Deux
images résonnent dans l’imaginaire collectif à l’évocation du rôle de l’empire
ottoman dans la première guerre mondiale ; la sanglante campagne de
Gallipoli et l’odyssée de Lawrence d’Arabie. Pourtant, un autre front fut le
théâtre de l’une des pires défaites subie par les Britanniques au cours de leur
histoire.
Adrien Fontanellaz, avril 2012
Après une brève période de neutralité, la
Sublime Porte se rangea du côté des empires centraux. Le casus belli fut fourni par les vaisseaux allemands Goeben et Breslau, qui, partis d’un port turc, bombardèrent la base navale
russe d’Odessa à la fin du mois d’octobre. La Russie déclara la guerre contre
l’Empire ottoman le 1er novembre 1914, suivie par la Grande-Bretagne
le 5 novembre. Six jours plus tard, le
sultan Mehmed V lançait un appel au Jihad
contre les pays de la Triple-Entente. L’armée ottomane avait planifié,
pour débuter les hostilités, une offensive contre l’Egypte, alors protectorat
anglais, et dans le Caucase russe. A contrario, La Mésopotamie, était perçue
par Constantinople comme une arrière-cour peu susceptible d’être menacée.
En
août 1914, cette région était couverte par la 4ième armée. Celle-ci
était composée des XIIe (35ième et 36ième divisions
d’infanterie) et XIIIe (37ième et 38ième divisions
d’infanterie) corps. Cependant, dès le mois de septembre, le XIIe corps fut
intégralement redéployé en Syrie avec l’état-major de la 4ième
armée, tandis que le XIIIe corps fut dépêché dans le Caucase en laissant une de
ses deux divisions sur place. La
protection des vilayets (provinces)
de Mossoul, Bagdad et Bassora revint à un nouveau « commandement
territorial de l’Irak » qui n’était plus que l’ombre de la 4ième
armée. Pour défendre la Mésopotamie, ce dernier ne disposait plus que de la 38ième
division d’infanterie, d’un bataillon indépendant de l’armée, de huit
bataillons de garde-frontière et de neuf bataillons de gendarmerie (Jendarma), soit un total de 23'000
hommes et 33 pièces d’artillerie. Le recrutement de ces unités était en bonne
partie local et elles manquaient d’officiers. De plus, l’équipement était
inférieur à celui octroyé aux troupes déployées face au Caucase ou en Thrace.
La 38ième division n’alignait ainsi que six bataillons d’infanterie
au lieu des neuf réglementaires. Fao et Abadan étaient faiblement défendues par
des petits détachements, alors que la garnison de Bassora comptait 4700
fusiliers, 18 canons de campagne et trois mitrailleuses. Dans l’ensemble, le
dispositif turc était plus adapté au maintien de la sécurité intérieure, dans
une zone où l’allégeance des tribus locales était incertaine, qu’à
l’affrontement avec une puissance étrangère.
En
l’occurrence, la perception stratégique du commandement ottoman s’avéra
complètement erronée. Dans les mois précédents la guerre, le gouvernement
britannique avait attribué la responsabilité du Golfe persique au gouvernement
indien, en l’autorisant à s’emparer du vilayet
de Bassora en cas de conflit, afin de protéger les infrastructures pétrolières
s’y trouvant. L’opération avait aussi un but indirect; affaiblir l’assise
de la Sublime Porte auprès des populations arabes en diminuant son prestige. Le
16 octobre 1914, l’avant-garde de la Indian
Expeditionary Force D, centrée autour de la 6th Indian Infantry Division (composée principalement des 16ième,
17ième et 18ième brigades d’infanterie indienne)
embarquait à Bombay à destination du Golfe Persique. Le corps expéditionnaire débarqua à Fao, à
l’embouchure du Chatt el-Arab le 6 novembre 1914, et s’empara du fort
protégeant le port le même jour, avant de poursuivre et de capturer Shail, sans
grande résistance, le 17 novembre. Pris par surprise par cette menace
inattendue, les Turcs durent se résoudre à évacuer Bassora, qui tomba le 20
Novembre. Au cours de ces premiers combats, les troupes indiennes firent 1000
prisonniers et capturèrent trois canons.
Deux semaines plus tard, les forces
anglaises s’attaquèrent à la ville de Qurna. Celle-ci se trouvait à l’endroit
où le Tigre et l’Euphrate se rejoignent pour former le Chatt-el-Arab, et
constituait donc un carrefour stratégique d’une immense importance. En effet,
la Mésopotamie était de facto, et ce
depuis des siècles, l’arrière-cour de l’empire ottoman. A ce titre, elle était pratiquement dépourvue
d’infrastructures, et ses seules artères de communication étaient les voies de
navigation fluviales. Cette contrainte géographique allait lourdement peser sur
la liberté de manœuvre des belligérants en les contraignant à déplacer leurs
forces en suivant le cours des fleuves. Une première attaque, menée par la 18ième
brigade d’infanterie indienne fut repoussée par la garnison turque le 4
décembre. Une seconde tentative échoua à son tour le 7 décembre 1914. Le
troisième assaut, appuyé par les tirs de canonnières, emporta la décision. Le
commandant ottoman, coupé de ses arrières et ayant perdu la moitié de ses
troupes dans les combats capitula le 9 décembre 1914. Les Anglais capturèrent à
cette occasion un millier de prisonniers.
La 38ième division turque, qui avait mené le gros des
combats, était alors exsangue. Outre l’allant avec lequel ils menèrent leurs
opérations, les Britanniques devaient leur succès à leur supériorité numérique.
L’Indian Expeditionary Force D
alignait douze bataillons d’infanterie, et 30 canons de campagne. Elle
bénéficiait de surcroît de l’appui d’une flottille fluviale armée par des
équipages de la Royal Navy. Celle-ci
assurait principalement la logistique et
le transport du corps expéditionnaire mais ses canonnières pouvaient aussi
fournir un appui-feu considérable aux troupes terrestres.
L’avance
anglo-indienne de janvier à juillet 1915 (via wikimedia.org)
Le front se stabilisa après la chute de
Qurna, aucune opération d’envergure n’intervint durant les trois premiers mois
de 1915. Les Turcs mirent à profit cette période pour reconstituer leur 38ième
division, tandis que des renforts arrivèrent en février 1915, sous la forme de la
35ième division d’infanterie. Les Anglais ne restèrent pas non plus
inactifs. L’Indian Expeditionary Force D
devint le IIe Indian Corps en avril
1915 avec l’arrivée des deux régiments de cavalerie de la 6th Indian Cavalry Brigade
et surtout de la 12th Indian Infantry
Division, dont les brigades (12ième, 30ième et 33ième)
alignaient onze bataillons d’infanterie. Trente pièces d’artillerie accompagnèrent
ces renforts, mais certaines d’entre elles n’étaient pas mobiles, alors que
d’autres nécessitaient des attelages à bœufs pour être déplacées.
L’armée
ottomane mit à profit l’arrivée de renforts en passant à l’offensive à la
mi-avril 1915. La 38ième division tenta de faire sauter le verrou
défensif britannique de Shaiba, protégeant le flanc Sud de Bassora. Celui-ci
était défendu par les 16ième et 18ième brigades
d’infanterie et la 6ième brigade de cavalerie, appuyées par 24
canons. Mal soutenue par une artillerie vite muselée par les pièces anglaises,
l’infanterie turque s’épuisa en lançant plusieurs assauts infructueux les 12 et
13 avril, avant de subir une contre-attaque d’envergure qui les contraignit au
repli le 14 avril. La résistance de l’arrière-garde ottomane s’effondra in extremis en fin d’après-midi, alors
même qu’elle était parvenue à bloquer la progression ennemie. Les Britanniques
donnèrent le nom de « Miracle de Shaiba » à l’épisode. Leurs pertes
se montèrent à un millier d’hommes, dont 161 tués. Au terme de leur repli 120 kilomètres plus au
Nord, les Turcs avaient perdu 6000 tués et blessés, dont 2'000 étaient des
miliciens tribaux, ainsi que 700 prisonniers. Ce désastre fit une dernière
victime lorsque le commandant turc, malade et épuisé, se suicida de dépit.
Bénéficiant de l’ascendant obtenu lors de
la bataille de Shaiba, et désireux de compenser l’enlisement de la campagne de
Gallipoli par des victoires en Mésopotamie, les Anglais fixèrent au IIe Indian corps des objectifs plus
ambitieux que le simple contrôle du vilayet
de Bassora. La 6ième division indienne, placée sous les ordres
d’un nouveau chef, le major-général Charles Townshend, perça rapidement les
lignes turques au Nord de Qurna, puis s’empara d’Al-Amara le 4 juin 1915 à la suite d’une poursuite effrénée de
l’ennemi sur 138 kilomètres le long du Tigre. Les Britanniques firent, au prix
de 4 tués et 21 blessés, 1773 prisonniers et capturèrent 12 canons. Peu après,
la 12ième division indienne arriva devant Nasiriya le 7 juillet
1915, après avoir été acheminée par voie fluviale depuis Qurna en passant par
les eaux du lac Hammer et de l’Euphrate. Une première attaque menée par la 30ième
brigade échoua le 14 juillet 1915. Nasiriya tomba le 20 juillet à la suite d’un
second assaut lancé avec l’aide des deux autres brigades de la division et soutenu par les tirs des
canonnières. Incapables, pour des raisons logistiques, de mener des opérations
simultanées le long de deux fleuves, les Britanniques optèrent pour une
poursuite de leur avance le long du Tigre. La 6th Indian Infantry Division se remit en marche le 1er
septembre 1915, et arriva devant Kut-el-Amara le 26, après avoir parcouru 120
kilomètres. Douze bataillons d’infanterie appartenant aux 35ième et
38ième divisions d’infanterie appuyés par 38 canons défendaient les
deux rives du fleuve. Les unités turques étaient cependant en sous-effectif,
leurs deux divisions n’alignant que 7'000 hommes au total. L’attaque anglaise
débuta le 28 septembre par un assaut frontal contre les redoutes turques doublé
d’une manœuvre d’enveloppement par la Nord. Une contre-attaque menée par quatre
bataillons gardés en réserve par les Ottomans échoua, et ceux-ci retraitèrent,
poursuivis par les Anglais jusqu’ à Aziziya, 100 kilomètres au Nord. Entre la
bataille et la poursuite, les Turcs perdirent 4'000 hommes, dont 1'200 avaient été
capturés par l’ennemi avec quatorze canons.
De Fao à Kut-el-Amara, chaque engagement
d’importance s’était soldé par une victoire anglo-indienne. Les officiers
britanniques ne réalisèrent cependant pas que depuis le début des opérations, ils avaient
été confrontés à des unités de second ordre. En effet, les 35ième et
38ième divisions d’infanterie ottomanes qui affrontèrent seules les
Anglais étaient, nous l’avons vu, sous-encadrées et sous-équipées avant même le
début des hostilités. Décimées à plusieurs reprises, elles durent à chaque fois
être hâtivement reconstituées avec des recrues enrôlées sur place sans pour
autant disposer du temps nécessaire pour les entraîner convenablement ou
développer leur esprit de corps. Pourtant, mêmes fragiles et constamment
battues, ces unités parvinrent régulièrement à retraiter en bon ordre et à
conserver leur cohésion, ce qui témoigne de la qualité de leur encadrement. De
plus, l’effectif théorique d’une division ottomane, avec 12'538 hommes, était
bien inférieur à celui d’une division indienne, qui atteignait 24’389 hommes,
soit près de deux fois plus. Le 5 octobre 1915, une directive du
quartier-général de Constantinople transforma le « commandement
territorial de l’Irak » en 6ième armée, celle-ci restant dirigée
par le même homme, le colonel Noureddine Pacha, en attendant l’arrivée d’un nouveau
chef, le maréchal allemand Colmar von der Goltz. Craignant de perdre Bagdad, le
commandement turc avait consenti à renforcer le front mésopotamien avec trois
divisions ; la 45ième division d’infanterie, une nouvelle unité
formée à partir d’un noyau de 5’000 gendarmes et garde-frontière, et surtout
les 51ième et 52ième divisions d’infanterie, récemment rebaptisées,
mais aguerries par huit mois de combat contre les Russes sur le front du
Caucase. Après avoir vu leurs pertes comblées, ces deux très bonnes unités
reçurent l’ordre de se rendre à Bagdad dès le 4 octobre 1915. Cependant, seules
les 45ième et 51ième divisions furent en mesure de participer
à la prochaine bataille.
Cavalerie
indienne progressant le long du Tigre (via wikimedia.org)
Les Turcs établirent une forte position à
Salman Pak, une trentaine de kilomètres avant Bagdad, pour stopper la prochaine
offensive anglaise. Ce dispositif comprenait une première ligne, longue de dix
kilomètres, composée d’une douzaine de redoutes reliées entre elles par des
tranchées. Celle-ci était tenue par les 38ième et 45ième
divisions. Une seconde ligne, derrière laquelle était regroupée la 51ième
division, avait été préparée trois kilomètres derrière la première. Le Tigre
couvrait un des flancs du dispositif, la 35ième division gardait
seule la rive Sud du fleuve. Enfin, l’artillerie avait été concentrée au centre
de la position, de manière à pouvoir couvrir les axes d’approche les plus
probables. Avec 20'000 hommes, 19 mitrailleuses et 52 canons, l’armée ottomane
bénéficiait pour la première fois d’une supériorité numérique significative sur
le champ de bataille. Après avoir avancé depuis Kut-el-Amara, les Anglais
donnèrent l’assaut contre la nouvelle position ottomane le 22 novembre 1915.
Conforté par les batailles précédentes, où les Turcs avaient toujours cédés
après de violents assauts frontaux, et sous-estimant l’importance des forces
adverses, le major-général Townshend lança la totalité de ses 11'000 combattants,
répartis en quatre colonnes, contre la première ligne ottomane. Les trois
premières colonnes devaient fixer l’ennemi tandis la quatrième devait
l’envelopper. A 13h30, après des heures de très violents combats, les soldats
indiens et anglais parvinrent à s’emparer de la première ligne après avoir
malmené les 38ième et 45ième divisions turques. Noureddine
Pacha lâcha alors son atout majeur, la 51ième division, qui
contre-attaqua jusqu’au soir, stoppant la progression anglaise. Le lendemain,
en pleine tempête de sable, ces derniers relancèrent leur attaque, que le
commandant turque jugula grâce aux restes de la 45ième division et
en jetant la 35ième division dans la bataille après lui avoir fait
traverser le Tigre. Les deux adversaires épuisés, les combats cessèrent le 25
novembre au matin. Le verrou de Salman Pak avait tenu, et le major-général Townshend
se résolut à retraiter vers Kut-el-Amara. Ironiquement, le commandant turque
avait lui aussi ordonné un repli, qu’il annula après avoir appris le retrait
anglais. A la fin de la bataille, la division indienne, saignée à blanc, comptait
4441 officiers et hommes de troupes hors de combat. Les Ottomans avaient perdus
6188 soldats tués ou blessés, soit le tiers de leur infanterie. Les effectifs
de la 51ième division avaient été amputés de 12%, ceux de la 35ième
division de 25% et ceux de la 45ième division de 65%.
Les
troupes ottomanes se lancèrent immédiatement à la poursuite des Anglais, mais
furent ralenties par une logistique défaillante. La 6ième division
indienne retraita en bon ordre, évitant ainsi d’offrir une proie vulnérable à
ses poursuivants ; elle ne perdit que 500 hommes capturés par l’ennemi. Le
3 décembre, ses forces ayant atteint Kut-el-Amara, le major-général Townshend
prit la décision fatidique de s’y retrancher. En effet, la ville était située
dans une péninsule formée par un méandre du Tigre, réduisant d’autant le front
à tenir face à un assiégeant. Les Britanniques y disposaient d’importants
stocks de nourritures et de munitions, suffisants pour soutenir un siège
plusieurs mois. Enfin, la défaite de
Salman Pak, avait causé l’octroi de renforts au théâtre mésopotamien. Les 3rd Indian Infantry division et 7th Indian Infantry division étaient
attendues pour le début de l’année 1916, et seraient donc disponibles pour
venir secourir la garnison isolée. Cette dernière commença à se retrancher dès
son arrivée, et occupa également une
petite tête de pont sur la rive droite du Tigre, reliée à la ville par un pont
de bateaux.
L’encerclement de Kut-el-Amara débuta le 5 décembre 1915 avec
l’arrivée de la 45ième division, qui commença aussitôt à emménager des
tranchées en face des lignes ennemies. L’artillerie ottomane ne tarda pas à
interdire l’usage du fleuve aux embarcations britanniques. En parallèle, des
troupes turques étaient détachées en aval pour empêcher l’arrivée de secours.
Souhaitant attaquer rapidement pour ne pas laisser à son adversaire le temps de
consolider ses retranchements, Noureddine Pacha, toujours en charge des
opérations, envoya la 35ième division attaquer les positions
ennemies sur la rive droite du Tigre. Après plusieurs heures de violents
combats, seul un village restait en possession des Britanniques, qui durent se
résoudre à faire sauter le pont de bateaux reliant les deux rives. Plusieurs assauts
massifs contre la péninsule menés par les 38ièmes, 45èmes
et 51ièmes divisions furent repoussés par la 6th Indian Infantry division les 10 et 11 décembre. Les attaques
frontales menées à travers un no man’s
land dépourvus d’accidents de terrain et sous les tirs croisés britanniques
coûtèrent aux Ottomans près de 1300 soldats tués et blessés. Puis, du 12 au 22
décembre, ils changèrent de tactique et lancèrent des opérations de harcèlement
visant à user l’adversaire. Celles-ci se révélèrent tout aussi meurtrières; les
Turcs perdant encore 365 tués et 569
blessés, les pertes anglaises se montant à 498 hommes. Une dernière tentative
de grande ampleur eut lieu le 25 décembre ; après une préparation
d’artillerie de cinq heures, la 52ième division tenta de prendre un
vieux fort défendu par deux bataillons ennemis. A la fin de la journée, les
Anglais étaient parvenus à repousser l’attaque au prix de 382 hommes, mais
infligèrent des pertes deux fois et demi supérieures aux assaillants. Les Turcs
renoncèrent ensuite à ces couteux assauts, pour se contenter de maintenir
l’encerclement et de harceler la garnison avec leur artillerie et les avions des
deux escadrilles présentes en Mésopotamie.
Dès le début du mois de janvier 1916,
l’armée ottomane avait réorganisé son dispositif. Saignée à blanc, la 38ième
division avait été dissoute en décembre. Les remplacements octroyés ne
suffisant pas à combler les pertes, la taille des autres divisions ottomanes
était réduite à celle de brigades. Le XVIIIe corps, composé des 45ième
et 51ième divisions continuait à assiéger Kut-el-Amara et à bloquer
une éventuelle tentative de sortie, tandis que le XIIIe corps, avec les 35ième
et 52ième divisions, avait établi un verrou défensif trente
kilomètres en aval, afin de bloquer
l’avance des secours anglais. Pour les Turcs affaiblis et incapables de forcer
la décision à Kut-el-Amara par un assaut frontal, l’enjeu de la bataille allait
être de garder à distance les secours britanniques le temps nécessaire à ce que
la 6th Indian Infantry division soit
contrainte à la capitulation après avoir épuisé ses stocks de
ravitaillement.
Troupes
ottomanes devant Kut-el-Amara (via wikimedia.org)
En janvier et mars 1916, le Tigris Corps, composé des 3ième
et 7ième divisions indiennes, attaqua le XIIIe corps à quatre reprises,
sans succès. Contraintes de lancer des assauts frontaux sur un terrain boueux
et disposant d’une artillerie insuffisante, les troupes anglo-indiennes ne
parvinrent pas à obtenir un résultat décisif. Dans les cas où leurs positions
menaçaient de céder, les Turcs se contentaient de se replier sur une autre
ligne défensive en amont. Les deux corps adverses étaient au bout d’une longue
chaîne logistique, mais ce facteur pesa plus lourdement sur les Britanniques,
contraints d’adopter une posture offensive. De nouvelles troupes furent jetées dans
la bataille, le XIIIe corps se vit attribuer la 2ième division
d’infanterie en provenance de Gallipoli, alors que le Tigris Corps bénéficia de l’arrivée de la 13ième
division indienne en avril. La montée en
ligne de cette dernière permit aux Britanniques de relancer leur offensive,
mais les quatre assauts lancés en avril n’eurent pas plus de succès que les
précédents. Au cours des combats du premier tiers de l’année 1916, le XIIIe
corps ottoman perdit 8835 hommes, alors que les pertes du Tigris Corps se montèrent à 19'863 tués et blessés. Pendant ce
temps, les rations des défenseurs de Kut-el-Amara furent réduites de moitié, et
le ravitaillement largué par l’aviation britannique était bien trop limité pour
permettre de subvenir aux besoins de la garnison. Après l’échec des dernières
tentatives de dégagement du Tigris Corps,
le major-général Townshend se résolut à rendre les armes le 29 avril, après un
siège long de près de cinq mois. Les Turcs firent à cette occasion 13'000
prisonniers et capturèrent 40 canons.
Cette victoire relativise fortement le
préjugé selon laquelle la seule force de l’armée ottomane aurait résidé dans
l’abnégation de ses soldats anatoliens, et qu’elle aurait dépendu de l’expertise
de ses conseillers allemands pour mener ses opérations. Il s’agit en effet bien
d’un officier turc, Noureddine Pacha, qui, par ses décisions en novembre et en
décembre 1915, créa les conditions nécessaires à la défaite anglaise qui
suivit.
Cette première année de combats en
Mésopotamie démontre que la première guerre mondiale ne se résuma pas à une
guerre des tranchées ; dans l’actuel Irak, ou encore sur le front de
l’Est, la densité inférieure des combattants et de l’artillerie permit aux
armées belligérantes de pratiquer une guerre de mouvements plus longtemps qu’en
France. Cependant, au fur et à mesure que les adversaires amassèrent des forces
de plus en plus importantes sur des espaces nécessairement réduits par les
contraintes géographiques locales, la dynamique des combats en Mésopotamie ressembla
de plus en plus, mais à petite échelle, à celle observée sur le front de
l’Ouest dès la fin de 1914. Le feu prédomina temporairement sur le choc,
offrant un avantage systématique au défenseur. Entre novembre 1915 et avril
1916, les Britanniques ne parvinrent pas à percer les lignes ottomanes à Salman
Pak ou en amont de Kut-el-Amara, alors que les Turques se révélèrent
pareillement incapables de franchir les défenses de la 6th Indian Infantry division.
Bibliographie
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Press, 2001
Edward J. Erickson, Ottoman Army Effectiveness in World War I: a
comparative study, Routledge, 2007
Lt Col Townend, The Campaign in Mesopotamia 1914-1915,
via www.army.mod.uk
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une petite bourde... triple alliance au lieu de triple entente.
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