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vendredi 10 mai 2013

Les colosses de Kaigun; les cuirassés Yamato et Musashi


Les Yamato et Musashi furent les cuirassés les plus gros et les plus puissamment armés jamais construits. Ces deux navires étaient surtout l'incarnation d'une doctrine et la résultante d'un contexte géostratégique particulier. Ironiquement, aucun des deux vaisseaux ne combattit dans le rôle pour lequel il fut conçu, et leur impact sur la guerre navale contre les USA ne fut que limité. Voici une brève narration de leur histoire, alors que le 7 avril 2013 marque le 68ième anniversaire du naufrage du Yamato. 
 


Adrien Fontanellaz (publié sur lautrecotedelacolline.blogspot.fr le 10 avril 2013)

Le concept des « super-cuirassés »


Au mois de décembre 1934, le Japon annonça son retrait du traité de Washington, résultat de l'ascendant pris par la «faction de la flotte» au sein de Dai Nippon Teikoku Kaigun, la marine impériale japonaise. Deux mois plus tôt, le département technique de la marine avait été secrètement chargé par l’État-major général de la marine d'étudier la conception d'une nouvelle classe de quatre cuirassés armés de neuf canons de 460 mm. Au cours des mois suivants, pas moins de vingt-trois projets différents furent étudiés, avant que les plans définitifs ne soient approuvés en Mars 1937. Cet approbation s’insérait dans un programme d’acquisition beaucoup plus large, connu sous le nom de cercle trois, qui incluant également les porte-avions Zuikaku et Shokaku, des destroyers et d’autres navires. La commande des deux premiers bâtiments de la nouvelles classe, baptisés « cuirassés no 1 et no 2» fut approuvée quelques mois plus tôt. La tâche assignée aux ingénieurs Yuzuru Hiraga et Keiji Fukuda avait été dantesque, car un tel armement, et la capacité de disposer d'un blindage conçu pour faire face à un ennemi disposant d'une puissance de feu identique, impliqua de concevoir un navire aux dimensions inégalées.


La raison de ce gigantisme reposait sur la doctrine navale japonaise, définie par la volonté de préparer un affrontement contre la flotte américaine du Pacifique, l'ennemi que Kaigun s'était originellement attribué afin de justifier ses prétentions budgétaires face à sa rivale terrestre devant la Diète japonaise. Hors, avec la signature du traité de Washington en 1922, le Japon avait accepté de limiter sa flotte à une taille équivalente aux trois-cinquièmes de celle de la flotte américaine. Il en résulta que les marins japonais n'eurent de cesse de concevoir une doctrine devant rendre possible la victoire contre un adversaire numériquement supérieur. De plus, profondément influencés par des facteurs comme leurs victoires du Yalu et de Tsuhima, les stratèges nippons recherchèrent le moyen de l'emporter dans un cadre conceptuellement très précis ; celui d'une bataille décisive au cours de laquelle les deux adversaires jetteraient l'ensemble de leurs flottes de haute mer, et dont l'enjeu serait la maîtrise du Pacifique. In fine, les différents plans développés par les amiraux de Kaigun pour vaincre une flotte américaine supérieure reposèrent tous sur une ossature identique. En bref, il s'agissait de laisser l'US Pacific Fleet avancer vers le Japon, et de l'affaiblir au cours de sa progression au moyen d'attaques menées par des unités légères, afin de préparer l'affrontement décisif loin des bases américaines. Même ce dernier devait prendre la forme d'une série d'engagements préparatoires menés à longue distance par les forces d'avant-garde japonaises, avant que la ligne de bataille principale, centrée autour des cuirassés, ne s'approche et ne porte le coups de grâce à un ennemi déjà gravement diminué par une combinaisons de tirs de torpilles et d'artillerie à très longue portée. Un élément central de cette doctrine reposait sur la capacité de pouvoir porter à l'adversaire des coups en restant hors de l'enveloppe de tir de ses propres armements. Ces pré-requis pesèrent lourdement sur la conception de nombre de vaisseaux ou d'armes japonaises, à commencer par la torpille Type 93 à oxygène, la recherche d'une autonomie maximale pour les avions du service aérien de la marine, ou encore l'augmentation de l'angle d'élévation maximal des pièces de l'artillerie principale des cuirassés déjà en service. Cette quête d'équipements permettant une distance d'engagement supérieur ne fut de loin pas le seul critère imposé aux ingénieurs japonais ; l'infériorité numérique de Kaigun devait aussi être compensée par la mise en service de navires mieux armés, à tonnage égal, que leurs homologues américains, ce qui ne manqua pas de causer des problèmes de stabilité sur certaines classes de bâtiments. Des vaisseaux aussi emblématiques que le Yamato et le Musashi ne pouvaient évidemment pas échapper à cette quête de supériorité qualitative, alors que par ailleurs, la recherche d'une portée de tir supérieur explique à lui seul le choix de canons d'un calibre aussi élevé.

Le cuirassé Yamato en cours d'achèvement à Kure, septembre 1941 (via ww2db.com)
La paternité du concept des « super-cuirassés », qui allait donner naissance à la classe Yamato, peut sans doute être attribuée au commandant Shingo Ishikawa, une étoile montante de la «faction de la flotte» au début des années trente. Celui-ci soumit, en 1934, au chef d'état-major de la marine un mémorandum proposant, dans le cadre d'un vaste plan d'expansion de 10 ans, l'acquisition de cinq nouveaux cuirassés. Ceux-ci, armés de canons de 508 mm, devaient être capables de survivre à dix torpilles ennemies. De tels vaisseaux devaient permettre en un seul coup d'inverser l'infériorité de la ligne de bataille japonaise. De plus, les Américains étant contraints de construire des navires capables de transiter par le canal de Panama, ils seraient incapables de relever le défi et de construire à leur tour des bâtiments de taille identique. En effet, l'état-major estimait que le canal ne pouvait pas être traversé par des navires d'un déplacement de plus de 45'000 tonnes, et donc incapables d'emporter des canons d'un calibre supérieur à 406 mm. Ce calcul, associé au maintien du secret le plus strict quant aux caractéristiques réelles des nouveaux cuirassés devrait sans nul doute, selon Ishikawa, permettre à la marine impériale de prendre la tête pour plusieurs années dans la course aux armements navals. Durant ce laps de temps, ces géants auraient pu détruire en toute impunité leurs homologues ennemis.


Anatomie des géants


Le cuirassé no 1, qui allait devenir le Yamato, fut mis sur cale le 4 novembre 1937 dans l'arsenal naval de la marine de Kure, suivi le 29 mars 1938 par le cuirassé no 2, le futur Musashi, dans le chantier naval Mitsubishi de Nagasaki. Ces chantiers avaient dû au préalable adapter leurs infrastructures en procédant à l’agrandissement des bassins destinés à l’assemblage des deux bâtiments et à installer des grues aux capacités de levage accrues. Les architectes navals nippons durent surmonter une myriade de problèmes techniques avant l’achèvement des deux vaisseaux. Il fallut ainsi concevoir et construite un navire de 11'000 tonnes, le Kashino, uniquement pour acheminer une à une les pièces de 460 mm, pesant 162 tonnes chacune, qui devaient armer le Musashi de Kure à Nagasaki. In fine, le Yamato fut lancé le 8 août 1940, et entra en service le 16 décembre 1941, alors que son sistership était lancé le 1er novembre 1940 et était mis en service le 5 août 1942. Deux autres cuirassés de la même classe avaient été à leur tour mis sur cale le 4 mai 1940 à Yokosuka et le 7 novembre 1940 à Kure. Un seul de ceux-ci, le Shinano, fut achevé, mais en tant que porte-avions.


D'immenses efforts furent consentis afin de préserver le secret sur les caractéristiques réelles des deux vaisseaux. A Nagasaki, d’immenses toiles de chanvre furent mises en place pour masquer le bassin où le Musashi était construit, alors que les accès au chantier étaient strictement contrôlés, et que les plans étaient gardés sous clefs. Les autorités navales allèrent jusqu’à construire un bâtiment spécifiquement pour obstruer la vue des consulats britanniques et américains sur le port. De plus, après le lancement du navire, un bâtiment de commerce, le Kasuga Maru, fut amarré à côté pour rendre l'appréhension de ses proportions à distance aussi difficile que possible. Les fenêtres des trains passant à travers la ville de Kure étaient couvertes sur le côté donnant sur le port. Il fallut attendre la disparition des deux bâtiments et la défaite pour que la chape du secret entourant leurs caractéristiques soit enfin levée. Ainsi, en juillet 1943 encore, l’attaché naval allemand, par ailleurs ancien commandant du Panzerschiff Deutschland, obtenu l’autorisation de monter à bord du Yamato, mais tout fut fait pour qu’il ne puisse pas estimer le calibre réel des canons.


La classe Yamato était un compromis entre les trois qualités essentielles d'un bâtiment de guerre ; la puissance de feu, la protection et la mobilité. L'armement principal de ces vaisseaux était constitué par neuf canons de 460 mm de 45 calibres, répartis entre trois tourelles triples, deux à l'avant et une à l'arrière. Chaque tourelle pesait 2774 tonnes, alors que les canons pouvaient tirer un obus à une distance maximale de 42'062 mètres, que les obus mettaient 98.6 secondes à parcourir. La cadence de tir était de 1.5 à 2 coups par minutes, selon l’élévation des pièces. Avec un poids de 1460 kg pour un obus perforant, l'armement principal des deux navires pouvait ainsi expédier entre 19’710 et 26’280 kg de projectiles par minute. Le souffle dégagé lors des tirs était tel que l'artillerie antiaérienne située à proximité avait dû être protégée afin d'abriter ses servants de ses effets. Lors de tests, un cochon d'inde laissé dans une cage à proximité d'une tourelle avait littéralement éclaté sous l'effet de la pression. Les Japonais avaient développé des projectiles particuliers pour l'artillerie lourde de leurs cuirassés. Il s'agissait des obus de type San Shiki, destinés aux tirs contre des avions, et emportant 1600 tubes incendiaires brûlant cinq secondes. Enfin, l'obus perforant de type 91 avait des spécificités gardées rigoureusement secrètes. S’il se comportait de manière classique en percutant le blindage d'un navire ennemi, son cône était aussi conçu pour se détacher dans le cas où il heurterait la mer, le reste de l'engin, à l'avant aplati, s'enfonçait ensuite dans les eaux avec un angle bien moins prononcé qu'un obus conventionnel. Cette caractéristique lui permettait de toucher la coque d'un vaisseau ennemi même à huitante mètres de son point d'impact, pour autant que son angle de pénétration dans l’eau soit de 17 degrés. Cette technique, appelée Suichudan (tir sous-marins) avait été développée à la suite d'essais d'artillerie menés en 1924 contre la coque du Tosa, un cuirassé dont la construction avait été abandonnée à la suite du traité de Washington, et qui avaient révélés les graves dommages pouvant être causés par l'impact d’un obus sous la ligne de flottaison d’un vaisseau de cette classe. Cependant, l’efficacité du Suichudan était limitée par la fenêtre de tir réduite induite par l’angle optimal de pénétration des obus dans la mer, rendant cette technique inapplicable à des distances de tir supérieures ou inférieures à 20'000 mètres. L'artillerie secondaire se composait de douze canons de 155mm répartis en quatre tourelles triples de 177 tonnes chacune. Leur disposition permettait aux Yamato de concentrer les tirs de trois d'entre elles sur chaque bord, soit la puissance de feu d'un croiseur léger. La portée de tir maximale de leurs obus de 55.87 kg était de 27'400 mètres et la cadence de tir atteignait de 5 à 7 coups par minute. Cet armement équipa aussi les croiseurs de la classe Mogami avant son remplacement par des tourelles doubles de 203 mm.


Une vue prise depuis la proue du Musashi (via ww2db.com)
L'artillerie principale des deux bâtiments était guidée par la conduite de tir type 98, spécifiquement conçue pour eux. Celle-ci comprenait des télépointeurs de 15 et de 10 mètres de base, reliés à des directeurs de tir chargés de donner aux tourelles les coordonnées permettant d'orienter les canons. Enfin, deux ordinateurs mécaniques déterminaient la direction et la vitesse de la cible, à l’aide des données insérées manuellement par l’équipage, puis généraient une solution de tir. Les appareils optiques japonais étaient de très bonne qualité, et étaient de surcroît installés très en hauteur afin d'accroître leur portée. En sus, les artilleurs pouvaient bénéficier du soutien des sept hydravions embarqués par chacun de ces deux cuirassés, et dont l'une des missions était d'observer la chute des obus afin d’indiquer les corrections de tir nécessaires à leur bateau-mère. Enfin, au cours de la guerre, les deux vaisseaux furent équipés de radars de type 13, de veille aérienne et 22, de détection de cibles de surface. 

 

Si les obus San Shiki permettaient aux deux cuirassés d'engager leur armement principal contre des cibles aériennes, la DCA reposait principalement sur deux types de pièces différentes ; les canons de type 89 et 96, armant la plupart des bâtiments de la marine impériale. Les premiers, répartis en six affûts bitubes à raison de trois pour chaque bord, étaient des pièces lourdes de 127 mm, dont les obus pesaient 23.05 kilos. Leur cadence de tir soutenue atteignait huit coups par minute et par canon, et leurs performances étaient comparables aux modèles similaires présents dans les autres marines. Cependant, la guerre révéla à maintes reprises que douze pièces de ce type ne suffisaient pas à affaiblir à bonne distance une vague d’attaque adverse. En effet, les obus étaient pourvus d’un minuteur les faisant détonner après une durée de vol déterminée, censée correspondre au temps nécessaire pour que le projectile atteigne la hauteur et l’altitude estimée d’une cible. Durant la seconde guerre mondiale, et avant l’avènement des fusées de proximité, le processus complexe associé à cette technologie rendit l’usage des pièces d’artillerie antiaériennes lourdes relativement peu efficace contre des avions autres que les bombardiers lourds évoluant à l’horizontale et à vitesse constante, à moins de déployer un nombre massif de canons.


Le dernier pilier de la défense antiaérienne de la classe Yamato était le type 96 de 25 mm, dont chaque navire embarquait initialement huit affûts tri-tubes. Cette pièce, d’origine française et fabriquée sous licence Hotchkiss, illustre à elle seule les effets pervers que peut engendrer la recherche de la polyvalence. D’autres marines, comme l’US Navy ou la Kriegsmarine, avaient basés leur DCA sur un assortiment de pièces légères (20 mm) à grande cadence de tir, moyennes (37 à 40 mm), avec une cadence de tir plus réduite, mais une portée plus grande, et enfin lourdes (de 88 à 127 mm), capables d’engager des avions ennemis à une dizaine de kilomètres de distance. Par contre, la marine impériale japonaise opta pour seulement deux calibres différents. Dès lors, le type 96 remplissait le rôle des canons légers et moyens des autres marines. En l’occurrence, cette arme accumulait les faiblesses inhérentes aux deux catégories sans pour autant bénéficier des qualités de l’une d’elle. La cadence de tir pratique, ralentie par l’usage de chargeurs de quinze coups devant être constamment remplacés par les servants, atteignait 130 coups par minute, soit à peu près celle d’un canon Bofors de 40 mm, qui était de 100 à 120 coups par minute, alors qu’une pièce Oerlikon de 20 mm pouvait tirer de 250 à 350 coups à la minute. Inversement, la puissance de destruction et la portée des obus de 25 mm de l’arme japonaise se rapprochaient plus de celle des Oerlikon que des Bofors. Enfin, les affûts des canons de type 96 souffraient d’une vitesse de rotation et d’élévation insuffisante. De plus, les Japonais ne parvinrent pas à développer et à produire suffisamment rapidement de nouvelles pièces d’artillerie antiaérienne durant le conflit. De ce fait, leur seule alternative viable pour renforcer la DCA de la classe Yamato lorsque le besoin s’en fit sentir fut d’augmenter le nombre de type 96 et de type 89 embarqués, au détriment de l’artillerie secondaire, qui perdit deux tourelles triples de 155 mm. Ainsi, en 1944, chaque bâtiment emportait 24 pièces de 127 mm en douze batteries doubles et 98 tubes de 25 mm, répartis entre vingt-cinq affûts triples et vingt-trois affûts simples. Compte tenu de l’évolution de la guerre aéronavale au cours du conflit, ces lacunes dans l’armement antiaérien étaient une des faiblesses majeures de la marine impériale en général, et de ses deux cuirassés les plus récents en particulier.


Le Yamato et son sistership étaient longs de 263 mètres et leur largeur maximale atteignait 38.90 mètres. Cette dernière caractéristique joua un rôle majeur dans l’agencement de leur blindage. En effet, cette largeur permit de placer les quatre turbines et leurs chaudières les unes à côté des autres, avec pour effet de limiter l’espace à protéger pour les machines et les magasins à 53.3 % de la longueur à la flottaison des deux vaisseaux. Etant entendu qu’aucun bâtiment ne peut être cuirassé de manière identique de la poupe à la proue, les ingénieurs japonais optèrent pour une citadelle massivement blindée au centre des navires, les extrémités étant peu protégées, en suivant le principe du « tout ou rien » inauguré par les Américains. Selon leurs calculs, les deux cuirassés ne pourraient couler tant que leurs citadelles resteraient intactes. De fait, la protection de ces dernières était massive. L’épaisseur du blindage de la coque pouvait atteindre 410 mm, celle du Blockhaus varier entre 300 et 500 mm, alors que l’avant de celui des tourelles principales était de 650 mm, et que celui du flanc des barbettes était de 380 mm. Le pont blindé, d’une épaisseur de 200 mm, était conçu pour résister à l’impact de bombes anti-blindage d’une tonne larguées depuis une altitude de 1’000 mètres. Le poids total consacré au blindage était de 22'895 tonnes, un record depuis inégalé. La coque des deux cuirassés était divisée en 1150 compartiments étanches, et un système de pompes était conçu pour permettre de rétablir leur équilibre en noyant volontairement des compartiments afin de contrer les effets d’une inondation causée par une brèche. Grâce à ce système, et à une réserve de flottabilité de 57'450 tonnes, les ingénieurs japonais calculèrent que les deux bâtiments seraient capables de se stabiliser même après une gîte de 18.3 degrés. Ils ignoraient cependant que la cuirasse avait été affaiblie par des défectuosités, alors que la grande taille de certains compartiments étanches augmentait le volume potentiel d’eau pouvant être embarqué en cas de brèche. De plus, la protection en-dessous de la ligne de flottaison était insuffisante, à l’image des renflements par-torpilles entourant les machines, dont la largeur de 510 cm était bien moindre que pour d'autres navires contemporains. In fine, la réalité démontra que les projections des architectes navals surestimèrent la survivabilité de ces cuirassés.

La propulsion du Yamato et du Musashi était assurée par quatre hélices entraînées par un nombre identiques de turbines développant une puissance de 150'000 chevaux. Chacune de ces dernières étaient alimentée par trois chaudières Kampon de 12'500 chevaux. Cette puissance, associée aux caractéristiques hydrodynamiques particulièrement soignées de la coque, notamment par l’adjonction d’un bulge de grande dimension, leur permettait d’atteindre une vitesse de 27.5 nœuds. De plus, les deux navires étaient très manœuvrant ; à une vitesse de 26 nœuds et avec la barre à 35 degrés, leur diamètre de giration était de seulement 640 mètres. Il s’agissait là d’un attribut essentiel pour éviter bombes et torpilles, et ce d’autant plus que , en cas d’attaque aérienne, la doctrine japonaise favorisait les manœuvres évasives individuels des bâtiments plutôt que la mise en place de plans de feux intégrés pour DCA des vaisseaux d’une flotte. L’autonomie du Yamato et du Musashi atteignait 7'200 miles à 16 nœuds, mais était réduite à 4'100 miles à 27 nœuds. En effet, la consommation à vitesse maximale était phénoménale avec 62'700 kg de mazout par heure. Il s'agissait là d'un paramètre important compte tenu des difficultés rencontrées par le Japon pour s'approvisionner en produits pétroliers durant la guerre.

Caractéristiques comparées du Yamato et du Bismarck (1941)


Yamato Bismarck
Déplacement à pleine charge
69'998 tonnes
49'947 tonnes
Longueur
263 mètres
250.5 mètres
Poids de la cuirasse
22'895 tonnes
19'000 tonnes
Puissance maximale
150'000 chevaux
138'000 chevaux
Vitesse maximale
27.5 nœuds
30.8 nœuds
Artillerie principale
3*III 460 mm
4*II 380 mm
Artillerie secondaire
4*III 155 mm
6*II 150 mm
DCA lourde
6*II 127 mm
8*II 105 mm
DCA moyenne et légère
8*III 25 mm

- 26 tubes de 20 mm

- 8*II 37 mm

 
En décembre 1941, et en dehors des membres rattachés à l’état-major de la flotte, l’équipage du Yamato était de 150 officiers et 2150 marins. Chaque homme disposait d’un espace de vie de 3.2 m2 soit près de deux fois plus que sur le croiseur lourd Myoko. De plus, les deux navires étaient les premiers au sein de la marine impériale japonaise à être équipés de l’air conditionné. A cause de ces caractéristiques, associées au confort des quartiers réservés aux officiers supérieurs, le premier navire de la classe ne tarda pas à se voir attribuer le sobriquet d’hôtel Yamato par les marins de la flotte. 

Vie et mort des titans 


Lors de son entrée en service le 16 décembre 1941, le Yamato rejoignit les Nagato et Mutsu au sein de la 1e division de cuirassés. Deux mois plus tard, il devint le navire-amiral de la flotte combinée, hébergeant l'amiral Isoroku Yamamoto, et participa à ce titre à la bataille de Midway. Le 5 août 1942, le Musashi intégra à son tour la 1e division, alors que deux semaines auparavant, le Nagato et le Mutsu avaient été réaffectés à la deuxième division, en compagnie du Yamashiro, du Fuso, de l’Ise et du Hyuga. En outre, à ce moment, les quatre cuirassés rapides de la classe Kongo étaient répartis entre les 3e (Kongo et Haruna) et 11e divisions (Hiei et Kirishima). Ces derniers, grâce à leur vitesse, furent régulièrement déployés avec la force mobile (Kido Butai) ; les porte-avions d'escadre japonais. De plus, ces vieux navires n'étaient pas considérés entièrement comme des cuirassés dans la planification d'avant-guerre, qui leur avait attribué un rôle de soutien lourd au sein de l'avant-garde durant la bataille décisive. De ce fait, les amiraux japonais eurent moins de réticence à les exposer durant les premières années du conflit. Leur carrière fut donc riche, avec pour corollaire de voir celle de deux d'entre eux, le Hiei et le Kirishima, arriver à son terme durant la campagne de Guadalcanal. 
Le Yamato le 30 octobre 1941, durant ses essais en mer (via ww2db.com)
A contrario, les bâtiments de la 1e division, directement rattachés à la flotte combinée, et de la 2e division, qui formait l'ossature de la 1e flotte, ne furent pratiquement pas engagés de 1942 à 1944, et ce pour un faisceau de raisons différentes. Malgré le rôle pionner joué par la marine impériale japonaise dans le développement et l'usage de l'aviation embarquée, les amiraux nippons continuèrent à voir dans les cuirassés l'ultima ratio de la guerre navale. A ce titre, les cuirassés « de ligne » des 1e et 2e divisions étaient considérés comme des atouts stratégiques à utiliser à bon escient. De surcroît, les bâtiments de cette classe étaient de gros consommateurs de carburant, une denrée précieuse pour le Japon en guerre, ce qui ne pouvait que motiver d'autant plus les officiers de marine nippons à ne les employer qu'avec précaution. Enfin, plusieurs de ces navires cessèrent d'être disponibles ; Le Mutsu fut détruit par l'explosion accidentelle de l'une de ses soutes à munitions à Kure le 8 juin 1943, tandis que l’Ise et le Hyuga furent convertis en bâtiments hybrides après la bataille de Midway, leurs plages arrières étant réservées à l'emport d'une vingtaine d'hydravions et de bombardiers en piqué. Enfin, à plusieurs occasions, le Yamato et le Musashi firent partie de flottes dépêchées pour contrer des opérations américaines, mais aucune de ces sorties ne déboucha sur un affrontement jusqu'à l'opération A-Go ; la bataille des Mariannes, au cours de laquelle l'aviation embarquée japonaise fût décimée. A cette occasion, les deux cuirassés firent partie de l'avant-garde nippone, chargée de porter le coup de grâce à un ennemi préalablement affaibli par les frappes aériennes, mais ne représentèrent pas une cible prioritaire pour les groupes embarqués américains, concentrés sur le porte-avions nippons. Durant la bataille, la DCA du Yamato ouvrit le feu par erreur sur une formation d'avions amis, abattant l'un d'entre eux. Les deux vaisseaux retournèrent ensuite au Japon. De leur entrée en service à la mi-1944, ces deux bâtiments n'eurent donc pas l'occasion d'engager l'ennemi, mais furent victimes de ses tirs à deux reprises. Le 25 décembre 1943, le Yamato fut touché par une des quatre torpilles lancées par le sous-marin USS Skate. A la suite de l'impact près de la tourelle numéro trois, le navire embarqua 3'000 tonnes d'eau, et dut retourner au Japon pour être réparé. Le 29 mars 1944, le Musashi fut à son tour touché par une des six torpilles décochées par l'USS Tunny. L'impact de cette dernière causa une brèche de 6.20 mètres de diamètre, et nécessita un retour au chantier de Kure pour être colmatée.

Le destin des deux navires s’accéléra en octobre 1944. L'aéronavale japonaise était alors saignée à blanc et réduite à une poignée de porte-avions opérationnels aux groupes aériens incomplets et pourvus de pilotes inexpérimentés. La flotte combinée n'eut pas d'autres choix que de confier aux Senkan (cuirassés) le rôle de fer de lance lors de l'inévitable confrontation qui découlerait de la prochaine avance américaine. Lorsque des observateurs rapportèrent un débarquement ennemi sur l'île de Leyte, aux Philippines, l'état-major de la marine lança l'opération Sho-Go (victoire) numéro un ; le plan élaboré pour une telle éventualité. L'essence de la stratégie japonaise consista à leurrer la puissante Task Force 38 de l'amiral Halsey, forte de dix-sept porte-avions emportant 1178 avions et d'une force de cuirassés modernes, loin de l'île de Leyte. A cette fin, les quatre porte-avions de la force mobile de l'amiral Ozawa devaient attirer l'attention de Halsey, afin de masquer la progression des forces japonaises chargées de porter le coup décisif en détruisant les transports ennemis. Commandés par l'amiral Kurita, les groupes A et B devaient passer le cap de Saint Bernardino, tandis que le groupe C de l'amiral Nishimura, centré autour des cuirassés Fuso et Yamashiro, devait forcer le détroit de Surigao avant rejoindre Kurita près des points de débarquement. Les groupes A et B de Kurita représentaient le véritable fer de lance de Sho-Go car ils alignaient les cuirassés Yamato, Musashi, Nagato, Kongo et Haruna, dix croiseurs lourds, deux croiseurs légers et quinze destroyers. Avec les deux cuirassés du groupe A, et les deux cuirassés hybrides de la force mobile, la marine déploya ainsi la totalité de ses Senkan. Ironiquement, au moment où celle-ci engagea l'ensemble de ses moyens dans la bataille, elle avait déjà renoncé à affronter son ennemi frontalement, témoignant ainsi de la situation sans issue dans laquelle se trouvait le Japon.


La force de frappe de Kurita quitta Bornéo le 22 octobre, et longea l’île de Palawan le jour suivant. Deux sous-marins américains en embuscade y torpillèrent les croiseurs Atago, Takao et Maya après avoir signalé la présence des navires japonais à la Task Force 38, qui ne tarda pas à lancer ses avions à leur rencontre. Le lendemain, alors que les groupes A et B traversaient la mer de Subuyan, elles furent la cible de cinq vagues d'attaque d'avions embarqués américains, totalisant 259 appareils. Au cours de celles-ci, deux bombes lâchées par un Helldiver de l'Essex touchèrent le Yamato à 13h50, suivies par quatre autres projectiles à 14h30, largués par douze bombardiers en piqués et quatre Hellcat, qui lui firent embarquer 3'000 tonnes d'eau avant que l'équipage ne rétablisse la gîte du bâtiment. Le Nagato fut également victime de deux bombes à 14h20, qui le contraignirent à diminuer sa vitesse et mirent hors d'action une de ses tourelles principales et quatre batteries secondaires. Ce fut cependant le Musashi qui subit le gros des assauts. En effet, entre 10h25 et 10h30, il encaissa une bombe et une torpille au cours d'une attaque coordonnée menée par des Helldiver et des Avenger de l'USS Intrepid. Si la bombe ricocha simplement sur le toit de l'une des tourelles principales, l'impact de la torpille mit hors de service le contrôleur de tir des batteries principales, qui ne purent plus contribuer à la défense antiaérienne du navire avec leurs obus San Shiki, et ouvrit une brèche à travers laquelle s'engouffrèrent 3'000 tonnes d'eau de mer. Là aussi, l'équipage parvint à rétablir la gîte à 1 degré en inondant un compartiment opposé à celle-ci. Un peu plus d'une heure et demi après, le Musashi fut l'objet d'une nouvelle tentative des pilotes américains. Huit Helldiver mirent deux coups au but, puis neuf Avenger, approchant de directions opposées pour empêcher leur cible d'esquiver, parvinrent à le toucher avec trois torpilles, qui explosèrent à bâbord, au centre du navire. A 13h30, le cuirassé fut à nouveau l'objet d'une troisième attaque par 29 avions des groupes embarqués de l'USS Essex et de l'USS Lexington, et il encaissa encore quatre torpilles et quatre bombes. Enfin, entre 15h15 et 15h30, dix bombes et douze torpilles touchèrent encore le bâtiment, annihilant tout espoir de le sauver. L'ordre d'abandonner le navire fut donné à 19h15, avant qu'il ne sombre à 19h36. Comme ce fut le cas après la bataille de Midway, les membres survivants de l'équipage furent soigneusement tenus à l'écart pour éviter que la nouvelle du désastre ne se répande. Le tribut prélevé par la DCA de la flotte japonaise, dépourvue de couverture aérienne, resta modeste ; les Américains ne perdirent que dix-huit avions au cours de la bataille. L'amiral Kurita ordonna aux restes des groupes A et B de faire demi-tour à 15h30, donnant aux Américains l'impression d'avoir contré la menace.

24 octobre 1944, le Musashi photographié depuis un avion américain, quelques heures avant sa destruction (via ww2db.com)
Cependant, alors que la Task Force 38 finissait par mordre à l'hameçon le 24 et le 25 octobre en s'éloignant des transports pour se lancer à la poursuite de la force mobile d'Ozawa, l'amiral Kurita ordonna à ses bâtiments de faire demi-tour dès le 24 octobre à 16h15, prévoyant de transiter par le détroit de San Bernardino sous le couvert de l'obscurité et d'affronter l'ennemi le lendemain matin. Cette nuit-là, la force C de Nishimura fut éliminée dans un combat nocturne avec des destroyers et six vieux cuirassés américains alors qu'elle débouchait du détroit de Surigao. Cette rencontre fut le dernier duel entre cuirassés de l'histoire navale. Pendant ce temps, les groupes A et B atteignirent l'île de Samar à l'aube sans avoir été détectés, à la grande surprise de leur commandant. A 5h49, les vigies signalèrent des mâts ennemis à l'horizon ; il s'agissait de Taffy 3, un groupe de six petits porte-avions d'escorte, que les Japonais confondirent avec des porte-avions d'escadre, accompagnés de sept destroyers. La rencontre déboucha sur un surprenant combat de mêlée qui dura jusqu'à 8h11 du matin. La flotte nippone s'efforca de rattraper les porte-avions, mais fut constamment ralentie par la maestria et le courage suicidaire des destroyers ennemis, par les assauts aériens des avions américains basés à terre ou embarqués par les porte-avions situés à proximité, et par une mauvaise visibilité. A l'issue du combat, les Japonais avaient coulé le porte-avions Gambier Bay et trois destroyers, mais perdirent les croiseurs lourds Chokai, Chikuma et Suzuya, incapables de suivre la flotte durant son retrait, alors que le Kumano, le Haguro et le Tone étaient endommagés à des degrés divers. Le rôle joué par le Yamato dans la bataille fut limité ; à 5h58, ses deux tourelles avant ouvrirent le feu, tirant trois salves à 32'000 mètres de distance sur un des porte-avions et mettant au moins un coup au but selon les observations de l'un de ses hydravions, puis tira brièvement contre une autre cible, avant qu'elle ne soit masquée par un écran de fumée émis par un destroyer ennemi. Quelques minutes plus tard, les batteries secondaires de 155 mm ouvrirent le feu à leur tour. Puis, à 6h51, un bâtiment américain déboucha à plus de 16 kilomètres de distance et fut aussitôt la proie de l'artillerie du Yamato, qui le toucha à une reprise selon ses vigies. Cependant, trois minutes plus tard, le cuirassé dut virer à bâbord, puis parcourir 10 miles afin d’échapper à trois torpilles tirées par un destroyer américain, ce qui eut pour effet de l’éloigner du cœur de la bataille. La précision de l’artillerie japonaise au cours de cet affrontement a souvent été décrite comme médiocre ; il convient cependant de contextualiser cette performance. Certes, la marine impériale disposa à cette occasion d’une supériorité écrasante, avec quatre cuirassés et leur escorte de croiseurs lourds et de destroyers, opposés à une poignée de destroyers ennemis et six porte-avions sans défense. En apparence, les faibles pertes américaines paraissent presque miraculeuses. Pourtant, la mésaventure du Yamato est représentative de ce qui arriva aux restes des vaisseaux de la flotte ; contraints de manœuvrer sans cesse pour échapper aux torpilles larguées par l’adversaire, ceux-ci ne pouvaient pas suivre une trajectoire stable permettant aux artilleurs de régler leurs tirs. Signe des temps à venir, neuf Mitsubishi Zero survolèrent la force de Kurita alors qu’elle retraitait, avant de plonger sur Taffy 3. Les cinq kamikazes que comptait la formation parvinrent à couler le porte-avions d’escorte St-Lo, obtenant en quelques minutes un résultat similaire à celui de la fine fleur des bâtiments de surface de la flotte combinée à l’issue de trois heures de combat, et pour un coût infiniment moindre.


Alors que la flotte de Kurita retraitait vers son point de départ de Brunei, elle fut encore victime d'assauts aériens le 26 octobre, lancés par les groupes aériens de la Task Force 38. Deux bombes touchèrent à nouveau le Yamato, sans lui causer de dégâts importants. Le cuirassé arriva à destination le surlendemain, puis repartit pour Kure où il arriva le 23 novembre, avant d’ entrer en câle sèche afin de panser ses plaies et de voir sa DCA renforcée par le remplacement de 24 affût simple de 25 mm par neuf affûts triple du même calibre. Sorti de cale sèche dans les premiers jours de janvier 1945, le Yamato se trouva à nouveau au coeur du danger le 19 mars, lorsque Kure fut la cible d'une attaque aérienne massive, incluant 240 avions, lancée par sept porte-avions d'escadre de la Task Force 58. Du côté japonais, seul les chasseurs du célèbre 343e Kokutai se portèrent à leur rencontre, mais sans parvenir à les repousser. A cette occasion, le Senkan encaissa une bombe larguée par un bombardier en piqué. Le 2 avril, le navire quitta Kure pour mouiller dans la baie de Mitajiri. C'est là que lui parvinrent les ordres correspondant à l'opération Ten-Ichi-Go (ciel numéro un), signifiant son arrêt de mort. En effet, le navire, escorté du croiseur léger antiaérien Yahagi et de huit destroyers devait appareiller pour Okinawa, où les Américains avaient débarqué le 1er avril ; soit, en d'autres termes se jeter dans la gueule du loup. Le caractère suicidaire de la mission était avoué, le Yamato devant, si il survivait jusque-là, s'échouer sur les côtes de l'île pour servir de batterie flottante. Le capitaine du Yahagi, soutenus par plusieurs commandants de destroyers, s'opposa à la mission, arguant de sa futilité, de l'impossibilité d'infliger des dommages à l'ennemi, et conseilla une sortie contre les voies de communications adverses, mais en vain. L'Etat-major espérait que le cuirassé et son escorte détourneraient l'attention de la toute-puissante aéronavale ennemie, et faciliterait des sorties massives de Kamikazes basés sur les terrains de l'île de Kyushu.

Une vue, cette fois du Yamato, sous les bombes des aviateurs de l'US Navy, le 7 avril 1945 (via ww2db.com)
Le Yamato et son escorte levèrent l'ancre le 6 avril, et mirent le cap sur le Sud-ouest de Kyushu qu'ils atteignirent à l'aube du 7 avril, non sans avoir été détectés à plusieurs reprises par des sous-marins américains. Peu après midi, à 175 miles de Kyushu, des avions ennemis apparurent en nombre à l'horizon, et le cuirassé ouvrit le feu sur eux à 12h34. Il s'agissait de la première vague d'attaque dépêchée par la Task Force 58, forte de 132 chasseurs, 50 bombardiers en piqué et 98 bombardiers-torpilleurs. Cette dernière avait été parfaitement renseignée sur la localisation des Japonais durant toute la matinée par les observations de ses avions de reconnaissance. Deux bombes atteignirent le Yamato à 12h41, bientôt suivies par deux autres, alors qu'une première torpille faisait mouche à 12h43. Avant de repartir à 12h50, la formation ennemie avait également coulé les destroyers Asashimo et Hamakaze et endommagé le Yahagi. Le répit ne dura que douze minutes avant que d'autres appareils ne passent à l'attaque, encadrant le cuirassé avec une vingtaine de torpilles, dont quatre le touchèrent. Puis, à 13h33, un groupe de 110 avions apparût à son tour, et eut tôt fait d’achever le Yahagi, de toucher mortellement les Isokaze et Kasumi, et d’infliger une nouvelle série de coups au cuirassé. Le vaisseau finit par chavirer sur bâbord à 14h23, avant d'être secoué par une très violente détonation causée par l'explosion de ses soutes à munitions. La flamme qui s'échappa de l'étrave monta à 2'000 mètres selon les témoins. 2498 membres de son équipage moururent durant la bataille, le nombre de survivants se montant à 276 hommes. Les Américains perdirent, au cours de cette dernière sortie de la marine impériale japonaise, dix avions et douze membres d’équipage. De plus, la diversion offerte par le sacrifice du Yamato et de son escorte n’eut guère de résultats ; ce jour-là, 114 avions kamikaze s’envolèrent de leurs bases, mais n’endommagèrent qu’un porte-avions, un cuirassé et un destroyer. 
 

Conclusion 
 

Cette brève narration de l’histoire des Yamato et Musashi souligne l’importance d’un élément se situant à la convergence entre évolutions technologiques, stratégiques et doctrinales ; l’incertitude. La tentation est certes forte de se gausser des amiraux des années trente qui continuèrent à vouloir équiper leurs marines de cuirassés, refusant ainsi de se joindre inconditionnellement aux différents prophètes annonçant l’avènement de la suprématie des cieux sur la mer. Ce serait oublier qu’entre 1934 et 1937, moment où la classe Yamato fut conçue, les performances et le nombre d’avions contre lesquels ils furent réellement opposés étaient tout simplement impensables. De fait, avant 1941, les stratèges navals du monde entier pensaient que l’aviation était certes un danger mortel pour les cuirassés, mais en conjonction avec d’autres moyens; la fin du Bismarck représente à cet égard un bon exemple pratique de cette perception. Pourtant, in fine, aucun vaisseau de ligne d’aucune marine n’aurait pu survivre à la puissance de feu qui s’abattit sur le Yamato et le Musashi. Rappelons que ce dernier encaissa probablement 19 torpilles et 17 bombes avant de sombrer. De plus, non-seulement la taille des formations américaines qui scellèrent le destin des deux navires était immense avec plusieurs centaines d’avions opposés à une poignée de navire, mais leurs aviateurs firent preuve d’un très grand savoir-faire, utilisant avec maestria les caractéristiques de leurs divers armes de manière coordonnée. Le Yamato fut ainsi simultanément victime des passes de tir à la roquette et à la mitrailleuse de chasseurs qui massacrèrent littéralement les personnels servant l’artillerie antiaérienne, alors que les bombardiers-torpilleurs approchaient de plusieurs angles différents, garantissant ainsi que toute manœuvre évasive du bâtiment le porterait inévitablement sur la trajectoire d’autres torpilles arrivant d’une direction opposée. Par ailleurs, le calcul reposant sur l’incapacité des Américains à mettre en service des navires de taille similaire, pour autant que les caractéristiques de la classe Yamato restent strictement secrètes, s’avéra lui aussi erroné, car ceux-ci commandèrent bel et bien plusieurs cuirassés de la classe Montana, aux caractéristiques similaires, avant de renoncer en faveur de la construction de porte-avions.

Scène du film Otoko-tachi no Yamato (via http://hopelies.com)

Le naufrage du Yamato ne le fit pas pour autant tomber dans l’oubli, bien au contraire. En 1974, un dessin animé produit par Leiji Matsumoto, également très connu pour la série Captain Harlock, diffusée en France sous le nom d’Albator, mettait en scène une version spatiale du bâtiment, qui donna son titre à l’animé ; Space Battleship Yamato. La série donna récemment naissance à un space opera à gros budget, du même nom, produit en 2010. Dans celui-ci, la version imaginaire du Yamato se sacrifie, avec succès, pour sauver la terre, fournissant ainsi, et par ricochet, une étonnante correction à la tragique futilité de celui de son prédécesseur. Enfin, une autre production, Otoko-tachi no Yamato (les hommes du Yamato), sortit dans les salles japonaises le 17 décembre 2005. Centré sur les destins individuels de quelques membres d’équipage, une partie importante du film relate la dernière sortie du navire. Malgré quelques erreurs de reconstitution, d’importants moyens ont été investis dans la recréation en image de synthèse du bâtiment, avec un résultat probant. 
 

Bibliographie 
 

Januz Skulski, The Battleship Yamato, Conway Maritime Press, 1988

Mark Stille, Imperial Japanese Navy Battleships 1941-1945, Osprey Publishing, 2008

Akira Yoshimura, Battleship Musashi, the Making and Sinking of the World's Biggest Battleship, Kodansha International, 1991

Philippe Caresse, les cuirassés de la classe Yamato au combat, Navires & Histoire Hors-série 11, Editions Lela Presse

Loïc Charpentier, Schlachtschiff Bismarck, in LOS! 01, Mars-avril 2012

Vincent Bernard, Les cuirassés classe Iowa, les derniers léviathans, in LOS ! 05, Novembre-décembre 2012

Simon Liot de Nortbécourt, La flotte combinée japonaise, Marines éditions, 2008
David C. Evans et Mark R. Peattie, Kaigun :Strategy, Tactics, and Technology in the Imperial Japanese Navy, 1887-1941, Naval Institute Press, 1997
Paul S. Dull, A Battle History of the Imperial Japanese Navy (1941-1945), Naval Institute Press, 1978

Capt Tameichi Hara, Japanese Destroyer Captain: Pearl Harbor, Guadalcanal, Midway-The Great Naval Battles as Seen Through Japanese Eyes, Naval Institute Press, 2011



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