Le XVIIIe
symposium international organisé par le Centre d’Histoire et de Prospective
Militaires (CHPM) était intitulé Autour
de Marignan : le théâtre d’opérations d’Italie du Nord et s’est tenu
le 1er mars 2014 à Pully. Durant une journée, il a vu se succéder
plus d’une dizaine d’intervenants qui proposèrent des thèmes variés en lien
avec l’Italie du Nord. En préambule, Pierre
Streit, directeur du comité scientifique du CHPM, est revenu sur la
géographie militaire de l’Italie du Nord, rappelant qu’au Moyen-âge, il
s’agissait de l’une des régions les plus riches d’Europe, grâce, notamment, à
son sol très fertile. Il a ensuite décrit l’impact représenté par les Alpes,
qui constituent autant une barrière qu’un point de passage. Alain Pigeard, spécialiste de l’époque
napoléonienne et auteur de très nombreuses publications sur ce sujet, est
ensuite revenu sur la première campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte, alors
jeune général de 27 ans, et a surtout mis l’accent sur le siège de Mantoue, une
ville constituant un verrou stratégique de première importance, bien protégée
par d’imposantes fortifications, une puissante artillerie de 360 pièces, et les
marécages l’entourant. Alain Pigeard a expliqué
comment la cité, que les Français ne pouvaient que bloquer faute de disposer
d’un train de siège suffisant, représenta une contrainte essentielle pour la
jeune armée républicaine et les forces austro-hongroises.
Portrait de Joseph Radetzky (via Wikicommons) |
Jean-Jacques Langendorf,
historien et spécialiste des pensées militaires prussiennes et
austro-hongroises, est revenu sur l’un des personnages les plus marquants de
l’armée austro-hongroise ; Joseph
Radetzky (1766-1858), dont la carrière militaire fut extrêmement riche.
Largement autodidacte et n’ayant jamais suivi d’école militaire, il fut
aide-de-camps durant les guerres napoléoniennes et dressa les plans qui
menèrent Napoléon à la défaite durant la bataille de Leipzig. Homme pourvu d’un
tempérament marqué, Radetzky eut des querelles d’importance avec d’autres
personnages amenés à devenir célèbre, comme Jomini, qui publiera dans la Revue
Militaire Suisse une nécrologie particulièrement acide après la mort de
celui-ci. Joseph Radetzky fut ensuite envoyé à Milan afin de faire face aux
troubles secouant la Lombardie. Il s’y montra un organisateur et un meneur
d’hommes de talent, reprenant en main l’armée de 100'000 hommes protégeant les
possessions italiennes de la couronne austro-hongroise, alors en piteux état.
Outre l’organisation de manœuvres régulières et l’imposition aux hommes d’un
entraînement constant, il fit mettre en place un système sanitaire beaucoup
plus performant ainsi qu’un système d’aide sociale. En tant que commandant des
troupes en Lombardie, Radetzky était confronté à une situation tendue, notamment
à cause des troubles récurrents dans une Italie alors en pleine ébullition
politique. Le maréchal faillit mener une expédition dans le Tessin,
excroissance géographique d’une Suisse alors décrite par Metternich comme
« l’égout fortifié de l’Europe », afin d’y capturer les opposants
italiens qui s’y réfugiaient. Surtout, Radetzky triompha en écrasant l’armée du
Piémont en 1849 qui était, à la surprise des Austro-Hongrois, revenu sur sa
traditionnelle alliance avec les Habsbourg pour soutenir les insurgés de Milan
et de Venise. Il recaptura ensuite la Cité des Doges après une année de siège
au cours duquel il utilisa des ballons pour bombarder la ville. Outre ses
victoires, Radetzky laissa un héritage de grand réformateur dans la mesure où
il transforma en profondeur l’armée austro-hongroise et la débarrassa de
l’extrême formalisme hérité du siècle précédent.
Historien miliaire italien,
Giovanni Cerino Badone est revenu sur la bataille de San Martino qui prit
place dans le contexte plus large de la bataille de Solferino. Il a fortement
nuancé la perspective italienne de cet engagement, traditionnellement présenté
comme une victoire dans l’historiographie traditionnelle italienne. La bataille
a opposé le VIIIe corps austro-hongrois, fort de 21'560 hommes répartis entre
25 bataillons, quatre escadrons de cavalerie et les servants de ses 72 pièces
d’artillerie, à une armée sarde alignant 21'842 hommes répartis en trois
divisions. Les Sardes s’efforcèrent de chasser les Austro-Hongrois des hauteurs
où ils s’étaient installés en lançant des attaques en colonne de bataillons
avant d’être repoussés par une contre-attaque austro-hongroise. Cependant, à la
fin de la journée, Benedek, le commandant du VIIIe corps, dut ordonner à ses
troupes de se retirer à cause de l’issue de la bataille de Solferino, ce qui
permit aux Italiens de revendiquer la victoire. L’armée sarde perdit pourtant
21.5 % de ses effectifs, tués, blessés ou disparus dans l’affaire alors cette
proportion pour le VIIIe corps se monta à 12.4 %. De fait, les Sardes payèrent
à cette occasion leur entraînement orienté vers la défensive et qui les avait
mal préparé à des manœuvres d’attaque à grande échelle. Ainsi, la coordination
entre Bersaglieri et infanterie de ligne s’avéra médiocre, tandis que la
cavalerie des deux camps ne joua pratiquement aucun rôle du fait du terrain. De
leur côté, les Austro-hongrois ne mirent pas à profit le succès de leurs
contre-attaques pour mettre sérieusement en difficulté l’armée ennemie. Par
ailleurs, les fusils à canons rayés des soldats autrichiens ne leurs donnèrent
pas d’avantage significatif sur leurs adversaires sardes équipés de fusils à
âme lisse, dans la mesure où les échanges de tir se firent à relativement
courte distance, principalement du fait du terrain et du couvert végétal qui
offraient des champs de tir réduits aux combattants.
Marino
Viganò a présenté aux auditeurs un exposé sur
les châteaux et fortifications à Bellinzona du XIIe au XIXe siècle, qu’il a
segmenté en deux périodes, soit de 4500 avant Jésus-Christ à 1500, puis de 1500
à 1853. Le site de Bellinzona a en effet été fortifié de longue date dans la
mesure où il était une des principales voies d’accès au Milanais. Ainsi, le
site de Castelgrande a été fortifié au moins depuis le IVe siècle, suivi par
d’autres sites comme Montebello et Sasso Corbaro. Des murailles furent
également érigées, barrant l’ensemble de la vallée. Les Suisses tentèrent de
s’emparer par la force de Bellinzona une nouvelle fois en 1478, puis finalement
se virent céder la ville en 1516, qui marqua la fin de la domination des Ducs
de Milan sur celle-ci. Le premier document iconographique représentant la place
est tardif, dans la mesure où il date de 1422 et représente une image du siège
mené par les Confédérés cette année-là. Enfin, une nouvelle série d’ouvrages
défensifs, les batteries Dufour, à l’architecture évidemment bien différente de
celle, médiévale, des sites existants, furent ajoutés entre 1848 et 1853.
Vue de Bellinzona depuis le Sud, peinture de William Turner, 1841 (via wikicommons) |
L’intervention suivante, de Maurizio
Binaghi et Roberto Sala était issue de leur ouvrage La frontiera contesa I piani svizzeri di attacco
all'Italia nel rapporto segreto del colonnello Arnold Keller (1870 -1918). Se basant
sur la gigantesque Géographie militaire de 35 volumes rédigée par Arnold
Keller, ancien Chef de l’Etat-Major général, de 1905 à 1922, les deux auteurs
présentent la planifications militaire helvétiques contre l’Italie. En effet,
étonnamment, la frontière Sud de la Confédération est la plus étudiée par
Arnold Keller dans sa Géographie militaire, qui, extrêmement détaillée,
fourmille de détails sur les caractéristiques topographiques, militaires,
économiques et politiques du territoire. Ceci s’explique par les tensions, dans
l’absolu limitées, mais néanmoins bien réelles, qui marquèrent les relations
entre une Italie monarchiste et libérale et une Suisse républicaine et fédérale
et qui culminèrent en 1902 avec la rupture des relations diplomatiques entre
les deux états, à la suite de la publication, en Suisse et par des opposants
italiens d’un article faisant l’éloge de l’assassin du roi Humbert Ier. Maurizio Binaghi et Roberto Sala sont
également revenu sur les effets de l’interaction entre le Tessin, craignant
d’être oublié par Berne, et le reste de l’espace confédéré. Sur le plan
militaire, l’armée suisse, après avoir planifié un repli sur le Gothard en cas
de guerre contre l’Italie, finira ainsi par planifier l’éventualité d’une prise
de gage territoriale visant, in fine, à protéger le Tessin. De son
côté, le Regio Esercito entreprendra
des préparatifs défensifs dans certaines régions frontalières précisément pour
se prémunir face à une telle éventualité.
L’exposé de
Max Schiavon a porté sur la perception par la France de la menace italienne
durant les années 30 et jusqu’au mois de juin 1940. Dès 1931, de nombreuses
études furent menées par l’Etat-Major des Armées en cas de guerre contre
l’Italie. Celles-ci avaient la particularité d’être résolument offensives et prévoyaient
de déboucher des Alpes pour s’emparer d’une partie du Nord de l’Italie. Ainsi,
même en cas d’assaut italien, l’Armée des Alpes aurait eu pour mission de
conserver des bases de départ en prévision d’une future contre-attaque de
grande ampleur. Le 9 septembre 1939, cette posture était encore en vigueur
alors que de son côté, l’Italie développait également une doctrine prônant des
actions rapides et décisives, la Guerra di Rapido Corso sans pour autant
que son armée en ait réellement les moyens, malgré certaines adaptations, comme
la mise en place de divisions binaires, à deux régiments d’infanterie, qui ne
put que donner l’illusion d’un accroissement effectif des moyens disponible. A
la mobilisation, en septembre 1939, la France aligna un effectif considérable,
de 550'000 hommes face à l’Italie. Cependant, au fil des mois, celui-ci fut
affaibli au fur et à mesure que les troupes étaient réaffectées plus au Nord
afin de faire face à la menace allemande. In fine, au printemps de l’année
suivante, l’Armée des Alpes ne comptait plus les XIVe et XVe corps d’armées
chapeautant les 64e, 65e et 66e divisions
ainsi que trois secteurs fortifiés et un secteur défensif, ce qui ne laissa aux
Français d’autre choix que d’opter pour une posture défensive. A contrario, les
échecs de l’offensive italienne à venir étaient largement imputables à un
manque de préparation flagrant. L’armée italienne ne reçut l’ordre de se mettre
sur le pied de guerre le 5 mai 1940, alors que dans le même temps, aucune
planification n’avait été faite quant à une éventuelle offensive contre la
France alors qu’à peine un mois plus tard, l’Italie entrait en guerre.
Jérôme de Lespinois, auteur d’un ouvrage sur la Bataille d’Angleterre paru aux
éditions Tallandier en 2011, a axé son intervention sur les bombardements ayant
visé le Nord de l’Italie entre 1940 et 1945. Jusqu’en 1943, ceux-ci, très
limités, furent principalement l’œuvre du Bomber Command britannique. A la fin
de 1942, celui-ci commença à augmenter son niveau d’activité principalement
parce que la météo hivernale compromettait les missions sur les villes
allemandes, alors que le climat était plus clément en Italie. Les premiers
raids réellement massifs visèrent, dès l’automne, des cibles industrielles et
portuaires. Ainsi, entre le 22 octobre et jusqu’à la fin de mois de Novembre,
une dizaine de raids incluant une centaine d’avions bombardèrent Gêne, Milan et
Turin, pour un total de 1'800 sorties. Cette zone était faiblement défendue de
nuit et les Britanniques ne perdirent que 36 appareils durant ces mission, soit
un taux de pertes de 2 %, alors que celui-ci pouvait atteindre entre 5 et 10 %
en Allemagne. Les tactiques alliées se modifièrent en 1943 avec des
bombardements de jour ciblant expressément des zones urbaines, dans l’espoir
que la population se retournerait contre le régime mussolinien. De fait, les services de renseignement
anglais considérèrent que ceux-ci furent une des causes de la chute du Duce.
Enfin, et jusqu’à la fin de la guerre, les aviations stratégiques et tactiques
alliées visèrent les infrastructures de communications et industrielles de la
RSI. Ces attaques eurent pour effet d’entraver la mobilité des unités de la
Wehrmacht engagées sur ce théâtre des opérations, mais les nombreuses victimes
civiles qu’ils engendrèrent augmentèrent d’autant la popularité des
Communistes. Jürg
Stüssi-Lauterburg, historien suisse et responsable de la
Bibliothèque am Guisanplatz de Berne est revenu sur l’action de colonel suisse
Mario Martinoni en 1945. Celui-ci
organisa, à la fin de mois d’avril, la reddition aux américains de 500 soldats
allemands massés devant la frontière helvétique, sur ordre du Conseil fédéral.
Jürg Stüssi-Lauterburg a ensuite
présenté les conséquences fâcheuses de cette médiation, contraire aux principes
de stricte neutralité, sur la carrière du
colonel suisse Mario Martinoni. Enfin,
durant la dernière intervention de la journée, le Professeur Gianluca
Pastori l’importance du théâtre
des opérations Nord-Italien dans la stratégie de l’OTAN durant les années de
guerre froide, décrivant notamment les tractations entre Bruxelles et l’Italie quant
à la taille souhaitée pour l’armée italienne.
Comme de
coutume, ces contributions feront l’objet d’une publication dans l’année
suivant le symposium.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire