Les cuirassés Hiei et Kirishima, via aeronautic.dk |
Le Yamato est sans doute le plus connu des cuirassés japonais, et ce pour de bonnes raisons ; il était le plus grand et le plus lourdement armé des bâtiments de cette classe jamais construit. Néanmoins, ce sont quatre navires bien plus anciens, considérés comme sacrifiables, et peut-être aussi plus adaptés, pour des raisons tactiques et logistiques, aux affrontements de l’année 1942, qui furent au cœur des combats. Voici donc l’histoire de l’un d’entre d’eux, le Hiei.
Adrien Fontanellaz, juin 2012
L’origine
du cuirassé Hiei remonte à la signature du traité d’alliance
entre le Japon et l’Angleterre en 1902.
En effet, sans celle-ci, et l’étroite collaboration entre Teikoku Kaigun (la marine impériale) et
la Royal Navy qui en découla, ce
navire et les trois autres vaisseaux de la classe Kongo n’auraient sans doute jamais vu le jour sous cette forme. Le
Japon était alors en pleine phase de rattrapage de son retard technologique sur
l’Occident. Pour la marine impériale, cette
quête d’indépendance sembla arriver à son terme avec le lancement, le 15
novembre 1906, du cuirassé Satsuma,
premier navire de cette catégorie conçu et fabriqué au Japon. Cette réalisation
fut pourtant relativisée par l’achèvement en Angleterre, la même année, d’un cuirassé
révolutionnaire de 17'500 tonnes, le Dreadnought,
qui allait être à l’origine de profonds bouleversements dans l’ensemble des
grandes marines du monde. Deux ans plus tard, les Britanniques continuèrent à
innover avec l’apparition d’une nouvelle classe de vaisseaux de premier
rang; les Armored Cruiser (croiseurs
cuirassés) plus connus sous le nom de Battlecruiser (croiseurs de bataille).
Ceux-ci étaient des bâtiments hybrides associant la puissance de feu des
dreadnoughts avec la vitesse des croiseurs, mais au détriment de leur
protection, très inférieure à celle des cuirassés. L’Invincible de 17'250 tonnes, premier Battlecruiser, fut lancé en 1907 et achevé en 1908. Ces nouveaux
types de vaisseaux surclassaient les cuirassés japonais les plus récents, et la
marine impériale s’attela à la conception d’un croiseur de bataille supérieur
aux vaisseaux de la classe Invincible. Après avoir dessiné plus de trente plans
différents, elle s’arrêta en 1909 sur un projet de navire de 18’725 tonnes.
Cependant, peu après, les dirigeants nippons apprirent que leurs alliés anglais
venaient de mettre sur cale le Lion, premier
d’une classe de croiseurs de bataille de 26'270 tonnes. La marine impériale se
résolut donc à faire appel à l’aide britannique pour rattraper le retard causé
par l’évolution fulgurante de la technologie navale durant ces années.
La Diète japonaise approuva en 1910 le
financement de quatre croiseurs de bataille et d’un cuirassé pour l’année
suivante, et un ordre fut placé à la firme Vickers pour une version améliorée
du Lion la même année. Dessiné par
l’architecte naval Sir George Thurston, ce nouveau vaisseau, le Kongo, fut mis sur cale dans le chantier
naval de Barrow en janvier 1911, puis lancé en mai 1912 avant d’entrer en
service en août 1913 et d’arriver au Japon trois mois plus tard. Les trois
autres vaisseaux de la classe devaient être construits au Japon en suivant les
plans du Kongo mais dans différents
chantiers afin de permettre à plusieurs firmes d’accroître leurs savoir-faire
simultanément. Le Hiei fut construit
par les chantiers de la marine, alors que les sociétés Kawasaki et Mitsubishi étaient
responsables des deux derniers bâtiments ; le Haruna et le Kirishima. Le
Hiei fut mis sur cale à Yokosuka le 4
novembre 1911 puis lancé le 21 novembre 1912 et entra en service le 8 août
1914. Contrairement aux Haruna et Kirishima, une partie de ses pièces,
comme les affûts des canons, avait été importée d’Angleterre. Conformément à la
coutume en vigueur pour les croiseurs de bataille le navire reçut le nom d’une
montagne, les cuirassés recevant le nom d’une province. Il était le second
vaisseau à porter ce nom, après la corvette cuirassée Hiei, lancée en 1877 et retirée du service en 1911.
La
longueur du bâtiment était de 214.6 mètres, et son déplacement atteignait 26’230
tonnes. Ses quatre hélices étaient entrainées par des turbines Parson à vapeur
reliées à 36 chaudières mixtes Yarrow alimentées au charbon et au pétrole. Trois
cheminées évacuaient la fumée émise par ces dernières. Cet appareil de
propulsion donnait au Hiei une
vitesse maximale de 27.5 nœuds. Comparée à celle d’un cuirassé, la protection du navire était relativement
faible. En effet, le poids du blindage, avec 6’500 tonnes, équivalait au quart
du déplacement du navire. Son épaisseur variait entre 152 et 203 mm le long des
flancs du navire, et atteignait 50 mm sur le pont et 76 mm sur le toit des
tourelles.
A l’origine, il avait été prévu d’équiper
les quatre croiseurs de bataille de la classe Kongo avec des canons de 305 mm, mais après avoir appris que les
Britanniques projetaient de s’équiper de tubes d’un calibre supérieur, les
Japonais optèrent pour des pièces de 356 mm, conçues avec l’aide de
Vickers. Huit de celles-ci étaient
réparties en quatre tourelles qui pouvaient pivoter sur les deux bords du
navire, lui permettant de concentrer les tirs de son armement principal contre
une cible unique. Chaque flanc abritait huit pièces de 152 mm, logées dans des
casemates, et chargées d’engager des cibles secondaires comme des destroyers. Enfin,
huit autres canons de 76 mm montés sur affut simples sur le pont du vaisseau et
huit tubes lance-torpilles de 533 mm situés sous la ligne de flottaison
complétaient l’armement du vaisseau. A leur entrée en service, les quatre sisterships
faisaient partie des plus puissants navires de guerre au monde, et les Britanniques
tentèrent d’ailleurs vainement de les louer pour renforcer la Royal Navy après le début de la première
guerre mondiale.
Le Hiei en cours de construction (via wikimedia) |
En septembre 1923, le Hiei participa aux opérations de secours consécutives au séisme qui
frappa la plaine du Kanto le 1er septembre 1923. Cette même année,
l’angle d’’élévation des canons de 356 mm fut accru pour atteindre 33 degrés,
afin d’en augmenter la portée maximale. Le navire eut l’honneur d’accueillir le
prince et futur empereur Hirohito avec son jeune frère le 29 juillet 1927,
puis, d’octobre à novembre 1927, fut équipé pour transporter deux hydravions,
mais sans pouvoir les catapulter directement. Puis, alors que les Kongo, Haruna et Kirishima bénéficièrent
d’une première modernisation entre 1927 et 1932, l’état-major de la marine
décida de convertir le Hiei en
navire-école, afin de se conformer aux accords internationaux de réduction des
armements maritimes. Les modifications nécessaires eurent lieu dans les
chantiers navals de Kure entre octobre et novembre 1929. La tourelle arrière de
356 mm, les canons de 152 mm, quatre tubes lance-torpille et la ceinture
cuirassée furent retirés avec 25 des chaudières et une cheminée, ce qui
réduisit sa vitesse à 18 nœuds. La marine conserva cependant précieusement les pièces
retirées du navire. En novembre 1935, le Hiei
transporta à nouveau l’empereur pour un voyage de deux semaines.
En 1937, libéré des contraintes des traités
de Washington et de Londres, le Japon se lança dans un vaste programme d’expansion
de sa marine. La décision fut prise de réarmer le Hiei et de le faire bénéficier des mêmes modifications que celles
entreprises sur les trois autre navires de la même classe au cours d’une
seconde refonte ayant débuté en juin 1935 et destinée à convertir ces bâtiments
en cuirassés rapides. La doctrine en vigueur avait en effet évolué, et ces
cuirassés rapides devaient, en cas de bataille décisive contre la marine
américaine, faire partie de l’avant-garde de la flotte impériale, avec pour
mission d’ouvrir la voie aux croiseurs et destroyers chargés d’affaiblir la
ligne de bataille ennemie par des salves de torpilles. Contrairement aux six
autres cuirassés, les quatre vaisseaux de la classe Kongo pourraient alors être engagés de nuit, puis regagner la ligne
de bataille chargée d’engager les restes de la flotte américaine le jour
suivant. Confiante dans la portée supérieure de son artillerie, la marine
impériale comptait mener le duel final entre cuirassés à très grande portée, frappant
l’ennemi sans s’exposer. Enfin, celui-ci suffisamment affaibli, la ligne de
bataille japonaise se rapprocherait pour donner le coup de grâce. Cette
recherche d’une portée de tir supérieure expliquait certaines caractéristiques
communes aux vaisseaux de ligne nippons comme l’élévation maximale élevée des pièces
et leurs mâts-pagodes conçus pour abriter les instruments de visée le plus haut
possible. Enfin, les tirs devaient être également guidés par les hydravions
embarqués chargés d’observer la chute des obus et de transmettre les corrections
nécessaires à leurs vaisseaux-mère.
Le Hiei après sa conversion en navire-école (via wikimedia) |
La refonte du Hiei débuta le 1er avril 1937 et s’acheva le 31 janvier
1940. Huit chaudières à mazout Kampon et de nouvelles turbines remplacèrent les
anciennes machines, lui donnant une puissance de 136'000 chevaux, tandis que sa
proue était allongée de cinq mètres. Ces modifications accrurent sa vitesse
maximale à 29.7 nœuds. Le blindage ne fut pas en reste, celui du pont étant doublé
pour atteindre 120 mm, alors que des bulges anti-torpilles étaient ajoutés pour
protéger les salles des machines. L’armement muta avec la suppression des
quatre derniers tubes lance-torpilles, la remise en place de la quatrième
tourelle de 356 mm et de quatorze canons de 152 mm sur les seize originels. L’élévation
maximale des pièces de 356 mm fut à nouveau augmentée et atteignit 43 degrés,
leur donnant une portée de 33'000 mètres. Le navire reçut une artillerie
anti-aérienne composée de quatre tourelles doubles de 127 mm et dix affûts
bitubes de 25 mm. Une catapulte pour hydravions fut placée devant la tourelle
numéro 3. La forme de son nouveau mat-pagode, abritant une nouvelle conduite de
tir, le distinguait de ses sisterships ; il avait en effet servi de
prototype à celui du Yamato alors en
construction.
Si elle améliorait considérablement les
capacités du navire, cette modernisation ne pouvait pas le transformer en
équivalant des navires conçus à partir de la seconde moitié des années trente.
Comparé à ceux-ci, le Hiei restait
faiblement protégé, alors même que les progrès dans l’ingénierie navale avaient
rendus le concept du Battlecruiser obsolète; les nouveaux cuirassés alliaient en
effet des vitesses proches de 30 nœuds avec une protection et une puissance de
feu supérieur (South Dakota et King Georges V dans le tableau). Par
contre, les quatre navires de la classe Kongo
restèrent des adversaires respectables pour l’ensemble des vaisseaux de ligne
construits avant l’entrée en vigueur du traité de Washington (Repulse, un croiseur de bataille anglais).
Navire
|
Hiei (modernisé)
|
South Dakota
|
King Georges V
|
Repulse (modernisé)
|
Année
|
1914
|
1942
|
1940
|
1916
|
Artillerie
principale
|
8*356
mm
|
9*406
mm
|
10*356
mm
|
6*381
mm
|
Ceinture
blindée max.
|
203
mm
|
309
mm
|
381
mm
|
229
mm
|
Déplacement
|
26'230
t.
|
44’374
t.
|
44’460
t.
|
32'000
t.
|
Vitesse
|
30
nœuds
|
27
nœuds
|
29
nœuds
|
32
nœuds
|
Compilé selon www.Combineedfleet.com et Martin Middlebrook et Patrick Mahoney,The Sinking of the
Prince of Wales & Repulse The End of the Battleship Era?
Le 11 octobre 1940, à l’occasion de la revue
annuelle de la flotte, le Hiei reçut
à nouveau à son bord l’empereur Hirohito, accompagné du commandant de la flotte
combinée, l’Amiral Yamamoto. Puis, un mois plus tard, le vaisseau fut rattaché
à la 3e division de cuirassés, elle-même subordonnée à la 1e
flotte. Celle-ci regroupait l’ensemble des cuirassés nippons, à l’exception des
Nagato et Mutsu directement rattachés à l’état-major de la flotte combinée. La 3e division de cuirassés était subdivisée
en deux groupes, le premier comprenant le Kongo
et le Haruna, et le second le Hiei et le Kirishima. Le reste de l’année 1940 et les onze premiers mois de
1941 furent consacrés à l’entraînement, avant que, le 22 novembre 1941, le Hiei et le Kirishima ne rejoignent les six porte-avions d’escadre de la 1e flotte aérienne dans la
baie d’Hito-Kappu, dans les Kouriles. La flotte leva l’ancre quatre jours plus
tard à destination de Pearl Harbour, le Hiei
servit de centre de communication à celle-ci, bien que pour éviter toute
émission accidentelle susceptible d’alerter les américains, ses équipements de
transmissions furent mis hors service. Le 2 décembre, le cuirassé reçut le
célèbre signal Nitakayama Nobore (gravissez le mont Nitaka) confirmant
l’ordre d’attaque contre la base américaine. Le rôle joué par les deux cuirassés
rapides durant l’attaque contre Pearl Harbour
se limita cependant à catapulter leurs hydravions pour patrouiller
autour de l’escadre.
Les Hiei
et Kirishima continuèrent à escorter Kido Buntai, la flotte de porte-avions
d’escadre nippone, durant les premiers mois de la guerre, l’accompagnant durant
ses raids contre Rabaul et Java. C’est durant cette dernière opération que, le
1er mars 1942, un avion de reconnaissance embarqué repéra le
destroyer américain USS Edsall à une
trentaine de kilomètres de la flotte nipponne, le confondant avec un croiseur. Le
navire américain isolé tentait probablement de s’échapper vers l’Australie, la marine
impériale venant d’infliger une série de cuisantes défaites aux forces alliées
dans la région. Les deux cuirassés rapides, avec le Hiei en tête de colonne, et flanqués par les croiseurs lourds Chikuma et Tone furent détachés pour éliminer le vaisseau isolé. A 16h02, les
vigies japonaises repérèrent le destroyer américain, et le Chikuma ouvrit aussitôt le feu avec ses pièces de 203 mm, suivit
par les tourelles avant du Hiei à
16h16, alors que le navire ennemi se trouvait encore à 25'511 mètres de distance.
Les salves tirées des navires japonais encadrèrent leur cible mais sans la
toucher, leur visée étant compliquée par les violentes manœuvres évasives de l’Edsall qui se masqua également derrière
un écran de fumée. Après près d’une heure de canonnade sans avoir mis de coups
au but, les vaisseaux nippons cessèrent le feu pour ne pas interférer avec une
attaque menée par des bombardiers en piqué lancés par les porte-avions de Kido Buntai, qui laissèrent le destroyer
en flammes. A 17h20, le Hiei recommença
à tirer avec ses batteries principales et secondaires, le vaisseau ennemi n’étant
plus qu’à 17'400 mètres, jusqu’à ce qu’il coule 10 minutes plus tard. Durant
l’engagement, le cuirassé tira 210 obus de 356 mm et 70 de 152 mm, tandis que
le Kirishima consommait 87 obus de
356 mm et 62 de 152 mm. Cette performance était une véritable catastrophe pour
la marine car, à l’évidence, l’efficacité de ses tirs d’artillerie à
longue portée était très en deçà des projections faites avant-guerre, et
menaçait un pan entier de la doctrine d’emploi des cuirassés.
Le
Hiei accompagna ensuite les
porte-avions durant leur incursion dans l’Océan Indien entre mars et avril
1942, avant de participer à l’opération M, dont résulta la défaite de Midway.
Le cuirassé fut ensuite placé en cale sèche à Yokosuka le 11 juillet, pour une
remise en état qui dura un mois. A cette
occasion, il reçut trois nouveaux hydravions ; un E13A1 de reconnaissance
à longue distance et deux F1M2 d’observation et de chasse. Le 16 août, à la
suite du débarquement américain à Guadalcanal, le cuirassé, accompagné par le Kirishima, accompagna les porte-avions Shokaku, Zuikaku et Ryujo, et participa
à leur côté à la bataille des Salomon orientales le 24 août, où il ne subit pas
de dégâts. Les 14 et 15 octobre, les deux bâtiments couvrirent à distance le
bombardement nocturne d’Henderson Field, à Guadalcanal, mené par les deux
autres cuirassés de la classe, puis se trouva à nouveau engagé lors de la
bataille aéronavale de Santa-Cruz les 25 et 26 octobre 1942. Les Hiei et Kirishima y formèrent l’avant-garde de la flotte japonaise en
compagnie des croiseurs Suzuya, Tone, Chikuma et Nagara et de
huit destroyers. Elle fut repérée dès le 25 octobre par un hydravion Catalina
de reconnaissance, puis bombardée à plusieurs reprises par des B-17 et des
bombardiers en piqué ennemi les 25 et 26
octobre, mais seul le Chikuma fut
touché au cours de ces attaques. L’avant-garde, en absorbant une partie des
assauts de l’aviation américaine, contribua à la victoire en protégeant
indirectement les porte-avions nippons situés plus en arrière. Le 30 octobre,
les deux cuirassés étaient de retour au mouillage de Truk.
Le Hiei à l'issue de sa seconde refonte (via wikimedia) |
Le destroyer USS Edsall, via wikimedia |
Début novembre, les Japonais décidèrent
d’acheminer des renforts sur Guadalcanal, composés principalement de la 38e
division d’infanterie. Celle-ci devait être transportée par onze navires de
transports escortés par douze destroyers. Amener ces troupes à bon port
nécessitait de neutraliser au préalable l’aviation américaine basée sur l’île. Le
Hiei et le Kirishima, accompagnés par trois destroyers et rejoint en pleine
mer par le croiseur léger Nagara et
onze autres destroyers devaient donc bombarder l’aéroport de Henderson Field
dans la nuit du 12 au 13 novembre 1942 avant le débarquement de la 38e
division le 14 novembre. Le 12 novembre à 15h30, alors que la flotte japonaise
voguait à 18 nœuds vers le détroit séparant Henderson Field et l’île de
Florida, le Hiei lança un de ses
hydravions pour une mission de reconnaissance. Son équipage signala la présence
d’une douzaine de navires ennemis dans le détroit. Des trombes de pluie
empêchèrent ensuite l’appareil de rejoindre le cuirassé. A minuit, les navires
japonais se rapprochèrent d’Henderson Field, la météo les ayant forcé à
ralentir leur allure à 12 nœuds et désorganisé leur formation. Une heure plus
tard, le vice-amiral Abe, commandant la flotte, ordonna aux deux cuirassés de
se préparer à tirer des obus incendiaires contre l’aérodrome. A ce moment, la
marine américaine ne disposait dans le détroit que des croiseurs lourds San Francisco et Portland, des croiseurs légers Atlanta,
Juneau et Helena ainsi que de huit destroyers, commandés par le contre-amiral
Callaghan. Le radar de l’Helena détecta
les navires japonais à 1h24, alors que ces derniers ignoraient toujours la position
de l’ennemi. Les Américains tentèrent de barrer le T des trois colonnes
ennemies, ce qui leur aurait permis de tirer de toutes leurs pièces, alors qu’à
l’inverse, la puissance de feu des vaisseaux japonais aurait été fortement
réduite. A 1h42, les vigies du Hiei repérèrent
les navires ennemis à 9'000 mètres. Les canonniers des deux cuirassés durent
remplacer les obus incendiaires, inutiles contre des navires, par des obus
conventionnels, et ramener les premiers dans les soutes à munition. Miraculeusement,
aucun navire américain n’ouvrit le feu durant les longues minutes nécessaires à
l’échange.
Le croiseur léger Atlanta, via wikimedia |
Enfin, à 1h50, le Hiei alluma ses projecteurs et lâcha dans la foulée une salve
meurtrière contre le croiseur Atlanta.
L’usage des projecteurs était cependant une arme à double tranchant ; en
l’utilisant, le cuirassé augmentait la précision de ses tirs et offrait des
cibles à l’ensemble des bâtiments nippons, mais l’inverse était également vrai,
et le destroyer Akatsuki, qui avait
aussi utilisé les siens, fut coulé en quelques minutes par la riposte
américaine, alors que le Hiei, bien
plus robuste, subissait de nombreuses pertes, tout en continuant à pilonner l’Atlanta, en compagnie du San Francisco qui prit ce dernier pour
un vaisseau japonais. Le cuirassé fut à son tour victime de salves de 127 mm
tirées à bout portant par les destroyers Aaron
Ward et Laffey, mais une seule
des onze torpilles lancées par les destroyers Cushing et Laffey le
toucha, sans exploser. Le cuirassé engagea
ensuite le San Francisco alors à une
distance de 2286 mètres, et détruisit ses structures, avant d’encaisser deux
obus de 203 mm, dont l’un ouvrit une brèche de deux mètres dans la coque. L’eau
qui s’y engouffra noya la salle abritant les machines actionnant le gouvernail,
et le navire perdit brusquement la capacité de manœuvrer, avant que l’équipage
ne bloque la barre manuellement, les hélices servant ensuite à le faire changer
de cap. Enfin, à 1h58, le Portland ouvrit à son tour le feu sur le Hiei à 3657 mètres, déclenchant des
incendies sur les superstructures du cuirassé. A 2h00, le vice-amiral Abe
ordonna le retrait de sa flotte. A ce moment, le Hiei avait été touché par une trentaine d’obus de 203 mm des San Francisco et Portland et un nombre indéterminé d’obus de 127 mm tirés par
plusieurs destroyers, dont l’un avait été suffisamment proche pour ouvrir le
feu avec ses mitrailleuses. Les instruments
de visée des batteries secondaires hors service
et ses superstructures en feu, le cuirassé entama son retrait. A 6h00, l’eau
s’engouffrant dans la brèche contraignit l’équipage à abandonner la chambre des
machines actionnant le gouvernail, et le navire se mit à tourner sur lui-même. A
6h10, les canons de 356 mm du vaisseau ouvrirent le feu contre le destroyer Aaron Ward, un autre rescapé de la
bataille très endommagé, mais sans mettre de coup au but.
Baptisé troisième bataille de la mer des
Salomon par les Japonais et surnommée la bataille du vendredi 13 par les
Américains, l’affrontement entre les deux flottes fut confus, bref, et
meurtrier. Les vaisseaux de guerre s’affrontèrent littéralement à bout portant,
et les pertes cumulées causées par les quarante minutes du combat et ses suites
se montèrent à un cuirassé, deux croiseurs légers et six destroyers, sans
compter les nombreux autres bâtiments plus ou moins gravement endommagés. Les
Japonais perdirent les destroyers Yudachi
et Akatsuki, alors que les
américains voyaient disparaître les destroyers Barton, Laffey, Cushing, Monssen, le croiseur léger Atlanta,
et le Juneau, un autre
croiseur léger, achevé dans la matinée du 13 novembre par une torpille lancée
par le sous-marin I-26.
Le calvaire du Hiei n’était pas terminé. Une nouvelle menace apparut avec le lever
du jour ; à 6h15, six bombardiers en piqué Dauntless l’attaquèrent sans
succès. Il ne s’agissait cependant que du premier d’une succession d’assauts
aériens qui allaient se poursuivre durant la journée. Une heure plus tard,
quatre bombardiers-torpilleurs Avenger apparurent à leur tour, mais le vaisseau
fut sauvé par l’intervention de trois chasseurs
A6M du porte-avions Junyo qui éloignèrent les assaillants. L’escorte du
cuirassé se renforça avec l’arrivée entre 6h00 et 8h00 des destroyers Teruzuki, Shigure, Shiratsuyu, Yugure et Yukikaze qui relevèrent le croiseur léger Nagara. A 8h15, trois B-17 attaquèrent alors que le Hiei avait stoppé pour pomper l’eau
entrée par la brèche, et le contraignirent à se remettre en marche pour
échapper aux bombes, réduisant les efforts de l’équipage à néant. Une seule
bombe de 227 kilos toucha le navire, sans faire de graves dégâts. Une nouvelle
série d’assauts menés par de petites formations de Dauntless et d’Avenger
américains suivirent jusqu’à ce qu’à ce que le vice-amiral Abe ordonne au
capitaine du vaisseau de s’échouer volontairement sur l’île de Guadalcanal. Ce
dernier refusa, arguant que le Hiei pouvait
encore être sauvé. Trois autres
attaques aériennes suivirent entre 11h00 et 12h10. Le navire tenta vainement de
les repousser en faisant donner ses pièces de 356 mm, avant que l’arrivée des
chasseurs du Junyo et une
augmentation de la couverture nuageuse ne rendent espoir aux marins du navire.
Le Hiei sous les bombes, photographié depuis un B-17 (via wikimedia) |
Mais, à 14h35, deux torpilles lâchées par
des Avenger du porte-avions Enterprise touchèrent
le navire, et une heure après, celui-ci commença à chavirer et le capitaine se
résolut à ordonner l’évacuation du vaisseau. Après avoir entamé le sabordage de
son navire, le capitaine le laissa aller à la dérive sur ordre de l’amiral
Yamamoto, afin d’utiliser l’épave comme leurre destiné à détourner l’aviation
américaine du Kirishima alors en
route vers Henderson Field pour une seconde tentative de bombardement
d’Henderson Field. Le Hiei finit par
couler entre 19h00 et 1h00 ; il s’agissait du premier cuirassé perdu par
la marine impériale durant la guerre du Pacifique.
Bibliographie
Senkan
! in www.Combinedfleet.com
Simon Liot de
Nortbécourt, La flotte combinée japonaise, Marines
éditions, 2008
David C. Evans et Mark
R. Peattie, Kaigun :Strategy,
Tactics, and Technology in the Imperial Japanese Navy, 1887-1941, Naval Institute Press, 1997
Paul S. Dull,A Battle History of the Imperial Japanese Navy
(1941-1945), Naval Institute Press, 1978
Martin Middlebrook et Patrick Mahoney,The Sinking of the Prince of Wales & Repulse The
End of the Battleship Era?, Leo Cooper Ltd, 2004
Mark Stille, Imperial
Japanese Navy Battleships 1941-1945, Osprey Publishing, 2008
Hansgeorg Jentschura, Dieter Jung, Peter Mickel,
Warships of The Imperial Japanese Navy
1869-1945, Naval Institute Press, 1977
Ce texte est la propriété de son auteur et n’est pas libre de droits. La publication, sur internet ou sous toute autre forme, de tout ou partie du contenu de ce texte est soumise à l'accord préalable de l'auteur ; cet accord peut être sollicité par e-mail (adrienfontanellaz@hotmail.com). L'obtention de cet accord est soumise à l'engagement de citer, clairement et sans équivoque, la source. Toute utilisation commerciale de tout ou partie de cet article est strictement interdite en l'absence d'accord préalable et exprès de l'auteur, et aucune clause des présentes conditions ne peut être interprétée comme dérogeant à cette interdiction. Toute utilisation de texte implique l'acceptation des présentes conditions d'utilisation.
Très intéressant article sur un cuirassé méconnu de la marine impériale japonaise.
RépondreSupprimerCordialement.
Merci beaucoup pour vos encouragements.
Supprimermeilleurs salutations
Bonjour, concernant l'engagement contre le USS Edsall, on indique un total de 1 335 obus tiré par les 4 navires japonais pour un ou deux au but.
SupprimerOn peut expliqué cela car la cible est relativement petite avec ses 1 100 t de déplacement et bien plus agile que les navires de ligne dont les artilleurs nippons avaient l'habitude de s'entrainer.
Bonjour,
SupprimerMerci pour le complément
Cordialement
De rien, les chiffres viennent de l'article du wikipedia english sur ce destroyer. Donc, il faudrait le vérifier.
Supprimer