Par certains aspects,
il serait possible d’arguer que la guerre du Pacifique débuta réellement le 7
juillet 1937 avec la guerre sino-japonaise, et que Pearl Harbour ne fut qu’une
conséquence de ce que les Japonais appelèrent « l’incident de
Chine ». Contrairement à l’impression que pourrait laisser les immenses
territoires conquis par l’armée impériale durant les premières années de ce conflit, les forces du Guomindang se battirent à de nombreuses reprises avec un
acharnement ne le cédant en rien à celui d’autres armées quelques années plus
tard, comme l’illustre la sanglante bataille de Shanghai.
Adrien Fontanellaz, 2012
L’incident du pont Marco Polo dans la nuit du
7 juillet 1937 déclencha une guerre entre le Japon et la China qui ne s’arrêta
que le 8 août 1945, avec la capitulation du premier. Comprendre pourquoi un
incident aussi mineur a pu dégénérer en conflit majeur nécessite de remonter, à
minima, à la fin des années vingt. Le
Japon, pauvre en ressources naturelles, était désireux, depuis les réformes de
l'ère Meiji, d'affirmer son statut de grande puissance internationale.
Deux écoles de pensées s'opposaient quant à la manière d’atteindre cet objectif.
La première favorisait la coopération et les échanges avec le concert des
nations. Elle occupa une place prépondérante tout au long des années 20. Mais,
à la suite de la grande crise de 1929, l'influence des factions favorables à
l'établissement d'un empire autarcique grandit. Or cette autosuffisance n'était
pas envisageable sans une expansion menant au contrôle de ressources naturelles
situées à l'extérieur du pays.
Cette politique, souvent imposée au
gouvernement par des cadres subalternes de l'armée, mena à l'occupation de la
Mandchourie en septembre 1931. Puis, en janvier 1932, de nouvelles provocations
nippones causèrent de violents affrontements à Shanghai. La garnison japonaise,
initialement composée de troupes de marine, dût être renforcées par deux divisions
de l’armée impériale lors des violents combats l’opposant à la 19e
armée de route et à la 5e armée chinoise. Un cessez-le-feu conclu en mai 1932 mit fin à
la première bataille de Shanghai. Il incluait l’instauration d’une zone
démilitarisée et le retrait de l’armée régulière japonaise, seule une garnison
de la marine impériale restant sur place pour protéger la concession nippone. Le
jour du nouvel an 1933, de nouveaux affrontements opposèrent des troupes
chinoises et japonaises, puis, en février 1933, deux divisions de l’armée
impériale occupèrent la province de Johol dans le Nord de la Chine. Enfin, en
novembre 1936, les Nationalistes chinois écrasèrent une rébellion menée par un
prince mongol avec l’appui de l’armée du Kwantung.
Des soldats du 18e régiment d'infanterie de l'armée impériale en 1937 (wikimedia) |
Le gouvernement nationaliste s’était montré
relativement conciliant face aux différentes agressions japonaises. Conscient
de son infériorité militaire, il souhaitait surtout concentrer ses moyens
contre ses rivaux de l’intérieur, à l’image du Parti Communiste Chinois (PCC).
Progressivement, le ressentiment antijaponais ne fit que s’accentuer dans la
population, de plus en plus réceptive aux appels à l’union nationale contre
l’envahisseur lancés non seulement par le PCC mais aussi au sein même du Guomindang (KMT). Pour Tchang Kaï-chek, continuer à
céder face aux pressions japonaises risquait à terme de mettre en danger son
assise politique. A contrario, les militaires nippons ne perçurent pas cette
évolution, et s’attendirent à ce que l’incident du pont Marco Polo reste
limité. De plus, l’affaiblissement de l’armée rouge par les purges massives
lancées par Staline semblait leur offrir la possibilité de « donner une
leçon » au régime nationaliste et de conquérir de nouveaux territoires
dans le Nord de la Chine à bon compte sans craindre de réaction militaire
soviétique. Pour ces raisons, le 7 juillet 1937 allait marquer le début d’une
guerre de grande ampleur entre les deux pays, et opposer des armées très
différentes.
En temps de paix, l’armée impériale japonaise
comptait dix-sept divisions d’infanterie et quatre régiments de tanks. Les
premières pouvaient rapidement être renforcées grâce à l'efficacité de son
système de conscription basé sur le modèle prussien. Les recrues étaient soumises
à un entraînement très dur; les punitions corporelles étaient communes,
les marches forcées fréquentes. L'armée impériale avait la particularité
d'entraîner l'ensemble de ses soldats au combat de nuit. Les officiers vivaient
à l'écart de leurs hommes, mais il était attendu d'eux qu'ils endurent les
mêmes conditions que ceux-ci, et qu'ils les commandent de l'avant. Le
recrutement des unités se faisait dans une même région, ce qui contribuait au
développement d'un fort esprit de corps. Les militaires japonais développèrent
une doctrine originale visant à pallier à leur infériorité matérielle face à
l’armée rouge, perçue comme l’adversaire principal. De rapides mouvements
offensifs devaient permettre de déstabiliser l'ennemi, et l'initiative ne
devait jamais lui être laissée. Cette foi dans la valeur de l'offensive était
telle que dans un manuel de 1928, les notions de défense et de retraite étaient
expurgées. L'infanterie était, pour les généraux nippons, la reine des
batailles et les autres armes devaient l’appuyer. Durant une attaque,
l'objectif était d'arriver rapidement au plus près de l'ennemi, afin de
l'engager dans un combat au corps-à-corps. L'accent mis sur le combat de nuit
s'expliquait par la volonté de minimiser les effets du feu ennemi en exploitant
l'obscurité. A tous les niveaux, de la compagnie à la division, les Japonais
favorisaient les tactiques de débordement ou d’encerclement. Une partie de
l’unité engagée menait une attaque frontale pour capter l’attention de
l’adversaire, tandis que d’autres groupes s’infiltraient dans le dispositif
ennemi, avant d’attaquer ses flancs, ou de percer dans la profondeur puis de
bloquer ses voies de repli. Enfin, sur le plan stratégique, la doctrine en vigueur
préconisait la recherche rapide d’une bataille décisive où les armées ennemies
seraient anéanties, afin d’éviter au pays d’être engagé dans une guerre
prolongée.
Défilé de troupes nationalistes (wikimedia) |
Avec un ordre de bataille de 191 divisions
avant le début des hostilités, l’armée chinoise semblait bien plus puissante
que sa rivale japonaise. Les apparences étaient pourtant particulièrement
trompeuses. La grande majorité des soldats était illettrée car issue de
familles paysannes pauvres. Le système de conscription était notoirement corrompu
et permettait facilement aux jeunes hommes issus de familles mieux loties
d’échapper au recrutement. L’entraînement des soldats était limité et se
concentrait sur la parade plus que sur la tactique et le tir. Les officiers
étaient formés dans un système d’écoles spécialisées et d’académies, dont la
plus prestigieuse était l’académie militaire de Whampoa, fondée en 1923. A
l’aube de la guerre, plus de 10'000 cadets avaient été brevetés à travers ce
système. Une proportion importante du corps des officiers avait cependant été
promue directement au sein des unités. Une mission d’assistance militaire
allemande, commandée par Hans Von Seeckt, l’architecte de la Reischwehr, puis par le général
Alexander Von Falkenhausen, soutenait le programme de modernisation de l’armée
chinoise. Des conseillers allemands étaient ainsi présents à l’académie
militaire de Whampoa. A partir de 1936, une vingtaine de divisions dites
réformées vit le jour, huit d’entre elle ayant bénéficié d’un entraînement
prodigué directement par les Allemands. Au moment où éclata l’incident du pont
Marco Polo, l’armée chinoise était en pleine transition; beaucoup de chemin
avait été parcouru, mais ses lacunes restaient béantes à tous les nouveaux,
même si les déficiences dans l’instruction étaient partiellement compensées par
l’expérience accumulée durant une décennie de guerre civile.
Au cours de la quête du KMT pour réunifier
la Chine, plusieurs seigneurs de guerre avaient fini par prêter allégeance à Tchang
Kaï-chek. Ceux-ci conservèrent le contrôle de leurs troupes, car elles garantissaient
leur influence, et, dans une certaine mesure, leur survie politique. Le
contrôle du gouvernement sur ces armées provinciales était donc très lâche, et
du fait de leur fidélité incertaine, il était réticent à leur livrer des armes.
La valeur et l’équipement de ces forces étaient très variables, certains
seigneurs de guerre ayant constitué de bonnes unités, alors que d’autres,
sous-entraînées et sous-armées, avaient une utilité militaire marginale. Par
contre, d’autres troupes, dont le nombre était semblable à celles contrôlées
par les seigneurs de guerre, également ralliées au régime, étaient considérées
par ce dernier comme raisonnablement loyales. Enfin, le cœur de l’armée
nationaliste était constitué par environ 400'000 hommes appartenant à des
unités directement levées par le KMT et sur lesquelles il concentra ses efforts
de réarmement et de modernisation. Ceux-ci étaient compliqués par la faiblesse
de l’industrie chinoise. Sa production d’armes légères, de munitions de petit
calibre et de mortiers était insuffisante pour couvrir les besoins, et le
gouvernement était obligé de passer des commandes à l’étranger. De plus,
l’arsenal détenu par le pays était hétéroclite, provenant de sources très
variées comme la Tchécoslovaquie, la France, le Japon, L’Allemagne, les
Etats-Unis ou encore la Suède, l’Italie et la Belgique. Cette diversité
représentait évidemment un cauchemar logistique. Enfin, les achats de pièces
d’artillerie en petite série réalisés à l’étranger ne parvinrent jamais à
combler le déficit en la matière. Les services logistiques et sanitaires
étaient par ailleurs gravement déficients. L’armée ne disposait ainsi en 1937
que d’un parc de 3'000 véhicules motorisés.
La puissance des divisions japonaises et
chinoises différait radicalement, même si pour les secondes, l’on se base sur
les dotations théoriques rarement atteintes dans la pratique. Les divisions des
deux armées partageaient une structure identique, avec deux brigades comprenant
deux régiments d’infanterie à trois bataillons. La taille supérieure de la
division japonaise était causée par son parc d’artillerie, à l’existence d’unités
du train bien plus importantes que dans son homologue chinoise et à l’effectif
en général plus conséquent de ses unités d’infanterie. Si l’artillerie de la
division japonaise surclassait celle de sa rivale, les deux infanteries
disposaient par contre, proportionnellement à leurs effectifs, d’une puissance
de feu similaire.
Division
japonaise « quaternaire »
|
Division
chinoise « réformée »
|
|
Nombre
d’hommes
|
24’800
|
10’923
|
Pièces
d’artillerie de 70mm à 105mm
|
84
à 120
|
16
|
Mortiers
moyens 75 à 90mm
|
-
|
30
|
Mitrailleuses
lourdes
|
96
|
54
|
Mitrailleuses
légères
|
292
|
274
|
Compilé
selon Battle for China, Soldiers of the White Sun et Imperial Japanese Army of WW2
Malgré d’intenses efforts et d’importants
investissements, l’infériorité de la force aérienne chinoise face aux services
aériens japonais était encore plus marquée. En juillet 1937, les Chinois
disposaient de 229 avions de combats opérationnels répartis en neuf groupes. Les
avions, principalement d’origine américaine, italienne et allemande étaient
récents et leurs pilotes formés au sein de l’école d’aviation centrale, mise
sur pieds à l’aide d’instructeurs américains et italiens. Le service aérien de
l’armée impériale japonaise alignait 549 avions répartis en 54 chutai (escadrons), qui pouvaient être
renforcés par le service aérien de la marine impériale, qui disposait de 408
avions de première ligne. En mer, la marine chinoise, avec ses huit petits
croiseurs et ses quarante canonnières, était incapable de s’opposer à la
puissante flotte nipponne, dimensionnée pour rivaliser avec l’US Navy. Avant même que le premier coup de
canon ne soit tiré, le Japon disposait de la suprématie maritime.
Dans les semaines qui suivirent l’incident
du 7 juillet 1937, les Japonais chassèrent les troupes chinoises des environs
de Pékin, avant d’entrer dans la ville le 7 août. A la fin de ce mois, l’état-major
de l’armée impériale mobilisa 200'000 hommes et activa l’Armée du Nord de la
Chine, placée sous les ordres du général Terauchi afin de coordonner l’avance
des 1e et 2e armées le long des deux grands axes
ferroviaires de la région. La perte de Pékin acheva de convaincre Tchang
Kaï-chek qu’il ne restait plus d’autre choix que de combattre. Le 7 août, le
conseil de défense national entérina formellement la décision de résister. A cette
date, la dynamique qui allait causer l’ouverture d’un second front à Shanghai
était déjà bien enclenchée.
Le croiseur Izumo (wikimedia) |
A partir de 1935 déjà, les Chinois avaient
débuté secrètement la construction d’ouvrages défensifs ceinturant Shanghai. La
garnison de la concession japonaise située dans la ville portuaire ne dépassait
certes pas 5'000 fusiliers appartenant à la marine impériale, mais la cité elle-même
pouvait constituer un point de départ idéal pour avancer contre la capitale
nationaliste, Nankin, située à 290 kilomètres de là. De plus, les deux villes
étaient reliées par une voie de chemin de fer. Les 36e, 87e
et 88e divisions ainsi que la 20e brigade indépendante de
l’armée nationaliste étaient casernées non-loin de la ville, en dehors de la
zone de neutralité instaurée à la suite du cessez-le-feu de 1932. Ces unités
figuraient parmi les mieux entraînées et équipées de l’armée. Les 87e
et 88e divisions s’étaient
par ailleurs déjà illustrées dans la défense de la cité cinq ans plus tôt. Dès
le 11 juillet, le généralissime avait ordonné à ces deux divisions de se
préparer à lancer des opérations offensives alors qu’à la fin du mois, le général Zhang Zhizhong, commandant les
troupes de Shanghai avait lui-même proposé une attaque préemptive. Puis, Entre
le 7 et le 12 août, les Chinois retirèrent les marqueurs de navigation du Yangzi
et bloquèrent la rivière Huangpu en y coulant des navires, alors que des éléments
appartenant à la 20e brigade indépendante et à la 88e
division s’infiltrèrent dans la zone neutre. A la fin du mois de juillet, les
Japonais avaient terminé l’évacuation de leurs ressortissants civils de la
vallée du Yangzi tandis que la marine impériale renforçait la garnison de la
cité, qui atteignit 9'000 hommes le 11 août, tandis que la 1e
division de porte-avions appareillait de Sasebo le 12 et mettait le cap sur
Shanghai. Plusieurs incidents opposèrent Japonais et Chinois jusqu’au 13 août,
ou une série d’escarmouches éclatèrent dans la matinée puis s’aggravèrent tout
au long de la journée alors que des milliers d’habitants tentaient de quitter
la ville. Les bâtiments de la 3e flotte nipponne ancrés près de la cité
répondirent en ouvrant le feu sur les quartiers chinois, touchant notamment
l’université. Le 15 août, la force expéditionnaire de Shanghai, commandée par
le général Matsui et comprenant les 3e et 11e divisions
de l’armée impériale, quittait le Japon. La seconde bataille de Shanghai
débutait.
Troupes japonaises dans la ville de Shanghai, les ruines témoignent de la violence des combats (via wikimedia) |
Le 21 août, après avoir réorganisé leur
dispositif, les Nationalistes lancèrent un assaut général avec les 87e,
88e divisions renforcées par la 36e division sur un front
d’une largeur d’une dizaine de kilomètres. Les trois unités parvinrent à
progresser au cours de violents combats, menaçant d’encercler le
quartier-général ennemi et de prendre le contrôle des quais avant d’être
repoussées le 23 août par une série de contre-attaques japonaises.
Débarquement japonais dans la région de Shanghai (via wikimedia) |
Les navires transportant la Force
Expéditionnaire de Shanghai du général Matsui étaient arrivés à destination la
vieille, mettant fin à tout espoir chinois de rejeter l’ennemi à la mer. Dans
la nuit du 22 au 23 août, des éléments des 3e et 11e divisions
débarquèrent sur plusieurs points de la rive Sud du Yangzi au Nord et au
Nord-Ouest de Wusong, dans la périphérie de Shanghai. Les vaisseaux nippons
appuyèrent le débarquement de leurs troupes ; à Shanghai même, le
destroyer Amagiri ouvrit le feu à bout portant avec ses six pièces de 127mmm contre
un dépôt sur les quais occupé par l’ennemi. La résistance opposée par les
troupes chinoises gardant le secteur empêcha l’armée impériale d’élargir
rapidement ses têtes de pont. Une batterie d’artillerie chinoise tua ainsi des
centaines de soldats ennemis sur les plages avant d’être neutralisée. A
l’annonce des débarquements, le général Zhang Zhizhong ordonna aux troupes
engagées dans Shanghai de tenir leurs positions, et dépêcha des renforts qui
contre-attaquèrent près de la ville de Luodian, située à l’intérieur des terres,
le 24 août. Il fallut à la 11e division japonaise quatre jours pour
prendre la ville, après que la moitié de ses défenseurs ait été tué ou blessé.
La 3e division de l’armée impériale s’empara à son tour de Wusong le
31 août, après avoir dû surmonter une résistance acharnée. A Shanghai,
l’infanterie de marine maintint la pression sur les forces nationalistes au
moyen d’attaques limitées. Une préparation d’artillerie à 2h30 du matin dans la
nuit du 5 au 6 septembre marqua le début d’une offensive de grande ampleur
lancée par le général Matsui le long de la rivière Yunzaobin. Les troupes
nippones investirent la ville de Paoshan dans la journée, mais en furent
chassés par des contre-attaques chinoises, avant de la reprendre définitivement
le 9 septembre. Au plus fort des combats, 70'000 soldats japonais affrontèrent
110'000 soldats chinois. A aucun moment la force expéditionnaire de Shanghai ne
fut en mesure de percer les défenses chinoises et de se lancer dans une guerre
de mouvement où elle aurait pu tirer avantage de la plus grande mobilité de ses
unités. Cet échec était dû à l’utilisation par les Chinois de fortifications de
campagnes bien situées et prenant avantage des particularités du terrain et en particulier
des multiples cours d’eau et canaux d’irrigation traversant la région. Les
fermes et les villages avaient été transformés en autant de bastions sur
lesquels s’appuyait le système défensif chinois. De plus, une grande partie des
combats se déroulèrent dans les zones urbaines de Shanghai et de sa périphérie.
Enfin, les Nationalistes ne se contentaient pas de défendre avec acharnement
leurs positions, mais contre-attaquaient systématiquement chaque fois que
l’ennemi parvenait à avancer, avec pour résultat que de nombreux points
fortifiés changèrent de mains à plusieurs reprises. Les mouvements de
l’attaquant étaient rendus d’autant plus difficiles par les pluies fréquentes
qui transformaient les rizières en bourbiers où même les tanks pouvaient s’enliser.
Ces tactiques associées aux caractéristiques du terrain permirent de stopper les
Japonais. Leur coût en vies humaines fut cependant terrible face à un ennemi
disposant d’une puissance de feu bien supérieure. La campagne s’était
transformée en guerre d’usure.
Les deux camps alimentèrent les combats en
déployant de nombreux renforts dans la région ; la troisième semaine de
septembre, les Chinois avaient déjà engagé 26 divisions, soit environ 200'000
hommes, dans la bataille. Du côté japonais, les 9e, 13e
et 101e divisions de l’armée impériale arrivèrent durant les
semaines qui suivirent la prise de Wusong, tandis qu’une brigade indépendante
de l’armée en provenance de Formose débarquait sur les quais de Shanghai le 14
septembre. En outre, des bataillons entiers de réservistes furent détachés
auprès de ces divisions afin de combler leurs pertes. Pour les Japonais,
Shanghai était clairement devenu le front prioritaire au détriment du Nord de
la Chine. A défaut d’être parvenu à chasser l’ennemi de Shanghai, Tchang
Kaï-chek avait réussi à attirer celui-ci sur un terrain permettant aux troupes
chinoises de neutraliser sa supériorité manœuvrière. Les Japonais prirent
l’ascendant dans les airs avec l’arrivée début septembre des 12e et
13e kokutai de la marine
qui opérèrent depuis des terrains à proximité de Shanghai. Ces deux groupes
composites furent ensuite renforcés à partir du 18 septembre par des unités du
service aérien de l’armée impériale. La conquête de la supériorité aérienne sur
le champ de bataille fut accélérée par la mise en ligne du dernier-né des
chasseurs de la marine impériale, le Mitsubishi A5M, qui surclassait nettement les
Hawk III chinois.
Sous la pression d’une offensive générale
japonaise, les Nationalistes se replièrent en bon ordre le 17 septembre derrière
une seconde ligne défensive. Bien organisée, elle avait aussi l’avantage d’être
située hors de portée de la plupart des pièces de marine ennemies. Les attaques
frontales successives de l’armée impériale lancées jusqu’à la fin du mois du
septembre ne parvinrent pas à percer le nouveau dispositif, malgré l’engagement
de tanks en soutien de l’infanterie. Parallèlement, une épidémie de choléra
éclata dans la ville de Shanghai et fit rapidement des victimes dans les rangs
des armées belligérantes. Après une série de nouvelles attaques, les Japonais
parvinrent enfin à franchir la rivière Yuntsaopin le 12 octobre, et le centre
de gravité de la bataille se déplaça vers la ville de Tachang, défendue avec
acharnement par les Chinois. Entre le 18 et le 21 octobre, ceux-ci lancèrent
une contre-offensive autour de la ville à l’aide du 21e groupe
d’armées récemment arrivé du Guangxi, mais finirent par être repoussés. Tachang tomba
le 25 octobre. L’armée nationaliste retraita derrière la crique de Suzhou, un
cours d’eau large de 60 à 100 mètres, entraînant l’abandon du centre de Shanghai. A ce moment, plusieurs
centaines de milliers de soldats chinois encerclaient Shanghai le long d’un
front d’une cinquantaine de kilomètres.
La décision du généralissime de résister
pieds-à-pieds près de Shanghai permit
dans un premier temps de contenir les troupes japonaises dans un périmètre
réduit, mais elle avait comme désavantage de rendre les flancs des forces massées
autour de Shanghai vulnérables car la péninsule où était située la grande cité
était ceinturée par le fleuve Yangzi et la baie de Hongzhou. Hors, après avoir
perdu 25'000 hommes durant le seul mois d’octobre, les Japonais s’étaient
résolus à tenter de sortir de l’impasse au moyen d’opérations amphibies. Le
quartier-général impérial activa la 10e armée le 20 octobre 1937.
Celle-ci, placée sous les ordres du lieutenant-général Heisuke Yanagawa, un
spécialiste des opérations amphibies, se vit attribuer les 6e, 18e
et 114e divisions de l’armée impériale. Transportée par 40 navires,
la 10e armée mit le cap sur la baie de Hongzhou, que les Japonais
avaient choisi comme point de débarquement, en partie grâce à ses longues
plages de sable. Cette zone était de surcroît mal défendue par les Chinois, qui
la pensaient inadaptée aux opérations amphibies grâce à la montée rapide des
marées à l’intérieur de la baie.
contre-attaque chinoise près de Luodien (via wikimedia) |
La série d’opérations japonaises qui allait
faire basculer le cours de la bataille débuta dans la nuit du 2 novembre avec
une tentative de franchissement de la crique de Suzhou menée
sur un front réduit par les troupes du général Matsui. La plupart des embarcations furent
coulées par les tirs partis de la rive opposée alors que les soldats japonais ayant
atteint celle-ci furent chargés à la baïonnette par les défenseurs. D’autres
tentatives de franchissement menées sur un front beaucoup plus large eurent
lieu avec succès le jour suivant, et le 4 novembre, 10'000 soldats japonais
avaient franchi la crique. Puis, le 5 novembre, la 10e armée
débarqua dans la baie de Hongzhou au petit matin, face à une faible résistance
chinoise. Les troupes du
lieutenant-général Yanagawa commencèrent aussitôt à progresser sans que
les 62e, 79e et 67e divisions chinoises
dépêchées en urgence à l’annonce du débarquement ne soient parvenues à empêcher
l’extension de la tête de pont. Tchang Kaï-chek commit l’erreur, selon son
propre aveu une année plus tard, d’attendre le 9 novembre avant d’ordonner le
retrait de ses troupes menacées d’encerclement. Cette retraite précipitée
engendra la désintégration de certaines unités, bien que la plupart se
montrèrent capables de conserver leur cohésion. Le 11 novembre, le maire de
Shanghai annonça la chute de la ville. Les Japonais rendirent impossible tout
tentative de rétablissement chinois en faisant débarquer la 13e
division à Plover Point sur le Yangzi, menaçant de couper les communications
des forces chinoises engagées dans la péninsule avec Nankin. Celles-ci n’eurent
d’autre choix que de poursuivre leur retraite vers la capitale nationaliste.
La bataille de Shanghai s’achevait donc par
une victoire japonaise. Seule la possession par ces derniers de la suprématie maritime
leur permit de trouver une issue au cul-de-sac tactique dans lequel le régime
nationaliste les avait attirés et qui, au 8 novembre 1937, leur avaient coûté
9’115 soldats tués et 31'257 autres blessés. Mais cette victoire était aussi
une défaite stratégique. A Shanghai comme dans le Nord de la Chine, l’armée
impériale ne parvint pas à mener la bataille décisive voulue par sa doctrine et
dont aurait résulté l’anéantissement de l’armée chinoise. Le Japon se trouva
engagé dans un conflit qu’il ne savait pas comment gagner, alors que pour les
Chinois, les sacrifices consentis à Shanghai avaient renforcés leur
détermination à mener une guerre de longue haleine. Cependant, dans le court
terme, la quasi-destruction des meilleures troupes nationalistes à Shanghai
rendit la prise de Nankin quasi-inévitable ; les troupes du Guomindang
perdirent en effet près de 200'000 hommes dans la bataille. Plus grave encore,
une proportion importante du corps des officiers intermédiaires formant
l’ossature de l’armée disparut dans les combats.
officiers nationalistes (via wikimedia) |
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Cornell University. Philip Jowett, Soldiers of the White Sun, Schiffer Publishing Ltd, 2011
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History of Chinese Aviation - Encyclopedia of Aircraft and Aviation in China
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http://surfcity.kund.dalnet.se/sino-japanese.htm
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Bonjour,
RépondreSupprimerArticle intéressant car montrant notamment que les troupes du Kuomintang ont su faire preuve de combattivité, contrairement à l'idée commune. La résistance féroce à Shanghaï explique d'ailleurs en partie le massacre de Nankin en décembre 1937.
De manière générale effectivement, l'engagement japonais en Chine, qui pour certains marquent de fait le début de la guerre du Pacifique (1937 voire 1931) reste encore méconnu.
Cordialement.
Bonsoir Stéphane,
SupprimerEn effet, la résistance acharnée des Chinois à Shanghai est souvent mentionnée comme une des causes du viol de Nankin. Quand à la guerre dans son ensemble, il faut aussi avouer que le manque de livres en français, et même en anglais sur le sujet, est criant.
Cordialement
Hello,
SupprimerEn anglais il me semble qu'il y en a quelques-uns que j'ai déjà croisés ici et là, sans pouvoir les lire. Mais je commence tout juste à bouquiner un peu plus sur la guerre du Pacifique, j'ai de la marge avant d'être calé (lol).
En français par contre, c'est le vide sidéral -à part Margolin mais qui ne fait pas l'unanimité.
A bientôt,
Stéphane.
Bonjour,
SupprimerPour l'anglais, je ne saurai assez recommander le Battle for China (il figure dans la biobliographie de l'article), c'est une vraie mine d'or. Mais sinon, en anglais, il me semble que les autres publications datent des années 70 ou avant, et sont donc difficilement accessibles à des prix abordables.
J'ai aussi lu le Margolin il y a quelques années, mais je n'ai pas le souvenir qu'il ait beaucoup développé son propos sur les différentes campagnes militaires.
A bientôt
Je regarderai pour la biblio en anglais, tu as aiguisé ma curiosité (lol).
SupprimerMargolin ne développe pas l'aspect militaire, ce qui limite encore plus les références en français, en effet.
Cordialement.
Heureusement que c'est bientôt Noël (lol) Plus sérieusement, une critique de ce livre avait été fait sur le blog ma pile de livre si je me souviens bien.
SupprimerCordialement