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samedi 4 février 2012

Le dernier triomphe ottoman


     Deux images résonnent dans l’imaginaire collectif à l’évocation du rôle de l’empire ottoman dans la première guerre mondiale ; la sanglante campagne de Gallipoli et l’odyssée de Lawrence d’Arabie. Pourtant, un autre front fut le théâtre de l’une des pires défaites subie par les Britanniques au cours de leur histoire.

                                                                       Adrien Fontanellaz, avril 2012


     Après une brève période de neutralité, la Sublime Porte se rangea du côté des empires centraux. Le casus belli fut fourni par les vaisseaux allemands Goeben et Breslau, qui, partis d’un port turc, bombardèrent la base navale russe d’Odessa à la fin du mois d’octobre. La Russie déclara la guerre contre l’Empire ottoman le 1er novembre 1914, suivie par la Grande-Bretagne le 5 novembre. Six jours plus tard,  le sultan Mehmed V lançait un appel au Jihad contre les pays de la Triple-Entente. L’armée ottomane avait planifié, pour débuter les hostilités, une offensive contre l’Egypte, alors protectorat anglais, et dans le Caucase russe. A contrario, La Mésopotamie, était perçue par Constantinople comme une arrière-cour peu susceptible d’être menacée. 
    En août 1914, cette région était couverte par la 4ième armée. Celle-ci était composée des XIIe (35ième et 36ième divisions d’infanterie) et XIIIe (37ième et 38ième divisions d’infanterie) corps. Cependant, dès le mois de septembre, le XIIe corps fut intégralement redéployé en Syrie avec l’état-major de la 4ième armée, tandis que le XIIIe corps fut dépêché dans le Caucase en laissant une de ses deux divisions sur place.  La protection des vilayets (provinces) de Mossoul, Bagdad et Bassora revint à un nouveau « commandement territorial de l’Irak » qui n’était plus que l’ombre de la 4ième armée. Pour défendre la Mésopotamie, ce dernier ne disposait plus que de la 38ième division d’infanterie, d’un bataillon indépendant de l’armée, de huit bataillons de garde-frontière et de neuf bataillons de gendarmerie (Jendarma), soit un total de 23'000 hommes et 33 pièces d’artillerie. Le recrutement de ces unités était en bonne partie local et elles manquaient d’officiers. De plus, l’équipement était inférieur à celui octroyé aux troupes déployées face au Caucase ou en Thrace. La 38ième division n’alignait ainsi que six bataillons d’infanterie au lieu des neuf réglementaires. Fao et Abadan étaient faiblement défendues par des petits détachements, alors que la garnison de Bassora comptait 4700 fusiliers, 18 canons de campagne et trois mitrailleuses. Dans l’ensemble, le dispositif turc était plus adapté au maintien de la sécurité intérieure, dans une zone où l’allégeance des tribus locales était incertaine, qu’à l’affrontement avec une puissance étrangère.
    En l’occurrence, la perception stratégique du commandement ottoman s’avéra complètement erronée. Dans les mois précédents la guerre, le gouvernement britannique avait attribué la responsabilité du Golfe persique au gouvernement indien, en l’autorisant à s’emparer du vilayet de Bassora en cas de conflit, afin de protéger les infrastructures pétrolières s’y trouvant. L’opération avait aussi un but indirect; affaiblir l’assise de la Sublime Porte auprès des populations arabes en diminuant son prestige. Le 16 octobre 1914, l’avant-garde de la Indian Expeditionary Force D, centrée autour de la 6th Indian Infantry Division (composée principalement des 16ième, 17ième et 18ième brigades d’infanterie indienne) embarquait à Bombay à destination du Golfe Persique.  Le corps expéditionnaire débarqua à Fao, à l’embouchure du Chatt el-Arab le 6 novembre 1914, et s’empara du fort protégeant le port le même jour, avant de poursuivre et de capturer Shail, sans grande résistance, le 17 novembre. Pris par surprise par cette menace inattendue, les Turcs durent se résoudre à évacuer Bassora, qui tomba le 20 Novembre. Au cours de ces premiers combats, les troupes indiennes firent 1000 prisonniers et capturèrent trois canons.

     Deux semaines plus tard, les forces anglaises s’attaquèrent à la ville de Qurna. Celle-ci se trouvait à l’endroit où le Tigre et l’Euphrate se rejoignent pour former le Chatt-el-Arab, et constituait donc un carrefour stratégique d’une immense importance. En effet, la Mésopotamie était de facto, et ce depuis des siècles, l’arrière-cour de l’empire ottoman.  A ce titre, elle était pratiquement dépourvue d’infrastructures, et ses seules artères de communication étaient les voies de navigation fluviales. Cette contrainte géographique allait lourdement peser sur la liberté de manœuvre des belligérants en les contraignant à déplacer leurs forces en suivant le cours des fleuves. Une première attaque, menée par la 18ième brigade d’infanterie indienne fut repoussée par la garnison turque le 4 décembre. Une seconde tentative échoua à son tour le 7 décembre 1914. Le troisième assaut, appuyé par les tirs de canonnières, emporta la décision. Le commandant ottoman, coupé de ses arrières et ayant perdu la moitié de ses troupes dans les combats capitula le 9 décembre 1914. Les Anglais capturèrent à cette occasion un millier de prisonniers.  La 38ième division turque, qui avait mené le gros des combats, était alors exsangue. Outre l’allant avec lequel ils menèrent leurs opérations, les Britanniques devaient leur succès à leur supériorité numérique. L’Indian Expeditionary Force D alignait douze bataillons d’infanterie, et 30 canons de campagne. Elle bénéficiait de surcroît de l’appui d’une flottille fluviale armée par des équipages de la Royal Navy. Celle-ci assurait principalement  la logistique et le transport du corps expéditionnaire mais ses canonnières pouvaient aussi fournir un appui-feu considérable aux troupes terrestres. 
L’avance anglo-indienne de janvier à juillet 1915 (via wikimedia.org)
     Le front se stabilisa après la chute de Qurna, aucune opération d’envergure n’intervint durant les trois premiers mois de 1915. Les Turcs mirent à profit cette période pour reconstituer leur 38ième division, tandis que des renforts arrivèrent en février 1915, sous la forme de la 35ième division d’infanterie. Les Anglais ne restèrent pas non plus inactifs. L’Indian Expeditionary Force D devint le IIe Indian Corps en avril 1915 avec l’arrivée des deux régiments de cavalerie de la 6th Indian Cavalry Brigade et surtout de la 12th Indian Infantry Division, dont les brigades (12ième, 30ième et 33ième) alignaient onze bataillons d’infanterie. Trente pièces d’artillerie accompagnèrent ces renforts, mais certaines d’entre elles n’étaient pas mobiles, alors que d’autres nécessitaient des attelages à bœufs pour être déplacées.   
    L’armée ottomane mit à profit l’arrivée de renforts en passant à l’offensive à la mi-avril 1915. La 38ième division tenta de faire sauter le verrou défensif britannique de Shaiba, protégeant le flanc Sud de Bassora. Celui-ci était défendu par les 16ième et 18ième brigades d’infanterie et la 6ième brigade de cavalerie, appuyées par 24 canons. Mal soutenue par une artillerie vite muselée par les pièces anglaises, l’infanterie turque s’épuisa en lançant plusieurs assauts infructueux les 12 et 13 avril, avant de subir une contre-attaque d’envergure qui les contraignit au repli le 14 avril. La résistance de l’arrière-garde ottomane s’effondra in extremis en fin d’après-midi, alors même qu’elle était parvenue à bloquer la progression ennemie. Les Britanniques donnèrent le nom de « Miracle de Shaiba » à l’épisode. Leurs pertes se montèrent à un millier d’hommes, dont 161 tués.  Au terme de leur repli 120 kilomètres plus au Nord, les Turcs avaient perdu 6000 tués et blessés, dont 2'000 étaient des miliciens tribaux, ainsi que 700 prisonniers. Ce désastre fit une dernière victime lorsque le commandant turc, malade et épuisé, se suicida de dépit.
     Bénéficiant de l’ascendant obtenu lors de la bataille de Shaiba, et désireux de compenser l’enlisement de la campagne de Gallipoli par des victoires en Mésopotamie, les Anglais fixèrent au IIe Indian corps des objectifs plus ambitieux que le simple contrôle du vilayet de Bassora. La 6ième division indienne, placée sous les ordres d’un nouveau chef, le major-général Charles Townshend, perça rapidement les lignes turques au Nord de Qurna, puis s’empara d’Al-Amara le 4 juin 1915  à la suite d’une poursuite effrénée de l’ennemi sur 138 kilomètres le long du Tigre. Les Britanniques firent, au prix de 4 tués et 21 blessés, 1773 prisonniers et capturèrent 12 canons. Peu après, la 12ième division indienne arriva devant Nasiriya le 7 juillet 1915, après avoir été acheminée par voie fluviale depuis Qurna en passant par les eaux du lac Hammer et de l’Euphrate. Une première attaque menée par la 30ième brigade échoua le 14 juillet 1915. Nasiriya tomba le 20 juillet à la suite d’un second assaut lancé avec l’aide des deux autres brigades de la  division et soutenu par les tirs des canonnières. Incapables, pour des raisons logistiques, de mener des opérations simultanées le long de deux fleuves, les Britanniques optèrent pour une poursuite de leur avance le long du Tigre. La 6th Indian Infantry Division se remit en marche le 1er septembre 1915, et arriva devant Kut-el-Amara le 26, après avoir parcouru 120 kilomètres. Douze bataillons d’infanterie appartenant aux 35ième et 38ième divisions d’infanterie appuyés par 38 canons défendaient les deux rives du fleuve. Les unités turques étaient cependant en sous-effectif, leurs deux divisions n’alignant que 7'000 hommes au total. L’attaque anglaise débuta le 28 septembre par un assaut frontal contre les redoutes turques doublé d’une manœuvre d’enveloppement par la Nord. Une contre-attaque menée par quatre bataillons gardés en réserve par les Ottomans échoua, et ceux-ci retraitèrent, poursuivis par les Anglais jusqu’ à Aziziya, 100 kilomètres au Nord. Entre la bataille et la poursuite, les Turcs perdirent 4'000 hommes, dont 1'200 avaient été capturés par l’ennemi avec quatorze canons.
     De Fao à Kut-el-Amara, chaque engagement d’importance s’était soldé par une victoire anglo-indienne. Les officiers britanniques ne réalisèrent cependant pas que  depuis le début des opérations, ils avaient été confrontés à des unités de second ordre. En effet, les 35ième et 38ième divisions d’infanterie ottomanes qui affrontèrent seules les Anglais étaient, nous l’avons vu, sous-encadrées et sous-équipées avant même le début des hostilités. Décimées à plusieurs reprises, elles durent à chaque fois être hâtivement reconstituées avec des recrues enrôlées sur place sans pour autant disposer du temps nécessaire pour les entraîner convenablement ou développer leur esprit de corps. Pourtant, mêmes fragiles et constamment battues, ces unités parvinrent régulièrement à retraiter en bon ordre et à conserver leur cohésion, ce qui témoigne de la qualité de leur encadrement. De plus, l’effectif théorique d’une division ottomane, avec 12'538 hommes, était bien inférieur à celui d’une division indienne, qui atteignait 24’389 hommes, soit près de deux fois plus. Le 5 octobre 1915, une directive du quartier-général de Constantinople transforma le « commandement territorial de l’Irak » en 6ième armée, celle-ci restant dirigée par le même homme, le colonel Noureddine Pacha, en attendant l’arrivée d’un nouveau chef, le maréchal allemand Colmar von der Goltz. Craignant de perdre Bagdad, le commandement turc avait consenti à renforcer le front mésopotamien avec trois divisions ; la 45ième division d’infanterie, une nouvelle unité formée à partir d’un noyau de 5’000 gendarmes et garde-frontière, et surtout les 51ième et 52ième divisions d’infanterie, récemment rebaptisées, mais aguerries par huit mois de combat contre les Russes sur le front du Caucase. Après avoir vu leurs pertes comblées, ces deux très bonnes unités reçurent l’ordre de se rendre à Bagdad dès le 4 octobre 1915. Cependant, seules les 45ième et 51ième divisions furent en mesure de participer à la prochaine bataille.
Cavalerie indienne progressant le long du Tigre (via wikimedia.org)
     Les Turcs établirent une forte position à Salman Pak, une trentaine de kilomètres avant Bagdad, pour stopper la prochaine offensive anglaise. Ce dispositif comprenait une première ligne, longue de dix kilomètres, composée d’une douzaine de redoutes reliées entre elles par des tranchées. Celle-ci était tenue par les 38ième et 45ième divisions. Une seconde ligne, derrière laquelle était regroupée la 51ième division, avait été préparée trois kilomètres derrière la première. Le Tigre couvrait un des flancs du dispositif, la 35ième division gardait seule la rive Sud du fleuve. Enfin, l’artillerie avait été concentrée au centre de la position, de manière à pouvoir couvrir les axes d’approche les plus probables. Avec 20'000 hommes, 19 mitrailleuses et 52 canons, l’armée ottomane bénéficiait pour la première fois d’une supériorité numérique significative sur le champ de bataille. Après avoir avancé depuis Kut-el-Amara, les Anglais donnèrent l’assaut contre la nouvelle position ottomane le 22 novembre 1915. Conforté par les batailles précédentes, où les Turcs avaient toujours cédés après de violents assauts frontaux, et sous-estimant l’importance des forces adverses, le major-général Townshend lança la totalité de ses 11'000 combattants, répartis en quatre colonnes, contre la première ligne ottomane. Les trois premières colonnes devaient fixer l’ennemi tandis la quatrième devait l’envelopper. A 13h30, après des heures de très violents combats, les soldats indiens et anglais parvinrent à s’emparer de la première ligne après avoir malmené les 38ième et 45ième divisions turques. Noureddine Pacha lâcha alors son atout majeur, la 51ième division, qui contre-attaqua jusqu’au soir, stoppant la progression anglaise. Le lendemain, en pleine tempête de sable, ces derniers relancèrent leur attaque, que le commandant turque jugula grâce aux restes de la 45ième division et en jetant la 35ième division dans la bataille après lui avoir fait traverser le Tigre. Les deux adversaires épuisés, les combats cessèrent le 25 novembre au matin. Le verrou de Salman Pak avait tenu, et le major-général Townshend se résolut à retraiter vers Kut-el-Amara. Ironiquement, le commandant turque avait lui aussi ordonné un repli, qu’il annula après avoir appris le retrait anglais. A la fin de la bataille, la division indienne, saignée à blanc, comptait 4441 officiers et hommes de troupes hors de combat. Les Ottomans avaient perdus 6188 soldats tués ou blessés, soit le tiers de leur infanterie. Les effectifs de la 51ième division avaient été amputés de 12%, ceux de la 35ième division de 25% et ceux de la 45ième  division de 65%.
   Les troupes ottomanes se lancèrent immédiatement à la poursuite des Anglais, mais furent ralenties par une logistique défaillante. La 6ième division indienne retraita en bon ordre, évitant ainsi d’offrir une proie vulnérable à ses poursuivants ; elle ne perdit que 500 hommes capturés par l’ennemi. Le 3 décembre, ses forces ayant atteint Kut-el-Amara, le major-général Townshend prit la décision fatidique de s’y retrancher. En effet, la ville était située dans une péninsule formée par un méandre du Tigre, réduisant d’autant le front à tenir face à un assiégeant. Les Britanniques y disposaient d’importants stocks de nourritures et de munitions, suffisants pour soutenir un siège plusieurs mois. Enfin,  la défaite de Salman Pak, avait causé l’octroi de renforts au théâtre mésopotamien. Les 3rd Indian Infantry division et 7th Indian Infantry division étaient attendues pour le début de l’année 1916, et seraient donc disponibles pour venir secourir la garnison isolée. Cette dernière commença à se retrancher dès son arrivée, et occupa également  une petite tête de pont sur la rive droite du Tigre, reliée à la ville par un pont de bateaux. 
     L’encerclement de  Kut-el-Amara débuta le 5 décembre 1915 avec l’arrivée de la 45ième division, qui commença aussitôt à emménager des tranchées en face des lignes ennemies. L’artillerie ottomane ne tarda pas à interdire l’usage du fleuve aux embarcations britanniques. En parallèle, des troupes turques étaient détachées en aval pour empêcher l’arrivée de secours. Souhaitant attaquer rapidement pour ne pas laisser à son adversaire le temps de consolider ses retranchements, Noureddine Pacha, toujours en charge des opérations, envoya la 35ième division attaquer les positions ennemies sur la rive droite du Tigre. Après plusieurs heures de violents combats, seul un village restait en possession des Britanniques, qui durent se résoudre à faire sauter le pont de bateaux reliant les deux rives. Plusieurs assauts massifs contre la péninsule menés par les 38ièmes, 45èmes et 51ièmes divisions furent repoussés par la 6th Indian Infantry division les 10 et 11 décembre. Les attaques frontales menées à travers un no man’s land dépourvus d’accidents de terrain et sous les tirs croisés britanniques coûtèrent aux Ottomans près de 1300 soldats tués et blessés. Puis, du 12 au 22 décembre, ils changèrent de tactique et lancèrent des opérations de harcèlement visant à user l’adversaire. Celles-ci se révélèrent tout aussi meurtrières; les Turcs perdant  encore 365 tués et 569 blessés, les pertes anglaises se montant à 498 hommes. Une dernière tentative de grande ampleur eut lieu le 25 décembre ; après une préparation d’artillerie de cinq heures, la 52ième division tenta de prendre un vieux fort défendu par deux bataillons ennemis. A la fin de la journée, les Anglais étaient parvenus à repousser l’attaque au prix de 382 hommes, mais infligèrent des pertes deux fois et demi supérieures aux assaillants. Les Turcs renoncèrent ensuite à ces couteux assauts, pour se contenter de maintenir l’encerclement et de harceler la garnison avec leur artillerie et les avions des deux escadrilles présentes en Mésopotamie.
     Dès le début du mois de janvier 1916, l’armée ottomane avait réorganisé son dispositif. Saignée à blanc, la 38ième division avait été dissoute en décembre. Les remplacements octroyés ne suffisant pas à combler les pertes, la taille des autres divisions ottomanes était réduite à celle de brigades. Le XVIIIe corps, composé des 45ième et 51ième divisions continuait à assiéger Kut-el-Amara et à bloquer une éventuelle tentative de sortie, tandis que le XIIIe corps, avec les 35ième et 52ième divisions, avait établi un verrou défensif trente kilomètres  en aval, afin de bloquer l’avance des secours anglais. Pour les Turcs affaiblis et incapables de forcer la décision à Kut-el-Amara par un assaut frontal, l’enjeu de la bataille allait être de garder à distance les secours britanniques le temps nécessaire à ce que la 6th Indian Infantry division soit contrainte à la capitulation après avoir épuisé ses stocks de ravitaillement. 
Troupes ottomanes devant Kut-el-Amara (via wikimedia.org)


     En janvier et mars 1916, le Tigris Corps, composé des 3ième et 7ième divisions indiennes, attaqua le XIIIe corps à quatre reprises, sans succès. Contraintes de lancer des assauts frontaux sur un terrain boueux et disposant d’une artillerie insuffisante, les troupes anglo-indiennes ne parvinrent pas à obtenir un résultat décisif. Dans les cas où leurs positions menaçaient de céder, les Turcs se contentaient de se replier sur une autre ligne défensive en amont. Les deux corps adverses étaient au bout d’une longue chaîne logistique, mais ce facteur pesa plus lourdement sur les Britanniques, contraints d’adopter une posture offensive. De nouvelles troupes furent jetées dans la bataille, le XIIIe corps se vit attribuer la 2ième division d’infanterie en provenance de Gallipoli, alors que le Tigris Corps bénéficia de l’arrivée de la 13ième division indienne en avril.  La montée en ligne de cette dernière permit aux Britanniques de relancer leur offensive, mais les quatre assauts lancés en avril n’eurent pas plus de succès que les précédents. Au cours des combats du premier tiers de l’année 1916, le XIIIe corps ottoman perdit 8835 hommes, alors que les pertes du Tigris Corps se montèrent à 19'863 tués et blessés. Pendant ce temps, les rations des défenseurs de Kut-el-Amara furent réduites de moitié, et le ravitaillement largué par l’aviation britannique était bien trop limité pour permettre de subvenir aux besoins de la garnison. Après l’échec des dernières tentatives de dégagement du Tigris Corps, le major-général Townshend se résolut à rendre les armes le 29 avril, après un siège long de près de cinq mois. Les Turcs firent à cette occasion 13'000 prisonniers et capturèrent 40 canons.

      Cette victoire relativise fortement le préjugé selon laquelle la seule force de l’armée ottomane aurait résidé dans l’abnégation de ses soldats anatoliens, et qu’elle aurait dépendu de l’expertise de ses conseillers allemands pour mener ses opérations. Il s’agit en effet bien d’un officier turc, Noureddine Pacha, qui, par ses décisions en novembre et en décembre 1915, créa les conditions nécessaires à la défaite anglaise qui suivit.


     Cette première année de combats en Mésopotamie démontre que la première guerre mondiale ne se résuma pas à une guerre des tranchées ; dans l’actuel Irak, ou encore sur le front de l’Est, la densité inférieure des combattants et de l’artillerie permit aux armées belligérantes de pratiquer une guerre de mouvements plus longtemps qu’en France. Cependant, au fur et à mesure que les adversaires amassèrent des forces de plus en plus importantes sur des espaces nécessairement réduits par les contraintes géographiques locales, la dynamique des combats en Mésopotamie ressembla de plus en plus, mais à petite échelle, à celle observée sur le front de l’Ouest dès la fin de 1914. Le feu prédomina temporairement sur le choc, offrant un avantage systématique au défenseur. Entre novembre 1915 et avril 1916, les Britanniques ne parvinrent pas à percer les lignes ottomanes à Salman Pak ou en amont de Kut-el-Amara, alors que les Turques se révélèrent pareillement incapables de franchir les défenses de la 6th Indian Infantry division.


Bibliographie
Edward J. Erickson, Ordered to Die: A history of the Ottoman Army in the First World War, Greenwood Press, 2001
Edward J. Erickson, Ottoman Army Effectiveness in World War I: a comparative study, Routledge, 2007
Lt Col Townend, The Campaign in Mesopotamia 1914-1915, via www.army.mod.uk
Altay Atli, www.turkeyswar.com
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2 commentaires:

  1. une petite bourde... triple alliance au lieu de triple entente.

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    1. Bonjour,

      Merci de me l'avoir signalée !
      Je viens de la corriger.

      Cordialement

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