Depuis maintenant plus
d’une décennie, avec les guerres en Irak et en Afghanistan, la lutte contre-insurrectionnelle est revenue
au cœur de l’actualité. Si tout le monde
se souvient que l’origine du mot « guérilla » remonte à la guerre d’Espagne,
le fait que des rebellions similaires aient eu lieu à la même époque dans le
Tyrol autrichien et dans le Sud de l’Italie tend à être oublié. Chose plus
étonnante encore, des troupes suisses furent
engagées contre des partisans en Espagne et en Italie. Voici donc l’histoire de
la création et du déploiement du 1er régiment suisse en Italie.
Adrien Fontanellaz,
mai 2012
Naissance du régiment
Le 20 août 1792, l’Assemblée législative
française mettait fin, au grand dam des généraux de la nouvelle république, à
une pratique datant du XVIe siècle en décrétant le licenciement
des douze régiments suisses alors au service de la France. Cette rupture avec
les pratiques de l’ancien régime s’avéra éphémère ; en novembre 1798, la
république helvétique dut lever six demi-brigades, nouvelle désignation des
régiments dans la terminologie révolutionnaire, pour le compte de sa grande
sœur française.
L’arrivée au pouvoir du général Bonaparte
s’avéra bénéfique pour la Suisse. Celui-ci renonça à imposer le modèle
centralisateur voulu par ses prédécesseurs au bénéfice d’une restauration de la
Confédération helvétique, accordant à nouveau de larges prérogatives aux cantons.
Cette mansuétude avait cependant un prix. Les nouvelles autorités confédérées
durent s’engager dans une alliance défensive de cinquante ans avec la
République française. La proclamation de cette alliance eut pour corollaire la
signature, le 27 septembre 1803 dans la ville de Fribourg, alors capitale du
pays, d’une capitulation militaire incluant la mise au service de la France de
quatre régiments d’infanterie de ligne. L’accord stipulait que l’effectif de
chacun de ces quatre régiments devait être de 4'000 hommes. De plus, si le
territoire national français devait être violé, la Suisse s’engageait à fournir
8'000 soldats supplémentaires. Comme le pays comptait alors une population mâle
de 225'000 hommes en âge de servir, il s’agissait d’un effort important. Ces
soldats, engagés pour quatre ans, ne pourraient pas être déployés hors de
l’Europe continentale, et devaient par ailleurs rester soumis à la justice
militaire helvétique. Enfin, la Suisse devait financer leur équipement, mais la
solde devait être versée par la France. Celle-ci était égale à celle des
troupes de ligne françaises, et se montait, pour un soldat, à 1 francs 20 par
jour. Le commandant du régiment touchait 270 francs par mois. Les officiers
en-dessus du grade de major devaient être nommés directement par le Premier
Consul.
L’organisation de ces régiments était définie
par la capitulation militaire. Outre leurs états-majors, Ils devaient compter
quatre bataillons d’infanterie, un dépôt, chargé de former les nouvelles
recrues, et une compagnie d’artillerie régimentaire, forte de deux canons de 4
livres. Chaque bataillon alignait neuf compagnies dont huit de fusiliers
et une de grenadiers. Cette dernière était voulue comme une unité de choc à la
disposition du chef de bataillon en cas de besoin. Par la suite, une des
compagnies de fusiliers fut convertie en compagnie de voltigeurs. Celle-ci était
une innovation française et devait, dans la bataille, se déployer en ordre
dispersé en avant des autres compagnies, et harceler par ses tirs la ligne
ennemie. Ses soldats devaient donc être capable d’initiative et savoir utiliser
le terrain à leur avantage, contrairement aux fusiliers qui devaient avant tout
être capables de conserver leur formation dans les pires conditions. Le
recrutement des compagnies se faisait sur une base cantonale.
Effectif théorique des compagnies d’un régiment
Compagnie
|
Officiers et sous-officiers
|
Hommes de troupe
|
grenadiers
|
18
|
76
|
fusiliers
|
18
|
96
|
voltigeurs
|
18
|
96
|
artillerie
|
4
|
64
|
D'après David Greentree et Henri de Schaller, selon bibliographie
Près
de deux années s’écoulèrent avant la création du premier régiment suisse. En
mars 1805, Napoléon Bonaparte, devenu empereur quelques mois plus tôt, ordonna
la dissolution des vestiges des trois demi-brigades helvétiques issues de la
fusion des six demi-brigades originelles levées en 1798, de la légion helvétique
et des anciens régiments suisses au service du Piémont. Les hommes de ces trois
unités très diminuées devaient se fondre dans le 1er régiment
suisse, crée par décret impérial le 15 mars 1805. La 1ère
demi-brigade fut dissoute à la Rochelle le 11 mai 1805, pour donner naissance
au 3e bataillon du nouveau régiment. La 2ième
demi-brigade suivit un mois plus tard à Livourne, pour former le 4e
bataillon, alors que la 3ième demi-brigade, mieux dotée que ses deux
consœurs, fournit les effectifs nécessaires à la formation des 1e et
2e bataillons le 5 juillet 1805 à Bastia. Les soldats du nouveau
régiment portaient le traditionnel habit rouge des troupes suisses, orné des
parements, collets et revers jaunes de la 3ième demi-brigade.
Soldats du 1er régiment (via europeana.eu) |
Au
début du mois de juillet 1805, le régiment nouvellement formé fut placé sous
les ordres du colonel André Raguettly, un grison auparavant commandant de la 3ième
demi-brigade, et déclaré opérationnel. Son dépôt régimentaire se trouvait à
Turin, le 1e bataillon à Bastia, le 2e sur l’île d’Elbe,
le 3e en route vers Modène et le 4e en transit vers
Gênes. Il comptait alors 131 officiers et 2766 sous-officiers et soldats, au
lieu des 4000 prévus, et n’alignait que 32 compagnies sur les 36
réglementaires. La compagnie d’artillerie régimentaire se trouvait à Cherbourg,
et ne rallia son unité-mère qu’en 1807.
Le 1er
régiment suisse en Italie 1805-1806
En septembre 1805, les 3e et 4e
bataillons furent rattachés à l’armée de réserve d’Italie. Celle-ci, commandée
par Gouvion Saint-Cyr, était chargée du blocus de Venise, défendue par une
garnison austro-hongroise. Le 4e bataillon suisse renforça la
division du général Reynier, forte de 7'000 hommes. Le 22 novembre 1805, le
commandant en chef français apprit l’approche d’une division autrichienne qui
tentait de rejoindre les troupes bloquées dans Venise. Elle comprenait 8
bataillons d’infanterie, 12 escadrons de cavalerie et 12 canons, soit entre
5'000 et 7'000 hommes, commandés par le prince de Rohan. Gouvion Saint-Cyr
divisa son armée en trois éléments. Une division continua à assiéger Venise, la
division Reynier se porta à la rencontre de l’adversaire, tandis que la réserve
de troupes polonaises, menée par le général français en personne, manœuvra pour
flanquer l’ennemi par la droite. L’affrontement eut lieu le 24 novembre 1805, à
Castel-Franco, à une cinquantaine de kilomètres de Venise, dans un terrain
coupé de haies. Dans un premier temps, la division Reynier affronta seule les
troupes du prince de Rohan. Le 4e bataillon se trouva violemment
pris à partie par l’ennemi et dut être renforcé par un bataillon français. Le
sort de la bataille fut scellé lorsque les troupes menées par Gouvion Saint-Cyr
apparurent sur les arrières austro-hongrois. Ceux-ci durent se résoudre à
capituler après avoir vainement tenté de se dégager en faisant charger leur
cavalerie. Eugène de Beauharnais, alors vice-roi d’Italie, loua par la suite le
comportement des soldats suisses durant la bataille en les décrivant comme
efficaces et intrépides.
Après
un court interlude, le 4e bataillon ne tarda pas à entrer à nouveau en campagne, cette fois dans le Sud de
l’Italie. L’Empereur avait en effet ordonné l’invasion du royaume des
Deux-Siciles en représailles au ralliement de la branche locale de la famille
des Bourbon à la troisième coalition. Début février 1806, 40'000 hommes
répartis en trois corps, commandés par le maréchal Masséna, envahirent le
royaume. Naples, la capitale, tomba dès le 15 février 1806, et les restes de la faible armée napolitaine
furent balayés durant la bataille de Campo Tenese le 9 mars 1806. Le rôle de 4e
bataillon se limita à la garde des prisonniers au soir de la bataille. L’éclatement
d’une insurrection dans la vallée de la Trebbia, non loin de Plaisance, empêcha
le 3e bataillon de participer à l’invasion. Celui-ci contribua, en janvier
et février 1806, à l’écrasement de la rébellion, puis fut ensuite mis au repos
à Alexandrie. L’invasion française ne tarda pas à susciter une réaction
anglaise. La Royal Navy débarqua un
corps expéditionnaire de près de 6'000 soldats dans la baie de St-Euphémie le 1er
juillet 1806, dans le but de soutenir les insurrections qui avaient éclaté en
Calabre contre l’envahisseur. Ironie du sort, la force anglaise comptait deux
régiments suisses au service de la couronne britannique. Une fois informée, la
division Reynier, alors la force française la plus proche, marcha à la
rencontre de l’ennemi. Les deux petites armées de taille équivalente livrèrent
bataille dans la plaine de Maida, près du point de débarquement, dans la
journée du 4 juillet 1806.
Le général Reynier aligna ses trois brigades
face à la ligne anglaise, et place, de manière classique, sa cavalerie sur les
flancs. Le 4e bataillon suisse se trouvait dans la brigade du
centre, en compagnie de deux bataillons polonais. La brigade de gauche, sous
les ordres du général Compère, attaqua prématurément, et avança en colonne vers
les positions anglaises, avant de se déployer en ligne à proximité de
celles-ci. Les adversaires échangèrent plusieurs salves de mousqueterie avant
que la puissance de feu supérieure des fantassins britanniques et une charge à
la baïonnette ne mettent la brigade française en fuite. La brigade du centre
avança pour couvrir la brigade Compère malmenée, mais dut bientôt retraiter à
son tour, le 4e bataillon se trouvant seul face aux Anglais après la
fuite des deux bataillons polonais. L’uniforme rouge des fantassins helvétiques
leur donna l’opportunité de lâcher une volée à bout portant contre les Ecossais
du deuxième bataillon du 78th Highlanders,
qui les avaient confondus avec un des régiments suisses combattant leurs côtés.
Le 4e bataillon recula ensuite en bon ordre, couvrant le retrait
d’autres unités. Une attaque acharnée menée par la troisième brigade française
ne parvint pas à renverser le cours de la bataille. Le 4e bataillon
perdit dans l’affaire 32 tués, 54 blessés et 55 prisonniers. Sept de ses
officiers et sous-officiers reçurent la Croix de la légion d’honneur à la suite
de cette bataille. Sévèrement battue, et poursuivie par les partisans présents
en nombre dans les collines, la division Reynier se replia vers Catanzaro. Les
Suisses eurent l’occasion de mettre une nouvelle fois à profit le rouge de
leurs uniformes à Marcellina, un village fortement tenu par les insurgés sur la
route de Catanzaro. Les soldats du 4e bataillon défilèrent
simplement jusqu’à la place du village sous les acclamations des habitants qui
les prirent pour des Anglais, s’y formèrent en carré, puis ouvrirent le feu sur
la foule les entourant, facilitant ainsi l’investissement du village par le
reste de la division. Le général Reynier parvint ensuite à ramener les 3'000
survivants de son unité à Cassano le 5 août, où il fit sa jonction avec les
troupes du maréchal Masséna et la division du général Verdier.
La bataille de Maida (via wikimedia) |
Face à la perfide
Albion 1807-1811
La victoire de Maida avait permis aux
Britanniques d’occuper une série de place fortes en Calabre, que les Français
s’efforcèrent de recapturer. Le 1e bataillon fit partie, du 17 juin
au 1er juillet 1807, des troupes qui assiégèrent la petite
forteresse de Crotone, sur les côtes du golfe de Tarente. La place, bien
située, avait été construite sur un sol rocheux qui empêchait de creuser des
tranchées d’approche. Ce fut donc la faim qui donna la victoire aux troupes
commandées par le général Reynier. Privée de vivre et sans espoirs de renforts,
la garnison évacua le fort par la mer dans la nuit du 30 juin au 1er
juillet. Les assiégeants perdirent 500 hommes tués par l’adversaire le plus
redoutable des soldats en campagne dans la région; les fièvres paludéennes. La
reconquête dura encore quelques mois, les dernières troupes britanniques et
alliées furent chassées de Calabre début 1808 avec la capitulation de la
garnison de Reggio le 2 février 1808. Le 1er régiment suisse faillit
passer au service du royaume de Naples durant cette période. La décision avait
été ratifiée par les autorités françaises et helvétiques, mais le départ
inopiné de Joseph Bonaparte, qui abandonna la couronne de Naples pour recevoir
celle d’Espagne, eut pour effet d’enterrer le projet. Son successeur, Joachim
Murat, maréchal d’Empire et beau-frère de Napoléon, décida de ne pas prendre de
troupes étrangères à son service, afin de manifester sa confiance à ses
nouveaux sujets.
Si les Anglais n’étaient pas parvenus à
conserver leurs positions sur la péninsule, ils continuaient à occuper la
petite île de Capri dans le golfe de Naples, en face de la capitale du royaume,
et en contrôlaient ainsi les accès maritimes. L’île était défendue par 2000
hommes appartenant aux Royal Corsican
Rangers, au Malta Royal Regiment
et aux Royal Marines, appuyés par 40
canons. En cas d’attaque, la garnison, commandée par le colonel Hudson Lowe,
futur geôlier de Napoléon, pouvait compter sur la Royal Navy pour amener rapidement des renforts et empêcher l’ennemi
de faire de même. Installés sur place depuis mai 1806, les Britanniques avaient
eu amplement le temps de fortifier l’île, couvrant les plages propices à un
débarquement avec des redoutes. De plus, la configuration même de Capri
facilitait sa défense ; à une de ses extrémités, le plateau d’Anacapri surplombait
une petite plaine, suivie d’un promontoire où était construite la ville éponyme
d’une population de 4'000 habitants.
A peine couronné, Le nouveau roi de Naples
détermina de s’emparer de l’île, espérant réussir là où son prédécesseur avait
échoué. La compagnie de grenadiers du 3e bataillon et la compagnie
de voltigeurs du 4e bataillon furent sélectionnées pour faire partie
du détachement composite de 1600 hommes chargé de l’opération. L’objectif réel
de la concentration de ces troupes fut masqué en prétextant la préparation
d’une revue en l’honneur de la reine Caroline, l’effet de surprise étant
essentiel à la réussite de l’entreprise. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1808,
une flottille composée de la Cérère, une
puissante frégate de 42 canons, de la corvette La Renommée et de trente-six chaloupes et felouques embarqua les
soldats et mit le cap sur Capri. Retardées par le mauvais temps, les troupes
débarquèrent dans l’après-midi du 5 octobre, et s’emparèrent du plateau d’Ana
Capri dans la nuit, après avoir escaladé une falaise haute de trente mètres à
l’aide d’échelles et surmonté une résistance acharnée de l’ennemi. Les forces franco-napolitaines
s’emparèrent de la plaine la nuit suivante, les défenseurs se repliant dans la
ville de Capri. Le siège de celle-ci débuta aussitôt, les troupes du Roi Murat
étant parvenues à mettre en batterie plusieurs pièces d’artillerie, dont
certaines étaient servies par la compagnie d’artillerie du 1er
régiment suisse. Plusieurs jours de canonnade ouvrirent une brèche dans les
murs de la cité, et le colonel Lowe capitula avec des termes favorables, lui et
ses hommes étant libre de rembarquer. Les vainqueurs avaient été contraints de
consentir à laisser la garnison quitter l’île, dans la mesure où ils étaient
informés de l’arrivée imminente de plusieurs milliers de soldats embarqués sur dix-sept bâtiments de la Royal Navy. Nouvelle ironie du sort, ces
renforts britanniques comprenaient le régiment suisse de Wattewille, que les
soldats du 1er régiment avaient failli devoir affronter lors de la
bataille de Maida deux ans auparavant. La prise de l’île avait coûté 300 tués
et blessés aux forces françaises, les pertes anglaises se montant à 80 tués et
blessés ainsi que 750 prisonniers.
En
mars 1809, le 1er régiment suisse fut à nouveau brièvement rassemblé
dans la baie de Naples pour faire face à la menace d’un débarquement en force
des britanniques. L’alerte fut levée après que ceux-ci se soient contentés de
prendre l’île d’Ischia. Un peu plus d’une année plus tard des soldats helvétiques
durent s’improviser fusiliers-marins. Quatre
cents hommes embarqués pour renforcer les équipages de la frégate Cérère, de la corvette La Framma et du brick L’Epervier participèrent à un combat le
3 mai 1810 contre la frégate anglaise de
38 canons HMS Spartan. Le vaisseau
britannique parvint à contraindre les navires franco-napolitains à jeter
l’éponge, et captura L’Epervier, au
prix de 10 tués et 22 blessés, dont son capitaine. Outre l’équipage du brick
capturé et son détachement de soldats, les Français reconnurent la perte de 120
tués et blessés, dont 12 Suisses.
Le duel entre la frégate HMS Spartan et la flotte franco-napolitaine (via christies.com) |
La petite guerre
Les opérations opposant les troupes suisses
de l’Empereur aux forces britanniques et siciliennes furent, de 1806 à 1811,
l’exception plus que la règle. Durant ces années, l’adversaire principal du 1er
régiment appartenait à une toute autre catégorie, et l’affronter nécessita des
tactiques bien différentes de celles utilisées sur le champ de bataille. Si,
durant l’invasion du royaume, les troupes de Masséna n’avaient eu aucune
difficulté à vaincre la faible armée régulière des Bourbons, leur irruption
avait suscité un vent de révolte, encore renforcé par la victoire britannique
de Maida. La cour des Bourbons, réfugiée à Palerme, et ses alliés anglais cherchèrent
à soutenir l’insurrection tout en la gardant
sous leur contrôle. Les principales bandes rebelles furent appelées massa (masse ou horde), et leurs chefs,
les capomassa, comme Fra Diavolo
(frère diable), Santoro (le berger) ou encore De Michello, furent brevetés
officiers. Ils pouvaient disposer d’un noyau dur de 300 à 500 combattants
soldés par Palerme. A ceux-ci s’ajoutaient des volontaires locaux, si bien que
certaines massa purent, à certains
moments, aligner plusieurs milliers d’hommes et disposer de pièces
d’artillerie. Il était impossible de coordonner totalement les groupes rebelles
de l’extérieur, et à côté des massa,
une multitude de Comitives, des
petits groupes de quelques dizaines d’hommes, sévissaient dans les montagnes,
susceptibles de s’adonner autant au brigandage qu’à la lutte contre les troupes
françaises. Le relief tourmenté était favorable aux opérations de harcèlement
menées par les insurgés. Enfin, la malaria et la dysenterie étaient des alliés
impitoyables qui ravageaient les rangs ennemis.
Les Français n’attendirent pas pour
s’attaquer aux insurgés. Une série de sièges furent menés pour capturer
l’ensemble des places fortes sur lesquels les rebelles pouvaient s’appuyer; la
dernière d’entre elles, Reggio étant prise au début de 1808. La politique des
nouvelles autorités fut immédiatement brutale ; le 8 août 1806, le
maréchal Masséna fit incendier la ville de Lauria et massacrer plusieurs
centaines d’habitants pour l’exemple. Par ailleurs, tout individu armé était susceptible
d’être exécuté immédiatement et la population d’un village entier pouvait être
considérée comme collectivement responsable si un attentat avait lieu dans les
environs. A plusieurs reprises, les têtes de partisans abattus furent fichées sur
des piques et exposées. Ce type d’actes avait en partie pour origine la soif de
vengeance des soldats face aux exactions commises par les rebelles à l’encontre
de camarades, mais était aussi la résultante d’une stratégie d’intimidation
délibérée. A l’inverse, une politique de ralliement fut systématiquement mise
en œuvre et des amnisties régulières furent proposées aux partisans désireux
d’abandonner les armes. Des bandes entières furent retournées contre leurs
anciens frères d’armes, leurs chefs se voyant accorder des titres en
récompense. Des forces napolitaines, d’une efficacité variable, furent levées et
affectées au contrôle des campagnes et des voies de communication. Enfin, la pratique française comprenait aussi
un volet très offensif. Les partisans étaient traqués par les meilleures
troupes disponibles. Des colonnes
mobiles composées de 200 à 400 fantassins accompagnés de détachements de
cavalerie, suffisamment fortes pour faire face même aux massa les plus importantes, mais assez petites pour rester aussi
mobiles que leurs adversaires, chassaient constamment les partisans. Généralement, les troupes françaises étaient
supérieures sur le plan tactique, grâce à leur capacité à manœuvrer groupées et
à leur discipline sous le feu. En cas de combats frontaux, les Français tentaient invariablement de fixer l’ennemi
tout en le prenant par les flancs. Si la position d’une bande était connue, les
colonnes avançaient de nuit pour surprendre les partisans à l’aube.
Les soldats du 1er régiment
suisse participèrent à de nombreuses reprises à de telles colonnes volantes. Le
18 septembre 1806, des éléments des 3e et 4e bataillons
participèrent à la traque de la massa
de Fra Diavolo au sein d’une colonne de 500 hommes et 100 cavaliers. A la
mi-février 1807, le 3e bataillon lança des opérations de poursuite
contre les insurgés dans la région de Cosenza. Puis le reste de l’année,
l’ensemble des bataillons du régiment, à l’exception du 4e, toujours
à Naples, chassèrent les partisans dans les Abruzzes et en Calabre. En juin
1808, le 1e bataillon s’établit sur un plateau dominant la route
entre Naples et Reggio, et fut chargé de la protection des convois circulant
sur cette artère importante. Il y participa dès son arrivée à la traque de la
bande de Benincasa. De fait, la lutte contre les insurgés mobilisa pratiquement
continuellement plusieurs bataillons du 1er régiment jusqu’en 1811,
même si à partir de 1809, la rébellion fut progressivement jugulée. Le prix payé pour ces années de présence dans
le Sud de la péninsule italienne fut lourd. Outre les hommes perdus au combat, le
régiment perdit des centaines de soldats à cause des maladies ou de
l’épuisement. On compta même des suicides dus à ce long déploiement dans une
contrée lointaine et inhospitalière. Les pertes étaient partiellement comblées grâce à un flux réguliers de nouvelles recrues
en provenance de la mère-patrie. Ainsi, le régiment comptait 3702 hommes en
janvier 1808, 4357 en mai 1808, mais n’alignait plus que 3034 hommes le 1er
avril 1809.
L’aventure italienne s’acheva, à la grande
satisfaction des soldats, lorsque les quatre bataillons furent rassemblés à
Villa Giovanni le 9 juillet 1811, le 1er régiment quittant Naples le
21 novembre, à destination de l’Est de l’Europe, où les préparatifs d’invasion
de la Russie s’intensifiaient.
Bibliographie
Alain-Jacques Tornare, Les Vaudois de Napoléon : Des pyramides à Waterloo (1798-1815),
Cabedita, 2003
Henri de Schaller, Histoire des troupes suisses au service de France sous le règne de
Napoléon Ier, Infolio, 2012
David Greentree, Napoleon’s Swiss Troops, Osprey Publishing, 2012
John R. Elting, Swords around a Throne, Da Capo Press, 1997
Diégo Mané, Maida ou « le désastre de Sainte-Euphémie », in http://www.planete-napoleon.com/docs/L3C16.2.pdf
Nicolas Cadet, «Anatomie d’une « petite guerre », la
campagne de Calabre de 1806-1807 », Revue
d'histoire du XIXe siècle, 30 | 2005, [En ligne],
mis en ligne le 28 mars 2008. URL : http://rh19.revues.org/index1010.html.
Consulté le 11 mai 2012.
Marc et Paul Morillon, Capri, Octobre 1808 : Opération amphibie et "commandos"
de l'Empereur in http://www.napoleon-series.org/military/battles/c_capri.html
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