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mardi 1 avril 2014

Compte-rendu IV : XVIIIe symposium international d’histoire et de prospective militaire




Le XVIIIe symposium international organisé par le Centre d’Histoire et de Prospective Militaires (CHPM) était intitulé Autour de Marignan : le théâtre d’opérations d’Italie du Nord et s’est tenu le 1er mars 2014 à Pully. Durant une journée, il a vu se succéder plus d’une dizaine d’intervenants qui proposèrent des thèmes variés en lien avec l’Italie du Nord. En préambule, Pierre Streit, directeur du comité scientifique du CHPM, est revenu sur la géographie militaire de l’Italie du Nord, rappelant qu’au Moyen-âge, il s’agissait de l’une des régions les plus riches d’Europe, grâce, notamment, à son sol très fertile. Il a ensuite décrit l’impact représenté par les Alpes, qui constituent autant une barrière qu’un point de passage. Alain Pigeard, spécialiste de l’époque napoléonienne et auteur de très nombreuses publications sur ce sujet, est ensuite revenu sur la première campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte, alors jeune général de 27 ans, et a surtout mis l’accent sur le siège de Mantoue, une ville constituant un verrou stratégique de première importance, bien protégée par d’imposantes fortifications, une puissante artillerie de 360 pièces, et les marécages l’entourant. Alain Pigeard  a expliqué comment la cité, que les Français ne pouvaient que bloquer faute de disposer d’un train de siège suffisant, représenta une contrainte essentielle pour la jeune armée républicaine et les forces austro-hongroises. 

Portrait de Joseph Radetzky (via Wikicommons)


Jean-Jacques Langendorf, historien et spécialiste des pensées militaires prussiennes et austro-hongroises, est revenu sur l’un des personnages les plus marquants de l’armée austro-hongroise ; Joseph Radetzky (1766-1858), dont la carrière militaire fut extrêmement riche. Largement autodidacte et n’ayant jamais suivi d’école militaire, il fut aide-de-camps durant les guerres napoléoniennes et dressa les plans qui menèrent Napoléon à la défaite durant la bataille de Leipzig. Homme pourvu d’un tempérament marqué, Radetzky eut des querelles d’importance avec d’autres personnages amenés à devenir célèbre, comme Jomini, qui publiera dans la Revue Militaire Suisse une nécrologie particulièrement acide après la mort de celui-ci. Joseph Radetzky fut ensuite envoyé à Milan afin de faire face aux troubles secouant la Lombardie. Il s’y montra un organisateur et un meneur d’hommes de talent, reprenant en main l’armée de 100'000 hommes protégeant les possessions italiennes de la couronne austro-hongroise, alors en piteux état. Outre l’organisation de manœuvres régulières et l’imposition aux hommes d’un entraînement constant, il fit mettre en place un système sanitaire beaucoup plus performant ainsi qu’un système d’aide sociale. En tant que commandant des troupes en Lombardie, Radetzky était confronté à une situation tendue, notamment à cause des troubles récurrents dans une Italie alors en pleine ébullition politique. Le maréchal faillit mener une expédition dans le Tessin, excroissance géographique d’une Suisse alors décrite par Metternich comme « l’égout fortifié de l’Europe », afin d’y capturer les opposants italiens qui s’y réfugiaient. Surtout, Radetzky triompha en écrasant l’armée du Piémont en 1849 qui était, à la surprise des Austro-Hongrois, revenu sur sa traditionnelle alliance avec les Habsbourg pour soutenir les insurgés de Milan et de Venise. Il recaptura ensuite la Cité des Doges après une année de siège au cours duquel il utilisa des ballons pour bombarder la ville. Outre ses victoires, Radetzky laissa un héritage de grand réformateur dans la mesure où il transforma en profondeur l’armée austro-hongroise et la débarrassa de l’extrême formalisme hérité du siècle précédent. 


Historien miliaire italien, Giovanni Cerino Badone est revenu sur la bataille de San Martino qui prit place dans le contexte plus large de la bataille de Solferino. Il a fortement nuancé la perspective italienne de cet engagement, traditionnellement présenté comme une victoire dans l’historiographie traditionnelle italienne. La bataille a opposé le VIIIe corps austro-hongrois, fort de 21'560 hommes répartis entre 25 bataillons, quatre escadrons de cavalerie et les servants de ses 72 pièces d’artillerie, à une armée sarde alignant 21'842 hommes répartis en trois divisions. Les Sardes s’efforcèrent de chasser les Austro-Hongrois des hauteurs où ils s’étaient installés en lançant des attaques en colonne de bataillons avant d’être repoussés par une contre-attaque austro-hongroise. Cependant, à la fin de la journée, Benedek, le commandant du VIIIe corps, dut ordonner à ses troupes de se retirer à cause de l’issue de la bataille de Solferino, ce qui permit aux Italiens de revendiquer la victoire. L’armée sarde perdit pourtant 21.5 % de ses effectifs, tués, blessés ou disparus dans l’affaire alors cette proportion pour le VIIIe corps se monta à 12.4 %. De fait, les Sardes payèrent à cette occasion leur entraînement orienté vers la défensive et qui les avait mal préparé à des manœuvres d’attaque à grande échelle. Ainsi, la coordination entre Bersaglieri et infanterie de ligne s’avéra médiocre, tandis que la cavalerie des deux camps ne joua pratiquement aucun rôle du fait du terrain. De leur côté, les Austro-hongrois ne mirent pas à profit le succès de leurs contre-attaques pour mettre sérieusement en difficulté l’armée ennemie. Par ailleurs, les fusils à canons rayés des soldats autrichiens ne leurs donnèrent pas d’avantage significatif sur leurs adversaires sardes équipés de fusils à âme lisse, dans la mesure où les échanges de tir se firent à relativement courte distance, principalement du fait du terrain et du couvert végétal qui offraient des champs de tir réduits aux combattants. 


 
Marino Viganò a présenté aux auditeurs un exposé sur les châteaux et fortifications à Bellinzona du XIIe au XIXe siècle, qu’il a segmenté en deux périodes, soit de 4500 avant Jésus-Christ à 1500, puis de 1500 à 1853. Le site de Bellinzona a en effet été fortifié de longue date dans la mesure où il était une des principales voies d’accès au Milanais. Ainsi, le site de Castelgrande a été fortifié au moins depuis le IVe siècle, suivi par d’autres sites comme Montebello et Sasso Corbaro. Des murailles furent également érigées, barrant l’ensemble de la vallée. Les Suisses tentèrent de s’emparer par la force de Bellinzona une nouvelle fois en 1478, puis finalement se virent céder la ville en 1516, qui marqua la fin de la domination des Ducs de Milan sur celle-ci. Le premier document iconographique représentant la place est tardif, dans la mesure où il date de 1422 et représente une image du siège mené par les Confédérés cette année-là. Enfin, une nouvelle série d’ouvrages défensifs, les batteries Dufour, à l’architecture évidemment bien différente de celle, médiévale, des sites existants, furent ajoutés entre 1848 et 1853.


Vue de Bellinzona depuis le Sud, peinture de William Turner, 1841 (via wikicommons)

L’intervention suivante, de Maurizio Binaghi et Roberto Sala était issue de leur ouvrage La frontiera contesa I piani svizzeri di attacco all'Italia nel rapporto segreto del colonnello Arnold Keller (1870 -1918). Se basant sur la gigantesque Géographie militaire de 35 volumes rédigée par Arnold Keller, ancien Chef de l’Etat-Major général, de 1905 à 1922, les deux auteurs présentent la planifications militaire helvétiques contre l’Italie. En effet, étonnamment, la frontière Sud de la Confédération est la plus étudiée par Arnold Keller dans sa Géographie militaire, qui, extrêmement détaillée, fourmille de détails sur les caractéristiques topographiques, militaires, économiques et politiques du territoire. Ceci s’explique par les tensions, dans l’absolu limitées, mais néanmoins bien réelles, qui marquèrent les relations entre une Italie monarchiste et libérale et une Suisse républicaine et fédérale et qui culminèrent en 1902 avec la rupture des relations diplomatiques entre les deux états, à la suite de la publication, en Suisse et par des opposants italiens d’un article faisant l’éloge de l’assassin du roi Humbert Ier. Maurizio Binaghi et Roberto Sala sont également revenu sur les effets de l’interaction entre le Tessin, craignant d’être oublié par Berne, et le reste de l’espace confédéré. Sur le plan militaire, l’armée suisse, après avoir planifié un repli sur le Gothard en cas de guerre contre l’Italie, finira ainsi par planifier l’éventualité d’une prise de gage territoriale visant, in fine, à protéger le Tessin. De son côté, le Regio Esercito entreprendra des préparatifs défensifs dans certaines régions frontalières précisément pour se prémunir face à une telle éventualité. 



L’exposé de Max Schiavon a porté sur la perception par la France de la menace italienne durant les années 30 et jusqu’au mois de juin 1940. Dès 1931, de nombreuses études furent menées par l’Etat-Major des Armées en cas de guerre contre l’Italie. Celles-ci avaient la particularité d’être résolument offensives et prévoyaient de déboucher des Alpes pour s’emparer d’une partie du Nord de l’Italie. Ainsi, même en cas d’assaut italien, l’Armée des Alpes aurait eu pour mission de conserver des bases de départ en prévision d’une future contre-attaque de grande ampleur. Le 9 septembre 1939, cette posture était encore en vigueur alors que de son côté, l’Italie développait également une doctrine prônant des actions rapides et décisives, la Guerra di Rapido Corso sans pour autant que son armée en ait réellement les moyens, malgré certaines adaptations, comme la mise en place de divisions binaires, à deux régiments d’infanterie, qui ne put que donner l’illusion d’un accroissement effectif des moyens disponible. A la mobilisation, en septembre 1939, la France aligna un effectif considérable, de 550'000 hommes face à l’Italie. Cependant, au fil des mois, celui-ci fut affaibli au fur et à mesure que les troupes étaient réaffectées plus au Nord afin de faire face à la menace allemande. In fine, au printemps de l’année suivante, l’Armée des Alpes ne comptait plus les XIVe et XVe corps d’armées chapeautant les 64e, 65e et 66e divisions ainsi que trois secteurs fortifiés et un secteur défensif, ce qui ne laissa aux Français d’autre choix que d’opter pour une posture défensive. A contrario, les échecs de l’offensive italienne à venir étaient largement imputables à un manque de préparation flagrant. L’armée italienne ne reçut l’ordre de se mettre sur le pied de guerre le 5 mai 1940, alors que dans le même temps, aucune planification n’avait été faite quant à une éventuelle offensive contre la France alors qu’à peine un mois plus tard, l’Italie entrait en guerre. 



Jérôme de Lespinois, auteur d’un ouvrage sur la Bataille d’Angleterre paru aux éditions Tallandier en 2011, a axé son intervention sur les bombardements ayant visé le Nord de l’Italie entre 1940 et 1945. Jusqu’en 1943, ceux-ci, très limités, furent principalement l’œuvre du Bomber Command britannique. A la fin de 1942, celui-ci commença à augmenter son niveau d’activité principalement parce que la météo hivernale compromettait les missions sur les villes allemandes, alors que le climat était plus clément en Italie. Les premiers raids réellement massifs visèrent, dès l’automne, des cibles industrielles et portuaires. Ainsi, entre le 22 octobre et jusqu’à la fin de mois de Novembre, une dizaine de raids incluant une centaine d’avions bombardèrent Gêne, Milan et Turin, pour un total de 1'800 sorties. Cette zone était faiblement défendue de nuit et les Britanniques ne perdirent que 36 appareils durant ces mission, soit un taux de pertes de 2 %, alors que celui-ci pouvait atteindre entre 5 et 10 % en Allemagne. Les tactiques alliées se modifièrent en 1943 avec des bombardements de jour ciblant expressément des zones urbaines, dans l’espoir que la population se retournerait contre le régime mussolinien.  De fait, les services de renseignement anglais considérèrent que ceux-ci furent une des causes de la chute du Duce. Enfin, et jusqu’à la fin de la guerre, les aviations stratégiques et tactiques alliées visèrent les infrastructures de communications et industrielles de la RSI. Ces attaques eurent pour effet d’entraver la mobilité des unités de la Wehrmacht engagées sur ce théâtre des opérations, mais les nombreuses victimes civiles qu’ils engendrèrent augmentèrent d’autant la popularité des Communistes. Jürg Stüssi-Lauterburg, historien suisse et responsable de la Bibliothèque am Guisanplatz de Berne est revenu sur l’action de colonel suisse Mario Martinoni  en 1945. Celui-ci organisa, à la fin de mois d’avril, la reddition aux américains de 500 soldats allemands massés devant la frontière helvétique, sur ordre du Conseil fédéral. Jürg Stüssi-Lauterburg a ensuite présenté les conséquences fâcheuses de cette médiation, contraire aux principes de stricte neutralité, sur la carrière du colonel suisse Mario Martinoni. Enfin, durant la dernière intervention de la journée, le Professeur Gianluca Pastori l’importance du théâtre des opérations Nord-Italien dans la stratégie de l’OTAN durant les années de guerre froide, décrivant notamment les tractations entre Bruxelles et l’Italie quant à la taille souhaitée pour l’armée italienne.


Comme de coutume, ces contributions feront l’objet d’une publication dans l’année suivant le symposium.


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