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samedi 1 octobre 2011

Guerre aérienne en Malaisie


4 décembre 1941 - 15 février 1942


   La campagne de Malaisie, qui culmina avec la capitulation de Singapour le 15 février 1942 fut une des plus graves défaites subies par le Royaume-Uni durant la deuxième guerre mondiale. La perte de prestige que ce revers engendra auprès des populations colonisées fut une des causes qui finirent par engendrer, à relativement brève échéance, la disparition de l’empire colonial britannique. La campagne terrestre et le choc causé auprès des troupes britanniques par l’efficacité inattendue de l’armée impériale japonaise sont connus. Mais la troisième dimension avait aussi un rôle majeur dans les plans des belligérants. Cette article n'aborde pas la destruction du Prince of Wales et du Repulse, relatée dans "la fin de la force Z", aussi disponible sur ce site.

Adrien Fontanellaz 2009


L'aviation japonaise

   La marine et l'armée de terre disposaient chacune de leur propre force aérienne. L'armée alignait 1500 avions de combat. Le service aérien de la marine impériale était divisé en deux composantes, une embarquée et l'autre basée à terre. Chacune des deux armes attribua une partie de son aviation à l'invasion de la Malaisie. Ces deux forces aériennes étaient des organisations d'élite. La formation des pilotes, spécialement ceux de la marine, était l'une des plus rigoureuses au monde. La plupart des aviateurs nippons avaient déjà combattu en Chine. Les bombardiers de la marine avaient notamment mené plusieurs séries de raids à des distances alors inégalées contre les capitales successives de la Chine nationaliste et leurs défenses. L'aviation de l'armée fut engagée  dans la féroce bataille du Nomonhan qui l'opposa à l'armée rouge, aux confins de la Mongolie et de la Mandchourie. B. Smirnov, un pilote soviétique vétéran de la guerre d'Espagne,  devait dire de ses adversaires nippons : "Je pense que les aviateurs japonais sont plus habiles que les allemands et plus agressifs que les italiens"

   Le 3ième hikoshidan (division aérienne) du service aérien de l'armée impériale japonaise,  basée sur les aéroports de la Cochinchine et du  Cambodge, fut chargé de soutenir les opérations des 15ième et  25ième armées, en accordant la  priorité à cette dernière. Il était divisé en plusieurs hikodan (brigades aériennes, le plus souvent mixtes, car formées de sentai de chasse, de bombardement ou d'appui), eux-mêmes regroupant deux ou trois hikosentai ou sentai (groupes aérien, forts de 20 à 40 appareils du même type). Au total, le 3ième hikoshidan alignait 173 avions de chasse, 124 bombardiers lourds et 168 avions d'appui, de bombardement léger ou de reconnaissance. La marine avait détaché le Genzen Kokutai, le Mihoro Kokutai, une partie du Kanoya Kokutai et 37 chasseurs, dont 25 étaient des Mitsubishi A6M Rei-sen (le célèbre Zéro) et 12 des Mitsubishi A5M, plus anciens. L'ensemble de ces unités formait la 22ième flottille aérienne, avec un total de 142 avions.

  Les chasseurs japonais étaient dans l'ensemble légers, extrêmement maniables,  capables d'une grande autonomie et disposaient d'un rapport poids/puissance élevé. Ces particularités en faisaient des adversaires très dangereux  dans les combats tournoyants à moyenne et faible vitesse. Les modèles les plus récents, le Mitsubishi A6M2 Rei-sen  de 1940 et son équivalent de l'armée, le Nakajima Ki-43 de 1941, étaient capables d'atteindre des vitesses égales ou supérieures à celles des différents chasseurs alliés présents en Asie du Sud-est au commencement des hostilités.  Un monoplan à train fixe plus ancien, le Nakajima Ki-27, équipait encore la majorité des sentai de chasse du 3ième hikoshidan. Sa vitesse maximale était plus limitée, mais il faisait preuve d'une manœuvrabilité exceptionnelle. Ces qualités avaient été obtenues au détriment  de la protection et, dans une moindre mesure, de l'armement. Les appareils nippons étaient dépourvus de toute forme de blindage, et leurs réservoirs d'essence n'étaient pas auto-obturant, à l’exception du Nakajima Ki-43. Cette légèreté structurelle compromettait aussi leur capacité à suivre un adversaire dans un piqué prolongé. Le fameux Mitsubishi A6M2 Rei-sen disposait par contre de deux canons courts de 20mm en plus des habituelles deux mitrailleuses de 7.7mm, mais avait en commun avec les autres types d'appareils une  absence totale de protection.


A6M2 Type 0 de la marine

   L'armée utilisait plusieurs types d'avions d'appui et de bombardement léger, comme le Mitsubishi Ki-30, monomoteur à train fixe capable d'emporter une charge de bombes de 300 kg.  Elle disposait d'un modèle de bombardier léger bimoteur presque aussi rapide qu'un avion de chasse, le Kawasaki Ki-48, capable d'atteindre une vitesse maximale de 505 km/heure, et d'un modèle de bombardier lourd bimoteur (un bombardier "lourd" dans la terminologie japonaise correspondait à un bombardier moyen pour les autres nations), le Mitsubishi Ki-21, entré en service en 1937, qui pouvait emporter une tonne de bombes sur une distance de 2700 kilomètres. La guerre en Chine avait déjà battu en brèche le mythe, courant avant-guerre, de l'invulnérabilité des bombardiers face aux chasseurs. Les Japonais avaient appris à donner à leurs bombardiers une escorte de chasse, aidés en cela par l'autonomie importante de leurs nouveaux modèles de chasseurs.

L'aviation du Commonwealth

   Les britanniques disposaient en Malaisie et à Singapour d'unités de la Royal Air Force et de la Royal Australian Air Force. Les plans d'avant-guerre pour la défense de Singapour prévoyaient de donner un rôle de première importance à la troisième dimension afin de repousser de manière décisive toute tentative japonaise. La RAF escomptait parvenir à  détruire une part importante des forces ennemies en mer, avant qu'elles n'aient pu débarquer. Un effectif de 336 avions était alors considéré comme nécessaire à une telle stratégie. Plusieurs aéroports avaient été emménagés par la RAF dans le Nord de la Malaisie dans ce but.

   La guerre en Europe devait bientôt faire passer la défense des colonies du Sud-est asiatique à la fin de la liste des priorités. En 1941, La RAF devait non seulement protéger l'espace aérien britannique contre une reprise éventuelle des attaques de la Luftwaffe, mais participait aussi à d'âpres combats sur le théâtre méditerranéen. L'Angleterre envoyait de surcroît le plus de matériel possible à l'URSS depuis septembre 1941, et était occupée à transformer son Bomber Command en force suffisamment puissante pour mener des raids de grande ampleur contre les villes allemandes.  La menace présentée par l'aviation japonaise était aussi sous-estimée, comme le démontre cet extrait d'un rapport rédigé après la campagne par le Squadron Leader W.J Harper: "Avant la guerre, nous n'avions pas reçu d'informations utiles sur les appareils ennemis. Les seules que nous avions étaient des silhouettes de vieux biplans japonais, avec pour résultat que les deux squadrons {les squadrons 21 & 453  équipés de Brewster Buffalo, commandés par l'auteur du rapport} partirent au combat avec une impression très fausse de l'adversaire qu'ils allaient rencontrer."

   A l'aube de la guerre, le RAF Far East Command, chargé de la défense de Singapour, disposait de 4 squadrons de chasse et 7 de bombardement, comptant 60 chasseurs et 92 bombardiers. 88 appareils étaient gardés en réserve pour compenser des pertes éventuelles. A ce total venait s'ajouter plusieurs dizaines d'appareils légers dédiés aux liaisons et à l'entraînement. Une partie de ceux-ci était opérée par la Malayan Volunteer Air Force, composée de volontaires issus de la population blanche de la région. Enfin, un autre squadron alignait une poignée d'hydravions PBY Catalina.

   Le cheval de bataille de la chasse britannique en Malaisie était le Brewster 339. Les premiers exemplaires de cet appareil embarqué d'origine américaine étaient entrés en service dans l'U.S Navy en 1939.  Il connut un certain succès à l'exportation. La Finlande, les Pays-Bas et l'Angleterre en achetèrent plusieurs centaines d'exemplaires, rebaptisés Buffalo par les britanniques. L'Angleterre décida d'affecter ses Brewster 339 aux unités du Commonwealth présentes en Asie, car ce chasseur était considéré comme inférieur au Messerschmitt Bf 109 aligné par la Luftwaffe, mais comme capable d'affronter avec succès les appareils nippons.  La version alignée par la RAF et la RAAF en Asie du Sud-est  pouvait atteindre une vitesse maximale de 510 km / heure. Elle était armée de deux mitrailleuses de 12.7 mm et deux de 7.62 mm. Le Buffalo était plus robuste et piquait mieux que ses adversaires nippons, mais était surclassé dans tous les autres domaines. Sa disponibilité était faible à cause de défauts de fabrication causés par des déficiences du constructeur.

Une lignée de Bristol Blenheim I du 62 squadron de la RAF sur l'aéroport de Tengah à Singapour

   Trois modèles d'appareils équipaient les squadrons de bombardement. Le Vickers Vildebeest III était un bombardier-torpilleur monomoteur biplan désuet, dont l'entrée en service remontait au début des années 30. Les squadrons 27, 34, 60 & 62 de la RAF étaient tous équipés de Bristol Blenheim I et IV, un bimoteur capable d'atteindre une vitesse supérieure à 400 km/heure. Enfin, le Lockheed Hudson était en dotation dans les squadrons 1 et 8 de la RAAF. Il pouvait emporter une charge de 340 kg de bombes.

   L'encadrement des unités de la RAF et de la RAAF était en majeure partie expérimenté, mais la plupart des pilotes étaient frais émoulus des écoles de pilotage. Ce manque d'entraînement fût la cause de nombreux accidents avant le début des hostilités. Cette force aérienne opérait à partir d'aéroports qui n'étaient pas exempts de défauts. La plupart avaient une superficie limitée, qui ne permettait pas de disperser les avions au sol, rendant ceux-ci vulnérables à des attaques aériennes. Le nombre de pièces de DCA était limité. L'aéroport de Butterworth ne pouvait compter que sur deux mitrailleuses légères pour sa défense. Plus grave encore, la RAF, convaincue, de pourvoir repousser une invasion à elle seule, avait choisi l'emplacement de ses bases unilatéralement, sans coordination avec les forces terrestre. Enfin, il convient de rappeler les pluies fréquentes en Malaisie, qui rendaient nécessaire un entretien constant des pistes en terre battue (Sur les vingt-deux terrains de la péninsule, seul sept étaient équipés de pistes bétonnées). Bien sur, le facteur climatique affectait également les Japonais.

   Le rapport de force était en faveur des Japonais. La 22ième flottille aérienne et le 3ième hikoshidan alignaient  près de trois fois plus d'appareils de combat que le RAF Far East Command, si l'on ne tient pas compte des avions gardés en réserve pas ce dernier. Cet avantage quantitatif s'accompagnait d'un avantage qualitatif, le corps des pilotes japonais était dans l'ensemble plus aguerri, et le matériel adapté aux tactiques utilisées.

L'invasion – du 4 au 8 décembre 1941

   Le 4 décembre 1941, dix-huit navires de transport quittèrent l'île de Hainan et mirent le cap sur le Golfe du Siam.  Les jours suivants, neuf autres vaisseaux en provenance de Saigon rejoignirent le gros de la flotte au Sud du Cap Cambodge. Les 1er, 11ième, 59ième, 64ième et 77ième sentai de chasse de l'armée furent chargés d'assurer la couverture aérienne du convoi. Les Japonais bénéficiaient d'un temps couvert qui masquait leurs mouvements. De fortes pluies et des tempêtes intermittentes contraignirent les britanniques à fermer l'aéroport de Kota Bahru les 4 et 5 décembre.

   Le 6 décembre, trois Lockheed Hudson australiens en provenance de Kota Bahru détectèrent enfin le convoi japonais. L'état-major britannique, ignorant la destination de celui-ci, se contenta de placer ses unités en alerte maximale. D'autres avions furent envoyés en reconnaissance, mais ne parvinrent pas à retrouver les navires japonais. Au début de la journée du 7 décembre, des chasseurs du 1er sentai abattirent un hydravion Catalina survolant les navires nippons avant qu'il ne parvienne à contacter sa base. Peu après, le convoi se divisa en plusieurs groupes qui mirent le cap sur Kota Bahru en Malaisie, Songkhla, Pattani et Nakhon Si Tammarat en Thaïlande. A la fin de la journée, un Hudson repéra un de ces groupes, composé de trois transports et plusieurs navires de guerre,  à environ 110 miles de Kota Bahru. La DCA  tenta en vain de l'abattre. Ignorant toujours la destination des transports, les Anglais ne réagirent pas.

   Les premières troupes japonaises débarquèrent à Kota Bahru dans la nuit du 7 au 8 décembre, et furent aussitôt confrontées à la résistance très violente de la garnison locale. Une dizaine de Hudson du I RAAF squadron décollèrent de l'aéroport de Kota Bahru pour attaquer les navires japonais, faisant des aller et retour entre leur objectif et leur base pour se ravitailler une fois leurs munitions épuisées. Ils parvinrent à toucher les trois vaisseaux de transport japonais à plusieurs reprises. Les tirs de la DCA détruisirent un des bombardiers, et endommagèrent la plupart des autres. Les vaisseaux nippons quittèrent les lieux en début de matinée, abandonnant derrière eux le transport Awigasan Maru, réduit à l'état d'épave en flammes. Sept Vickers Vildebeest tentèrent de torpiller les navires en retraite, mais, gênés par la DCA ennemie et le temps très médiocre, ne parvinrent pas à toucher leurs cibles. Les derniers Hudson disponibles de Kota Bahru continuèrent à mitrailler les chaloupes et les troupes japonaises au sol, avant que l'un d'eux ne soit endommagé par un chasseur japonais. Durant toute la journée du 8 décembre, les Britanniques continuèrent à  engager leurs moyens disponibles contre la tête de pont japonaise à Kota Bahru. Les bombardiers anglais et australiens parvinrent à achever l’Awigasan Maru déjà moribond, et mitraillèrent les nombreuses petites embarcations nippones toujours présentes sur place. Les Alliés lancèrent deux missions de reconnaissance au-dessus de Songkhla, observant impuissants le gros des troupes nippones débarquer. L'aviation de l'armée japonaise se consacra à la destruction des forces aériennes ennemies dans le Nord de la Malaisie. Les terrains de Kotha Bahru, Gong Kedah, Machang, Sungei Patani, Alor Star et Butterworth subirent de nombreux bombardements, complétés par  des attaques en rase-mottes menées par des chasseurs cherchant à surprendre les avions anglais en train de décoller ou d'atterrir. A la fin de la journée, les Britanniques durent évacuer leurs bases de Kota Bahru, Gong Kedah et Machang, laissant derrière eux des avions endommagés qu'ils durent détruire faute de temps pour les réparer, et d'importants stocks de carburant et de munitions. Enfin, les premiers appareils nippons se posèrent le même jour sur les aéroports thaïlandais de Songkhla, leur permettant de raccourcir la distance les séparant de leurs objectifs.

   Les pertes anglaises de la journée se montèrent à neuf bombardiers et deux chasseurs, abattus ou détruits au sol. De nombreux autres avions furent endommagés à des degrés divers. Les Japonais subirent des pertes équivalentes, majoritairement causées par des accidents dus au temps exécrable et aux distances séparant  leurs bases indochinoises et leurs cibles.

   Ce premier jour de combats fut une catastrophe pour les Anglo-Saxons. Ils ne parvinrent pas à affaiblir les convois japonais comme le prévoyaient les plans d'avant-guerre. La prise rapide des aéroports thaïlandais permit dans les jours suivants aux Japonais de commencer à baser une partie de leur aviation bien plus près de ses objectifs. Enfin, les attaques incessantes contre les bases anglaises compromirent  gravement leur capacité à coordonner leurs attaques à un moment décisif.

La perte de la Malaisie

   La destruction des convois japonais ayant échoué, les plans d'avant-guerre avaient fait long feu. La bataille terrestre allait dicter son rythme à  la bataille aérienne dans les cieux de Malaisie. L’assaut massif des Japonais contre ses aérodromes empêcha l’aviation du Commonwealth de soutenir ses forces terrestres. Les bombardiers alliés parvinrent malgré tout à lancer  des attaques sporadiques contre les terrains et les nœuds de communications ennemis. Mais les pertes, dues aux combats ou à des accidents, étaient lourdes.   Le 9 décembre, six Blenheim attaquèrent, sans escorte, le terrain thaïlandais de Songkhla, où l'aviation japonaise était en train de s'installer. Leurs bombes détruisirent plusieurs appareils ennemis, mais ils furent interceptés au-dessus de l’objectif par des  Nakajima Ki-27 du 1er sentai, qui abattirent la moitié des bimoteurs anglais.

   Le 21 décembre, sur demande de leurs alliés britanniques, quatre chasseurs Hawk de la Koninklijk Nederlands Indisch Leger, armés de bombes légères, décollèrent de leur terrain de Sumatra pour attaquer le nœud ferroviaire de Hat Yai. Le raid perturba le trafic ferroviaire sur cette ligne plusieurs jours, mais deux des Hawk entrèrent en collision, tuant leurs pilotes, et un autre fut abattu par la DCA anglaise, qui le prit pour un japonais. Un seul des chasseurs hollandais regagna sa base. La chasse britannique tenta  de contester la  soudaine domination aérienne japonaise dans la péninsule. Ainsi, le 13 décembre 1941, trois chasseurs du   453 squadron interceptèrent une formation de bombardiers nippons au-dessus de Penang. Ils revendiquèrent la destruction de cinq bombardiers ennemis, dont deux bimoteurs et trois monomoteurs. Le 22 décembre,  la totalité du même squadron, soit douze Buffalo, affronta une vingtaine de Ki-43 du 64ième  sentai durant trente minutes. Les pilotes britanniques revendiquèrent la destruction certaine de trois appareils ennemis, au prix de quatre des leurs qui ne regagnèrent pas leur base. Presque tous les autres Buffalo furent endommagés, tant et si bien que l'unité ne comptait plus que trois appareils opérationnels en fin de journée.

   Plus encore que les pertes encourues durant les combats aériens, ce furent les attaques ininterrompues contre ses bases qui épuisèrent les ressources de  la RAF.  Les Britanniques ne disposaient pas d’une couverture radar ou d'un réseau d’observateurs au sol assez bien organisés pour donner l’alerte avec un préavis suffisant en cas d'attaque. Les chasseurs devaient décoller le plus souvent en catastrophe pour affronter les formations ennemies. Après un premier passage, les bombardiers japonais attendaient fréquemment que les chasseurs britanniques engagés par leur escorte doivent regagner leur base, avant de faire un deuxième passage et les surprendre au sol avant qu'ils n'aient pu être ravitaillés en carburant et munition.

   Au 19 décembre 1941, Kuantan, Butterworth, Sungei Patanai et Taiping avaient été abandonnés dans la hâte. Le 25 décembre, le RAF Far East Command ordonna le repli sur les aéroports de Singapour de la plupart des unités encore présentes dans la péninsule.

Singapour
   Singapour fut plongée dans la guerre au petit matin du 8 décembre 1941, lorsque 17 G3M du Mihoro Kokutai de la marine bombardèrent la ville et firent de nombreuses victimes civiles, mais sans causer de dégâts importants aux installations militaires. L'île fut ensuite laissée dans une relative tranquillité par les aviateurs japonais, qui se consacrèrent au soutien de l'invasion du Nord de la Malaisie.

   Plusieurs combats opposèrent néanmoins des avions ennemis en mission de patrouille de reconnaissance maritime, comme le 18 décembre 1941, où un hydravion Catalina anglais endommagea gravement un Mitsubishi G3M2 du Mihoro Kokutai. Des avions de reconnaissance nippons survolaient l’île régulièrement et en toute impunité, jusqu’au 10 janvier, où deux Buffalo du 243ième squadron, alertés et guidés suffisamment tôt  par le contrôle radar, parvinrent à abattre un des rapides Mitsubishi Ki-46 de l’armée impériale. Cette période de calme relatif s'acheva le 29 décembre 1941, qui marqua le début d'une première vague d'une semaine de bombardements nocturnes sur la ville et les aéroports environnants. Les Anglais ripostèrent à plusieurs reprises en attaquant les bases ennemies, comme dans la nuit du 1er au 2 janvier où trois Blenheim du 62ième squadron détruisirent deux Nakajima Ki-21 au sol.

   Le premier janvier 1942, après le regroupement de la plupart de ses unités sur les bases aériennes de l'île, le Far East Command de la RAF alignait 47 Buffalo, 23 Blenheim, 21 Hudson et 53 autres avions de types divers, soutenus par 6 Brewster 339 et 17 bombardiers détachés par la Koninklijk Nederlands Indisch Leger. C'est avec ces 167 appareils que les Britanniques durent faire face à la recrudescence des attaques sur Singapour. A la mi-janvier, l'aviation japonaise  se rapprocha encore de Singapour avec l'occupation de plusieurs aéroports dans le centre de la Malaisie, dont les Anglais n'avaient pas eu le temps de détruire les stocks de carburant  Cette proximité et ce ravitaillement inespéré permirent aux Japonais d'intensifier de leurs attaques contre Singapour.

   Le 12 janvier en début de matinée, deux sentai au complet, alignant 72 Nakajima Ki-27, menèrent une mission de chasse libre dans les cieux de Singapour. 30 bombardiers escortés par 42 Nakajima Ki-43 apparurent peu après. Les Brewster Buffalo britanniques firent 54 sorties pour s'opposer à cet assaut massif, et perdirent un total de neuf chasseurs, dont six abattus en combat aérien et trois détruits dans des accidents. Le nombre d'avions perdu par les Japonais resta inconnu. Le sergent Fisken, pilote du 243ième squadron, laissa ce témoignage sur la supériorité des chasseurs de l'adversaire : "Il y avait une immense différence entre le "Zero" et le Buffalo – Le "Zero" était plus rapide, grimpait mieux, et était plus manœuvrable que le Buffalo, mais il ne pouvait pas le suivre en piqué. Affronter un "Zero" sur un pieds d'égalité ou avec un léger désavantage revenait littéralement à se suicider". Du 29 décembre 1941 au 22 janvier 1942, les bombardiers de la 22ième flottille aérienne, en partie basée sur l'île de Bornéo, firent 385 sorties et larguèrent 217 tonnes de bombes sur Singapour, ses appareils de reconnaissance en firent 24, et ses chasseurs, 90. Les pertes se montèrent à cinq A6M2, deux bombardiers, et un C5M de reconnaissance abattus. Entre le 12 et le 20 janvier 1942, les aviateurs de la marine et de l'armée  lancèrent 13 raids majeurs sur Singapour.

Epave de Hurricane IIB sur un terrain de Singapour
   Les bombardiers lourds japonais volaient à près de 7000 mètres d'altitude. La précision des bombardements en souffrait, mais la plupart des canons anti-aériens britanniques ne pouvaient pas les atteindre à cette altitude. Les bimoteurs japonais étaient invariablement escortés par des chasseurs, ce qui rendait la tâche des intercepteurs britanniques d'autant plus difficile.  La violence des combats était telle que le 27 janvier, le nombre de Buffalo disponibles ne permettait plus que d’aligner un seul squadron en sous-effectif, contre quatre au début de la campagne. Des renforts parvinrent enfin au RAF Far East command le 13 janvier sous la forme de 51 chasseurs Hurricane IIB démontés, accompagnés de 24 pilotes, la plupart inexpérimentés. Les premiers chasseurs furent assemblés en 48 heures, et déclarés opérationnels le 17 janvier. Ils furent engagés au combat pour la première fois le 20 janvier, perdirent trois des leurs, mais revendiquèrent la destruction de dix chasseurs ennemis. Mais ces renforts restèrent insuffisants pour contester la domination ennemie. Sur ces 51 Hurricane, 17 avaient été détruits et 9 étaient en réparation à la fin du même mois.

   Les bombardiers britanniques ne restèrent pas inactifs durant cette période. Plusieurs attaques furent lancées contre les différentes positions japonaises dans la péninsule, avec des fortunes diverses. Le 16 janvier, deux vagues de bombardiers et leurs escortes de chasseurs infligèrent d'importants dégâts à une grosse concentration de véhicules japonais, sans subir de pertes.  Une série de raids fut lancée contre des navires japonais occupés à débarquer des troupes à Endau le 26 janvier. A la fin de la journée, la RAF avait perdu 14 bombardiers, pour la plupart de vieux Vildebeest, et un Hurricane. Les Japonais perdirent plusieurs chasseurs mais un seul navire de transport fut endommagé. Les efforts fournis ne purent inverser la situation désastreuse où se trouvaient les unités terrestres du Commonwealth. Le 27 janvier 1942, celles-ci reçurent l'ordre d'abandonner la Malaisie et de se replier sur Singapour.  Les premières troupes japonaises arrivèrent sur les rives du détroit de Johore le 31 janvier et le siège de Singapour débuta.

   A cette date, le RAF Far East Command avait déjà commencé à évacuer ses unités de bombardiers vers les Indes néerlandaises. Certains  terrains d'aviation de Singapour furent bientôt rendus inutilisables par les tirs de l'artillerie japonaise. Les canons nippons causèrent l'évacuation des squadrons encore sur l'île, à l'exception d'une quinzaine de chasseurs et de quelques avions de liaison et d'observation, renforcés ponctuellement par des Hurricane basés à Sumatra. Dans la nuit du 8 au 9 février, les troupes japonaises traversèrent le détroit de Johore et assaillirent l’île.  Les derniers Hurricane présents attaquèrent désespérément les essaims d'avions japonais occupés à soutenir leurs troupes, et parvinrent à en abattre plusieurs, mais reçurent l’ordre d’évacuer le 10. La garnison de Singapour capitula le 15 février 1942.

Une contribution vitale, mais coûteuse

   L'aviation contribua de manière importante au triomphe japonais. Leurs aviateurs conservèrent l'ascendant pris dans les premiers jours de la guerre jusqu'à la fin de la campagne. En coulant le Prince of Wales et le Repulse, ils supprimèrent toute menace navale sur leurs convois.  La maîtrise de la troisième dimension leur permit de pouvoir débarquer des troupes sur les arrières de l'ennemi presque sans interférences, ce qui fut un élément important dans la défaite alliée en Malaisie. Enfin, même si ils étaient loin d'avoir la maîtrise de la Luftwaffe en matière de coordination entre aviations et troupes au sol, ils contribuèrent, par leurs attaques répétées, à la désorganisation des forces terrestres ennemies.

   Les 22ième flottille aérienne et 3ième Hikoshidan mettaient en ligne près de trois fois plus d'appareils que leur adversaire. Cette écrasante supériorité numérique garantit à elle seule  l'ascendant qu'ils prirent sur les Anglais dans les premiers jours.  Faute de temps, les Britannique  ne détruisirent pas systématiquement les aéroports qu'ils durent abandonner. Leur adversaire pût  ainsi maintenir le rythme de ses opérations sans devoir  consacrer un temps précieux à les remettre en service avant de les utiliser.  Ils mirent aussi la main sur d'importants stocks de carburants et de munitions laissés intacts. L'importance de ces bases est soulignée par ce témoignage du colonel Tsuji, officier d'état-major en charge des opérations de la 25ième armée : "Les équipements de nos bases aériennes construites hâtivement dans le Sud de l'Indochine ne pouvaient pas être comparés à ces nouveaux terrains. La possession d'une force aérienne deux fois plus nombreuse fut une raison de notre supériorité sur le théâtre des opérations malais, mais le facteur décisif fut notre capacité à utiliser immédiatement à notre avantage les "aéroports de Churchill" capturés" Sur terre comme dans les cieux, les forces japonaises parvinrent à éviter ce qu'elles craignaient le plus : une guerre d'usure.

   Même si la campagne fut un succès pour l'aviation japonaise, ses pertes ne furent pas négligeables. Le 3ième Hikoshidan perdit, selon ses propres archives, 331 appareils, toutes causes confondues, entre le début des opérations et la capitulation de Singapour. En ce qui concerne les avions de chasse, au 31 janvier,  23 Nakajima Ki-43 et 32 Nakajima Ki-27 avaient été abattus ou détruits au sol dans des bombardements. Les sacrifices consentis par la chasse britanniques furent encore plus lourds, avec la perte de 122 Buffalo et 45 Hurricane.


Bibliographie:

Christopher Shores et Brian Cull, Bloody Shambles vol.1, Grub Street, 1992

Brian P. Farrell, The defence and Fall of Singapore 1940-1942, Tempus, 2006

Michel Ledet, Batailles aériennes numéro 40, Lela Presse, 2007

War Department, Military Intelligence Division, Information Bulletin no. 6, Notes on Japanese Warfare on the Malayan Front, 1942

Col. Masanobu Tsuji, Japan's greatest victory Britain's worst defeat: The Capture of Singapore 1942, Spellmount, 2007

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