Le 7 décembre
2013, le Centre d’histoire et de prospective militaire a organisé sa
traditionnelle Saint-Nicolas. La soirée a débuté avec les communications
d’usage aux membres, parmi lesquelles on retiendra la sortie des actes du
symposium 2012 consacrés à la pensée militaire suisse et les remerciements
adressés à Monsieur Olivier Bangerter à l’occasion de son départ du comité scientifique.
Olivier Bangerter, auteur, entre autres, d’un ouvrage sur la bataille de
Novare, recensé ici, s’est énormément investi au sein du comité depuis
son arrivée en 2006 et lui a offert une contribution extrêmement précieuse.
Après cette
introduction, le Lieutenant-Colonel EMG Pascal Eggen a présenté les
réflexions qu’il a eu l’occasion de développer sur les défis militaires de
demain pour l’US Army au cours d’un
stage à Fort Leavenworth, souvent considéré comme le centre intellectuel de
cette institution.
Il a commencé
par rappeler à quel point les intérêts nationaux américains ont régulièrement
été liés aux questions énergétiques. Si 40 % des sources énergétiques du pays
sont liées au pétrole, l’or noir fournit 94 % et 40 % de l’énergie
utilisée par le transport aérien et l’industrie respectivement. En 2011,
45 % du pétrole consommé était importé de l’étranger, mais la richesse des
gisements de gaz de schiste dans le Colorado peut potentiellement assurer
l’indépendance du pays à cet égard, mais à un coût écologique exorbitant.
Le Lieutenant-Colonel a précisé que les USA avaient l’avantage de pouvoir
diversifier leurs importations.
Hors, la
raréfaction inéluctable de cette ressource, annoncée en 1956 déjà par la
célèbre étude de la British Petroleum sur le Peak Oil, ne sera pas sans conséquences sur les équilibres
stratégiques actuels. Alors que les Etats ne pourront pas échapper à une
réorganisation interne et externe pour s’adapter à la nouvelle donne, un retour
de la rivalité entre grandes puissances deviendra plus probable.
Army Rangers photographiés durant un exercise à Fort Bragg en 2009 (wikicommons) |
Pascal Eggen est
alors revenu sur la stratégie de sécurité nationale définie par Barack Obama en
2010, actant de la réalité d’un affaiblissement de l’hégémonie américaine et
donc de la nécessité d’un repli permettant d’entamer un vaste processus de
consolidation intérieure permettant de renouveler la puissance du pays. Le
processus en question inclut de résoudre des questions aussi variées qu’une
réduction de la dette, qui équivaut à 100 % du PIB, développer de nouvelles sources
d’énergies ou encore mettre une place une couverture de soins universelle. En
parallèle, les USA doivent impérativement terminer les guerres en cours, en
recherchant l’issue la plus favorable possible.
En parallèle, la
posture de l’armée est amener à évoluer et ce d’autant plus que la nouvelle
doctrine prône des interventions limitées dans des secteurs stratégiques, comme
les grandes routes maritimes ou les zones riches en ressources naturelles, tout
en se reposant autant que faire se peut sur l’engagement militaire de nations
amies. Dans ce contexte, l’US Army se
restructure au niveau de ses brigades au détriment de l’échelon divisionnaires,
car il est beaucoup plus facile d’organiser leur rotation que pour des
divisions. Par ailleurs, le format de l’institution est aussi amené à se
réduire considérablement, le nombre d’hommes devant passer de 558'000 à 490'000
et celui des brigades de combat de 45 à 32.
Par ailleurs, le
Lieutenant-Colonel a décrit la mutation doctrinale en cours au sein de l’US Army, dans un contexte où certains
experts américains réclament le retour à une tradition nationale, perçue comme
abandonnée dans les années 70, et dénoncent notamment la notion de centre de
gravité de Clausewitz ainsi que d’autres productions conceptuelles considérées
comme « européennes ». In fine,
en 2015, l’armée américaine adoptera une nouvelle doctrine, baptisée Unified Land Operations, qui remplacera
l’actuelle Full Spectrum Operations. Concrètement, la notion du soldat polyvalent, apte à passer d’un
instant à l’autre de situations de basse à haute intensité est remise en cause
en faveur et les hommes seront entraînés à des situations plus spécifiques.
Une brève présentation a suivi sur les implications pour la Suisse,
alimentée par les questions de l’auditoire. Cette discussion a fait ressortir
plusieurs points saillants, dont celui de l’absence de stratégie du pays,
induite par sa neutralité même. En effet, l’adoption même d’une stratégie
implique de prendre position, ce qui en soit peut représenter une contradiction
face à la posture d’Etat neutre. En revanche, l’histoire nationale semble
révéler que cette pratique, définie comme un opportunisme consensuel par Pascal Eggen s’est révélée être globalement efficace si l’on pense à la
manière dont la Suisse a été préservée au cours du dernier siècle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire