De
la Grande Guerre à la guerre franco-thaïlandaise
Adrien Fontanellaz, mars 2012
Naissance et développement
A l’orée du 20ième siècle, le
Siam restait le seul état indépendant du Sud-Est asiatique grâce à la
diplomatie habile menée par les rois Mongkut (1804-1868) et Chulalongkorn
(1853-1910) qui parvinrent à préserver leur royaume des visées impérialistes
occidentales. Une part essentielle de leur politique fut de moderniser le Siam
afin de le faire reconnaître comme un pays « civilisé » par les
puissances européennes. Néanmoins, la préservation de cette indépendance ne
s’obtint pas sans sacrifice ; le Siam dut céder à la France, sous la
pression de canonnières ancrées face à Bangkok, des territoires laotiens à
l’Est du Mékong et de plus d’un tiers de l’actuel Cambodge. Enfin, les
Britanniques contraignirent le roi à leur céder quatre états malais en 1909. A cause de ce contexte menaçant, l’armée
royale fut une des grandes bénéficiaires des réformes entreprises par Chulalongkorn. Les levées féodales menées par les grands
nobles du royaume disparurent au bénéfice d’une armée royale structurée en
branches spécialisées comme l’infanterie, l’artillerie ou la cavalerie. Très
tôt, un des soucis du monarque fut de s’affranchir de l’expertise des
conseillers étrangers et de les remplacer par des cadres siamois. Le Royal Military College fut créé en 1885 pour
répondre à ce besoin. L’armement continuait cependant à être intégralement
importé, l’industrie du pays restant embryonnaire.
Ce souci d’embrasser la modernité associé
à la nécessité d’aligner une armée crédible garantit un accueil enthousiaste à
l’aviation dès son apparition. En
janvier 1912, trois jeunes officiers furent envoyés en France afin de s’initier
à l’art du pilotage. De retour au pays et équipés de huit avions Breguet et
Nieuport ramenés de l’Hexagone, ces premiers pilotes constituèrent la section
d’aviation de l’armée. Ils s’attelèrent dès janvier 1915 à la formation d’une
nouvelle génération d’aviateurs sur l’aérodrome de Don Muang nouvellement
aménagé.
La première guerre mondiale allait
considérablement accélérer le développement de l’aéronautique siamoise. A
l’entrée en guerre des Etats-Unis, le roi Vajiravudh, successeur de
Chulalongkorn, abandonna sa prudente politique de neutralité et déclara la
guerre aux Empires centraux le 22 juillet 1917. Cette décision se concrétisa
par l’envoi d’un corps expéditionnaire de 1400 hommes en France. Celui-ci
comprenait un contingent d’aviation de 115 pilotes, trois ingénieurs et 252
mécaniciens, tous dénués d’entraînement. Arrivé à destination, le détachement
rejoignit donc l’école d’aviation d’Istres. Leurs licences obtenues, les
meilleurs élèves furent envoyés à l’école de chasse de Pau, leurs autres
camarades étant répartis entre écoles de bombardement et d’observation.
L’armistice intervint avant que les pilotes siamois ne fussent prêts à être
envoyés au front. Certains d’entre eux accompagnèrent néanmoins les troupes
françaises d’occupation en Allemagne. Durant
l’été 1919, le contingent siamois rejoignit la mère patrie avec pour bagages
une précieuse expérience obtenue auprès de la puissance aéronautique dominante
du moment.
Le 1er décembre 1921, la
section aéronautique, promue au fil des ans bataillon puis département, devint
le service aéronautique royal, toujours directement subordonné au commandant en
chef de l’armée, mais doté d’un budget séparé. Celui-ci quadrupla entre 1920 et
1925, et permit la construction de nouveaux aérodromes et la standardisation de
l’inventaire autour des bombardiers Breguet 14 et des chasseurs Nieuport Delage
NiD 29. Ceux-ci, achetés en France, étaient assemblés au Siam avec des essences
de bois locales. Le service était subdivisé entre une école de vol, un atelier,
et une division aérienne forte d’un groupe de chasse, un groupe d’observation
et un groupe de bombardement. Le royaume ne disposant pas des fonds nécessaires
à la création d’une compagnie aérienne civile, les Breguet 14 de l’armée furent
aussi utilisés comme avions postaux. En 1925, le service aéronautique royal
comprenait 750 officiers, sous-officiers et hommes de troupes et près de 200
avions.
Bréguet
14 siamois (via www.ww2shots.com)
A sa
mort le 26 novembre 1925, Vajarivudh laissa les finances du royaume dans un
état calamiteux. Son successeur, le roi Prajadhipok, dut initier une sévère
politique d’austérité qui eut pour effet de ralentir la croissance du service
aéronautique et de l’empêcher de renouveler son parc aérien. En 1927, l’atelier
du service démontra son savoir-faire en produisant plusieurs prototypes d’un
bombardier monomoteur, équipés de moteurs Curtiss P-12 ou BMW VI. Trois
exemplaires de l’appareil, baptisés Paribatra
par Prajadhipok en personne, relièrent Bangkok à Hanoi en 1931. Cependant, aux
yeux des militaires siamois, les performances du Paribatra ne justifiaient pas sa production en série. La grande
crise des années 30 eut un effet désastreux sur le budget du service, qui passe
de 4 millions de Baths pour l’année fiscale 1930-1931 à 1792'866 Bath pour
l’année 1932-1933. Les aviateurs siamois n’eurent pas d’autre choix que de
continuer à utiliser leurs Breguet 14 et Nieuport Delage NiD 29 devenus
obsolètes. Malgré la disette budgétaire, le service aéronautique royal compta 2500
hommes en 1932, alors que deux années plus tôt, la création de la compagnie de
transport aérien du Siam l’avait libéré de ses tâches civiles. En 1933, son
parc aérien comprenait 344 avions dont 189 étaient répartis entre les unités de
première ligne et 155 alloués à l’écolage. Le service fut réorganisé cette
année-là et les groupes disparurent au profit d’escadres (Kong Bin Noi) fortes de plusieurs escadrilles (Fooung Bin), toutes dédiées à la même spécialité (chasse,
coopération, bombardement).
Modernisation
La scène politique siamoise évolua
brutalement en 1933. Cette année-là, un coup d’état mené par le parti
populaire, composé d’une alliance de militaires et de civils d’origine roturière
las du monopole politique de la noblesse, mit fin à la monarchie absolue. La
transition ne se fit pas sans heurts, et en octobre, le prince Bowaradej, un
ancien ministre de la guerre, s’insurgea contre les nouvelles autorités et
rallia à sa cause les garnisons de Khorat, Saraburi et Ayutthaya avant de
marcher sur la capitale. Certains officiers et hommes de troupe du Kong Bin Noi 3 de Korat se joignirent au
mouvement et utilisèrent leurs Breguet 14 pour le soutenir. Le 12 octobre 1933,
les rebelles s’emparèrent de la base de Don Muang, contraignant les pilotes
loyalistes à évacuer leurs appareils en catastrophe. Dans un premier temps, les
aviateurs des deux camps limitèrent leur
action au largage de tracts sur les positions adverses. Les forces gouvernementales,
appuyée par de l’artillerie, contre-attaquèrent à partir du 13 octobre,
repoussant la rébellion qui s’écroula avant la fin du mois, tandis que le
prince Bowaradej s’enfuyait en Indochine française. L’aviation régulière mena à
cette occasion plusieurs missions de bombardements contre les troupes insurgées
en pleine retraite.
Le nouveau pouvoir, de plus en plus dominé
par son aile militaire, augmenta rapidement le budget des forces armées. Il
s’agissait de s’assurer de leur loyauté en les finançant généreusement, mais
aussi de se conformer à une idéologie qui voyait dans l’armée le cœur du
développement national. La part du budget allouée aux militaires fut en moyenne
de 26 % entre 1933 et 1937, et augmenta encore par la suite, pour atteindre 33
% en 1939. Cette abondance relative de ressources permit enfin au service
aéronautique de se lancer dans le renouvellement de son parc aérien. A cette occasion, le Siam changea de
fournisseur, pour des raisons techniques et politiques, et se tourna vers les
Etats-Unis.
Vought
V-93 Corsair (via www.ww2shots.com)
A la fin du mois de mars 1934, le Siam
commanda 12 chasseurs Curtiss Hawk II à la firme Curtiss et 12 bombardiers
légers V-93 Corsair à United Aircraft. Une seconde commande de 24 Hawk III,
plus rapide et plus perfectionnés, fut passée au début de 1935. Six bombardiers bimoteurs Martin 139
suivirent l’année suivante. Enfin, douze Hawk 75, le premier chasseur monoplan
à entrer en service dans le pays, furent commandés en 1938. Un nouvel ordre de
six bombardiers bimoteurs anglais Blenheim IV eut lieu au début de 1939.
Toujours soucieux de son indépendance, le Siam acquit également le droit de
produire sous licence ses propres Corsair et Hawk III. L’atelier aéronautique
de Don Muang, agrandi au fil des années, fut chargé de l’assemblage final des
appareils, alors qu’une nouvelle usine à Bangsue fabriquait les ailes et les
fuselages. Les deux sites, part intégrante du service aéronautique royal,
produisirent 60 V-93 et de 25 à 50 Hawk III entre 1936 et 1940. De 1934 à 1940,
les Siamois achetèrent pour 5.2 millions de dollars d’avions, de moteurs, et de
pièces détachées aux Etats-Unis. Enfin, le service acquit au début des années
30 des Avro 504N en Grande-Bretagne pour l’entraînement de base de ses cadets.
Ceux-ci furent également produits sous licence dans le pays.
C’est au cours de cette montée en
puissance que le service devint une branche à part des forces armées et fut à
ce titre rebaptisé force aérienne royale siamoise le 12 avril 1937. En décembre
1938, Plaek PhibounSongklam, un des moteurs du coup d’état de 1933, et déjà
ministre de la guerre devint premier ministre. Menant une politique très
nationaliste, il rebaptisa le pays en 1939 afin de souligner son homogénéité
raciale et culturelle, au détriment des communautés malaises et surtout
chinoises. Le Siam devint la Thaïlande,
traduction littérale de « Phratet Thaï », le pays des Thaïs. La force
aérienne royale siamoise devint ainsi la force aérienne royale thaïlandaise. Celle-ci, en février 1940, alignait 200
pilotes répartis dans cinq escadres chapeautant treize escadrilles, dotées
théoriquement de douze appareils dont trois étaient placés en réserve.
Curtiss
Hawk III (via www.wing-aviation.ch)
Durant la décennie écoulée, la force
aérienne royale était parvenue à monter en puissance tout en maîtrisant de
nouveaux matériels plus complexes sans devoir faire appel à des instructeurs
étrangers. Elle était devenue une force crédible comparée aux aviations
coloniales britanniques et françaises basées dans la région et de ce fait,
remplissait sa mission première ; contribuer à dissuader une éventuelle
agression de ces deux empires. Mais la
médaille, aussi brillante fut-elle, avait son revers : cette croissance
s’était faire au détriment de l’efficacité tactique. Les pilotes, évalués comme
« bons » par l’attaché de la Royal
Air Force auprès de l’ambassade britannique de Bangkok, avaient peu
l’occasion de pratiquer des exercices de tir, de bombardement, de
reconnaissance ou encore de développer des tactiques de groupe. Enfin, l’institution
manquait de profondeur dans le sens où elle ne disposait pas de réserves suffisantes
en personnel et en avions. En cas de conflit, l’attrition aurait très vite
réduit ses capacités.
Cette
situation contrastée résultait de deux goulets d’étranglement majeurs qui
entravèrent le développement de l’aviation militaire thaïlandaise. Le pays
était avant tout rural et peu industrialisé, la grande majorité de la
population vivant dans les campagnes. Il en résultait que le vivier dans lequel
la force aérienne pouvait recruter des personnels accoutumés à la mécanique
était réduit. Pire encore, ce réservoir de compétences déjà limité faisait
aussi l’objet des convoitises de l’armée et de la marine royale. Enfin, même
avec l’augmentation de la part du budget national dévolu aux armées, le Siam,
puis la Thaïlande, était alors un pays relativement pauvre, et le volume des
sommes allouées restait bien limité en comparaison internationale. De plus, l’armée royale avait la prééminence
dans la répartition des budgets, s’arrogeant, pour 1938, la moitié des sommes consacrées
à la défense, alors que la marine royale et la force aérienne durent se
contenter d’en recevoir un quart chacune. Ce manque de moyens interdisait de
renouveler le parc d’avions d’entraînement en même temps que celui des avions
de combat, tout en restreignant les sommes allouées à l’entraînement des
pilotes.
En 1939 débuta la recherche de successeurs
potentiels aux Hawk II & III et aux Corsair. En effet, dans le contexte du
développement aéronautique accéléré de l’époque, quelques années suffisaient à rendre
obsolète un avion nouvellement acquis. Les Thaïlandais, comme quelques années
plus tôt, recherchaient un compromis entre les performances des modèles
choisis, leurs prix, mais aussi leur
simplicité, ceux-ci devant pouvoir être produits sous licence sur place. Après
avoir mis en compétition divers fabricants américains et britannique, ils
optèrent pour les North American Aviation NA-44 pour remplacer les V-93, et
NA-50 pour succéder aux Hawk II & III. Les deux modèles d’appareils avaient
l’avantage de partager une grande partie de leurs composants, étant tous deux
basés sur le célèbre avion d’écolage T-6 Texan. Plus performants que leurs
rivaux, les avions de North American Aviation étaient aussi de conception
simple. La force aérienne royale thaïlandaise passa une commande de 10 NA-44 et
6 NA-50 en novembre 1939, accompagnée d’un accord de production sous licence.
Le début de la seconde guerre mondiale en
Europe allait cependant contrarier les projets de la force aérienne royale
thaïlandaise. La Grande-Bretagne annula la livraison des Blenheim IV en octobre
1939, puis, une année plus tard, les Etats-Unis placèrent sous embargo les
NA-44 et 50 à cause de la montée des tensions entre la Thaïlande et la France.
Les Japonais, déjà fournisseurs de la marine royale thaïlandaise,
s’empressèrent alors de proposer leurs services, et dès la fin du mois
d’octobre 1940, les Thaïlandais achetèrent neuf bombardiers bimoteurs
Mitsubishi K-21 et 24 bombardiers monomoteurs Mitsubishi Ki-30 fabriqués sous
licence par la compagnie Nakajima. Ces derniers furent livrés directement par
la voix des airs en novembre, suivis par les Ki-21 un mois plus tard. Deux
nouvelles escadrilles entamèrent directement leur conversion sur le Ki-30,
surnommé « Nagoya » par les thaïlandais, du nom de l’usine où ils
avaient été fabriqués, avec l’aide d’instructeurs japonais. Comparé aux V-93,
les bombardiers monomoteurs nippons représentaient une avancée
considérable ; ils volaient plus vite, emportaient quatre fois plus de
bombes et avaient une autonomie deux fois plus élevée que le biplan américain. L’acquisition
et la rapide mise en service de ces appareils augmenta considérablement la
puissance de feu de l’aviation thaïlandaise. L’entraînement des équipages des
neufs Ki-21 s’avéra plus long et ils ne jouèrent aucun rôle dans la guerre à
venir.
Nakajima
Ki-30 « Nagoya » (via thaimilitary.wordpress.com)
La guerre
franco-thaïlandaise
La défaite française de juin 1940 eut pour
effet de fournir une opportunité au premier ministre thaïlandais pour tenter de
récupérer les territoires perdus en 1893 et 1907. En septembre 1940, une
requête fut soumise au gouvernement de Vichy, lui demandant de reconnaître le
tracé du Mékong comme frontière entre la Thaïlande et l’Indochine française. Celle-ci
fut rejetée par le gouvernement français, qui ordonna au gouverneur-général de
l’Indochine, l’amiral Decoux, de résister par les armes à toute provocation. Bangkok
réagit en déclenchant, à partir du mois de septembre, des incidents de
frontières. Les aviations françaises et thaïlandaises furent bientôt impliquées
dans le conflit, et, dès la fin du mois de septembre, survolèrent régulièrement
le territoire adverse. Le 25 septembre 1940, la garnison du fortin de Thadeua, non
loin de Vientiane, rapporta avoir été mitraillée par des avions thaïlandais,
qui avaient survolé la ville le jour précédent. Les français répliquèrent en
violant à leur tour l’espace aérien ennemi, trois bombardiers survolant la
ville de Sakhon Nakhon le 30 septembre.
Les deux aviations disposaient d’un
équipement similaire. En effet, Paris percevait l’Indochine comme un théâtre
d’opérations secondaire, et très peu d’équipements modernes y furent envoyés
avant-guerre. Ironiquement, certains des avions les plus modernes, chasseurs
Morane Saulnier 406 ou Potez 631C, avaient été acquis grâce à la réquisition
sur place d’un lot d’appareils destinés à la Chine nationaliste. La défaite de juin 1940 rendit ensuite
impossible pour la métropole de renforcer sa colonie asiatique, alors même que
ses troupes devaient faire face aux pressions japonaises puis thaïlandaises.
Inventaire de l’aviation
française en Indochine, octobre 1940
type
|
rôle
|
nombre
|
MS
406
|
chasse
|
18
|
Potez
25
|
Observation/attaque
|
54
|
Potez
542
|
Bombardement
|
4
|
Potez
631C
|
chasse
|
1
|
Farman
221
|
Bombardement/transport
|
3
|
Loire
130
|
Hydravions
|
12
|
D’après
le Le conflit franco-thaïlandais de
1940-1941 et champs de bataille thématique numéro 2
La
Marine nationale complétait cet inventaire avec une section d’hydravions
embarqués forte de six appareils. Les MS 406 faisaient jeu égal avec les Hawk
75 thaïlandais, alors que les Potez 25 étaient relativement comparables aux
V-93 Corsair, tandis que les trois Farman 221 et les quatre Potez 542
emportaient une charge de bombes semblable à celle des Martin 139. A la fin du
mois de novembre, les français avaient réorganisé leur dispositif en déployant
8 Potez 25 (escadrille 1/596), 7 MS 406 (escadrille 2/596) et leur seul Potez
631C près de Vientiane. La protection du Cambodge revint à 6 MS 406 (escadrille
2/595) et 3 Potez 542 (escadrille 2/42) stationnés près de Siem Reap, renforcés
par un détachement d’une petite dizaine
d’hydravions Loire 130 utilisant un des réservoirs d’Angkor comme base. Le
reste des avions furent gardés en réserve sur leurs bases vietnamiennes.
Durant le mois de novembre, les incidents
opposant les deux forces aériennes le long de la frontière laotienne s’intensifièrent.
Les 25, 27 et 28 novembre puis le 1er décembre, des Corsair et des
Hawk III affrontèrent les Potez 25 et MS 406 français, sans qu’aucun des
adversaires ne reconnaisse de pertes, tandis que les troupes au sol échangeaient
tirs de mitrailleuses et d’artillerie de part et d’autre du Mékong. Le 2 décembre,
un V-93, intercepté par chasseurs ennemis, fut contraint de se poser en
territoire ennemi, intact, puis capturé par des artilleurs coloniaux. Durant
cette période, les aviateurs thaïlandais attaquèrent principalement les
aérodromes de l’ennemi et tentèrent de réduire au silence ses pièces
d’artillerie à longue portée alors que leurs homologues français répliquèrent
par des bombardements nocturnes. Plus au
Sud, le 1er décembre, trois formations de trois Hawk III larguèrent
sans succès leurs bombes sur le Béryl,
un patrouilleur auxiliaire voguant vers Trat.
Curtiss
Hawk 75 après la guerre contre la France (via www.ww2shots.com)
Le 8 décembre, un Hawk 75 fut endommagé
par la DCA française alors que sa formation attaquait une caserne, puis le 9 décembre,
au cours d’un combat aérien, trois MS 406 revendiquèrent la destruction de deux
Corsair. Les Thaïlandais ne reconnurent pas de pertes définitives ce jour-là,
mais confirmèrent qu’un pilote blessé parvint à ramener à la base son Hawk III portant
15 impacts de balles. Le 10 décembre, un Corsair bombardant l’aéroport de
Vientiane fut touché par la DCA, et s’écrasa sur la rive thaïlandaise du
Mékong, les deux membres d’équipage étant tués. Au petit matin du 13 décembre,
une bombe larguée par une formation française détruisit au sol un Hawk 75 sur l’aéroport d’Ubon Ratchathani. Ce même jour 3 Potez 542 furent déployés au Laos. La
force aérienne thaïlandaise répliqua le 15 décembre en engageant ses Martin 139
pour la première fois. Trois des bombardiers bimoteurs, escortés par six Hawk
75, décollèrent de Bangkok, firent escale à Korat pour se ravitailler, puis
bombardèrent la localité laotienne de Xieng Khouang et l’aérodrome de Ban Sin.
La trêve qui suivit ce premier round d’escarmouches fut mise à
profit par les deux adversaires pour se réorganiser. L’armée royale
thaïlandaise entama les préparatifs d’une invasion en règle des territoires
contestés. La force aérienne se réorganisa pour intégrer les leçons tirées de
ses premiers combats, cherchant à créer une structure plus souple et facilitant
la coordination de ses différents types d’appareils, tout en intégrant dans son ordre de bataille
les 24 nouveaux Ki-30 dont les équipages achevaient alors leur conversion.
Ordre de bataille de
la force aérienne royale thaïlandaise, fin décembre 1940
Escadres
|
Escadrilles attachées
|
Equipement
|
Nombre d’appareils si connus
|
Escadre mixte 73 |
Escadrille
d’observation 32
|
V-93
Corsair
|
|
(Ubon Ratchathani)
|
Escadrille
de bombardement 50
|
Martin
139
|
5
|
Escadre
mixte 35
|
Escadrille
d’observation 34
|
V-93
Corsair
|
|
(Ubon Ratchathani)
|
Escadrille
de chasse 70
|
Hawk
III
|
|
Escadre
66
|
Escadrille
Phibounsongklam 1
|
Ki-30
|
12
|
(Don
Muang)
|
Escadrille
Phibounsongklam 2
|
Ki-30
|
12
|
|
Escadrille
de chasse 60
|
Hawk-75
|
9
|
Escadre
mixte 74
|
Escadrille
de chasse 71
|
Hawk-III
|
|
(Chanthaburi)
|
Escadrille
de chasse 72
|
Hawk-III
|
|
|
Escadrille
d’observation 44
|
V-93
Corsair
|
|
Escadre
mixte 75
|
Escadrille
de chasse 73
|
Hawk
III
|
|
(Prachinburi)
|
Escadrille
de chasse 80
|
Hawk
II
|
|
|
Escadrille
d’attaque 35
|
V-93
Corsair
|
|
Escadre
mixte 40
|
Escadrille
d’observation 42
|
V-93
Corsair
|
|
(Khorat)
|
Escadrille
d’attaque 41
|
V-93
Corsair
|
|
|
Escadrille
d’attaque 43
|
V-93
Corsair
|
|
D’après
Aerial Nationalism: A History of
Aviation in Thailand
Les escadres 73 et 35 dépendaient du Kong Bin Yai Pak Neua (groupe Nord)
alors que le Kong Bin Yai Pak Tai (groupe
Sud) chapeautait les escadres 66, 74, 75 et 40. Parmi celles-ci, l’escadre
mixte 75 était dédiée à la coopération avec les troupes de la 1ère
armée chargées d’entrer au Cambodge, alors que l’escadre mixte 40 supportait la
2ième armée face au Laos.
Enfin, les Hawk III de l’escadrille de chasse 72 appuyaient la marine
royale, dont les six petits hydravions Watanabe S103 manquaient de puissance
offensive.
Les attaques de la force aérienne royale
reprirent le 4 janvier 1941. Des V-93 bombardèrent l’aéroport laotien de Dong
Heng, mais s’en prirent à des leurres confectionnés par les français. Revenant
le lendemain, les Corsair surprirent plusieurs appareils ennemis exposés sur le
terrain d’aviation. Ils y détruisirent deux MS 406 et deux Potez 25, que les
Français, contrairement à leur habitude, n’avaient pas camouflé. Le 13,
toujours au Laos, des V-93 escortés par des Hawk 75 bombardèrent les positions
françaises près de Savannakhet afin de soutenir une incursion limitée de
l’armée royale. Le 14 janvier, les Corsair détruisirent sept bateaux sur le
Mékong.
L’effort aérien et terrestre thaïlandais porta
cependant principalement sur le front cambodgien où, dès le 6 janvier, les 1ère
et 2ième armées lancèrent une offensive générale sur deux axes
partant d’Aranyaprathet et d’Ubon Ratchathani. Le 5 janvier, un raid de
l’aviation sur Battambang tua 18 soldats du 3ième Régiment de
Tirailleurs Coloniaux et 9 civils. Le 7 janvier, pour la première fois depuis
le début des hostilités, 23 Ki-30 intervinrent contre des cibles cambodgiennes
sans rencontrer d’opposition. Le lendemain, 9 Ki-30 escortés par trois Hawk 75
bombardèrent Siem Reap malgré une forte DCA. Après avoir fait demi-tour, la
formation thaïlandaise fut interceptée par cinq MS 406 de l’escadrille 2/595.
Les trois Hawk 75 empêchèrent les chasseurs ennemis d’attaquer les Ki-30, mais
l’un d’entre eux fut touché par leurs tirs. Le pilote parvint à poser son
appareil en catastrophe sur l’aéroport de Don Muang.
La réaction française ne se fit pas
attendre. Ceux-ci menèrent, dans la nuit du 9 au 10 janvier, une attaque d’envergure contre plusieurs
aéroports thaïlandais avec leurs Loire 130, Farman 221 et Potez 542. Leurs
équipages revendiquèrent la destruction de plusieurs avions ennemis au sol sur
les terrains de Khorat et Prachinburi. Au petit matin, 9 Ki-30 et plusieurs
Hawk 75, tentant de surprendre les bombardiers ennemis à leur retour de mission,
s’en prirent à l’aérodrome de Nakorn Wat. Un Farman 221 fut détruit à cette
occasion, et un autre endommagé. Après sa passe de bombardement, la formation
thaïlandaise fut interceptée par quatre Morane Saulnier, et perdit un de ses
Ki-30 dans le combat aérien qui suivit. Un des MS 406 fut endommagé par les
tirs d’un chasseur de l’escorte. Après
avoir pris Sisophon le 13 janvier, les troupes de l’armée royale se heurtèrent
à une résistance de plus en plus farouche de leurs adversaires, puis subirent
une contre-attaque française d’envergure le 16 janvier. Bien préparés, les
soldats thaïlandais, appuyés par leur aviation, repoussèrent l’ennemi dans la
journée.
L’épave
du Ki-30 abattu le 10 janvier 1941 (via www.wing-aviation.ch)
Pour les Thaïlandais, la surprise allait
venir de la mer. Le 16 janvier, un Hawk III de l’escadrille 72 intercepta un
Loire 130 qui tentait de reconnaître la base navale de Sattahip. Le chasseur
tira deux rafales qui manquèrent l’hydravion avant que ses mitrailleuses ne
s’enraient. La mission de reconnaissance du Loire 130 permit de localiser les
principales unités de la marine royale, et, le 17 janvier au petit matin, le
croiseur Lamotte-Piquet et les avisos
Amiral-Charner, Dumont
d’Urville, Marne et Tahure surprirent une partie de la
flotte thaïlandaise au mouillage près de l’île de Koh Chang. Les marins
français coulèrent deux garde-côtes cuirassés et trois petits torpilleurs
ennemis avant de se retirer vers l’Indochine. Une fois alertée, l’escadrille 72
dépêcha trois formations séparée de trois Hawk III à leur poursuite, alors que
l’escadrille 44 fit décoller un trio de Corsair. Seuls trois Hawk III sur neuf
arrivèrent en vue des navires français. Ils larguèrent leurs bombes de 250 et
50 kg sur le Lamotte-Piquet, mais ne
mirent pas de coup au but. Une des bombes explosa suffisamment près du croiseur
de 7880 tonnes pour qu’il soit touché par des éclats. Les Corsair ne parvinrent
pas non plus à toucher un vaisseau ennemi.
Les
bombardements de la force aérienne royale continuèrent sur le front cambodgien
de manière intensive, alors l’armée de l’air française poursuivit également ses
raids nocturnes en territoire ennemi. Du côté thaïlandais, les missions furent
principalement menées par les escadres mixtes 40 et 75 ainsi que par l’escadre
66, équipée du matériel le plus moderne. Le plus souvent, la force aérienne
menait une cinquantaine de sorties quotidiennes. Le 21 janvier, deux MS 406 mitraillèrent
l’aéroport d’Aranyaprathet, revendiquant la destruction de plusieurs appareils.
La chance des deux pilotes tourna, car le même jour, l’un des deux chasseurs
fut abattu par des tirs d’armes légères alors qu’ils survolaient à très basse
altitude une colonne de l’armée royale. Le 24 janvier s’avéra être la journée
la plus intense du conflit sur le plan aérien. Dans un premier temps, trois
Martin 139 et neuf Ki-30, escortés par l’habituel trio de Hawk 75, bombardèrent
Siem Reap. Quatre chasseurs français s’en prirent ensuite au Ki-30 du chef de
la formation resté en arrière pour évaluer les résultats du bombardement. Au
cours d’une longue poursuite, ce dernier parvint à éviter leurs tirs jusqu’à ce
qu’ils épuisent leurs munitions. Enfin, non loin d’Aranyaprathet, trois Hawk II
de l’escadrille 80 affrontèrent trois MS 406 et un Potez 25. Un des chasseurs
thaïlandais parvint à abattre l’avion d’observation français. Quelques jours
plus tard, le 28 janvier 1941, un cessez-le-feu entra en vigueur et mit
officiellement fin à la guerre. Dépourvu des moyens de prolonger le conflit
indéfiniment et sous la pression japonaise, le gouvernement français accepta de
faire des concessions territoriales importantes, mais moindres que celle
initialement exigées par le premier ministre thaïlandais. Cette résolution
permit néanmoins à Phibounsongklam de revendiquer la victoire. Le réel coût
politique de celle-ci ne vint que plus tard, en effet, pour prix du soutien
diplomatique japonais, la Thaïlande avait dû concéder un droit de passage aux
troupes de l’Empire du Soleil Levant.
La force aérienne royale admit avoir perdu
au cours de la guerre deux V-93, un Hawk III et un Ki-30 en combat aérien et un
unique Hawk 75 au sol, ainsi que la mort de treize membres d’équipage. Ses
pilotes se virent crédités de cinq victoires aériennes et de la destruction
d’entre cinq et dix avions ennemis au sol. Les Français reconnurent la perte
d’un unique Farman 221 et de deux Maurane Saulnier 406, tout en revendiquant
quatre victoires en combat aérien et quinze appareils thaïlandais détruits au
sol. Comme de coutume dans l’histoire de la guerre aérienne, les revendications
des adversaires tendent à dépasser les pertes reconnues de l’ennemi. Cependant,
à l’évidence, l’armée de l’air française sous-évalua aussi ses pertes, la disparition
d’un Potez 25 le 24 janvier 1941 étant bien documentée.
Martin
139 de l’escadrille 50 après la guerre (via www.wing-aviation.ch)
La guerre franco-thaïlandaise représentait
le type de conflit pour lequel la force aérienne royale avait été créée,
entraînée et équipée. Globalement, et malgré ses insuffisances, elle se montra
digne des espoirs placés en elle. Elle appuya efficacement l’armée royale, les
soldats ennemis confirmant l’impact sur leur moral de la fréquence des attaques
aériennes. Handicapée par un manque certain d’entraînement réaliste, ses
pilotes s’améliorèrent au cours des combats. Les Français confirmèrent une augmentation
constante de la précision des bombardements ennemis. Dans un environnement où
les combats aériens étaient rares du fait de l’étendue de la zone des combats
et du nombre limité d’avions engagés par les belligérants, le seul moyen pour
ceux-ci de frapper les moyens adverses était d’attaquer ses aéroports. Au cours
de la deuxième partie du conflit, cette tâche reposa principalement sur
l’escadre 66 (Kong Bin Noi 66), qui
frappa fréquemment l’infrastructure ennemie autour de Siem Reap en échange de
pertes limitées. Le bilan des chasseurs thaïlandais fut plus mitigé ; ils
ne se distinguèrent pas par la précision de leurs tirs, mais parvinrent malgré
tout à protéger efficacement les bombardiers qu’ils escortaient. Si elle ne
parvint pas à dominer intégralement les airs, la force aérienne royale
thaïlandaise imposa une certaine prééminence sur son adversaire de jour. Le
seul domaine où les performances des aviateurs thaïlandais s’avérèrent
insuffisantes fut celui de l’attaque contre des cibles maritimes ; durant
la guerre, 12 Hawk III et 3 Corsair eurent l’occasion de larguer leurs bombes
sur des navires de guerre, mais ne mirent pas un seul coup au but. Il convient
cependant de rappeler à quel point toucher des cibles de ce type, rapides,
manœuvrantes et bien armées, s’avéra difficile pour les pilotes de toutes les
nations engagées. En règle générale, toutes nations confondues, seules les
unités spécialisées dans ce type de frappes, et dont les équipages avaient
bénéficié d’un entraînement spécialisé, parvinrent à mettre au but un
pourcentage significatif de leurs projectiles.
Bibliographie
Edward
M. Young, Aerial Nationalism: A History of Aviation in Thailand, Smithsonian, 1994
Pierre Gosa, Le conflit franco-thaïlandais de
1940-1941, La victoire de Koh-chang, Nouvelles
Editions Latines, 2008
Etienne
Le Baube et Yann Mahé, L'armée de l'Air affronte la Royale Thaï Air
Force, in
revue Champs de bataille thématique numéro 2
L’autre guerre d’Indochine,
du conflit avec la Thaïlande à l’occupation japonaise, in Le Fana de l’aviation numéro 450
Jan Forsgren, Japanese
Aicraft in Royal Thai Air Force and Royal Thai Navy Service During WWII,
via j-aircraft.com
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