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samedi 3 mars 2012

Le 1er régiment suisse en Italie

Depuis maintenant plus d’une décennie, avec les guerres en Irak et en Afghanistan,  la lutte contre-insurrectionnelle est revenue au cœur de l’actualité.  Si tout le monde se souvient que l’origine du mot « guérilla » remonte à la guerre d’Espagne, le fait que des rebellions similaires aient eu lieu à la même époque dans le Tyrol autrichien et dans le Sud de l’Italie tend à être oublié. Chose plus étonnante encore, des troupes suisses  furent engagées contre des partisans en Espagne et en Italie. Voici donc l’histoire de la création et du déploiement du 1er régiment suisse en Italie.

                                                                        Adrien Fontanellaz, mai 2012

Naissance du régiment   

   Le 20 août 1792, l’Assemblée législative française mettait fin, au grand dam des généraux de la nouvelle république, à une pratique datant du XVIe  siècle en décrétant le licenciement des douze régiments suisses alors au service de la France. Cette rupture avec les pratiques de l’ancien régime s’avéra éphémère ; en novembre 1798, la république helvétique dut lever six demi-brigades, nouvelle désignation des régiments dans la terminologie révolutionnaire, pour le compte de sa grande sœur française.
   L’arrivée au pouvoir du général Bonaparte s’avéra bénéfique pour la Suisse. Celui-ci renonça à imposer le modèle centralisateur voulu par ses prédécesseurs au bénéfice d’une restauration de la Confédération helvétique, accordant à nouveau de larges prérogatives aux cantons. Cette mansuétude avait cependant un prix. Les nouvelles autorités confédérées durent s’engager dans une alliance défensive de cinquante ans avec la République française. La proclamation de cette alliance eut pour corollaire la signature, le 27 septembre 1803 dans la ville de Fribourg, alors capitale du pays, d’une capitulation militaire incluant la mise au service de la France de quatre régiments d’infanterie de ligne. L’accord stipulait que l’effectif de chacun de ces quatre régiments devait être de 4'000 hommes. De plus, si le territoire national français devait être violé, la Suisse s’engageait à fournir 8'000 soldats supplémentaires. Comme le pays comptait alors une population mâle de 225'000 hommes en âge de servir, il s’agissait d’un effort important. Ces soldats, engagés pour quatre ans, ne pourraient pas être déployés hors de l’Europe continentale, et devaient par ailleurs rester soumis à la justice militaire helvétique. Enfin, la Suisse devait financer leur équipement, mais la solde devait être versée par la France. Celle-ci était égale à celle des troupes de ligne françaises, et se montait, pour un soldat, à 1 francs 20 par jour. Le commandant du régiment touchait 270 francs par mois. Les officiers en-dessus du grade de major devaient être nommés directement par le Premier Consul.
   L’organisation de ces régiments était définie par la capitulation militaire. Outre leurs états-majors, Ils devaient compter quatre bataillons d’infanterie, un dépôt, chargé de former les nouvelles recrues, et une compagnie d’artillerie régimentaire, forte de deux canons de 4 livres. Chaque bataillon alignait neuf compagnies dont huit de fusiliers et une de grenadiers. Cette dernière était voulue comme une unité de choc à la disposition du chef de bataillon en cas de besoin. Par la suite, une des compagnies de fusiliers fut convertie en compagnie de voltigeurs. Celle-ci était une innovation française et devait, dans la bataille, se déployer en ordre dispersé en avant des autres compagnies, et harceler par ses tirs la ligne ennemie. Ses soldats devaient donc être capable d’initiative et savoir utiliser le terrain à leur avantage, contrairement aux fusiliers qui devaient avant tout être capables de conserver leur formation dans les pires conditions. Le recrutement des compagnies se faisait sur une base cantonale.

Effectif théorique des compagnies d’un régiment


Compagnie
Officiers et sous-officiers
Hommes de troupe
grenadiers
18
76
fusiliers
18
96
voltigeurs
18
96
artillerie
4
64

D'après David Greentree et Henri de Schaller, selon bibliographie

   Près de deux années s’écoulèrent avant la création du premier régiment suisse. En mars 1805, Napoléon Bonaparte, devenu empereur quelques mois plus tôt, ordonna la dissolution des vestiges des trois demi-brigades helvétiques issues de la fusion des six demi-brigades originelles levées en 1798, de la légion helvétique et des anciens régiments suisses au service du Piémont. Les hommes de ces trois unités très diminuées devaient se fondre dans le 1er régiment suisse, crée par décret impérial le 15 mars 1805. La 1ère demi-brigade fut dissoute à la Rochelle le 11 mai 1805, pour donner naissance au 3e bataillon du nouveau régiment. La 2ième demi-brigade suivit un mois plus tard à Livourne, pour former le 4e bataillon, alors que la 3ième demi-brigade, mieux dotée que ses deux consœurs, fournit les effectifs nécessaires à la formation des 1e et 2e bataillons le 5 juillet 1805 à Bastia. Les soldats du nouveau régiment portaient le traditionnel habit rouge des troupes suisses, orné des parements, collets et revers jaunes de la 3ième demi-brigade. 
Soldats du 1er régiment (via europeana.eu)

   Au début du mois de juillet 1805, le régiment nouvellement formé fut placé sous les ordres du colonel André Raguettly, un grison auparavant commandant de la 3ième demi-brigade, et déclaré opérationnel. Son dépôt régimentaire se trouvait à Turin, le 1e bataillon à Bastia, le 2e sur l’île d’Elbe, le 3e en route vers Modène et le 4e en transit vers Gênes. Il comptait alors 131 officiers et 2766 sous-officiers et soldats, au lieu des 4000 prévus, et n’alignait que 32 compagnies sur les 36 réglementaires. La compagnie d’artillerie régimentaire se trouvait à Cherbourg, et ne rallia son unité-mère qu’en 1807.  


Le 1er régiment suisse en Italie 1805-1806

   En septembre 1805, les 3e et 4e bataillons furent rattachés à l’armée de réserve d’Italie. Celle-ci, commandée par Gouvion Saint-Cyr, était chargée du blocus de Venise, défendue par une garnison austro-hongroise. Le 4e bataillon suisse renforça la division du général Reynier, forte de 7'000 hommes. Le 22 novembre 1805, le commandant en chef français apprit l’approche d’une division autrichienne qui tentait de rejoindre les troupes bloquées dans Venise. Elle comprenait 8 bataillons d’infanterie, 12 escadrons de cavalerie et 12 canons, soit entre 5'000 et 7'000 hommes, commandés par le prince de Rohan. Gouvion Saint-Cyr divisa son armée en trois éléments. Une division continua à assiéger Venise, la division Reynier se porta à la rencontre de l’adversaire, tandis que la réserve de troupes polonaises, menée par le général français en personne, manœuvra pour flanquer l’ennemi par la droite. L’affrontement eut lieu le 24 novembre 1805, à Castel-Franco, à une cinquantaine de kilomètres de Venise, dans un terrain coupé de haies. Dans un premier temps, la division Reynier affronta seule les troupes du prince de Rohan. Le 4e bataillon se trouva violemment pris à partie par l’ennemi et dut être renforcé par un bataillon français. Le sort de la bataille fut scellé lorsque les troupes menées par Gouvion Saint-Cyr apparurent sur les arrières austro-hongrois. Ceux-ci durent se résoudre à capituler après avoir vainement tenté de se dégager en faisant charger leur cavalerie. Eugène de Beauharnais, alors vice-roi d’Italie, loua par la suite le comportement des soldats suisses durant la bataille en les décrivant comme efficaces et intrépides.

    Après un court interlude, le 4e bataillon ne tarda pas à entrer à nouveau  en campagne, cette fois dans le Sud de l’Italie. L’Empereur avait en effet ordonné l’invasion du royaume des Deux-Siciles en représailles au ralliement de la branche locale de la famille des Bourbon à la troisième coalition. Début février 1806, 40'000 hommes répartis en trois corps, commandés par le maréchal Masséna, envahirent le royaume. Naples, la capitale, tomba dès le 15 février 1806, et  les restes de la faible armée napolitaine furent balayés durant la bataille de Campo Tenese le 9 mars 1806. Le rôle de 4e bataillon se limita à la garde des prisonniers au soir de la bataille. L’éclatement d’une insurrection dans la vallée de la Trebbia, non loin de Plaisance, empêcha le 3e bataillon de participer à l’invasion. Celui-ci contribua, en janvier et février 1806, à l’écrasement de la rébellion, puis fut ensuite mis au repos à Alexandrie. L’invasion française ne tarda pas à susciter une réaction anglaise. La Royal Navy débarqua un corps expéditionnaire de près de 6'000 soldats dans la baie de St-Euphémie le 1er juillet 1806, dans le but de soutenir les insurrections qui avaient éclaté en Calabre contre l’envahisseur. Ironie du sort, la force anglaise comptait deux régiments suisses au service de la couronne britannique. Une fois informée, la division Reynier, alors la force française la plus proche, marcha à la rencontre de l’ennemi. Les deux petites armées de taille équivalente livrèrent bataille dans la plaine de Maida, près du point de débarquement, dans la journée du 4 juillet 1806. 
   Le général Reynier aligna ses trois brigades face à la ligne anglaise, et place, de manière classique, sa cavalerie sur les flancs. Le 4e bataillon suisse se trouvait dans la brigade du centre, en compagnie de deux bataillons polonais. La brigade de gauche, sous les ordres du général Compère, attaqua prématurément, et avança en colonne vers les positions anglaises, avant de se déployer en ligne à proximité de celles-ci. Les adversaires échangèrent plusieurs salves de mousqueterie avant que la puissance de feu supérieure des fantassins britanniques et une charge à la baïonnette ne mettent la brigade française en fuite. La brigade du centre avança pour couvrir la brigade Compère malmenée, mais dut bientôt retraiter à son tour, le 4e bataillon se trouvant seul face aux Anglais après la fuite des deux bataillons polonais. L’uniforme rouge des fantassins helvétiques leur donna l’opportunité de lâcher une volée à bout portant contre les Ecossais du deuxième bataillon du 78th Highlanders, qui les avaient confondus avec un des régiments suisses combattant leurs côtés. Le 4e bataillon recula ensuite en bon ordre, couvrant le retrait d’autres unités. Une attaque acharnée menée par la troisième brigade française ne parvint pas à renverser le cours de la bataille. Le 4e bataillon perdit dans l’affaire 32 tués, 54 blessés et 55 prisonniers. Sept de ses officiers et sous-officiers reçurent la Croix de la légion d’honneur à la suite de cette bataille. Sévèrement battue, et poursuivie par les partisans présents en nombre dans les collines, la division Reynier se replia vers Catanzaro. Les Suisses eurent l’occasion de mettre une nouvelle fois à profit le rouge de leurs uniformes à Marcellina, un village fortement tenu par les insurgés sur la route de Catanzaro. Les soldats du 4e bataillon défilèrent simplement jusqu’à la place du village sous les acclamations des habitants qui les prirent pour des Anglais, s’y formèrent en carré, puis ouvrirent le feu sur la foule les entourant, facilitant ainsi l’investissement du village par le reste de la division. Le général Reynier parvint ensuite à ramener les 3'000 survivants de son unité à Cassano le 5 août, où il fit sa jonction avec les troupes du maréchal Masséna et la division du général Verdier. 
La bataille de Maida (via wikimedia)
    Le 4e bataillon, ne comptant plus que 256 hommes sur les 600 qu’il alignait au début de la campagne, fut ensuite expédié au repos à Naples, qui servit de point de ralliement au 1er régiment suisse. Le 3e bataillon arriva le 18 août, suivi par le 1e bataillon le 6 octobre et par le 2e bataillon le 5 décembre 1806. Enfin, la compagnie d’artillerie rallia le régiment le 1er avril 1808. C’est durant cette période que chaque bataillon se conforma à la nouvelle organisation des régiments de ligne décrétée par Napoléon en septembre 1805 en  convertissant une de leurs compagnies de fusiliers en compagnie de voltigeurs. La création de ces compagnies spécialisées dans la reconnaissance et le combat en ordre dispersé s’avéra des plus judicieuses pour les bataillons suisses.  En effet, dans les années qui suivirent, le 1er régiment suisse se trouva engagé ponctuellement contre les Anglais et leurs alliés siciliens, qui continuèrent à occuper des enclaves en territoire napolitain et à mener des descentes sur le continent grâce à leur suprématie maritime. Mais surtout, le nouveau royaume de Naples, dont la couronne revint à Joseph Bonaparte, fut confronté dès sa naissance à de violentes insurrections en Calabre et dans les Abruzzes. Les Suisses durent ainsi mener pratiquement sans discontinuer des opérations de petite guerre, faites de coups de mains incessants contre un adversaire élusif, préfigurant ce que connaîtraient bientôt les autres régiments suisses en Espagne.
Face à la perfide Albion 1807-1811
   La victoire de Maida avait permis aux Britanniques d’occuper une série de place fortes en Calabre, que les Français s’efforcèrent de recapturer. Le 1e bataillon fit partie, du 17 juin au 1er juillet 1807, des troupes qui assiégèrent la petite forteresse de Crotone, sur les côtes du golfe de Tarente. La place, bien située, avait été construite sur un sol rocheux qui empêchait de creuser des tranchées d’approche. Ce fut donc la faim qui donna la victoire aux troupes commandées par le général Reynier. Privée de vivre et sans espoirs de renforts, la garnison évacua le fort par la mer dans la nuit du 30 juin au 1er juillet. Les assiégeants perdirent 500 hommes tués par l’adversaire le plus redoutable des soldats en campagne dans la région; les fièvres paludéennes. La reconquête dura encore quelques mois, les dernières troupes britanniques et alliées furent chassées de Calabre début 1808 avec la capitulation de la garnison de Reggio le 2 février 1808. Le 1er régiment suisse faillit passer au service du royaume de Naples durant cette période. La décision avait été ratifiée par les autorités françaises et helvétiques, mais le départ inopiné de Joseph Bonaparte, qui abandonna la couronne de Naples pour recevoir celle d’Espagne, eut pour effet d’enterrer le projet. Son successeur, Joachim Murat, maréchal d’Empire et beau-frère de Napoléon, décida de ne pas prendre de troupes étrangères à son service, afin de manifester sa confiance à ses nouveaux sujets.  
   Si les Anglais n’étaient pas parvenus à conserver leurs positions sur la péninsule, ils continuaient à occuper la petite île de Capri dans le golfe de Naples, en face de la capitale du royaume, et en contrôlaient ainsi les accès maritimes. L’île était défendue par 2000 hommes appartenant aux Royal Corsican Rangers, au Malta Royal Regiment et aux Royal Marines, appuyés par 40 canons. En cas d’attaque, la garnison, commandée par le colonel Hudson Lowe, futur geôlier de Napoléon, pouvait compter sur la Royal Navy pour amener rapidement des renforts et empêcher l’ennemi de faire de même. Installés sur place depuis mai 1806, les Britanniques avaient eu amplement le temps de fortifier l’île, couvrant les plages propices à un débarquement avec des redoutes. De plus, la configuration même de Capri facilitait sa défense ; à une de ses extrémités, le plateau d’Anacapri surplombait une petite plaine, suivie d’un promontoire où était construite la ville éponyme d’une population de 4'000 habitants. 
   A peine couronné, Le nouveau roi de Naples détermina de s’emparer de l’île, espérant réussir là où son prédécesseur avait échoué. La compagnie de grenadiers du 3e bataillon et la compagnie de voltigeurs du 4e bataillon furent sélectionnées pour faire partie du détachement composite de 1600 hommes chargé de l’opération. L’objectif réel de la concentration de ces troupes fut masqué en prétextant la préparation d’une revue en l’honneur de la reine Caroline, l’effet de surprise étant essentiel à la réussite de l’entreprise. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1808, une flottille composée de la Cérère, une puissante frégate de 42 canons, de la corvette La Renommée et de trente-six chaloupes et felouques embarqua les soldats et mit le cap sur Capri. Retardées par le mauvais temps, les troupes débarquèrent dans l’après-midi du 5 octobre, et s’emparèrent du plateau d’Ana Capri dans la nuit, après avoir escaladé une falaise haute de trente mètres à l’aide d’échelles et surmonté une résistance acharnée de l’ennemi. Les forces franco-napolitaines s’emparèrent de la plaine la nuit suivante, les défenseurs se repliant dans la ville de Capri. Le siège de celle-ci débuta aussitôt, les troupes du Roi Murat étant parvenues à mettre en batterie plusieurs pièces d’artillerie, dont certaines étaient servies par la compagnie d’artillerie du 1er régiment suisse. Plusieurs jours de canonnade ouvrirent une brèche dans les murs de la cité, et le colonel Lowe capitula avec des termes favorables, lui et ses hommes étant libre de rembarquer. Les vainqueurs avaient été contraints de consentir à laisser la garnison quitter l’île, dans la mesure où ils étaient informés de l’arrivée imminente de plusieurs milliers de soldats  embarqués sur dix-sept bâtiments de la Royal Navy. Nouvelle ironie du sort, ces renforts britanniques comprenaient le régiment suisse de Wattewille, que les soldats du 1er régiment avaient failli devoir affronter lors de la bataille de Maida deux ans auparavant. La prise de l’île avait coûté 300 tués et blessés aux forces françaises, les pertes anglaises se montant à 80 tués et blessés ainsi que 750 prisonniers. 
    En mars 1809, le 1er régiment suisse fut à nouveau brièvement rassemblé dans la baie de Naples pour faire face à la menace d’un débarquement en force des britanniques. L’alerte fut levée après que ceux-ci se soient contentés de prendre l’île d’Ischia. Un peu plus d’une année plus tard des soldats helvétiques durent s’improviser fusiliers-marins.  Quatre cents hommes embarqués pour renforcer les équipages de la frégate Cérère, de la corvette La Framma et du brick L’Epervier participèrent à un combat le 3 mai 1810 contre  la frégate anglaise de 38 canons HMS Spartan. Le vaisseau britannique parvint à contraindre les navires franco-napolitains à jeter l’éponge, et captura L’Epervier, au prix de 10 tués et 22 blessés, dont son capitaine. Outre l’équipage du brick capturé et son détachement de soldats, les Français reconnurent la perte de 120 tués et blessés, dont 12 Suisses.
Le duel entre la frégate HMS Spartan et la flotte franco-napolitaine (via christies.com)

   Après des années d’âpres combats, les troupes gouvernementales et françaises étaient parvenues à juguler l’insurrection, et le roi de Naples, libre de concentrer une part importante de ses troupes, décida de tenter de conquérir la Sicile. Les 1e et 2e bataillons firent partie des 25'000 hommes massés en face du détroit de Messine pour l’opération. Des navires français parvinrent à faire débarquer deux bataillons napolitains en Sicile le 17 septembre 1810, mais des vents contraires contraignirent les gros de la flotte à rejoindre ses bases, de crainte qu’un séjour prolongé en mer ne l’expose à une réaction meurtrière de la Royal Navy. Les deux bataillons débarqués, isolés, durent se rendre à l’ennemi, consacrant l’échec de la tentative d’invasion.  Ce fut la dernière fois où le régiment suisse se trouva près d’affronter dans la région l’adversaire le plus acharné de la France républicaine, puis impériale.
La petite guerre
  Les opérations opposant les troupes suisses de l’Empereur aux forces britanniques et siciliennes furent, de 1806 à 1811, l’exception plus que la règle. Durant ces années, l’adversaire principal du 1er régiment appartenait à une toute autre catégorie, et l’affronter nécessita des tactiques bien différentes de celles utilisées sur le champ de bataille. Si, durant l’invasion du royaume, les troupes de Masséna n’avaient eu aucune difficulté à vaincre la faible armée régulière des Bourbons, leur irruption avait suscité un vent de révolte, encore renforcé par la victoire britannique de Maida. La cour des Bourbons, réfugiée à Palerme, et ses alliés anglais cherchèrent à soutenir  l’insurrection tout en la gardant sous leur contrôle. Les principales bandes rebelles furent appelées massa (masse ou horde), et leurs chefs, les capomassa, comme Fra Diavolo (frère diable), Santoro (le berger) ou encore De Michello, furent brevetés officiers. Ils pouvaient disposer d’un noyau dur de 300 à 500 combattants soldés par Palerme. A ceux-ci s’ajoutaient des volontaires locaux, si bien que certaines massa purent, à certains moments, aligner plusieurs milliers d’hommes et disposer de pièces d’artillerie. Il était impossible de coordonner totalement les groupes rebelles de l’extérieur, et à côté des massa, une multitude de Comitives, des petits groupes de quelques dizaines d’hommes, sévissaient dans les montagnes, susceptibles de s’adonner autant au brigandage qu’à la lutte contre les troupes françaises. Le relief tourmenté était favorable aux opérations de harcèlement menées par les insurgés. Enfin, la malaria et la dysenterie étaient des alliés impitoyables qui ravageaient les rangs ennemis.
   Les Français n’attendirent pas pour s’attaquer aux insurgés. Une série de sièges furent menés pour capturer l’ensemble des places fortes sur lesquels les rebelles pouvaient s’appuyer; la dernière d’entre elles, Reggio étant prise au début de 1808. La politique des nouvelles autorités fut immédiatement brutale ; le 8 août 1806, le maréchal Masséna fit incendier la ville de Lauria et massacrer plusieurs centaines d’habitants pour l’exemple. Par ailleurs, tout individu armé était susceptible d’être exécuté immédiatement et la population d’un village entier pouvait être considérée comme collectivement responsable si un attentat avait lieu dans les environs. A plusieurs reprises, les têtes de partisans abattus furent fichées sur des piques et exposées. Ce type d’actes avait en partie pour origine la soif de vengeance des soldats face aux exactions commises par les rebelles à l’encontre de camarades, mais était aussi la résultante d’une stratégie d’intimidation délibérée. A l’inverse, une politique de ralliement fut systématiquement mise en œuvre et des amnisties régulières furent proposées aux partisans désireux d’abandonner les armes. Des bandes entières furent retournées contre leurs anciens frères d’armes, leurs chefs se voyant accorder des titres en récompense. Des forces napolitaines, d’une efficacité variable, furent levées et affectées au contrôle des campagnes et des voies de communication.  Enfin, la pratique française comprenait aussi un volet très offensif. Les partisans étaient traqués par les meilleures troupes disponibles.  Des colonnes mobiles composées de 200 à 400 fantassins accompagnés de détachements de cavalerie, suffisamment fortes pour faire face même aux massa les plus importantes, mais assez petites pour rester aussi mobiles que leurs adversaires, chassaient constamment les partisans.  Généralement, les troupes françaises étaient supérieures sur le plan tactique, grâce à leur capacité à manœuvrer groupées et à leur discipline sous le feu. En cas de combats frontaux, les  Français tentaient invariablement de fixer l’ennemi tout en le prenant par les flancs. Si la position d’une bande était connue, les colonnes avançaient de nuit pour surprendre les partisans à l’aube.
   Les soldats du 1er régiment suisse participèrent à de nombreuses reprises à de telles colonnes volantes. Le 18 septembre 1806, des éléments des 3e et 4e bataillons participèrent à la traque de la massa de Fra Diavolo au sein d’une colonne de 500 hommes et 100 cavaliers. A la mi-février 1807, le 3e bataillon lança des opérations de poursuite contre les insurgés dans la région de Cosenza. Puis le reste de l’année, l’ensemble des bataillons du régiment, à l’exception du 4e, toujours à Naples, chassèrent les partisans dans les Abruzzes et en Calabre. En juin 1808, le 1e bataillon s’établit sur un plateau dominant la route entre Naples et Reggio, et fut chargé de la protection des convois circulant sur cette artère importante. Il y participa dès son arrivée à la traque de la bande de Benincasa. De fait, la lutte contre les insurgés mobilisa pratiquement continuellement plusieurs bataillons du 1er régiment jusqu’en 1811, même si à partir de 1809, la rébellion fut progressivement jugulée.  Le prix payé pour ces années de présence dans le Sud de la péninsule italienne fut lourd. Outre les hommes perdus au combat, le régiment perdit des centaines de soldats à cause des maladies ou de l’épuisement. On compta même des suicides dus à ce long déploiement dans une contrée lointaine et inhospitalière. Les pertes étaient partiellement comblées  grâce à un flux réguliers de nouvelles recrues en provenance de la mère-patrie. Ainsi, le régiment comptait 3702 hommes en janvier 1808, 4357 en mai 1808, mais n’alignait plus que 3034 hommes le 1er avril 1809. 
   L’aventure italienne s’acheva, à la grande satisfaction des soldats, lorsque les quatre bataillons furent rassemblés à Villa Giovanni le 9 juillet 1811, le 1er régiment quittant Naples le 21 novembre, à destination de l’Est de l’Europe, où les préparatifs d’invasion de la Russie s’intensifiaient.  
                                                                    
Bibliographie
Alain-Jacques Tornare, Les Vaudois de Napoléon : Des pyramides à Waterloo (1798-1815), Cabedita, 2003
Henri de Schaller, Histoire des troupes suisses au service de France sous le règne de Napoléon Ier, Infolio, 2012
David Greentree, Napoleon’s Swiss Troops, Osprey Publishing, 2012
John R. Elting, Swords around a Throne, Da Capo Press, 1997
Diégo Mané, Le combat de Castel-Franco, in http://www.nicofig.fr/spip.php?article98
Diégo Mané, Maida ou « le désastre de Sainte-Euphémie », in http://www.planete-napoleon.com/docs/L3C16.2.pdf
Nicolas Cadet, «Anatomie d’une « petite guerre », la campagne de Calabre de 1806-1807 », Revue d'histoire du XIXe siècle, 30 | 2005, [En ligne], mis en ligne le 28 mars 2008. URL : http://rh19.revues.org/index1010.html. Consulté le 11 mai 2012.
Marc et Paul Morillon, Capri, Octobre 1808 : Opération amphibie et "commandos" de l'Empereur in http://www.napoleon-series.org/military/battles/c_capri.html

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