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samedi 22 septembre 2012

A l'ombre de la force mobile


Le porte-avions Ryujo
Adrien Fontanellaz, 2012




L’enfance difficile d’un canard boiteux
 
     A la fin des années 20, après le lancement du porte-avions Hosho en 1921 et l’armement de l’Akagi en 1926 puis du Kaga en 1927, l’Etat-major de la marine impériale japonaise décida d’accroître le nombre de ses bâtiments de ce type. Mais, signataire en 1922 du traité de réduction des armements navals de Washington, le pays avait droit à un maximum de 81'000 tonnes de porte-avions, alors que l’Akagi et le Kaga jaugeaient déjà 54'000 tonnes à eux deux.  Une clause du traité spécifiait néanmoins que les navires d’un tonnage inférieur à 10'000 tonnes ne seraient pas inclus dans ce comptage. La marine impériale mit à profit cette opportunité en incluant dans son programme de 1927 la construction d’un porte-avions de 8'000 tonnes. Cette décision fut facilitée par un concept alors en vogue qui voulait que de petits porte-avions seraient moins vulnérables qu’un nombre plus limité de grands vaisseaux. Cette vision se concrétisa aux Etats-Unis par l’entrée en service du Ranger en 1933 et au Japon par celle du Ryujo. La pratique démontra que les grandes unités étaient plus efficaces et les deux pays construisirent des navires de taille plus importante les années suivantes. 
 
     Le Ryujo fut mis sur cales dans le chantier naval de Yokohama le 26 novembre 1929. Il était le deuxième navire japonais destiné à être dès l’origine un porte-avions. Conformément à la tradition pour ce type de bâtiments, il reçut un nom d’animal céleste : Les deux idéogrammes de Ryujo signifiant approximativement «dragon ascendant». Les ingénieurs conçurent un vaisseau dont les sorties des cheminées étaient à tribord en dessous du pont d’envol, lui-même démuni d’ilot, le tout dans le but de perturber au minimum la manœuvres des avions embarqués. Afin de respecter les spécifications émises par la marine, le bâtiment était quasiment dénué de tout blindage et initialement doté d’un seul hangar. Son armement se limitait à des pièces d’artillerie anti-aérienne.
     Mais l’Etat-major revint sur ses spécifications initiales et demanda d’accroître la taille du groupe aérien embarqué, ce qui nécessitait l’ajout d’un deuxième hangar en dessus du premier afin de doubler le nombre d’avions disponibles. Ces modifications firent augmenter le tonnage du bâtiment, qui finit par atteindre 10'150 tonnes. Ce poids additionnel, réparti principalement au-dessus de la ligne de flottaison, compromettait la stabilité du vaisseau. Le surpoids sur les hauts était alors un défaut fréquent dans la conception des navires de guerre japonais, qui s’expliquait par la volonté d’accroître au maximum leur puissance de feu afin de surclasser les bâtiments de classes équivalentes en service dans les autres marines.
     Lancé le 2 avril 1931, avant d’entrer en service le 9 mai 1933, le Ryujo était long de 180 mètres et large de 20.32 mètres. La longueur du pont d’envol atteignait 158.60 mètres, sa largeur 22.86 mètres, et son épaisseur 15.24 centimètres. Il était équipé de 6 brins d’arrêt permettant de stopper les avions en cours d’atterrissage.
Le Ryujo en construction dans l'arsenal de Yokosuka (via wikimedia)
     Les hangars d’aviation étaient reliés au pont par deux ascenseurs. Dans la marine impériale, l’ensemble de l’entretien et de la préparation des avions se faisait dans les hangars, ce sont donc leurs dimensions qui déterminaient la taille du groupe aérien embarqué. Les deux hangars permettaient d’embarquer 48 avions, dont 12 appareils démontés à titre de remplacement. Les six chaudières, d’une puissance totale de 65'000 chevaux, reliées à deux hélices, pouvaient propulser le Ryujo à une vitesse maximale de 29 nœuds. Les cuves, capables de contenir 2940 tonnes de fuel, lui permettaient de franchir 10'000 miles nautiques à une vitesse de 14 nœuds. Douze pièces Type 89 de 127mm réparties en six batteries doubles et  6 affûts quadruples de mitrailleuses Type 93 de 13.2mm constituaient son armement. Cet arsenal anti-aérien était comparativement  important pour un navire entré en service au début des années 30. Par exemple, la DCA du croiseur lourd français Dupleix de 10160 tonnes, entré en service le 20 juillet 1932, comprenait 8 canons de 75mm, 4 affûts doubles de 37mm et 4 affûts triples de 13.2mm.   
     En mars 1934, le torpilleur Tomozuru chavira lors d’une tempête. La commission d’enquête de la marine impériale chargée d’en déterminer les causes conclut que des erreurs de conception étaient à l’origine du drame. Le problème du surpoids au-dessus de la ligne de flottaison des vaisseaux récents fut ainsi mis en évidence.

     Par conséquent,  à peine un an après son entrée en service, en août 1934, le Ryujo entra dans les chantiers navals de Kure pour y subir une refonte.  Les renflements le long de la coque furent agrandis, une nouvelle quille de ballast ajoutée, et deux des batteries de 127mm remplacées  par des affûts doubles de 25mm, Type 96, plus légers, dans le but d’améliorer la stabilité du vaisseau. Le tirant d’eau passa ainsi de 5.56 mètres à 7.08 mètres. En 1935, peu après sa réintégration au sein de la flotte combinée, qui regroupait l’ensemble des navires de combats nippons, le porte-avions fut pris dans un typhon alors qu’il participait à des manœuvres au large de Honshu. De grandes quantités d’eau de mer s’engouffrèrent dans le bâtiment du fait de la hauteur réduite de son gaillard d’avant. Il dut une nouvelle fois être renvoyé dans un chantier naval, en mai 1936, pour relever sa proue par l’ajout d’un nouveau pont qui offrait aussi une moindre résistance au vent. 
 
Début de carrière opérationnelle 
 
     A son entrée en service, le Ryujo rejoignit l’Akagi au sein de la 2ième division de porte-avions. Son groupe aérien était initialement fort de cinq chasseurs, dont deux en réserve, et douze bombardiers, dont trois en réserve. En décembre 1934, le navire contribua à l’expérimentation d’une nouvelle technique d’attaque ; le bombardement en piqué. Des avions de reconnaissance E4N3-C et des chasseurs A2N1 de son groupe aérien participèrent aux essais qui allaient progressivement mener à l’entrée en service du premier bombardier en piqué japonais, l’Aichi D1A1, qui finit par équiper le porte-avions en 1936, à raison d’une quinzaine d’exemplaires.


Le Ryujo photographié en septembre 1934 (via wikimedia)

   La deuxième guerre sino-japonaise, pudiquement nommée « incident de Chine » par la propagande nipponne éclata en juillet 1937 par des échanges de coups de feu entre les troupes impériales et l’armée du Kuomintang près du pont Marco-Polo, à la frontière entre la Chine et la Mandchourie.

     L’ouverture par les nationalistes d’un second front le 13 août 1937 à Shanghai surprit les japonais, qui dépêchèrent des renforts de toute urgence afin de dégager les 2500 fusiliers de marine encerclés dans la ville. C’est dans ce contexte que la 1ère division de porte-avions, formée du  Ryujo et du Hosho, appareilla de Sasebo le 12 août 1937, pour être détachée auprès de la 3ième flotte, en charge des opérations contre la Chine. Les deux navires étaient indispensables pour fournir un soutien aérien aux troupes engagées sur place car les japonais ne disposaient pas d’aéroports à terre. De son arrivée à Shanghai jusqu'à son retour au Japon le 1er septembre 1937, le groupe aérien du Ryujo, fort d’un daitai de 12 chasseurs A4N1 et d’un daitai de 15 bombardiers D1A1, participa à des raids contre des terrains d’aviation et d’autres objectifs nationalistes. L’aviation chinoise était très présente sur le champ de bataille, et les pilotes du daitai de chasse du porte-avions revendiquèrent 15 victoires lors de plusieurs combats contre des Hawk III et des Boing 281 des 4ième et 5ième Pursuit Group.Le daitai de bombardement du  Ryujo perdit deux D1A1 lors de ces opérations.

    Le 5 septembre 1937, après s’être ravitaillée, la 1ère division quitta Sasebo, à destination de Canton. A partir du 20 septembre, les deux vaisseaux lancèrent des raids contre des objectifs situés aux alentours de la ville. Le 21 septembre, 9 A4N1 du Ryujo et 6 du Hosho combattirent à plusieurs reprises les chasseurs nationalistes du 29 Pursuit Squadron, et revendiquèrent 17 victoires.  Cinq chasseurs du Hosho durent néanmoins amerrir en vue de l’escadre nippone après avoir épuisé leur carburant. Les deux porte-avions quittèrent Canton le 30 septembre et arrivèrent à Shanghai le 3 octobre. Deux jours plus tard, les groupes embarqués furent détachés sur le terrain d’aviation de Kunda, conquis depuis par l’armée impériale. Précédé par le Hosho, le Ryujo retourna au Japon le 1er décembre 1937. Le navire, réaffecté à la 2ième division de porte-avions avec le tout nouveau Soryu, refit ensuite deux  apparitions au large de Canton en  mars et en octobre 1938. L’utilité des porte-avions dans le conflit chinois perdit ensuite de son importance au fur et à mesure que le front s’éloignait des côtes.
 
L’organisation de la flotte de porte-avions
 
     Jusqu’en 1941, les porte-avions de la marine impériale étaient organisés en divisions (koku sentai), subordonnées à des flottes selon les besoins. Cette organisation reflétait la doctrine de la marine, qui voyait les porte-avions comme des auxiliaires des cuirassés. Le rôle de l’aéronavale était, comme pour les sous-marins ou les croiseurs lourds, d’affaiblir la ligne de bataille ennemie avant l’engagement des divisions de cuirassés de la flotte combinée. L’ensemble des réflexions tactiques et opérationnelles japonaises était focalisé sur cette recherche de la victoire lors d’une bataille décisive, qui mettrait fin rapidement à un conflit transocéanique avec les Etats-Unis, l’adversaire autoproclamé de la marine depuis les années vingt.  Cette obsession découlait des guerres sino-japonaise et surtout russo-japonaise. Lors des batailles du Yalu le 17 septembre 1894 et de Tsushima les 27 et 28 mai 1905, la marine parvint à anéantir les forces navales ennemies d’un coup, précipitant la fin du conflit.
 
     En 1939, la mission prioritaire de l’aviation embarquée passa de l’attaque des cuirassés à celle des porte-avions ennemis, leur destruction permettant l’acquisition de la supériorité aérienne nécessaire au soutien de la ligne de bataille japonaise. L’organisation de l’aéronavale nippone fut progressivement modifiée à la suite de l’expérience amenée par les opérations en Chine, de concepts testés lors d’exercices sur cartes, et sous la pression constante maintenue par des visionnaires comme Minoru Genda, Jisaburo Ozawa et Mitsuo Fuchida. La création de la 1ère flotte aérienne en résulta en avril 1941. Elle regroupait l’ensemble de l’aéronavale, soit trois divisions de porte-avions et deux divisions de porte-hydravions. Jusqu’à cette date, le Ryujo faisait partie, en compagnie du Hosho, de la 3ième division, détachée auprès de la force principale de cuirassés pour lui assurer une couverture aérienne. Il fut  ensuite assigné comme navire-amiral de la 4ième division, où il devait être rejoint par le Taiyo, un paquebot converti en porte-avion léger mais dépourvu de groupe aérien.  Le Ryujo restait à l’écart de la révolution opérée par les japonais ; le regroupement en une seule unité tactique des 1ère, 2ième et 5ième divisions, forte des six grands porte-avions d’escadre de la marine et embarquant plus de 350 avions, destinée à entrer dans l’histoire sous le nom de Kido Butai ; ou force mobile.
Les griffes du dragon : le groupe aérien du Ryujo à l’orée de la guerre du Pacifique
 
     Dans la doctrine japonaise, les kanbaku (bombardiers, terme désignant les bombardiers en piqué dans la terminologie de la marine, kansen s’appliquant aux chasseurs embarqués, et kogeki, avion d’attaque, aux bombardiers-torpilleurs) n’étaient pas considérés comme capables de couler des cuirassés ou des croiseurs lourds et la torpille restait l’arme de prédilection contre ce type de cibles. La taille du Ryujo ne lui permettait pas d’embarquer trois daitai et la présence du  daitai de chasse était vitale,  il fallut donc choisir entre kogeki et kanbaku.
     La plus grande flexibilité des premiers, leur capacité d’emporter des torpilles ou des bombes, et leurs ailes repliables qui permettaient leur manutention par l’ascenseur arrière du bâtiment, leur donnaient un avantage certain sur les kanbaku. Le deuxième daitai du groupe embarqué fut donc doté de bombardiers-torpilleurs.

Deux kogeki du groupe embarqué du Ryujo ; au premier plan, un B5N2, et derrière lui, un B5N1.    (via http://japaneseaircraft.multiply.com)

 
     Cependant, les cadences de production limitées de l’industrie aéronautique nippone, avec 4768 appareils construits en 1940 et 5088 en 1941,  contraignirent la marine à faire des choix dans l’allocation des nouveaux Mitsubishi A6M2, Aichi D3A1 et Nakajima B5N2. Ce furent donc les six porte-avions de la force mobile, destinés à frapper Hawaï, qui reçurent la priorité. De ce fait, au moment de l’entrée en guerre contre les puissances occidentales, le daitai de chasse du Ryujo alignait 22 Mitsubishi A5M4 et son daitai d’attaque était équipé de 16 bombardiers-torpilleurs, dont deux à trois  étaient de récents B5N2 et le solde des B5N1. Les deux modèles d’appareils avaient une cellule identique mais le moteur du B5N1 était moins puissant que celui du B5N2. 

     Comparé aux autres porte-avions d’escadre japonais, Le Ryujo était handicapé par sa petite taille. De plus, ce désavantage s’était encore accru avec la mise en service de nouveaux modèles d’avions embarqués, plus performants mais aussi plus grands et plus lourds que leurs prédécesseurs.  Leur envergure rendait leur manutention par l’ascenseur arrière du bâtiment impossible, excepté pour les bombardiers-torpilleurs B5N, grâce à leurs ailes repliables. Cela eut pour effet de ralentir le rythme des opérations aériennes du vaisseau. La taille réduite du pont d’envol limitait la taille des vagues d’assaut que le porte-avion pouvait lancer en une seule fois à une demi-douzaine de bombardiers-torpilleurs, en sus des chasseurs que le rapport poids/puissance plus élevé  rendait moins sensibles à la distance de décollage disponible. Pour les mêmes raisons, seuls deux ou trois B5N2 armés d’une torpille Type 91 de 836 kilos pouvaient être lancés simultanément, grâce à leur moteur plus puissant, et seulement s’ils étaient placés à la fin du pont d’envol. Habituellement, les avions d’attaque emportaient un mélange de bombes de 250 kg et 60 kg. Le groupe embarqué du Ryujo était divisé en  shotai de trois à cinq appareils, conformément à l’organisation en vigueur dans l’aviation navale japonaise.
 
La conquête des Philippines
 
     Pour les Japonais, la prise des Philippines était un préalable nécessaire à la conquête des ressources de l’Asie du Sud-est. Les bases de départ de l’assaut japonais contre le protectorat américain étaient Formose et Pelau. Le plan d’invasion japonais prévoyait une série de débarquements sur plusieurs points de l’archipel. Pour s’assurer de leur succès, la marine nippone devait neutraliser les forces aériennes et navales présentes dans la colonie américaine.  Après avoir envisagé d’utiliser le Ryujo contre Luzon, l’état-major  le choisit pour attaquer la base navale de Davao, sur l’île de Mindanao. Le porte-avions quitta le port de Saeki le 29 novembre 1941 et arriva dans l’archipel des Palau le 5 décembre 1941. Ces îles, alors placées sous administration japonaise, servirent de point de ralliement à la partie de la force d’invasion des Philippines chargée de prendre Legaspi, Davao et Jolo. Les deux derniers débarquements devaient servir à établir des points d’appui en faveur des opérations prévues contre les Indes Néerlandaises. Le Ryujo y rejoignit deux croiseurs lourds, un croiseur léger et 8 destroyers, qui devaient couvrir les débarquements. 
 
     La flotte d’invasion leva l’ancre le 6 décembre 1941, et le Ryujo, arrivé à portée de sa cible, lança 9 chasseurs et 13 bombardiers tôt le matin du 8 décembre 1941. Significativement, il lui fallut 45 minutes pour assembler la vague d’attaque.  Les appareils atteignirent leur objectif un peu moins de deux heures et demie après leur décollage. A la surprise des Japonais, la base navale de Davao était presque vide. Seuls deux hydravions Catalina du Patrol Wing 10 et un vieux destroyer converti en ravitailleur d’hydravions, le William B. Preston, étaient présents. Les kansen détruisirent les hydravions, mais le navire américain échappa aux bombes des kogeki grâce à un appareillage d’urgence suivi de manœuvres effrénées. Un des  bombardiers-torpilleurs, endommagé par la DCA américaine, dut amerrir non-loin du Ryujo. Plus tard, le navire lança une seconde attaque avec 3 A5M4 et 2 B5N, qui s’en prirent aux réservoirs de carburant de la base. Un chasseur, mortellement touché par les pièces anti-aériennes ennemies, dut atterrir en catastrophe. Son pilote, Hiroshi Kawanashi, se suicida plutôt que de risquer la capture. Le Ryujo soutint ensuite la prise de Legaspi le 12 décembre par le détachement Kimura, puis rallia Palau.
Un des B5N du Ryujo survolant le William B. Preston, à l’arrière-plan, deux Catalina du Patrol Wing 10 en flammes. (wikimedia.org)
     La force d’attaque de Davao quitta la base japonaise le 17 décembre 1941. Le croiseur léger Jintsu accompagné des destroyers Amatsukaze, Hatsukaze, Kuroshio, Oyashio, Hayashio et Natsushio escortaient les navires qui transportaient les 5'000 hommes du détachement Sagakuchi, tandis que le Ryujo, le porte-hydravions Chitose et les croiseurs lourds Nachi, Haguro et Myoko servaient de force de couverture. Le détachement Sagakuchi débarqua dans la nuit du 19 au 20 décembre et, appuyé par l’aviation embarquée, prit Davao après de brefs combats le 20 décembre 1941. Une partie de celui-ci, escortée par le porte-avion, le Chitose et quatre destroyers vogua ensuite vers l’île de Jolo, avant de s’en emparer le 25 décembre. Le Ryujo retourna ensuite à Palau.  

L’assaut sur les Indes néerlandaises

     Quelques jours après avoir été détaché auprès de la force de Malaisie, le Ryujo arriva dans la baie de Cam Ranh, en Indochine française le 7 janvier 1942. Il y fit deux sorties afin d’appuyer la campagne alors en cours dans la péninsule malaise. Puis, le 10 février, il appareilla pour soutenir l’invasion de Sumatra, baptisée opération L. Le convoi de troupes acheminant des éléments de la 38ième division d’infanterie de l’armée impériale avait quitté le mouillage indochinois un jour plus tôt. Le porte-avions arriva à proximité de Sumatra le 13 février. Les B5N firent des reconnaissances armées dans la zone, alors que les A5M assuraient une couverture aérienne aux transports de troupes. Le 13 février, les chasseurs interceptèrent un Hudson du 8ième Royal Australian Air Force squadron, qui parvint à leur échapper. Le 14, un groupe de 11 Blenheim IV des 84ième et 211ième squadron de la Royal Air Force attaquèrent les vaisseaux japonais. Certains des bombardiers attaquèrent le Ryujo, mais leurs bombes manquèrent leur cible, alors que d’autres s’en prenaient aux transports. Les kansen contribuèrent à la destruction de deux des assaillants. 
 
     Au début de la matinée du 15 février,  un hydravion du croiseur lourd Chokai repéra plusieurs vaisseaux de guerre ennemis se dirigeant vers la flotte japonaise. Il s’agissait de la Striking Force de l’ABDA,  le commandement interallié chargé de défendre la colonie néerlandaise, forte de cinq croiseurs et dix destroyers. Le Ryujo lança une première vague de sept B5N qui, après un vol de deux heures, bombardèrent le croiseur lourd HMS Exeter. Aucun des projectiles ne toucha directement le vaisseau britannique, mais les éclats et le souffle de bombes tombées à proximité endommagèrent son hydravion embarqué.  Une deuxième vague forte de six B5N bombarda à nouveau la Striking Force vers 17h30, sans plus de résultat. Ces attaques, auxquelles s’étaient ajoutées deux raids de bombardiers terrestres des Genzen et Kanoya  kokutai, contraignirent la flotte alliée à faire demi-tour. Les kogeki du Ryujo, malgré les difficultés inhérentes au bombardement horizontal, obtinrent de meilleurs résultats le 17 février.
 
     Le cargo Sloet van de Beele, escorté par le destroyer Van Nes, avait été dépêché pour évacuer la petite garnison néerlandaise de l’île de Belitung. La formation hollandaise fut détectée par un hydravion du croiseur lourd Chokai, puis attaquée par 15 avions du Genzan kokutai, qui coulèrent le cargo. Une dizaine de bombardiers-torpilleurs du porte-avions s’en prirent ensuite au destroyer, qui, touché à plusieurs reprises, finit par aller par le fonds.


Le destroyer hollandais Van Nes en 1931 (Koninklijke Marine via Wikimedia.org

     Le Ryujo retourna ensuite vers l’Indochine française, pour mouiller à Cap St-Jacques le 19 février 1942. Le bâtiment fut aussitôt attribué au soutien de l’opération J; l’occupation de Java, qui devait parachever  la conquête des Indes Néerlandaises. Le navire de guerre leva l’ancre le 27 février pour se joindre à l’escorte d’un convoi de 41 vaisseaux transportant la 2ième division d’infanterie et le 230ième régiment d’infanterie de l’armée impériale. Celui-ci avait quitté la baie de Cam Ranh le 18 février à destination de Java. 

                                                         Le destroyer américain  Pope en 1924 (US Navy via Wikimedia.org)
     Le 1er mars, le croiseur lourd anglais Exeter et les destroyers Encounter et Pope étaient aperçus et attaqués par les croiseurs Nachi, Haguro, Ashigara et Myoko et les destroyers Yamakaze, Kawakaze, Akebono et Inazuma alors qu’ils essayaient de quitter les eaux  indonésiennes par le détroit de la Sonde, après avoir quitté le port de Surabaya le soir du 28 février. 
 
     Les navires japonais coulèrent le croiseur lourd et l’Encounter à coups de canons et de torpilles, mais le Pope parvint à s’échapper en se fondant dans des bourrasques de pluies. Un appareil en maraude reprit le contact avec le destroyer américain à 12h30, et en informa son bateau-mère, le porte-hydravions Chitose, qui envoya une dizaine de F1M2 pour l’attaquer. Les hydravions parvinrent à fausser un des arbres de transmissions du destroyer avant de se retirer. Six B5N du Ryujo apparurent ensuite. Après quatre passages où la formation largua ses bombes à une altitude de 1000 mètres, le Pope, désemparé, fut sabordé par son équipage, alors que des croiseurs japonais arrivaient à portée de tir et ouvraient le feu. Quant au Ryujo, il mouilla le 5 mars dans le port de Singapour, pris peu avant par les Japonais, puis soutint l’opération T, le débarquement des éléments de l’armée chargés de la destruction des dernières poches de résistance hollandaises dans le Nord de Sumatra, jusqu’au  14 mars.  Le porte-avion couvrit ensuite l’occupation des îles Andaman puis opéra au large de la Birmanie avant de jeter l’ancre à Mergui le 26 mars 1942.
 
Opération C
 
     Afin de sécuriser les territoires récemment conquis et de couvrir l’invasion de la Birmanie,  la marine impériale planifia une opération majeure dans l’Océan Indien. Celle-ci se subdivisait en deux éléments ; un raid de la force mobile contre les ports de l’île de Ceylan, le cœur de la présence navale britannique dans la région, et, simultanément, une attaque contre le trafic maritime dans le golfe du Bengale, menée par une force de moindre importance. L’Etat-major de la marine espérait que la deuxième part de l’opération C aurait comme effet collatéral de créer un choc psychologique dans la population indienne, susceptible de fragiliser la mainmise des britanniques sur le sous-continent.
    La «force de Malaisie de la deuxième flotte expéditionnaire du Sud» sous les ordres de l’amiral Jisaburo Ozawa, chargée de l’attaque dans le golfe du Bengale, quitta son mouillage de Mergui, à 320 kilomètres de Rangoon, le 1er avril 1942, et mit le cap sur les îles Andaman, où elle attendit deux jours avant de s’enfoncer dans l’Océan Indien en même temps que la force mobile. Le 4 avril, la flotte de l’amiral Ozawa se sépara en trois groupes ; les forces Nord et Sud, de deux croiseurs lourds et un destroyer chacune, et la force centrale, composée du Ryujo, du croiseur lourd Chokai, du croiseur léger Yura et des destroyers Yugiri et Asagiri. Le 5 avril, un hydravion de reconnaissance dépêché par un des croiseurs repéra un convoi d’une dizaine de navires marchands. Alerté, le Ryujo lança une dizaine d’appareils qui  attaquèrent les vaisseaux ennemis. Une de leurs bombes de 60 kg explosa dans la salle des machines du Dardanus, un cargo de 7726 tonnes. Pris en remorque par le cargo Gandara, il fut achevé le lendemain par des croiseurs.  Dans l’après-midi du 6 avril, les kogeki s’en prirent aux ports de Coconada et Visakhapatnam, sans rencontrer d’opposition, malgré que le porte-avion ait été repéré par un avion britannique dans la matinée.  A Coconada, leurs bombes enflammèrent le cargo hollandais Van der Capellen de 2073 tonnes, qui finit par sombrer deux  jours plus tard, alors qu’à Visakhapatnam, ils coulèrent le cargo britannique Sinkiang de 2646 tonnes et endommagèrent le Anglo-Canadian de 5628 tonnes. L’attaque causa la panique dans la population des deux villes. L’opération achevée, l’amiral Ozawa regroupa son escadre et mis le cap sur Singapour, où elle arriva le 11 avril. Ainsi, durant leur incursion, les navires et les aéronefs de la « force de Malaisie » avaient envoyé par le fonds 23 bâtiments, pour un total de 32'404 tonnes.  L’attaque nippone était arrivée au pire moment pour les Anglais qui venaient d’ordonner à leurs bateaux de commerce de quitter les ports de la côte indienne, offrant involontairement de nombreuses cibles à leurs ennemis.
                                                     Le cargo britannique Dardanus (via www.bluefunnel.myzen.co.uk)

Opération AL

     Après une brève escale dans la baie de Cam Ranh, le Ryujo mit le cap sur le Japon et jeta l’ancre dans le mouillage de la grande base navale de Kure le 23 Avril 1942. Il y entra en cale sèche le 28 avril pour une semaine. Pendant ce temps, le groupe aérien rejoignit le Saeki Kokutai où son daitai de chasse échangea ses A5M contre des A6M2 Zéro beaucoup plus performants, et commença à s’entraîner sur ses nouvelles montures à partir du 1er mai 1942. Le porte-avions rallia ensuite le port d’Ominato où il arriva le 25 mai 1942, après avoir été réassigné à la force du Nord. 

     Planifiée pour être lancée en même temps que l’opération MI, l’attaque de Midway, l’opération AL n’était pas une diversion en faveur de celle-ci, mais une opération entièrement autonome. Son objectif, la conquête des îles aléoutiennes, visait à permettre l’extension du périmètre défensif japonais et à interrompre les communications maritimes entre l’URSS et les USA. Les stratèges japonais avaient sous-estimés le climat épouvantable qui y régnait et de ce fait exagéré l’importance de l’archipel comme base de départ potentielle pour des attaques contre le Japon. Le plan prévoyait le bombardement de la seule grande base américaine à l’ouest des Aléoutiennes, le port de Dutch Harbor, le 4 juin, en prévision des débarquements sur les îles de Kiska et d’Adak qui devaient suivre deux jours plus tard.  

     La flotte japonaise était divisée en quatre éléments ; une force de couverture constituée d’ un croiseur lourd et de deux destroyers, la force d’occupation d’Attu forte de deux navires de transport de troupes protégés par un croiseur léger, quatre destroyers et un dragueur de mines, la force d’occupation de Kiska, deux transports escortés par deux croiseurs légers, deux croiseurs auxiliaires, trois destroyers et trois dragueurs de mines, et enfin de Dai-ni Kido Butai, la deuxième force mobile. Celle-ci, centrée sur la 4ième division de porte-avions, représentait la principale force de frappe de l’opération. Outre le Ryujo, elle comprenait le nouveau porte-avions Junyo, issu de la conversion d’un paquebot, le porte-hydravions  Kimikawa Maru, les croiseurs lourd Maya et Takao et les destroyers Akebono, Ushio, Sazanami et Shiokaze.  Le groupe embarqué du Ryujo comprenait alors 12 A6M2 et 18 B5N1 et 2. Les chasseurs étaient commandés par le lieutenant Kobayashi et les bombardiers-torpilleurs par le lieutenant Yamagami, eux-mêmes placés sous les ordres du lieutenant Masayuko. Le Junyo embarquait 18 A6M2 et 15 bombardiers en piqué en D3A1.
 
     Le 3 juin 1942 à deux heures du matin, la 4ième division de porte-avions arriva à portée de Dutch Harbor. Le temps exécrable força les marins japonais à repousser le décollage des avions à 2h43. Le Junyo lança douze bombardiers en piqué et six chasseurs et le Ryujo quatorze B5N escortés par six A6M.  Un des kogeki, victime d’une panne de son moteur, s’écrasa peu après avoir décollé et son équipage fut récupéré par un des destroyers d’escorte. Le plafond nuageux très bas contraignit la formation à se diviser en plusieurs groupes. Les avions du Junyo furent bientôt contraints de faire demi-tour, seuls deux de ses chasseurs poursuivirent la mission en compagnie des appareils du Ryujo. A leur arrivée au-dessus de Dutch Harbor, à 05h45, le ciel était dégagé. Peu gênés par une DCA américaine dense mais imprécise, les B5N, divisés en groupes de trois et quatre, effectuèrent un bombardement horizontal. Leurs projectiles touchèrent la caserne de Fort Mears, y tuant 25 personnes, l’hôpital de la ville, une station de radio de l’US Navy et des réservoirs de carburant. Pendant ce temps, les Zéro détruisirent un Catalina du Patrol Wing 4 en train de déjauger, et interceptèrent un autre hydravion de la même unité qui parvint à leur échapper. Une dizaine de chasseurs P-40 de l’US Army Air Force arrivèrent au-dessus du port une dizaine de minutes plus tard, mais la formation japonaise avait déjà quitté les lieux. Dans l’après-midi, la 4ième division lança une autre vague d’attaque contre cinq destroyers américains repérés dans la matinée, mais elle dut rebrousser chemin à cause du temps exécrable.
 
     Dans la matinée du 4 juin, deux chasseurs du Ryujo abattirent un Catalina  qui suivait les mouvements de la force japonaise. Après avoir abandonné un projet d’attaque contre l’île d’Adak à cause d’une violente tempête survenue dans la nuit du 3 au 4 juin, l’amiral Kakuta, commandant de la 4ième division, ordonna un deuxième raid contre Dutch Harbor. Onze kanbaku et six kogeki escortés par dix A6M2 débutèrent leur attaque contre le port à 18h10, après une heure de vol.

                                Dutch Harbor sous les bombes le 3 juin 1942 (Wikimedia.org)

    Tandis que les bombardiers détruisaient quatre réservoirs de carburant et incendiaient le vieux navire à vapeur Northwestern, un shotai de Zero du Ryujo abattit un Catalina. Un des chasseurs, piloté par le premier maître Tadayoshi Koga, fut touché par un projectile de mitrailleuse, qui rompit une canalisation d’huile. Accompagné par ses deux ailiers, le premier maître tenta un atterrissage forcé sur l’île d’Atukan, toute proche, prévue comme lieu de regroupement pour un tel cas, de manière à ce que les équipages abattus puissent être récupérés par un sous-marin. Le terrain meuble fit capoter le Zéro, qui, en se retournant, brisa les vertèbres cervicales du pilote. Les deux autres aviateurs devaient  détruire le chasseur afin de préserver ses secrets, mais ne purent s’y résoudre dans l’espoir que leur camarade vivait encore.  Les Américains découvrirent l’appareil un mois plus tard, et après l’avoir remis en état de vol, eurent l’occasion de le tester et d’en déterminer les forces et les faiblesses, puis d’en informer leurs propres unités de chasse. Alors qu’ils se regroupaient à leur point de ralliement du Sud-Est de l’île d’Unalaska, les D3A1 du Junyo furent attaqués par des P-40 du 11ième Fighter squadron de l’USAAF qui détruisirent deux des bombardiers en piqué. L’intervention de chasseurs japonais qui abattirent deux des assaillants permit aux survivants de s’échapper.
 
     Le 5 juin, la 4ième division de porte-avions fut dépêchée vers le Sud de toute urgence dans l’espoir d’inverser le cours désastreux pris par les combats au large de Midway. Le Zuiho rejoignit peu après les navires de l’amiral Kakuta. L’immensité de la distance à parcourir rendait impossible une intervention ponctuelle et la tentative avorta très vite. La 4ième division retourna alors vers les Aléoutiennes pour fournir une couverture aérienne aux troupes débarquées le 7 juin sur les îles d’Attu et de Kiska. Le temps calamiteux rendit les opérations de l’aviation embarquée impossibles et le Ryujo rallia Ominato le 24 juin 1942. Le vaisseau, accompagné par le porte-avions Zuikaku,  fut ensuite affecté à la protection d’un convoi acheminant des renforts vers les Aléoutiennes du 28 juin au 12 juillet. Le voyage se déroula sans encombre.
Le Zéro du premier maître Tadayoshi Koga, après sa récupération par les américains (NACA Langley Research Center, via wikimedia.org)

Dernière opération
     La bataille de Midway et la perte des grands porte-avions Akagi, Kaga, Hiryu et Soryu qui en découla rendit nécessaire une réorganisation de l’aviation embarquée. Ainsi, le Ryujo, qui embarquait dorénavant 24 A6M2 et 9 B5N2, fut affecté à la 1ère division de porte-avions en compagnie du Shokaku et du Zuikaku le 8 août 1942.  Le jour précédant, la 1ère division de Marines, couverte par une puissante force aéronavale, avait débarqué à Guadalcanal et facilement occupé l’aérodrome que les Japonais y construisaient. L’opération américaine, baptisée Watch Tower, prit la marine impériale totalement au dépourvu. L’intervention des forces aériennes, navales et terrestres disponibles sur le théâtre des opérations ne permirent pas de chasser l’ennemi de son nouveau bastion, et il apparut que cet objectif nécessitait une action majeure pour être atteint.

     L’amiral Yamamoto, chef de la flotte combinée, conçut, comme à son habitude, un plan complexe. Un convoi devait débarquer des troupes sur Guadalcanal. Plusieurs formations séparées, comprenant trois porte-avions, un porte-hydravions, deux cuirassés, onze croiseurs lourds, trois croiseurs légers et vingt-quatre destroyers, étaient chargées de le protéger et de détruire toute présence navale américaine rencontrée lors de l’opération. Un élément clé de ce déploiement était la force mobile, commandée par le vice-amiral Nagumo, qui appareilla de Kure le 16 août 1942. Bien moins puissante que quelques mois auparavant, Kido Butai ne comptait plus que trois porte-avions ; les Shokaku, Zuikaku, Ryujo, escortés par la 11ième division de cuirassés (Hiei et Kirishima), la 8ième division de croiseurs (croiseurs lourds Tone et Chikima), le croiseur léger Nagara et dix destroyers.  
 
      Dans la nuit du 23 au 24 août, l’amiral Nagumo ordonna au Ryujo, escorté par le Tone et les destroyers Tokitsukaze et Amatsukaze, de se placer à l’avant du convoi de troupes, à 200 miles au nord de Guadalcanal, et si aucune force navale ennemie n’était repérée, de bombarder l’aérodrome d’Henderson Field, puis de se retirer vers le Nord pour mazouter. Les navires ainsi détachés étaient sous le commandement du contre-amiral Hara. Le 24 août à 09h05, un Catalina repéra le Ryujo, qui lança deux chasseurs à sa poursuite. Après une heure de manœuvres évasives, l’hydravion de reconnaissance parvint à leur échapper. Le navire fut à nouveau repéré à 11h30.

      Entre 12h20 et 12h48 le Ryujo fit décoller un groupe de six kogeki, chacun armé de six bombes de 60 kg, et de six A6M2, suivi d’un second groupe de neufs chasseurs, avec pour mission d’attaquer l’aérodrome capturé par les Américains à Guadalcanal, baptisé Henderson Field.  Après un peu plus d’une heure de vol, les avions nippons arrivèrent à destination. Les Américains ne disposaient pas de radar, et une formation de chasseurs survolait la base en permanence durant les heures où les raids des forces aériennes japonaises basées Rabaul étaient les plus probables. Douze F4F du VMF-223 et quelques P-400 Airacobra du 67 Pursuit Squadron  de l’USAAF se tenaient prêt à décoller pour se porter à la rencontre d’éventuels intrus. Au moment de l’apparition des appareils du Ryujo, la patrouille de couverture, volant à une altitude de 4000 mètres, était constituée de quatre Grumman F4F Wildcat du VMF-223. Ceux-ci donnèrent l’alerte, permettant à une dizaine de Wildcat et à deux P-400 de décoller à temps.

       Les B5N2, conformément à leur pratique habituelle, formèrent un triangle : l’appareil transportant le meilleur bombardier-navigateur prit la place du chef d’escadron en tête de formation, puis ils commencèrent leur passe d’attaque depuis une altitude de 3000 mètres, en piquer léger afin de compliquer la visée des canonniers ennemis. Les trente-six bombes légères de 60 kg explosèrent près d’une batterie anti-aérienne, mais sans provoquer de dégâts importants.

     Au même moment, les quatre F4F de la patrouille de couverture piquèrent sur l’escorte des kogeki et abattirent un des Zéros avant de mettre leur vitesse à profit pour regagner de l’altitude ; il s’agissait d’une tactique fréquente des pilotes américains pour contrer la maniabilité bien supérieure de leurs adversaires.  Le bombardement fut suivi par les neuf Zéros du deuxième groupe qui, divisés en shotai de trois appareils, et venant de directions différentes, firent des passes de mitraillage du terrain d’aviation et abattirent un Wildcat du VMF-223 surpris à 150 mètres d’altitude, juste après avoir décollé. Dans le même temps, deux P-400 détruisirent un des chasseurs du groupe.
Un Wildcat des Marines photographié sur l’aérodrome d’Henderson Field en 1942 (National
           Archives via Wikimedia)

     Plus au Nord, six Zéros affrontaient 2 P-400 et trois Wildcat ; un des chasseurs japonais, touché par un appareil du VMF-212, dut atterrir en catastrophe sur l’île, mais son pilote, Takeo Okumura, fut récupéré par la suite par des troupes amies. Un avion du VMF-223 fut aussi abattu. Alors qu’ils se retiraient, les B5N2 furent interceptés par des Wildcat, qui en abattirent quatre, dont un parvint à faire un amerrissage d’urgence. Les appareils américains furent ensuite chassés par les cinq survivants de l’escorte et par deux autres Zéros du second groupe, qui parvinrent à détruire un Wildcat du VMF-212. Au total, le raid coûta quatre kogeki et trois chasseurs au groupe aérien du Ryujo, pour un résultat mineur. Les pilotes japonais revendiquèrent la destruction de quinze chasseurs ennemis, mais les Américains ne perdirent que trois F4F dans l’affaire.
La fin du Ryujo
     A 14h40, trois sections de reconnaissance du porte-avions Enterprise, de deux avions chacune, approchèrent simultanément du Ryujo et de son escorte, venant de directions différentes. Une de ces sections, formée de deux bombardiers en piqué SBD Dauntless signala la position des navires japonais, puis rebroussa chemin. Une autre paire, composée d’un SBD accompagné d’un bombardier-torpilleur TBF Avenger, approcha à basse altitude, mais se fit refouler par les Zéros de la patrouille de couverture du porte-avions. 
     La troisième section, de deux TBF, monta à 3600 mètres, avant d’être aperçue à 14h55 par les navires japonais qui les confondirent avec des B-17. Le Tone et les deux destroyers ouvrirent le feu avec leurs pièces anti-aériennes de 127mm, tandis que le Ryujo lançait un shotai d’A6M2 et un kogeki comme appareil de veille anti-sous-marine. Quelques minutes après, les TBF lâchèrent quatre bombes de 250 kg qui manquèrent leur cible, la plus proche éclata à 150 mètres du porte-avions, avant de s’échapper sans être interceptés par les Zéros.  Vers 15h00, le Ryujo, peut-être suite à une critique acerbe du commandant de l’Amatsukaze, fit décoller encore deux chasseurs. Au même moment, une nouvelle paire de TBF de la VT-3 venant de l’Enterprise aperçut le Tone et grimpa à 3000 mètres. Le croiseur les repéra et ouvrit le feu. Les deux derniers chasseurs lancés par le Ryujo intervinrent et abattirent  un des Avenger.
     A 15h36, une formation d’attaque lancée par le Saratoga deux heures plus tôt, forte de vingt-neuf bombardiers en piqué SBD Dauntless (quinze du VS-3, treize du VB-3) et sept TBF du VT-8, aperçut les navires japonais. Les appareils américains se séparèrent, les SBD grimpèrent à 4600 mètres alors que les TBF armés de torpilles restaient 1000 mètres en dessous. Six SBD du VB-3 et un Avenger se détachèrent afin de s’en prendre au Tone, les autres appareils se préparant à attaquer le porte-avions. Dès que les vigies japonaises firent état du nouveau danger, le Ryujo, se mit face au vent et lança une paire de Zéros pour renforcer les cinq chasseurs déjà en vol. Les vaisseaux nippons naviguaient alors de manière séparée. Il s’agissait là aussi d’une réaction courante dans la marine impériale face à une attaque aérienne ; la capacité individuelle des navires à manœuvrer pour éviter les projectiles adverses primait sur leur capacité à concentrer les feux de l’artillerie antiaérienne. 
 
     A 15h50, les quinze Dauntless de la VS-3 piquèrent sur le porte-avions depuis plusieurs directions. Le vaisseau  manœuvra en cercle pour gêner la visée des appareils ennemis, et les bombes de 454 kilos, larguées à une  altitude de 600 mètres par les SBD, le manquèrent. Ces premiers assaillants furent suivis par les sept bombardiers en piqué restants du VB-3, qui ne mirent pas non plus de coups au but. Quatre Zéros s’en prirent à eux alors qu’ils s’échappaient à basse altitude après leur piqué, et endommagèrent un des Dauntless. Le commandant de la formation américaine, voyant que le Ryujo avait jusque là échappé aux assauts de ses pilotes, ordonna aux appareils affectés à l’attaque du Tone de changer de cible, puis piqua à son tour. A l’issu de son attaque, il eut la certitude d’avoir placé le premier coup au but.
 
     Après avoir reçu le contrordre du leader, les six SBD du VB-3 interrompirent leur approche vers le Tone, et malgré l’intervention de quatre chasseurs nippons, rapportèrent avoir touché le Ryujo à trois reprises. Durant l’assaut des Dauntless, les  Avenger du VT-8 perdirent rapidement de l’altitude jusqu’à 60 mètres, deux se dirigèrent vers le croiseur lourd, et les cinq autres prirent la direction du porte-avions. Ces derniers, malgré l’intervention de plusieurs Zéros, se divisèrent pour mener une attaque en tenaille. La première section de trois appareils attaqua à tribord et une de leurs torpilles, larguée à moins de 800 mètresde la cible,  toucha l’arrière du Ryujo, endommageant le gouvernail et la salle des machines. Quant au Tone, il parvint à échapper sans dommages à l’attaque des deux Avenger  qui le visaient.

    Le Ryujo stoppa, et commença à prendre de la gîte, qui atteignit 21° vers 17h00. Un quart d’heure plus tard, le contre-amiral Hara ordonna l’abandon du bâtiment, alors que le Tokitsukaze et l’Amatsukaze s’approchaient pour recueillir l’équipage. Trois B-17 du 11ième Bomber Groupapparurent à ce moment et effectuèrent deux largages, sans mettre de coup au but. Trois A6M2 prirent les quadrimoteurs en chasse, et touchèrent durement un d’entre eux, qui finira par s’écraser près de sa base. Le porte-avions, en flammes, sombra à 20h00, emportant avec lui 120 officiers et marins de son équipage. Pour les Japonais, une seule torpille et des brèches dans la coque causées par l’explosion de bombes tombées à proximité étaient responsables de la perte du bâtiment. Le seul appareil survivant de son groupe aérien fut le B5N de patrouille anti-sous-marine, qui parvint à rejoindre l’aérodrome japonais de Buka. Faute de carburant, les autres appareils du Ryujo durent amerrir près des navires d’escorte.

Le reflet d’une stratégie

    La carrière du Ryujo est révélatrice de certains traits de l’institution dont il faisait partie. Le bâtiment fut, par exemple, directement victime d’une défaillance de Kaigun, la marine impériale japonaise ; sa propension à créer des plans sophistiqués dont résultait la dispersion d’unités incapables de s’appuyer mutuellement. Moins de trois mois auparavant, le porte-avions léger Shohocoulait lors de la bataille de la Mer de Corail dans des circonstances analogues à celles qui causèrent la destruction du Ryujo. Le déroulement simultané des opérations MI et AL constitua une autre illustration du même phénomène, où le Ryujoet le Junyo ne purent être d’aucun secours à la première force mobile. Pourtant, ce fut bien la même marine qui, la première, regroupa en une seule unité tactique ses grands porte-avions d’escadre. Grâce à cette concentration de ses moyens aéronavals, elle put infliger des coups terribles à ses adversaires durant les premiers mois du conflit. Paradoxalement, la marine agit comme si elle n’avait pas entièrement compris les causes de sa propre supériorité.

La conception du Ryujosacrifiait la protection au bénéfice de la capacité offensive, elle-même directement liée à la taille de son groupe embarqué. Cet arbitrage découlait de la doctrine de la marine et se retrouvait dans une grande partie de ses navires et de ses avions.
De fait, cette doctrine postulait que la victoire dans une guerre navale serait acquise lors d’une bataille décisive, et la marine impériale passa des décennies à se préparer à un tel affrontement. Dans cette perspective, sacrifier la durabilité à la puissance de feu se justifiait. Une éclatante victoire ne pourrait ensuite que causer l’ouverture de négociations qui se concluraient à l’avantage du vainqueur. Les vaisseaux japonais devaient donc vaincre, et non pas survivre pour combattre un autre jour. Cependant, la deuxième guerre mondiale s’avérera être une guerre d’attrition, et cette erreur de jugement dans la formulation stratégique japonaise fut une des nombreuses causes de l’entrée en guerre de l’Empire du Soleil levant contre les Etats-Unis, un adversaire démesurément plus puissant.

Pour conclure, l’on peut constater que ces différences de perspectives dans la vision des belligérants apparaissent de manière récurrente. Ainsi, par exemple, en 216 avant Jésus-Christ déjà, Hannibal fut surpris par le refus des romains d’ouvrir des négociations alors qu’il venait d’écraser à Cannes la plus puissante armée jamais déployée par la République romaine.
                                    L’agonie du Ryujo photographiée par un B-17 du 11ième Bomber Group
                                                                                  (Wikimedia.org)











 

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2 commentaires:

  1. Encore un bel article sur une unité méconnue de la marine impériale.
    Juste une question : le fameux Zéro capturé aux Aléoutiennes n'était-il pas piloté par Koga (et pas Kogi) ? De mémoire.

    Cordialement.

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  2. Bonsoir Stéphane,

    C'est bien Koga, il s'agissait d'une erreur de ma part, je viens de la corriger. Merci beaucoup de me l'avoir signalée.

    Cordialement

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