Marc-Antoine
Brillant est chef de bataillon, diplômé de l'Ecole Spéciale Militaire de
Saint-Cyr, et lauréat de l'Ecole de guerre. Il occupe actuellement une position
d'analyste pour le retour d'expérience au Centre de doctrine d'emploi des
forces de l'armée de Terre après avoir effectué une partie de sa carrière en
régiment, durant laquelle il a été projeté en Afghanistan et au Liban par deux
fois. Marc-Antoine brillant a récemment publié Israël contre le Hezbollah :
Chronique d'une défaite annoncée 12 juillet – 14 août 2006 aux éditions du
Rocher, coécrit avec le colonel Michel Goya auteur de plusieurs ouvrages
d'histoire militaires remarqués, comme La chair et le feu, une étude sur
l'armée française durant la Grande Guerre, parue chez Tallandier en 2004.
Michel Goya est par ailleurs connu pour être l'animateur du blog la voie de
l'épée auquel Marc-Antoine Brillant, que nous remercions de nous accorder cet
interview, contribue également.
Propos recueillis par Adrien Fontanellaz, déjà publié sur l'autre côté de la colline.
Pourriez-vous revenir sur les origines de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah ?
Pourriez-vous revenir sur les origines de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah ?
L'antagonisme
entre le Hezbollah et l'Etat hébreu est relativement ancien. A l'origine, c'est
la présence de l'armée israélienne sur le sol libanais lors de la guerre
civile. Le Hezbollah, né en 1982, a fondé sa lutte contre "l'ennemi
sioniste" sur cet impératif de rendre la terre volée aux musulmans et
notamment aux Palestiniens. S'en est suivie pendant près de 20 ans toute une
série d'affrontements, d'attaques, d'attentats, et de représailles sans que
l'on sache vraiment qui avait le dessus in fine. Lorsqu' Ehud Barak décida
unilatéralement de retirer les troupes israéliennes du Sud Liban en 2000, il a
laissé le champ libre au Hezbollah pour s'implanter et remplacer l'Etat
libanais défaillant. Aussitôt dit, aussitôt fait, la campagne libanaise face à
la frontière israélienne s'est donc progressivement transformée pour devenir le
piège des forces de Tsahal le jour où.
Pour revenir à
votre question, l'élément déclencheur de la guerre de 2006 est l'attaque par un
commando du Hezbollah d'une patrouille de routine israélienne le 12 juillet
2006 à proximité du village d'Ayta Ashaab. A cette occasion, 8 soldats furent
tués et 2 autres enlevés, dont les corps ne seront rendus que deux ans plus
tard en 2008.
Tsahal est souvent
présenté comme un modèle d’institution militaire et elle fut pourtant prise en
défaut. Pourriez-vous nous expliquer comment cet outil évolua durant les années
précédant cette guerre et quelle était sa doctrine au moment où celle-ci débuta
?
Tsahal est avant
tout une armée de conscription, c'est à dire dotée d'une mémoire guerrière
éphémère, si elle n'est pas entretenue. Même si le service militaire est
relativement long, en l'espace de 6 ans, l'expérience accumulée sur un conflit
peut avoir quasiment disparu.
A la fin de la
guerre du Kippour, l'armée israélienne s’est retrouvée confrontée à un autre
ennemi que les armées arabes: les mouvements terroristes palestiniens. Il a
donc fallu adapter un outil de combat qui avait pourtant fait ses preuves.
Ainsi, la victorieuse armée du Kippour s'est peu à peu muée en une force de
police capable, non plus d'opérations militaires d'envergure et complexes, mais
d'actions ciblées dans les Territoires avec à la clé l'arrestation
d'activistes. Tout le savoir-faire guerrier avait disparu au cours des années
90.
Parallèlement à
cette mutation des forces terrestres, l'armée de l'air devint le centre de
toutes les attentions. Nouveaux avions, nouvelles armes et surtout nouvelle
doctrine qui place la puissance aérienne au cœur de la stratégie de défense
israélienne. Désormais, c'est par le tout-aérien que la riposte militaire sera
faite... quel que soit l'adversaire. A la veille de la guerre de juillet 2006,
les états-majors de Tsahal surestiment l'efficacité de leurs frappes aériennes,
sous-estiment le Hezbollah et négligent d'emblée les forces au sol.
A la suite de ce
conflit, l’appareil militaire du Hezbollah a été décrit comme une
«techno-guérilla ». Pourriez-vous nous en dire plus sur ce mouvement, son
organisation, sa doctrine et ses armements ?
Le Hezbollah a
connu trois grandes étapes d'évolution. Dans les années 80, c'était avant tout
un groupe radical aux méthodes terroristes. Attentats à la voiture piégée et
attaques suicide étaient sa marque de fabrique. A la fin de la guerre civile
libanaise et surtout avec l'arrivée à sa tête d’Hassan Nasrallah en 1992, le
Parti de Dieu a entamé sa mue pour devenir une vraie force paramilitaire. Il
fut aidé dans cette tâche par l'Iran puis la Syrie tant en termes de
financements que de fournitures de matériels et de modules de formation. Avant
le retrait israélien du Sud Liban (2000), le Hezbollah n'était déjà plus le
groupe terroriste de ses débuts.
Au début des
années 2000, le Hezbollah est un mouvement socio-politique, disposant d'une
branche militaire clandestine. Cette dernière, composée à la veille de la
guerre d'une structure de 5.000 combattants professionnels et d'une force de
réservistes (environ 10.000), est équipée comme une armée conventionnelle :
missiles antichar de dernière génération, drones de renseignement iraniens,
missile antinavires, etc...
Sa stratégie,
forgée par Hassan Nasrallah, présente avant tout un but politique : s'imposer
durablement sur la scène nationale afin de peser dans la sous-région. Pour
atteindre cette ambition, il faut gagner en légitimité et surtout faire
accepter sa cause auprès d'une population libanaise hétérogène. Sur le plan
militaire, le Hezbollah sait que le temps est son meilleur allié. En effet, il
ne peut vaincre Tsahal dans une bataille frontale. Conscient de ses propres
vulnérabilités, il va donc élaborer une doctrine originale axée sur la
pression, au travers de deux logiques:
- freiner, si possible bloquer, l'atout blindé israélien (le Merkava).
Cela sera mis en oeuvre au travers de nombreuses nasses antichar et autres
points d'appui en zone urbaine répartis le long de la frontière sud-libanaise;
- faire pression sur l'opinion publique de l'Etat hébreu. Le choix qui
sera alors fait consistera à combiner les roquettes à courte et moyenne portée
(les seules à même de saper le moral car difficilement parables) à une vraie
campagne de propagande et de désinformation dont l'unique but est de faire
douter les Israéliens.
Quelles furent les
principales étapes de cette guerre et quelles leçons en tirèrent les
belligérants ?
On peut identifier
trois phases dans cette guerre. Tout d'abord, une riposte désordonnée qui a
duré la journée du 12 juillet. Puis une campagne systémique de frappes
aériennes qui a duré 3 semaines, ponctuées de rares opérations terrestres
souvent désastreuses (bataille de Bint Jbeil). Elle avait pour cibles les
lanceurs de missiles à longue portée Zelzal, les infrastructures vitales pour
le pays puis des objectifs ponctuels (lanceurs de roquettes et bunkers). Enfin,
une offensive terrestre d'envergure mais décidée trop tard, c'est-à-dire
quelques jours à peine avant le cessez-le-feu du 14 août. Il ne faut pas
oublier que le Hezbollah n'a jamais été empêché de lancer ses roquettes sur les
villes israéliennes, quelle que soit l'intensité des frappes aériennes.
La principale
leçon que les belligérants ont dû retenir pourrait être formulée de la façon
suivante: 'une guerre mal préparée est une guerre ratée'. Israël n'a pas gagné
ce conflit parce qu'il ne s'était pas préparé à affronter un ennemi tel que le
Hezbollah. Il s'était même trompé sur cet ennemi en l'assimilant aux groupes
palestiniens présents dans les Territoires occupés. Pour le Hezbollah, la
"victoire" (et encore celle-ci peut être discutée) a été obtenue
parce que les vulnérabilités de Tsahal étaient connues, le terrain aménagé
et... la durée des affrontements relativement courte (33 jours). Je ne suis pas
persuadé que le Hezbollah aurait été victorieux si la guerre avait duré 1 à 2
mois supplémentaires...
Que pensez-vous de
la capacité d’armées européennes, comme celles de la France et de l’Angleterre,
à faire face à un adversaire comparable au Hezbollah ? Sont-elles actuellement
en mesure de relever un tel défi, en particulier sur le plan tactique ?
C'est assez
difficile de mener une telle réflexion. La France et la Grande-Bretagne sont
les premières armées d'Europe tant sur le plan des effectifs, du budget que de
l'expérience de la guerre. Cela est-il pour autant suffisant pour l'emporter
face à un adversaire comme le Hezbollah? Personnellement, je ne le crois pas,
car le défi posé par la milice chiite est plus complexe. Etre prêt au combat
dans des conditions dégradées, je pense que la France l'a démontré en
Afghanistan, au Mali et plus récemment en Centrafrique. Mais deux écueils
majeurs subsistent : la capacité des structures militaires à durer dans un
conflit et la capacité de l'opinion publique à endurer les pertes.
Sur le plan
tactique, puisque c'est votre question, les armées françaises n'ont pas à
rougir de leur résilience et de leur faculté à combattre dans les pires
conditions. Le soldat français est courageux et n'a pas peur du feu. Je pense
donc que l'on pourrait relever le défi militaire et l'emporter au prix de
nombreux sacrifices. Mais, tuer l'ennemi c'est bien. On fait quoi après...?
L'armée est l'un des outils dans la main du politique. C'est donc à ce dernier
de nous donner les moyens d'un tel engagement et surtout l'objectif à
atteindre.
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