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samedi 4 août 2012

L'armée de Xerxès


Quelques années suffirent à la bataille des Thermopyles et au sacrifice du roi Léonidas et de ses 300 Spartiates pour entrer dans la légende. Les récits de cet épisode précoce de l’histoire militaire retiennent aussi la présence des immenses armées levées par l’empereur des perses Xerxès I et lancées à l’assaut des cités grecques. Face à ces hordes, la survie, puis la victoire des cités-états hellènes paraît miraculeuse. Cependant, derrière la légende se cachent des instruments militaires bien réels. Si l’organisation et la tactique des phalanges grecques sont en général bien connues, l’armée des empereurs achéménides l’est moins ; en voici donc une brève description.

                                                                        Adrien Fontanellaz, août 2012

   La fondation de l’empire achéménide peut être considérée comme l’œuvre de Cyrus II, ou encore Cyrus le Grand. Roi des Perses, il unifia son royaume avec celui des Mèdes après avoir défait leur monarque. Ce faisant, il hérita de leur outil militaire et de leurs compétences administratives. Cyrus le Grand conquit ensuite les royaumes de Lydie et de Babylone, étendant ensuite au fil des campagnes les frontières de son empire jusqu’ à l’Ouest de l’Indus. Les vertus du souverain n’étaient pas seulement guerrières ; l’empire fut divisé en provinces gouvernées par des satrapes, alors que les religions, les langues et les coutumes des populations assujetties étaient respectées. A sa mort, en 530 av. J-C, Cyrus laissa donc à son fils, Cambyse II, un royaume stable et puissant. Ce dernier paracheva l’œuvre de son père en franchissant le Sinaï en 525 av. J-C, avant de vaincre le Pharaon et son armée à Peliusum. L’Egypte fut ensuite définitivement soumise après trois années de campagne. La conquête de celle-ci achevée, l’empire perse dominait l’ensemble du monde civilisé, à l’exception de l’Inde, de la Chine et de la Grèce. 
Représentation des Immortels (Hansueli Krapf, 2009, via wikimedia)

   La mort de Cambyse déclencha une farouche lutte de succession. Darius I, un autre membre de la famille achéménide, en sortit vainqueur et accéda au trône en 521 av. J-C. L’empire s’étendait alors sur plus de sept millions de km2, peuplés par environ vingt millions d’habitants. Il était divisé en vingt satrapies chargées de l’administration et de la collecte des impôts, supervisées par un gouvernement central fort et efficace. Sous l’impulsion de Darius, un réseau de routes royales fut mis en place. La plus connue de celles-ci s’étendait sur 2700 kilomètres et reliait Suse, dans le Sud-Ouest de la Perse à Sardis à l’Ouest de l’Anatolie. Des auberges étaient établies tous les 24 kilomètres, afin d’offrir un abri aux voyageurs et à leurs animaux. Ces voies de communications contribuèrent à la richesse de l’empire en favorisant les échanges commerciaux, mais avaient également un rôle stratégique car elles facilitaient le mouvement des armées. Dans ce but, des dépôts de ravitaillement avaient été construits le long de celles-ci. Un réseau de stations-relais, séparés par l’équivalent d’une journée à  cheval, avait aussi été mis en place pour accélérer l’acheminement du courrier. Ces stations et l’emploi de cavaliers et de chevaux spécialement entraînés permettaient à un courrier partit de Suse d’atteindre Sardis en sept jours.

   La mort de Darius en 486 av. J-C l’empêcha de venger la défaite de Marathon en subjuguant les cités grecques et cette tâche revint à son fils Xerxès I. En montant sur le trône, il héritait d’une machine de guerre patiemment élaborée par ses prédécesseurs. L’extension fulgurante de l’empire perse n’aurait en effet pas été possible sans un instrument militaire de première envergure. Cyrus le Grand créa une armée professionnelle modelée sur celle de ses nouveaux sujets mèdes, comportant approximativement 20'000 fantassins et 20'000 cavaliers perses et mèdes. Ceux-ci servaient de noyau auquel s’agglomérait, en cas de crise, les troupes levées dans les différentes satrapies. La kara (armée, levée) perse hérita non seulement des traditions militaires mèdes, mais aussi des techniques d’archerie à cheval des Scythes, alors que les techniques assyriennes en poliorcétique, comme l’usage de béliers et de tours de siège, avait été également transmis par les Mèdes. Cyrus II renforça également la discipline et l’entraînement de la kara. Les unités étaient inspectées chaque année par le roi en personne ou des proches en qui il avait confiance. A cette occasion, les chefs dont les troupes ne répondaient pas aux standards étaient punis ou, dans le cas inverse, récompensés. Le roi reprit une autre pratique assyrienne en attribuant des terres à ses soldats professionnels, ce qui permettait d’une part de les rétribuer pour leurs fidèles services, mais aussi d’implanter des populations médo-perses dans les satrapies nouvellement ajoutées à l’empire. Les Romains utilisèrent à leur tour ce système des siècles plus tard.  

   Sous Darius et Xerxès, l’empire était capable de lever des forces considérables ; ainsi les estimations des historiens sur la taille du corps expéditionnaire rassemblé par Xerxès pour envahir la Grèce varient entre 80'000 et 360'000 hommes, ce qui, dans tous les cas, représentait une force énorme compte tenu de la démographie et des contraintes logistiques de l’époque. Masser un tel nombre de soldats et subvenir à leurs besoins durant des mois constitue en soi une démonstration des capacités organisationnelles perses. Les préparatifs de l’invasion durèrent quatre ans, et des dépôts de vivre furent placés le long des axes de progression. Lors de la campagne, les ingénieurs perses démontrèrent leurs savoir-faire en établissant deux ponts flottants, comptant 670 bateaux chacun, à travers l’Hellespont, ou encore en faisant creuser à travers la péninsule de l’Athos un canal long de plus de deux kilomètres et assez large pour permettre à deux galères d’avancer de front. Outre leur nécessité purement militaire, ces entreprises gigantesques servaient aussi à démontrer la puissance de l’empire. Si elles étaient moins spectaculaires, la construction ou l’agrandissement de routes pour préparer l’avance des troupes puis faciliter leur ravitaillement demandaient également des moyens considérables. Comme l’avait déjà démontré Cambyse en faisant traverser le Sinaï à ses soldats, la maîtrise logistique constituait un pilier essentiel de la puissance de l’empire achéménide  car elle était un pré-requis indispensable à la constitution d’armées aussi importantes.

   La kara était structurée selon une base décimale. Son ossature continua à reposer sur les soldats d’origine mèdes et perses. Les régions centrales de l’empire fournissaient une contribution en hommes plus importante que les satrapies périphériques, mais étaient en contrepartie moins taxées. En outre, le roi faisait appel à ces dernières pour compléter les effectifs.  Ainsi, l’armée rassemblée par Xerxès ne comprenait pas mois de 46 contingents régionaux, dont 14 étaient suffisamment grands pour former des unités autonomes. L’utilisation optimale de ces troupes demandait des officiers expérimentés et au fait de leurs caractéristiques, car celles-ci conservaient leurs armements et leurs méthodes de combat traditionnels. Les Assyriens et les Lydiens étaient par exemple connus pour la qualité de leur infanterie. Ces contingents pouvaient être mélangés au sein d’unités mixtes en fonction de leurs spécificités. Ainsi les piquiers assyriens pouvaient être couplés à des archers babyloniens.

Unité
Nombre d’hommes
Dathabam
10
Satabam
100
Hazarabam
1000
Baivarabam
10000

Selon http://members.ozemail.com.au/~ancientpersia/army_frm.html

  Contrairement aux Grecs, l’infanterie médo-perse était mal équipée pour le combat au corps-à-corps. Les fantassins étaient armés d’arcs, d’épées de petite taille, et de lances. Leur protection reposait sur des boucliers en bois et en osier et des tuniques renforcées en lin. Des sparabara, équipés de très larges boucliers en osier et de lances de 1 mètre 80 de longueur occupaient le premier rang chargé de protéger les fantassins-archers des neufs rangs suivants. L’infanterie se composait donc d’archers et de fantassins. Les seconds étaient entraînés au combat à l’arme blanche, bien qu’une partie de l’infanterie ait été apte à mener les deux tâches, accroissant leur flexibilité. C’était notamment le cas pour les Immortels. Ceux-ci étaient une unité d’élite crée par Cyrus le Grand et recrutée parmi les soldats perses, mèdes ou élamites les plus valeureux.  Elle comptait invariablement 10'000 hommes, ses pertes étant rapidement comblées par un système de réserve. Privilégiée, elle disposait de sa propre logistique, de rations spéciales et ses soldats pouvaient emmener en campagne leurs serviteurs et leurs concubines. Ils étaient armés d’arcs, de carquois, d’akenake (sabres courts), de boucliers et de lances. Avant une bataille, les Immortels étaient normalement placés au centre de l’armée en compagnie du roi.  
Représentation d'un soldat (via wikimédia)
   La cavalerie était armée de javelines, d’arcs, de sabres et de lances. Elle était, à l’image de l’infanterie, faiblement protégée. En partie recrutée parmi les populations scythes et bactriennes du royaume, et bien que numériquement très inférieure à l’infanterie, elle formait une composante essentielle de la tactique perse. En effet, les commandants  cherchaient à combiner les différents éléments de leur armée. Avant la bataille, la cavalerie était placée sur les ailes, alors que les troupes les plus solides occupaient le centre en compagnie du roi. En 546 av. J-C déjà, Cyrus laissa les Lydiens se lancer dans de vaines attaques contre son infanterie formée en carré, dont l’extérieur était constitué de piquiers et l’intérieur d’archers, avant de lancer sa cavalerie et de les mettre ainsi en déroute. Les Perses privilégiaient donc le feu sur le choc dans leurs tactiques, le premier étant délivré par les archers à pieds et la cavalerie. Leurs actions étaient complémentaires ; les attaques de la cavalerie sur les flancs de l’ennemi le forçait à se regrouper et à présenter une cible favorable aux volées massives lâchées par les archers.  Les fantassins portaient le coup de grâce à l’ennemi en l’engageant au corps-à-corps après qu’il ait été suffisamment affaibli et désorganisé par l’action conjointe des archers et des cavaliers.
Hoplite combattant un guerrier perse (via wikimedia)
   L’art militaire achéménide reposait donc principalement sur des tactiques relativement fluides et un usage massif des armes de jet. Lors des guerres médiques, les Perses allaient se trouver confrontés à un adversaire radicalement différent. En effet, malgré sa simplicité, la phalange grecque s’avéra capable de neutraliser les tactiques perses, aidée il est vrai par la géographie du pays, le plus souvent peu propice aux opérations de cavalerie. Ainsi, lors des batailles de Marathon et des Thermopyles, les hoplites bien protégés furent en mesure de résister aux volées de flèches tirées par les archers perses, et une fois le combat au corps-à-corps engagé, de dominer les fantassins adverses légèrement armés. Ironiquement, jusqu’à la chute de leur empire, les Achéménides comblèrent cette carence fatale en infanterie lourde en louant les services de mercenaires grecques.  



Bibliographie

Kaveh Farrokh, Shadows in the Desert: Ancient Persia at War, Osprey Publishing 2009

Steven R. Ward, Immortal: A Military History of Iran and Its Armed Forces, Georgetown University Press, 2009.

Peter Green, Les Guerres médiques : 499-449 av. J.-C, Tallandier, 2012

http://members.ozemail.com.au/~ancientpersia/army_frm.html

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