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vendredi 10 janvier 2014

Compte-rendu III : La mutation doctrinale de l’US Army


Le 7 décembre 2013, le Centre d’histoire et de prospective militaire a organisé sa traditionnelle Saint-Nicolas. La soirée a débuté avec les communications d’usage aux membres, parmi lesquelles on retiendra la sortie des actes du symposium 2012 consacrés à la pensée militaire suisse et les remerciements adressés à Monsieur Olivier Bangerter à l’occasion de son départ du comité scientifique. Olivier Bangerter, auteur, entre autres, d’un ouvrage sur la bataille de Novare, recensé ici, s’est énormément investi au sein du comité depuis son arrivée en 2006 et lui a offert une contribution extrêmement précieuse.
Après cette introduction, le Lieutenant-Colonel  EMG Pascal Eggen a présenté les réflexions qu’il a eu l’occasion de développer sur les défis militaires de demain pour l’US Army au cours d’un stage à Fort Leavenworth, souvent considéré comme le centre intellectuel de cette institution.
Il a commencé par rappeler à quel point les intérêts nationaux américains ont régulièrement été liés aux questions énergétiques. Si 40 % des sources énergétiques du pays sont  liées au pétrole, l’or noir fournit 94 % et 40 % de l’énergie utilisée par le transport aérien et l’industrie respectivement.  En 2011, 45 % du pétrole consommé était importé de l’étranger, mais la richesse des gisements de gaz de schiste dans le Colorado peut potentiellement assurer l’indépendance du pays à cet égard, mais à un coût écologique exorbitant.  Le Lieutenant-Colonel a précisé que les USA avaient l’avantage de pouvoir diversifier leurs importations.


Army Rangers photographiés durant un exercise à Fort Bragg en 2009 (wikicommons)
Hors, la raréfaction inéluctable de cette ressource, annoncée en 1956 déjà par la célèbre étude de la British Petroleum sur le Peak Oil, ne sera pas sans conséquences sur les équilibres stratégiques actuels. Alors que les Etats ne pourront pas échapper à une réorganisation interne et externe pour s’adapter à la nouvelle donne, un retour de la rivalité entre grandes puissances deviendra plus probable.
Pascal Eggen est alors revenu sur la stratégie de sécurité nationale définie par Barack Obama en 2010, actant de la réalité d’un affaiblissement de l’hégémonie américaine et donc de la nécessité d’un repli permettant d’entamer un vaste processus de consolidation intérieure permettant de renouveler la puissance du pays. Le processus en question inclut de résoudre des questions aussi variées qu’une réduction de la dette, qui équivaut à 100 % du PIB, développer de nouvelles sources d’énergies ou encore mettre une place une couverture de soins universelle. En parallèle, les USA doivent impérativement terminer les guerres en cours, en recherchant l’issue la plus favorable possible.
En parallèle, la posture de l’armée est amener à évoluer et ce d’autant plus que la nouvelle doctrine prône des interventions limitées dans des secteurs stratégiques, comme les grandes routes maritimes ou les zones riches en ressources naturelles, tout en se reposant autant que faire se peut sur l’engagement militaire de nations amies. Dans ce contexte, l’US Army se restructure au niveau de ses brigades au détriment de l’échelon divisionnaires, car il est beaucoup plus facile d’organiser leur rotation que pour des divisions. Par ailleurs, le format de l’institution est aussi amené à se réduire considérablement, le nombre d’hommes devant passer de 558'000 à 490'000 et celui des brigades de combat de 45 à 32.
Par ailleurs, le Lieutenant-Colonel a décrit la mutation doctrinale en cours au sein de l’US Army, dans un contexte où certains experts américains réclament le retour à une tradition nationale, perçue comme abandonnée dans les années 70, et dénoncent notamment la notion de centre de gravité de Clausewitz ainsi que d’autres productions conceptuelles considérées comme « européennes ». In fine, en 2015, l’armée américaine adoptera une nouvelle doctrine, baptisée Unified Land Operations, qui remplacera l’actuelle Full Spectrum Operations. Concrètement, la notion du soldat polyvalent, apte à passer d’un instant à l’autre de situations de basse à haute intensité est remise en cause en faveur et les hommes seront entraînés à des situations plus spécifiques.
Une brève présentation a suivi sur les implications pour la Suisse, alimentée par les questions de l’auditoire. Cette discussion a fait ressortir plusieurs points saillants, dont celui de l’absence de stratégie du pays, induite par sa neutralité même. En effet, l’adoption même d’une stratégie implique de prendre position, ce qui en soit peut représenter une contradiction face à la posture d’Etat neutre. En revanche, l’histoire nationale semble révéler que cette pratique, définie comme un opportunisme consensuel par Pascal Eggen s’est révélée être globalement efficace si l’on pense à la manière dont la Suisse a été préservée au cours du dernier siècle.

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