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mercredi 10 avril 2013

La bataille de Kinshasa


Sous nos latitudes, l’image des combattants africains se résume bien souvent à celle de miliciens drogués et sanguinaires s’affrontant dans le cadre de rivalités ethniques obscures. Certes, des films comme Lord of War ou Blood Diamond renvoient bel et bien à une réalité ; le Revolutionary United Front de Foday Sankoh en Sierra Leone ou encore la Lord Resistance Army de Joseph Kony en Ouganda ne sont pas des inventions de cinéastes occidentaux en mal de clichés. Néanmoins, s’intéresser aux guerres ayant frappé l’Afrique subsaharienne révèle aussi l’existence d’institutions militaires capables de mener des opérations complexes et ambitieuses. La bataille de Kinshasa, durant laquelle s’affrontèrent les troupes de plusieurs pays africains, est à cet égard révélatrice.

Adrien Fontanellaz 
(article déjà publié sur http://lautrecotedelacolline.blogspot.ch/ le 10 mars 2013)


D’une guerre à l’autre

Le génocide rwandais en 1994 fut à l’origine d’ondes de choc qui finirent par causer la chute de l’un des derniers dinosaures de la politique africaine: Mobutu Sese Seko. En mai 1997, l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) entrait dans la capitale zaïroise tandis que l’édifice vermoulu de la dictature mobutiste s’écroulait. Dirigée par Laurent-Désiré Kabila un homme alors quasiment inconnu, le mouvement qu’était l’AFDL masquait une coalition d’acteurs congolais mais aussi étrangers dont le point commun était la volonté de se débarrasser du dictateur zaïrois. De fait, la chute du vieux léopard aurait été impossible sans l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) qui fournit l’ossature des forces de l’AFDL. Le Rwanda était intervenu au Zaïre avec comme but initial de démanteler les camps de réfugiés servant de bases arrières aux anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR) et aux Interahamwe, qui s’infiltraient au Rwanda avec comme objectif ultime la reconquête du pouvoir perdu à la suite de leur défaite en 1994. Mobutu soutenant les forces de l’ancien pouvoir rwandais, les dirigeants de Kigali déterminèrent de renverser le maréchal zaïrois. L’Ouganda et l’Angola ne tardèrent pas à participer à l’opération, saisissant ainsi l’occasion de frapper les bases arrière de leurs oppositions armées respectives. Les Forces Armées Zaïroises (FAZ) n’échappaient pas à la déliquescence généralisée caractéristique du Zaïre de Mobutu et se révélèrent incapables d’arrêter, ou même de ralentir l’AFDL, malgré le recrutement in extremis de mercenaires français et serbes. Kinshasa tomba moins d’une année après le début des hostilités, et le Zaïre devint la République Démocratique du Congo (RDC).
Arrivé au pouvoir, Laurent-Désiré Kabila se trouva bientôt au centre d’un faisceau de demandes contradictoires émanant de l’opinion publique congolaise, de ses alliés étrangers, de l’ancienne opposition politique à Mobutu mais aussi de l’AFDL, également divisée en tendances diverses et antagonistes, alors que les caisses de l’Etat étaient vides. Les nouvelles Forces Armées Congolaises (FAC) constituaient à cet égard un bon exemple de cette complexité. Une grande partie de l’encadrement était composée d’officiers rwandais, alors que certaines unités étaient constituées de soldats banyamulenge, des Tutsis issus de plusieurs vagues d’émigrations successives dans le Kivu, et ayant gardés des liens étroits avec leur patrie d’origine. Mais les FAC avaient aussi réintégrés d’anciens soldats de Mobutu et des unités Katangaises, lointaines héritières des Tigres Katangais réfugiés en Angola durant les années soixante. Bref, Les bases du nouveau pouvoir étaient instables. Hors, les contradictions entre les attentes de Kigali et Kampala d’une part, et Laurent-Désiré Kabila d’autre part ne tardèrent pas à apparaître au grand jour. Ce dernier, nationaliste sincère, s’avéra être un allié bien moins docile qu’espéré par les premiers. Se sentant menacé, le chef de l'État congolais se rapprocha de ses appuis katangais au détriment des Rwandais et des Banyamulenge. Les tensions s’accélèrent durant l’été 1998, avec pour fond le mécontentement manifesté par la population à l’encontre des Rwandais. Le commandant James Kabarebe, officier rwandais d’origine congolaise et ancien bras droit de Paul Kagame, alors vice-président rwandais, se vit démettre de ses fonctions de chef d’état-major des FAC le 13 juillet 1998. Puis, le 27 juillet, les militaires rwandais et ougandais se virent intimés l’ordre de quitter le territoire national, le président congolais annonçant la fin de la coopération militaire avec ces pays. Deux jours plus tard, les soldats rwandais présents à Kinshasa, avec le commandant Kabarebe à leur tête, quittèrent la capitale congolaise à bord de six avions de transport. Enfin, le 1er août, les membres du gouvernement d’origine banyamulenge furent démis de leurs fonctions et remplacés par des Katangais. Parallèlement, Laurent-Désiré Kabila parvint à obtenir l’engagement de Robert Mugabe, autocrate du Zimbabwe. Ce dernier avait consenti à soutenir le président congolais pour des motivations alliant prédation économique et parenté idéologique. Surtout, ce pays disposait, avec les Zimbabwe Defence Forces (ZDF), d’une des armées les plus professionnelles du continent, issue de l’amalgame entre l’ancienne armée rhodésienne et les guérilleros de la Zimbabwe African National Liberation Army.

Soldats zimbabwéens à l'entraînement (via zimbabwedefence.com)

La réaction face au revirement de Laurent-Désiré Kabila ne tarda pas. Les soldats d’origine banyamulenge encore présents dans la capitale congolaise se révoltèrent, imités, dès le 2 août 1998, par leurs camarades des 2e, 10e et 12e brigades des FAC, basées à Goma, Kisangani et Bukavu respectivement. Si résumer le rôle des Banyamulenge à celui de simples supplétifs de Kigali serait réducteur, il est également vrai que cette communauté avait contribué en hommes et en ressources à la conquête du Rwanda par le Front Patriotique Rwandais (FPR) entre 1990 et 1994. De plus, Laurent-Désiré Kabila, en annonçant en début d’année vouloir répartir les soldats Tutsis au sein de l’ensemble des FAC avait aussi contribué à la révolte de ces unités. Dans le même temps, des troupes de l’APR entrèrent en territoire congolais et traversèrent Goma, alors que l’armée ougandaise pénétrait à son tour dans la province de l’Ituri. Cette nouvelle guerre allait impliquer les armées d’une dizaine de pays africains et causer des centaines de milliers de morts.

Le coup de dés rwandais

L’opération de sauvetage du régime de Laurent-Désiré Kabila, baptisée Sovereign Legitimacy et ordonnée par Robert Mugabe, échut initialement aux forces spéciales des Zimbabwe Defence Forces, composées du Parachutist Regiment, du Commando Regiment et du Special Air Service. Les premiers éléments zimbabwéens débarquèrent à Kinshasa le 2 août 1998, le contingent atteignant un total de 900 hommes deux jours plus tard, et se trouvèrent aussitôt engagées contre le millier de soldats banyamulenge et rwandais présents dans la capitale. Les Zimbabwéens combattirent aux côtés des FAC et de comités d’autodéfense composés de volontaires kinois. Ces derniers, équipés de machettes ou d’armes improvisées, se lancèrent dans une traque des Tutsis résidants dans la cité. Les combats se concentrèrent autour de deux bases militaires dans la périphérie de la ville. L’une d’elle fut bientôt assiégée par les FAC, et les trois cents défenseurs rebelles finirent pas être exécutés après avoir épuisé leurs munitions. Les Zimbabwéens parvinrent à sécuriser l’aéroport de N’Dolo puis l’aéroport international de N’Djili, situé à 15 kilomètres de la capitale, après plusieurs jours de combat. Incapables de se maintenir en ville, le reste des éléments rwandais et banyamulenge se replia ensuite dans la jungle ceinturant Kinshasa.

Les Rwandais ne tardèrent pas à initier une opération destinée à mettre fin au conflit rapidement en évitant une longue progression sur des axes terrestres identiques à ceux utilisé lors de la guerre précédente. En cas de réussite, elle aurait également permis de couper l’herbe sous les pieds des alliés africains de Kinshasa en faisant tomber le régime avant qu’ils n’aient eu le temps de déployer des troupes. Le plan rwandais était audacieux, et consistait à mettre en place un pont aérien reliant Goma à la base aérienne de Kitona dans la province du Bas-Congo, située à 320 kilomètres à l’Ouest de Kinshasa, puis à prendre la capitale après avoir coupé son accès à la mer. Le 2 août 1998, un élément précurseur de 163 soldats dirigés par le commandant Kabarebe embarqua à bord d’un Boeing 727 puis débarqua à Kitona, après avoir parcouru les 1'500 kilomètres séparant les deux aéroports, pour s’en emparer sans coup férir. Des milliers de militaires congolais étaient pourtant casernés dans les alentours, mais il s’agissait d’anciens membres des FAZ ou de la garde prétorienne du président Mobutu, la DSP (Division Spéciale Présidentielle), dont le régime de Kabila se méfiait et qui avaient été envoyés là afin d’être rééduqués avant leur réintégration au sein des FAC. Ces hommes, déjà peu favorisés depuis l’arrivée au pouvoir de l’AFDL, n’avaient de surcroît pas reçu leur solde depuis des semaines au moment de l’arrivée des Rwandais. Enfin, des relations interpersonnelles existaient probablement entre militaires congolais et rwandais, dans la mesure où l’entraînement des premiers avait été confié aux seconds avant la rupture entre Kinshasa et Kigali. Quoi qu’il en soit, le détachement du commandant Kabarebe parvint à convaincre les officiers congolais de se joindre à eux, aidés en cela par la distribution de primes en dollars. Il put ainsi compter sur le renfort d’une dizaine de milliers d’hommes, et mettre la main sur un arsenal comprenant, en plus d’importants stocks de munitions, des canons anti-aériens légers, des véhicules et une douzaine de chars T-55 et T-69. En outre, grâce aux rotations effectuées par deux Boeing 727 et un Boeing 707 entre Goma et Kitona durant les nuits suivantes, l’avant-garde du commandant Kabarebe fut bientôt rejointe par des renforts de l’APR de la taille d’une petite brigade, accompagnés par une section d’artillerie légère ougandaise forte de 31 hommes.

Ces forces entrèrent rapidement en action ; le 5 août, les ports de Banana et Moanda sur la côte Atlantique furent capturés, coupant Kinshasa de l’océan. Cinq jours plus tard, le port fluvial de Matadi, terminal de la voie ferrée et de l’oléoduc reliant Kinshasa au fleuve Congo, tomba à son tour. Enfin, le 13 août, les Rwandais s’emparèrent de l’immense barrage hydroélectrique d’Inga dont la production alimentait la capitale et en profitèrent pour couper son alimentation en électricité dès le lendemain. Jusque-là l’APR avait surmonté sans difficulté la faible résistance des éléments des FAC présents dans la province. Les Rwandais appliquaient avec succès leur tactique de prédilection consistant à faire précéder le gros de leur force par une avant-garde chargée de s’infiltrer dans le dispositif ennemi et de semer la panique, tout en laissant à ce dernier une voie de repli ouverte afin d’éviter qu’un encerclement ne suscite une défense acharnée de la part des éléments pris au piège.

L’assaut contre Kinshasa

Avant de lancer leur opération, les militaires rwandais avaient tenté de se prémunir d’une éventuelle intervention angolaise, susceptible de compromettre l’ensemble de la manœuvre. Le colonel Patrick Karegeya, directeur des services de renseignement extérieurs, avait rencontré les généraux Manuel Helder Vieira Dias et Fernando Garcia Mialia. Ces deux officiers, proches du président José Eduardo Dos Santos, avaient assuré au colonel rwandais que les puissantes Forças Armadas Angolanas resteraient l’arme au pied dans le cas d’un renversement du régime de Laurent-Désiré Kabila par l’APR. Pourtant, le 17 août déjà, les présidents de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie annoncèrent leur soutien à Kinshasa. Dès le 20 août, des rapports firent état de la présence de troupes angolaises sur le territoire congolais. De fait, une colonne motorisée et blindée, composée de 2'500 hommes appartenant aux 5e et 18e régiments, pénétra en RDC à partir de l’enclave angolaise du Cabinda, progressant le long de la route reliant cette dernière à Kinshasa. La colonne disposait du soutien de six Su-25 du 25e Regimento Aéreo de Caças-Bombardeiros et de six Let-39 du 24e Regimento de Instruçao d'Aviaçao Militar basés à Cabinda, en compagnie d’un détachement mixte d’hélicoptères Mi-24 et Mi-17. Dans les jours qui suivirent, les deux régiments atteignirent l’aéroport de Kitona et en chassèrent la faible arrière-garde laissée par le commandant Kabarebe, coupant les Rwandais de leur base arrière. Pour celui-ci, la dernière chance de mener l’opération à bien était de prendre Kinshasa le plus rapidement possible sans laisser à ses défenseurs le temps de se renforcer.

Un T-55 angolais, photographié en 1999 (via militaryphotos.net)


Le contingent zimbabwéen à Kinshasa montait effectivement rapidement en puissance. A partir du 2 août, un premier détachement mixte d’hélicoptères Alouette III et AB-412 appartenant aux 7e et 8e squadron de l’Air Force of Zimbabwe fut détaché dans la capitale. La puissance de feu du corps expéditionnaire s’accrut encore considérablement le 20 août avec l’arrivée sur l’aéroport international de N’Djili de quatre FTB-337 Lynx du 4e squadron suivis deux jours plus tard par quatre Hawk du 2e squadron. Enfin, un millier d’hommes du Parachutist Regiment débarquèrent à leur tour sur l’aéroport le 24 août 1998. Pendant ce temps, l’avant-garde rwandaise avançait rapidement en direction de la capitale depuis le Sud-Ouest, précédant de deux jours le corps principal. Le 18 août, ce détachement tomba dans une embuscade tendue par une section de SAS zimbabwéens et une compagnie des FAC non loin de la ville de Kasangalu, à 45 kilomètres de Kinshasa. L’avant-garde perdit 18 tués dans l’affaire et fut contrainte d’attendre les gros du commandant Kabarebe. Ces derniers atteignirent le 20 août la localité de Mbanza Ngungu, à 120 kilomètres de la capitale, puis parvinrent deux jours plus tard à Kisantu, où leur avance fut détectée par des SAS, qui, faisant office de contrôleurs aériens avancés, guidèrent des frappes aériennes menées par les Hawk du 4e squadron à coups de bombes à sous-munitions. Après avoir essuyé des pertes sévères, les troupes rwando-congolaises se regroupèrent puis reprirent leur progression, pour arriver à la hauteur de Kasangalu le 24 août. Ce jour-là, une de leurs colonnes, comprenant la dizaine de chars récupérés à Kitona trois semaines plus tôt, fut repérée par un Lynx en patrouille. Le pilote détruisit à la roquette le blindé de tête, le reste des tanks étant annihilé par d’autres attaques lancées par les avions zimbabwéens appelés à la rescousse, et lors d’une embuscade tendue par des SAS héliportés sur place par des Alouette III. Cet engagement ne stoppa pas la progression du commandant Kabarabe mais lui coûta l’ensemble de ses moyens lourds, ses soldats ne disposant plus que de quelques mortiers pour appuyer leur assaut contre Kinshasa. Pendant ce temps, les Zimbabwéens concentrèrent leur dispositif autour de N’Djili, dont la défense fut confiée aux parachutistes, tandis que des SAS établissaient une série de sonnettes en forme de demi-cercle couvrant les approches de l’aéroport international.

Un Hawk du 2e squadron de l'Air Force of Zimbabwe (via xairforces.com)

Les colonnes rwandaises assaillirent Kinshasa dans la matinée du 26 août. Précédés par leurs alliés congolais qui se faisaient passer pour des membres des FAC en pleine retraite, les Rwandais contournèrent la capitale puis s’infiltrèrent dans les bidonvilles jouxtant l’aéroport international de N’Djili avant de lancer leur attaque sur ce dernier. Grâce à ce stratagème, les défenseurs ne détectèrent la première vague d’assaut qu’à une centaine de mètres du terminal principal. Ceux-ci parvinrent à repousser l’ennemi in extremis grâce à l’appui prodigué par une automitrailleuse EE-9 Cascavel. Par contre, les deux autres attaques quasi simultanées qui suivirent permirent aux hommes du commandant Kabarabe de s’emparer de la tour de contrôle, de plusieurs hangars et de l’extrémité Sud de la piste. Les jours suivants, les Rwandais lancèrent une série d’attaques déterminées afin de prendre le contrôle de l’aéroport, mais toutes furent repoussées par les Zimbabwéens. L’étendue de la piste, d’une longueur de 4.7 kilomètres, permit à ces derniers de continuer à utiliser leurs avions, dont l’intervention s’avéra décisive. En effet, les Hawk et Lynx noyèrent les positions ennemies sous un déluge de bombes, de roquettes et d’obus, à raison d’une douzaine de missions par jour et par appareil. Pour accélérer le tempo, certains avions étaient réarmés entre deux sorties sans même couper leur moteur. Dans l’après-midi du 29 août, les Zimbabwéens lancèrent une contre-attaque qui contraignit un ennemi déjà très affaibli à retraiter vers les bidonvilles du Sud de Kinshasa, où les combats se poursuivirent encore plusieurs jours. Décimés et à court de munitions, les troupes rwando-congolaises finirent par se replier en dehors de la ville, poursuivies par les Zimbabwe Defence Forces.

Cascavel des ZDF (via zimbabwedefence.com)

La retraite rwandaise

Après l’échec de l’assaut contre Kinshasa, la situation du contingent rwando-ougandais et des soldats congolais qui l’accompagnaient était devenue précaire. Ils étaient à court de ravitaillement et coupés de leurs arrières par l’intervention angolaise dans le Bas-Congo, alors que des forces ennemies convergeaient vers eux. Afin d’échapper à l’anéantissement, le commandant Kabarebe engagea ses troupes dans une longues retraite vers le Nord de l’Angola. Cette zone avait longtemps été sous l’influence de l’UNITA de Jonas Savimbi, et était de ce fait encore mal contrôlée par le gouvernement de Luanda. Après s’être coordonné avec les rebelles angolais, les Rwandais atteignirent la province après avoir parcouru 360 kilomètres en tenant leurs poursuivants à distance en menant des actions d’arrière-garde. A la mi-septembre 1998, au cours d’une attaque nocturne, ils parvinrent à prendre par surprise et à mettre en fuite les 400 hommes de la garnison angolaise du petit aéroport de Maquela Do Zombo. La piste de 1400 mètres était trop courte pour être utilisée par de gros avions de transport. Une partie du contingent dut donc étendre sa longueur de 400 mètres, alors que d’autres unités s’établissaient sur des positions défensives.

Su-25K des Forças Armadas Angolanas (via xairforces.net)
La prise de l’aéroport n’alla pas sans susciter de réaction des Forças Armadas Angolanas. Une colonne mécanisée appuyée par vingt-six blindés avança le long de la seule route menant à l’aéroport, mais se trouva bloquée à une centaine de kilomètres de celui-ci par des éléments de l’APR. Les hommes du commandant Kabarebe parvinrent ainsi à tenir les deux mois nécessaires à l’agrandissement de la piste. Les travaux terminés, ils furent rapatriés grâce à une trentaine de vols menés par des avions russes loués pour l’occasion. Les derniers soldats embarquèrent à destination de Kigali le 25 décembre 1998, laissant derrière eux les anciens membres des FAZ et de la DSP ralliés à Kitona, qui restèrent en Angola et unirent leurs forces avec celles de l’UNITA.

Conclusion

L’échec de l’opération rwandaise contre Kinshasa déboucha sur une impasse stratégique, aucune des deux coalitions engagées dans la guerre n’ayant les moyens de vaincre l’autre. Si les profits tirés de l’exploitation des richesses du Congo permettait aux belligérants de financer leur effort de guerre, l’immensité du territoire contesté et donc la profondeur stratégique détenue par les deux camps rendait difficile toute nouvelle opération décisive. De plus, le conflit ne fit que se complexifier au fil du temps, notamment lorsque l’alliance ougando-rwandaise se fractura et que les armées de ces deux pays s’affrontèrent autour de Kisangani.

La bataille révéla aussi les capacités développées par certaines institutions militaires africaines. Les effectifs et le nombre d’avions projetés par les Zimbabwe Defence Forces étaient certes limités mais supportent la comparaison avec déploiements occidentaux considérés comme conséquents. Outre ce déploiement à brève échéance de milliers d’hommes bien entraînés, les militaires zimbabwéens démontrèrent aussi leur aptitude à mener dans la foulée une bataille aéroterrestre contre un adversaire redoutable. En effet, l’Armée Patriotique Rwandaise fit une nouvelle fois la preuve de sa maîtrise des tactiques d’infiltration et d’attaque de nuit, déjà relevée par les soldats français lors de l’opération Turquoise en 1994. Au-delà de cette dimension tactique, la conception même de l’attaque contre Kinshasa démontre une intelligence opérative et stratégique réelle car le Schwerpunkt de l’opération était bel et bien le cœur même du régime de Laurent-Désiré Kabila. Rappelons brièvement que, de facto, la faction qui contrôle la capitale d’un pays tend à plus ou moins brève échéance à en devenir le pouvoir légitime vis-à-vis de l’extérieur. L’attaque contre Kinshasa présentait un risque certes élevé, mais que le gain possible justifiait. Les services de renseignement de Kigali échouèrent certes à prédire la réaction angolaise, mais il paraît difficile de croire que le ralliement des soldats congolais basés autour de Kitona où la coopération avec l’UNITA lors de la retraite vers Maquela Do Zombo aient été totalement improvisées.

Enfin, l’existence même des trois ponts aériens menés par les Rwandais et les Zimbabwéens témoignent d’un phénomène maintes fois évoqué, la privatisation du domaine militaire. En effet, aucun de ces ponts aériens n’aurait été possible sans les services de compagnies aériennes disposant de flottes d’avions de transport tactiques ou stratégiques. Ces dernières, certes moins médiatiques que des sociétés mercenaires comme Executive Outcomes, permirent pourtant à des États aux moyens financiers limités d’accéder à des capacités de projection autrefois réservées aux grandes puissances.

Liste des abréviations


AFDL  l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo

APR  Armée Patriotique Rwandaise

FAR Forces Armées Rwandaises

FAZ Forces Armées Zaïroises

FAC Forces Armées Congolaises

FPR Front Patriotique Rwandais

ZDF Zimbabwe Defence Forces

DSP Division Spéciale Présidentielle

UNITA União Nacional para a Independência Total de Angola


Bibliographie :


Colette Braeckmann, L’enjeu congolais, Fayard, 1999.

Tom Cooper et Peter Weinert, avec Fabian Hinz et Mark Lepko, African MiGs Vol. 1 - Angola to Ivory Coast - MiGs and Sukhois in Service in Sub-Saharan Africa, Harpia Publishing, L.L.C, 2010.

James Stejskal, Kitona Operation : Rwanda's Gamble to Capture Kinshasa and the Misreading of an "Ally", in Joint Force Quarterly 68, 1er trimestre, janvier 2013.

Tom Cooper, Pit Weinert, Jonathan Kyzer et Albert Grandolini, Zaire/DR Congo 1980 – 2001 in acig.info, version du 17.02.2011.

Corner Plummer, The Kitona Operation : Rwanda’s African Odyssey, in www.militaryhistoryonline.com, consulté le 15 janvier 2013 


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