Pages

samedi 3 septembre 2011

La fin de la force Z

 
 
Le matin du 10 décembre 1941, le HMS Prince of Wales, un des fleurons de la Royal Navy, et le HMS Repulse, un vétéran de la 1ère guerre mondiale, furent coulés par l’aviation japonaise. Il s’agissait de la première fois dans l’histoire où des cuirassés étaient envoyés par le fonds en pleine mer par des avions.

Adrien Fontanellaz, 2009


Le HMS Repulse en manœuvre durant les années 20.

La genèse de la force Z
 
   En juillet 1941, l’amiral Decoux, gouverneur général de l’Indochine française, fut contraint d’accorder aux japonais l’usage de facilités aéroportuaires dans la région de Saigon.  Singapour et la péninsule malaise sont dès lors à portée des bombardiers nippons. Les gouvernements américains, britanniques et néerlandais réagirent à cette nouvelle avancée japonaise en décrétant un embargo sur le commerce avec l’empire du Soleil Levant.
 
   Le gouvernement anglais était conscient que ces mesures de rétorsion rendaient une réaction japonaise probable. Afin de dissuader le Japon de s’engager dans une aventure militaire, le premier ministre Churchill et l’amirauté britannique décidèrent d’envoyer une escadre de navires de premier rang à Singapour. Les plans initiaux de l’amirauté prévoyaient l’envoi d’une « Flotte de l’est » forte de sept vieux cuirassés, puissants mais relativement lents, un porte-avion, dix croiseurs et vingt-quatre destroyers.  Cette Armada, venant s’ajouter à la flotte du Pacifique américaine, aurait représenté un formidable opposant pour la marine de guerre japonaise.
 
   Malheureusement, la plupart des cuirassés désignés, durement sollicités par les opérations menées sans répit depuis l’éclatement de la guerre en Europe, avaient grand besoin d’entretien et de réparations. Quant aux destroyers, ils étaient indispensables à la poursuite des combats en Méditerranée  et à l’escorte des convois qui ravitaillaient l’Angleterre. A l’initiative de Churchill, un nouveau plan prévoyant d’envoyer une petite flotte constituée de navires modernes fut mis à l’étude. Le premier ministre estimait une invasion japonaise des colonies britanniques peu probable. Il craignait par contre que des « raiders » nippons ne s’attaquent au commerce allié dans l’océan Indien,  à l’image de ce que les allemands avaient tenté avec le Graf Spee ou le Bismarck dans l'Océan Atlantique. Une petite flotte d’unités modernes et rapides était plus adaptée pour traquer et détruire des « raiders » en cas de guerre. Même en restant dans leur base, ces navires obligeraient  les Japonais à immobiliser des forces bien supérieures pour les garder sous surveillance, comme les britanniques se voyaient contraints de mobiliser trois cuirassés pour faire face à la menace que faisait planer le Tirpitz tapis dans sa tanière norvégienne et susceptible de faire une sortie à tout moment.
 
   Le 20 octobre 1941, lors d’une conférence entre le Premier Ministre et l’amirauté, il fut décidé d’envoyer le HMS Prince of Wales et le HMS Indomitable rejoindre le HMS Repulse à Cape Town. Ce dernier était déjà dans l’océan Indien depuis août 1941,  en tant que premier élément de la flotte de l’est. Le Repulse était un croiseur de bataille lancé en 1916, dont le blindage léger  permettait une vitesse plus élevée que celles des cuirassés construits durant les deux premières décennies du 20ième  siècle. Son artillerie principale était composée de six canons de 381mm disposés en trois tourelles doubles. Neuf canons de 102mm armaient les batteries secondaires. La DCA, limitée pour un navire de cette taille, était forte de 8 canons de 102mm opérés manuellement et de deux batteries octuples de 40mm. Son déplacement était de 32’000 tonnes à vide, et sa vitesse maximale de 32 nœuds (environ 60 km/heure). Il connut son baptême de feu le 17 novembre 1917, lors d’un engagement contre la Hochseeflotte au large des côtes allemandes, où il toucha le croiseur Königsberg. Dès le début des hostilités en Europe, le Repulse participa à plusieurs groupes de chasse traquant les « raiders » allemands, et à l’escorte de convois, mais sans jamais se retrouver sous le feu ennemi. En 1941, le navire et son équipage de 1309 officiers et marins étaient commandés par le  capitaine W.G Tennant, alors âgé de 53 ans, et considéré comme un des meilleurs navigateurs de la Royal Navy.
 
   Le tonnage du Prince of Wales atteignait 35’000 tonnes à vide, et il était capable d’une vitesse maximale de 28 nœuds (environ 50 km/heure). Son équipage comprenait 110 officiers et 1502 sous-officiers et marins. Il entra en service le 19 janvier 1941. Ce vaisseau participa en compagnie du Hood au fameux combat du 24 mai 1941 contre le Bismarck et le Prinz Eugen. Sa conserve coulée, le Prince of Wales dû rompre le combat, après avoir été touché par sept obus allemands qui tuèrent treize hommes de son équipage, mais non sans avoir atteint le Bismarck à plusieurs reprises, crevant une de ses  soutes de carburant. Commandé par le capitaine John C. Leach, il était armé de 10 canons de 356mm disposés en deux tourelles quadruples et une tourelle double, huit batteries doubles de 133mm utilisables autant contre des navires que contre des avions, 6 batteries octuples de 40mm, et un canon anti-aérien Bofors de 40mm. Son puissant armement anti-aérien permit au Prince of Wales d’abattre deux avions italiens alors qu’il participait à l’escorte d’un convoi pour Malte.
 
   Enfin, l’Indomitable, lancé le 26 mars 1940,  était un porte-avions de 23’000 tonnes, dont le groupe embarqué comprenait 45 avions, chasseurs et bombardiers-torpilleurs. Il subit de graves dommages en s’échouant  sur un récif au large du port de Kingston, en Jamaïque, et de ce fait ne put rejoindre Le Cap à temps. L’homme choisi pour commander cette flotte, provisoirement baptisée force G, était le contre-amiral Sir Tom Spencer Vaughan Phillips, alors adjoint à l’état-major de la Marine. Le contre-amiral, réputé pour son intelligence et sa détermination, était peu populaire à cause du strict contrôle qu'il imposait à ses subordonnés. Après un long voyage interrompu seulement par une escale à Cape Town, le Prince of Wales et le Repulse mouillèrent enfin en rade de Singapour le 2 décembre 1941 dans l’après-midi.


Le contre-amiral Sir Tom Spencer Vaughan Phillips
 
Les préparatifs  japonais
 
    La protection rapprochée des convois acheminant la 25ième armée japonaise à travers le Golfe du Siam devait être assurée par une escorte relativement légère. Celle-ci, placée sous le commandement du vice-amiral Ozawa, comprenait des croiseurs et des destroyers. Une autre force, plus puissante, était chargée de prêter main forte en cas de besoin à l'ensemble des flottes d’invasion  faisant route vers la Thaïlande, la Malaisie, et les Philippines. Cette force, sous les ordres du vice-amiral Nobutake Kondo était centrée autour des cuirassés Kongo et Haruna, lancés avant 1914 et considérés par les japonais comme inférieurs au Repulse et surtout au Prince of Wales. Pour renforcer la couverture des navires transitant par le Golfe du Siam, la Marine avait basé la 22ième  flottille aérienne dans le Sud de l’Indochine. Commandée par le contre-amiral Sadaichi Matsunaga, elle comprenait le Genzen Kokutai et le Mihoro Kokutai (forts de 36 bimoteurs bombardiers-torpilleurs Mitsubishi G3M chacun) opérant depuis l’aéroport de Tu Duam au Nord de Saigon.  Un autre aérodrome, Soc Trang, accueillait trente-six chasseurs et six appareils de reconnaissance.

Bombardiers à long rayon d'action G3M de la marine impériale japonaise. Entrés en service en 1935, ils étaient capables d'emporter 800 kg de charges offensives et d'atteindre une vitesse maximale de 373 km/h.

   L’état-major japonais réagit à l’annonce de l’arrivée de la force Z à Singapour en renforçant la 22ième  flottille aérienne avec un détachement de vingt-sept bombardiers-torpilleurs G4M du Kanoya Kokutai, basé à Formose. Le Kanoya Kokutai était l’unité considérée comme la mieux entraînée au torpillage parmi les formations de bombardiers terrestre de la marine impériale.
 
   Afin de gêner une éventuelle sortie des vaisseaux britanniques, deux mouilleurs de mines créèrent un champ de mines entre les îles Tioman et Anamba dans la nuit du six au sept décembre, quarante-huit heures avant le déclenchement des hostilités. Enfin, une dizaine de sous-marins furent envoyer patrouiller au Nord de ce champs de mines, afin d’intercepter les navires ennemis en cas de besoin. Les deux cuirassés et la 22ième  flottille aérienne devaient anéantir la force Z si elle franchissait le barrage des mines et des sous-marins. Entre le 4 et le 7 décembre 1941, vingt-huit navires de transports japonais appareillèrent de leurs ports de Hainan et d’Indochine, avant de doubler le cap Cambodge et de s’enfoncer dans le Golfe du Siam.

La force Z entre en guerre
 
   Le 5 décembre 1941, le Repulse, accompagné des destroyers Vampire et Tenedos, appareilla à destination de l’Australie. Le jour d’après, un avion australien basé en Malaisie signalait la présence  en mer d’un important convoi japonais, faisant cap au Sud. L’amiral Phillips, alors en conférence avec son homologue américain au Philippines, ordonna au Repulse de faire demi-tour, avant de regagner Singapour où il arriva le 7 décembre, en même temps que son navire. Le convoi nippon fut perdu par les avions alliés à cause du mauvais temps.
 
   Peu après minuit, dans la nuit du 7 au 8 décembre, des troupes japonaises débarquaient à Kota Bharu. La même nuit, vers quatre heures du matin, des avions de la 22ième  flottille aérienne bombardaient Singapour. A midi, il était clair pour les Anglais que l’ennemi avait débarqué dans le Nord de la Malaisie et à plusieurs endroits en Thaïlande, et que les unités présentes sur place étaient engagées dans de violents combats. Ils avaient aussi, grâce à plusieurs vols menés par leurs appareils de reconnaissance, une idée relativement précise de l’ordre de bataille de la marine japonaise dans la région, y compris la présence de bombardiers japonais près de Saigon et celle du champ de mines mouillé quelques jours auparavant. A 12h30, l’amiral Phillips convoqua ses subordonnés et leur annonça qu’il avait l’intention de faire appareiller dans la soirée le Prince of Wales et le Repulse, accompagnés des destroyers Express, Electra, Tenedos et Vampire, de mettre cap au Nord, et d’attaquer dans la matinée du 10 décembre les navires japonais débarquant leurs troupes le long des côtes. Les navires anglais devraient garder le silence radio pour éviter tout repérage par l’ennemi. La Royal Air Force avait fait savoir qu'elle ne pouvait pas garantir un soutien aérien continu, à cause des pertes alarmantes qu’elle subissait face aux puissants coups portés par l’aviation ennemie dans le Nord de la Malaisie. Enfin, la force G fut rebaptisée force Z avant de  lever l'encre le 8 décembre à 17h10.

Le dernier voyage
 
   La première nuit en mer se déroula sans incidents. Dès l'aube du 9 décembre, un ciel nuageux et pluvieux permit aux vaisseaux britanniques de progresser sans être observés, bien qu'une vigie du destroyer Electra ait brièvement aperçu un avion. Néanmoins, à 14h05, le I-65, un des sous-marins japonais stationnés au nord du champ de mines mouillé deux jours auparavant, repéra les navires de l'amiral Phillips. Il parvint à les  suivre sans être détecté jusqu'à 17h22, puis perdit le  contact  à cause de violentes bourrasques de pluie. Alerté par le I-65, le vice-amiral Ozawa ordonna aux sept croiseurs et cinq destroyers présents dans la zone de chercher et d'engager les anglais au plus vite, afin de protéger à tout prix les vaisseaux de transports retournant vers leurs bases, le débarquement des troupes qu'ils convoyaient étant terminé.  Les cuirassées Kongo et Aruna, reçurent l'ordre de rallier les unités du vice-amiral Ozawa au plus vite, mais, étant plus éloignés, ne pouvaient arriver sur les lieux avant le début du jour suivant. Dans le même temps, 53 avions de la 22ième flottille aérienne décollèrent de leurs bases indochinoises et partirent à la recherche des vaisseaux anglais. Le ciel se dégagea vers 18h00, et peu après, trois hydravions japonais apparurent et orbitèrent autour de la force Z. Une demi-heure plus tard, au crépuscule, le Tenedos, à court de mazout, quitta la formation et mit le cap sur Singapour. A 19h00, une vigie de l'Electra reporta un signal lumineux à environ 5 miles à l'avant. L'amiral Phillips ordonna aussitôt à ses unités de virer afin de passer le plus loin possible du signal. Celui-ci était une fusée éclairante lâchée par un hydravion japonais au-dessus du Chokai, le navire-amiral d'Ozawa. Le pilote avait pensé qu'il s'agissait de l'un des vaisseaux anglais. A la suite de cet incident, et par peur que dans l'obscurité ses avions ne commettent une erreur fratricide, le contre-amiral Matsunaga ordonna à ceux-ci de rejoindre leurs bases.
 
   L'amiral Phillips avait maintenant la certitude que les Japonais étaient alertés et qu'ils ne manqueraient pas d'éloigner leurs navires de transport des plages.  Il savait aussi qu'il ne pouvait pas compter sur une couverture de chasse près des points de débarquements ennemis, car les aérodromes britanniques du Nord étaient constamment bombardés. Son plan d'attaque irrémédiablement compromis, il ordonna à la force Z de mettre le cap sur Singapour le 9 décembre à 20h00. Peu avant minuit, il reçut un message signalant un nouveau débarquement ennemi en cours à Kuantan, un petit port à mi-chemin entre la frontière thaïlandaise et Singapour. Sachant que  les japonais ignoraient son changement de cap précédant, Phillips décida de faire route à toute vapeur vers Kuantan, afin d'y surprendre l'ennemi à l'aube, à un lieu plus éloigné des aéroports ennemis.  Pour ne pas trahir sa position en lançant un appel radio, la force Z ne prévint personne de son nouveau plan, et se priva ainsi de l'appui de l'aviation britannique. Au même moment, le sous-marin japonais I-58, dirigé par le commandant Kitamura, repéra les navires anglais et lança une salve de cinq torpilles qui manquèrent leurs cibles. Le submersible suivit alors la force adverse en signalant sa position, mais finit par perdre le contact à 05h25, sans avoir été repéré par cette dernière. L'aube se leva à 05h00, alors que la force Z était encore à 67 miles de Kuantan. Les vigies du Repulse aperçurent un avion non-identifié qui suivit la flotte entre 6h30 et 7h00. Vingt minutes plus tard, le Prince of Wales catapulta un de ses hydravions avec l'ordre de reconnaître Kuantan, puis de rallier Singapour. Peu après, l’appareil reporta à son bateau-mère qu'aucun navire n'était visible, puis quitta la zone.
 
   Pendant ce temps, le contre-amiral Matsunaga faisait prendre l'air à ses 94 bombardiers disponibles. Faisant office d'appareils de reconnaissance, 9 G3M2, désarmés afin d'augmenter leur autonomie, décollèrent en premier, à 5h00.  Puis, 26 appareils du Genzen Kokutai, dont 17 étaient équipés de torpilles et 9 de bombes s'envolèrent à leur tour à 6h25.  Les 26 G4M1, plus modernes et tous équipés de torpilles, du Kanoya Kokutai décollèrent à 6h44. Enfin, 33 bombardiers du Mihoro kokutai, 8 porteurs de bombes et 25 de torpilles quittèrent Tu Duam entre 6h50 et 8h00. En ce matin du 10 décembre, la visibilité était excellente grâce à un ciel dégagé. Les avions d'attaque se répartirent en groupes de 8 ou 9, et mirent cap au Sud  à vitesse économique,  attendant que les appareils de reconnaissance signalent la position de leur cible. La force Z arriva en vue de la côte, vide de toute présence ennemie,  à 8h00.  Malgré la reconnaissance déjà effectuée par son hydravion, l'amiral Phillips ordonna à l'Express d'inspecter le petit port de Kuantan. Le destroyer revint une heure après, confirmant le rapport de l'appareil. Les vaisseaux quittèrent les lieux et mirent cap au Nord, afin de vérifier l'identité d'un bateau remorquant trois barges aperçu lors de leur arrivée à Kuantan.
 
   Le message signalant le débarquement japonais était issu d'une fausse alerte répandue après que des soldats de la garnison locale aient ouvert le feu dans la soirée du 9 décembre sur ce qu'ils pensaient être des embarcations nippones. Il est possible que cette fausse alerte ait été le résultat d'une diversion délibérée des japonais destinée à semer le trouble dans l'état-major allié. A 10h05, le Tenedos signalait  être attaqué par des avions à 155 miles au sud-est. Il s'agissait de 9 appareils du Genzen Kokutai qui ne parvinrent pas à le toucher. Dix minutes plus tard, un avion de reconnaissance découvrit la force Z, et signala sa position.
 
La fin
 
   Les différentes formations de l'aviation navale japonaise, à court de carburant et très dispersées, attaquèrent les navires anglais au fur et à mesure de leur arrivée. Elles ne purent donc pas lancer un seul assaut massif et coordonné entre bombardiers et torpilleurs comme le voulait la doctrine de la marine impériale japonaise. La première attaque fut menée à 11h00 par 8 bombardiers du Mihoro Kokutai.  Le commandant de l'escadron, le lieutenant Yoshimi Shirai, choisit de concentrer son attaque en vol horizontal sur le Repulse.

Parcours approximatif de la force Z

   Les batteries doubles de 133mm du Prince of Wales ouvrirent le feu les premières, suivies par les pièces de 102mm plus anciennes du Repulse, mais sans effets visibles.  Les avions lâchèrent 8 bombes sur le croiseur de bataille, dont une seule toucha le navire. Elle atteignit son hangar à hydravion sans causer de dommages graves, mais une rupture de canalisation de vapeur causée par l'explosion fit un tué et plusieurs blessés parmi l'équipage. La DCA britannique parvint à endommager deux des avions ennemis qui regagnèrent aussitôt leur base. A 11h38, 16 G3M2 du Genzen Kokutai, formant deux escadrons, tous équipés de torpilles, arrivaient à leur tour sur les lieux. Les deux formations se séparèrent et descendirent à une altitude de 30 mètres au-dessus des flots, chacune prenant pour cible un des navires de lignes britanniques.
 
    Les huit avions de l'escadron du lieutenant Ishihara attaquèrent le Prince of Wales en premier. Ils lâchèrent leurs torpilles entre 1500 et 600 mètres de leur cible, malgré la furieuse DCA, puis survolèrent le bâtiment avant de s'éloigner, l'un d'eux perdant de l'altitude avant de percuter la mer. Malgré une violente manœuvre d'évitement, le Prince of Wales fut atteint par deux torpilles qui lui firent perdre de la vitesse et prendre de la gîte. Douze minutes plus tard, les sept G3M2 du deuxième escadron, emmenés par le lieutenant Sadao Takai attaquèrent le Repulse, après avoir craint une méprise à cause de la ressemblance entre le croiseur de bataille anglais et le  Kongo ou le Haruna. Ce dernier, grâce aux manœuvres parfaitement coordonnées du capitaine Tennant, parvint à esquiver toutes les torpilles, ainsi que six bombes lâchées à une altitude de 1'500 mètres par  l'escadron du lieutenant Shirai au même moment.
  
 La force Z sous les bombes

   A 11h58, le capitaine du Repulse ordonna de rompre le silence radio et fit signaler que la Force Z était sous attaque aérienne. Moins d'une demi-heure plus tard, les deux premiers chasseurs Buffalo du 453ième  Squadron australien décollaient du terrain de Sembawang, situé à près d'une heure de vol de Kuantan, bien trop loin pour qu'ils puissent intervenir à temps. Les avions nippons finirent par s'éloigner à 12h00, après 47 minutes d'attaques.  Cette première vague d'assauts laissa le Repulse totalement opérationnel, mais le Prince of Wales était durement atteint. Une torpille l'avait touché à l'arrière, près des hélices. L'onde de choc de l'explosion endommagea gravement les machines. En quelques minutes, 25'000 tonnes d'eau se répandirent par les arbres de transmissions des hélices et inondèrent les salles des machines B et Y, ainsi qu'une chaudière. Trois des sept transformateurs fournissant l'énergie électrique du bâtiment furent bientôt hors service, le privant de l'usage d'une partie de son armement.
 
Après un répit de vingt minutes, les Mitsubishi G4M du Kanoya Kokutai firent leur apparition. Les 26 appareils étaient tous armés de torpilles dotées d'une charge explosive de 204 kilos, plus puissante que celles des torpilles emportées par les G3M des vagues précédentes. Ils prirent aussitôt pour cible le Prince of Wales, incapable de manœuvrer et dont la plupart des batteries anti-aériennes étaient inopérables. Quatre torpilles touchèrent leur but, condamnant le cuirassé britannique. D'autres avions japonais prirent le Repulse en tenaille, et parvinrent à mettre une torpille au but, bien que huit autres aient manqué leur cible. Quasi au même instant, lancé contre le Prince of Wales et le voyant déjà condamné, le 3ième  escadron du lieutenant Haruki Iki changea d'objectif. Iki  divisa son escadron en deux. Un groupe de six appareils attaqua le Repulse à tribord et mit un coup au but. L'autre groupe comprenant l'avion du Lieutenant Iki et deux autres Mitsubishi se dirigea contre le côté bâbord du navire ennemi. Les trois appareils touchèrent le Repulse à trois reprises, mais les deux ailiers du Lieutenant furent abattus par la défense désespérée du croiseur de bataille anglais. Enfin, à 12h45, une des bombes lâchées par huit G3M2 du Mihoro Kokutai  commandés par le lieutenant Takeda traversa le pont à catapultes du Prince of Wales avant d'exploser dans la salle de cinéma du cuirassé, qui servait de lieu de rassemblement pour les blessés. La détonation tua plus de 200 marins.
 
Le capitaine Tennant ordonna l'abandon du Repulse à 12h30, suivi à 13h15 par son homologue du Prince of Wales. 513 membres de l'équipage du Repulse  perdirent la vie lors du naufrage. Les pertes du Prince of Wales s'élevèrent à 327 marins et officiers. Le nombre plus élevé de victimes du Repulse s'explique par le fait qu'il a sombré en quelques minutes, laissant peu de temps à son équipage pour abandonner le navire. Les japonais perdirent trois avions et leurs 18 hommes d'équipage.

  Le Prince of Wales en train de couler, vu du destroyer Express venu lui prêter assistance.

Le crépuscule des titans
 
   La perte des deux vaisseaux de ligne fut un terrible choc pour l'empire britannique. Cette défaite eut pour effet immédiat de donner aux japonais la maîtrise du golfe du Siam. Bien qu'il ait été reproché à l'amiral Philips d'avoir négligé la menace aérienne ennemie, une opinion courante à cette époque était que des avions seuls n'étaient pas en mesure de couler des cuirassés manœuvrant à grande vitesse en pleine mer. Lors des fameuses attaques aériennes contre les ports de Tarente et Pearl Harbour, les cuirassés italiens et américains coulés étaient des cibles immobiles. Le Repulse et le Prince of Wales furent les premiers navires de ligne à être perdus suite à des attaques aériennes uniquement, sans intervention de sous-marins ou d'autres navires.
 
   Il convient aussi de rappeler que les différents Kokutai de la 22ième flottille aérienne étaient des unités aguerries, extrêmement bien entraînées et équipées d'un matériel beaucoup plus performant en matière de torpillage que ce que connaissaient les britanniques. Le Capitaine Tennant, après la bataille, devait témoigner que : "Les attaques ennemies ont été sans nul doute magnifiquement conduites et menées à terme. Les bombardiers en altitude maintenaient  une formation très serrée…" Or, le potentiel de la machine de guerre japonaise était sous-estimé. Il était difficilement envisageable pour les contemporains que l'aviation nippone puisse se montrer plus efficace que la Luftwaffe en matière d'attaque maritime.
 
   Cette journée du 10 décembre 1941 marqua un tournant dans l'histoire de la guerre navale, et  confirma la fin de la suprématie des cuirassés en tant qu'arbitres de la maîtrise des mers.

 
 
Bibliographie:
 
Martin Middlebrook et Patrick Mahoney, The Sinking of the Prince of Wales & Repulse The End of the Battleship Era?, Leo Cooper Ltd, 2004  
 
Christopher Shores et Brian Cull, Bloody Shambles vol.1, Grub Street, 1992
 
Osamu Tagaya, Mitsubishi Type 1 Rikko 'Betty' Units of World War 2, Osprey Publishing
 
Mark R. Peattie, Sunburst: The Rise of Japanese Naval Air Power, 1909-1941, Naval Institute Press, 2007
Paul S. Dull, A Battle History of the Imperial Japanese Navy (1941-1945), Naval Institute Press, 1978
 
Carl Boyd et Akihiko Yoshida, The Japanese Submarine Force and World War II, Naval Institute Press, 2002


Ce texte est la propriété de son auteur et n’est pas libre de droits. La publication, sur internet ou sous toute autre forme, de tout ou partie du contenu de ce texte est soumise à l'accord préalable de l'auteur ; cet accord peut être sollicité par e-mail (adrienfontanellaz@hotmail.com). L'obtention de cet accord est soumise à l'engagement de citer, clairement et sans équivoque, la source. Toute utilisation commerciale de tout ou partie de cet article est strictement interdite en l'absence d'accord préalable et exprès de l'auteur, et aucune clause des présentes conditions ne peut être interprétée comme dérogeant à cette interdiction. Toute utilisation de texte implique l'acceptation des présentes conditions d'utilisation.



2 commentaires:

  1. J'ai découvert votre blog il y a quelques jours et je dois dire qu'il est très intéressant. Bon, je dois avouer que j'ai seulement, faute de temps, lu cet article et survoler ceux dédiés à la chasse de la marine japonaise et à la garde républicaine irakienne. Je vous encourage bien entendu à continuer !

    Je remarque que vous ne citez que des ouvrages anglais dans votre bibliographie. Pouvez-vous me conseiller, s'il vous plaît, un bon ouvrage français sur la guerre du Pacifique ?

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,

    Merci beaucoup pour le compliment et les encouragements.

    Il est vrai qu'en terme de publications en français, la guerre du Pacifique fait un peu figure de parent pauvre. Néanmoins, si vous cherchez des livres apportant une approche globale du conflit, je peux vous suggérer deux ouvrages, que j'ai, à titre personnel, apprécié.

    John Costello, La Guerre du Pacifique, éditions Pygmalion, 2010

    De mémoire, il a été édité une première fois au début des années 80, puis a été récemment réedité. Celà implique que certains des éléments mentionnés (Pearl Harbour, bataille de Midway) ont été largement réanalysés depuis, mais celà reste, à mon avis, un bon bouquin "généraliste" sur le sujet.

    H.P Wilmott, la guerre du Pacifique 1941-1945, éditions Autrement, 2001

    Wilmott est l'un des "papes" de l'histoire de la guerre navale, et ce livre est donc une excellente synthèse, de plus accompagnée d'une multitude de cartes, illustrations et graphiques. Il met par ailleurs en évidence l'importance de la guerre contre le commerce maritime nippon menée par les Américains.

    Cordialement

    RépondreSupprimer