de très larges
boucliers en osier et de lances de 1 mètre 80 de longueur occupaient le premier
rang chargé de protéger les fantassins-archers des neufs rangs suivants. L’infanterie
se composait donc d’archers et de fantassins. Les seconds étaient entraînés au
combat à l’arme blanche, bien qu’une partie de l’infanterie ait été apte à
mener les deux tâches, accroissant leur flexibilité. C’était notamment le cas
pour les Immortels. Ceux-ci étaient une unité d’élite crée par Cyrus le Grand
et recrutée parmi les soldats perses, mèdes ou élamites les plus valeureux. Elle comptait invariablement 10'000 hommes,
ses pertes étant rapidement comblées par un système de réserve. Privilégiée,
elle disposait de sa propre logistique, de rations spéciales et ses soldats
pouvaient emmener en campagne leurs serviteurs et leurs concubines. Ils étaient
armés d’arcs, de carquois, d’akenake (sabres
courts), de boucliers et de lances. Avant une bataille, les Immortels étaient
normalement placés au centre de l’armée en compagnie du roi.
Représentation d'un soldat (via wikimédia) |
La cavalerie était armée de javelines,
d’arcs, de sabres et de lances. Elle était, à l’image de l’infanterie,
faiblement protégée. En partie recrutée parmi les populations scythes et
bactriennes du royaume, et bien que numériquement très inférieure à
l’infanterie, elle formait une composante essentielle de la tactique perse. En
effet, les commandants cherchaient à
combiner les différents éléments de leur armée. Avant la bataille, la cavalerie
était placée sur les ailes, alors que les troupes les plus solides occupaient
le centre en compagnie du roi. En 546 av. J-C déjà, Cyrus laissa les Lydiens se
lancer dans de vaines attaques contre son infanterie formée en carré, dont
l’extérieur était constitué de piquiers et l’intérieur d’archers, avant de
lancer sa cavalerie et de les mettre ainsi en déroute. Les Perses privilégiaient
donc le feu sur le choc dans leurs tactiques, le premier étant délivré par les
archers à pieds et la cavalerie. Leurs actions étaient complémentaires ;
les attaques de la cavalerie sur les flancs de l’ennemi le forçait à se
regrouper et à présenter une cible favorable aux volées massives lâchées par
les archers. Les fantassins portaient le
coup de grâce à l’ennemi en l’engageant au corps-à-corps après qu’il ait été
suffisamment affaibli et désorganisé par l’action conjointe des archers et des
cavaliers.
Hoplite combattant un guerrier perse (via wikimedia) |
L’art militaire achéménide reposait donc principalement
sur des tactiques relativement fluides et un usage massif des armes de jet. Lors
des guerres médiques, les Perses allaient se trouver confrontés à un adversaire
radicalement différent. En effet, malgré sa simplicité, la phalange grecque
s’avéra capable de neutraliser les tactiques perses, aidée il est vrai par la
géographie du pays, le plus souvent peu propice aux opérations de cavalerie.
Ainsi, lors des batailles de Marathon et des Thermopyles, les hoplites bien
protégés furent en mesure de résister aux volées de flèches tirées par les
archers perses, et une fois le combat au corps-à-corps engagé, de dominer les
fantassins adverses légèrement armés. Ironiquement, jusqu’à la chute de leur
empire, les Achéménides comblèrent cette carence fatale en infanterie lourde en
louant les services de mercenaires grecques.
Bibliographie
Kaveh Farrokh, Shadows in the Desert: Ancient Persia at War,
Osprey Publishing 2009
Steven R. Ward, Immortal: A Military History of Iran and Its Armed Forces,
Georgetown University Press, 2009.
Peter Green, Les Guerres médiques : 499-449 av. J.-C, Tallandier,
2012
http://members.ozemail.com.au/~ancientpersia/army_frm.html
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