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samedi 2 juin 2012

La Grande Armée à son entrée en scène

   En 1805, alors qu’elle quittait le camp de Boulogne pour l’Allemagne et la campagne qui allait déboucher sur le triomphe d’Austerlitz, la Grande Armée était le meilleur outil militaire de son époque.  Certes, le génie de l’Empereur fut un facteur décisif dans les victoires remportées par les armes françaises, mais il serait erroné d’escamoter le fait qu’il était à la tête d’un instrument issu d’une longue évolution. En effet, la Grande Armée, descendante de l’amalgame entre l’ancienne armée royale et les levées en masse de la révolution, était devenue un instrument homogène, discipliné et entraîné à l’usage de tactiques novatrices.  Ce sujet étant sans doute un des plus étudiés de l’histoire militaire française, le but de cet article n’est pas d’amener des faits nouveaux, mais plus prosaïquement de présenter brièvement certaines caractéristiques de la Grande Armée lors de son entrée en scène. Celle-ci se composait de trois grandes armes; l’infanterie, l’artillerie et la cavalerie, elles-mêmes subdivisées en plusieurs spécialités. La particularité française résidait dans la coordination de ces trois branches au sein de corps, qui donnèrent à Napoléon un outil d’une très grande flexibilité opérationnelle. Il convient cependant de prendre avec un certain recul les différents organigrammes de la période. Plusieurs réorganisations eurent lieu sous le règne de Napoléon, mais, dans une armée aussi vaste et constamment sur le pied de guerre, un temps considérable pouvait s’écouler entre la promulgation d’un décret et son application universelle.
                                                                                                    Adrien Fontanellaz, juillet 2012

L’infanterie
   Hier comme aujourd’hui, l’infanterie constitue l’élément essentiel de toute armée. Celle de la Grande Armée était divisée en deux grandes catégories ;  l’infanterie légère et l’infanterie de ligne. La première était chargée de l’éclairage, de la tenue des avant-postes ou de toute autre tâche demandant flexibilité et autonomie. La seconde, au contraire, formait l’ossature du dispositif français lors d’une bataille, et ses hommes devaient être aptes à conserver leur formation dans les pires conditions. L’infanterie légère savait cependant aussi manœuvrer de manière identique à sa consœur. Les deux infanteries partageaient la même organisation et le même équipement.  
Grenadier et voltigeur de l'infanterie de ligne, 1808, via wikimedia
   Le bataillon était l’unité tactique élémentaire sur le champ de bataille. Un bataillon d’infanterie légère comptait huit compagnies, dont une de carabiniers forte de 80 à 90 soldats, six compagnies de chasseurs de 120 hommes et une compagnie de voltigeurs de 120 hommes.  Le bataillon d’infanterie de ligne était aussi subdivisé en huit compagnies, avec des effectifs identiques, mais les appellations différaient, avec une compagnie de grenadiers, six compagnies de fusiliers et une compagnie de voltigeurs. Les compagnies de grenadiers et de carabiniers, constituées de soldats dont le courage était reconnu, étaient des éléments de choc. A ce titre, elles pouvaient être détachées de leurs bataillons  d’origine pour être regroupées en unités provisoires. La vocation des voltigeurs était autre ; ils devaient être capables de tirer rapidement et avec précision. En effet, leur tâche était de couvrir les gros de l’infanterie amie en harcelant les troupes ennemies, en visant de préférence leurs officiers. Combattant par petits groupes, ils représentaient une cible difficile pour l’artillerie ennemie, mais étaient aussi, en terrain découvert, très vulnérables face à la cavalerie. La plupart des soldats étaient armés du fusil d’infanterie Charleville modèle 1777, ou sa version simplifiée de l’an IX. L’arme, d’une longueur de 151.5 centimètres, était pourvue d’un canon à âme lisse, se chargeant par la bouche. Des soldats entraînés pouvaient théoriquement tirer de trois à six coups par minute. La précision de ce fusil était bonne pour une arme de ce type, mais restait très relative dans l’absolu, car elle diminuait drastiquement après une centaine de mètre. Une baïonnette, longue de 45.6 centimètres pouvait être fixée au fusil, et constituait l’autre arme essentielle du soldat. Les imperfections des armes à feu de l’époque impliquaient que pour être efficaces, les tirs de l’infanterie devaient être concentrés, ce qui explique le déploiement des troupes en formation relativement serrés, à l’exception des voltigeurs.
   En 1803, l’armée française comprenait 89 régiments d’infanterie de  ligne et 26 régiments d’infanterie légère. Un régiment était composé de deux à quatre bataillons d’infanterie, et d’un bataillon de dépôt. Le rôle de ce dernier était d’équiper et d’entraîner les nouvelles recrues avant qu’elles ne soient affectées aux bataillons de guerre, mais faisait aussi souvent office de garnison de place forte. Deux régiments formaient ensuite une brigade, alors qu’une division alignait au moins deux brigades. Une division comprenait normalement un régiment d’infanterie légère. Au combat, les unités d’infanterie pouvaient être déployées en trois formations principales selon les circonstances. Le carré, qui servait à contrer une attaque de la cavalerie, la ligne sur trois rangs, qui assurait une puissance de feu maximale, et la colonne, qui permettait des déplacements rapides. Ces dispositions avaient à l’inverse des défauts importants, une colonne avait une puissance de feu limitée, seuls les premiers rangs pouvant faire usage de leurs fusils, alors que la ligne était extrêmement vulnérable à la cavalerie, tandis qu’à l’inverse, un bataillon formé en carré présentait une cible idéale pour l’artillerie et l’infanterie ennemie. Un débat qui ne put jamais être tranché opposa les théoriciens militaires français  tenants de la colonne (l’ordre profond) et de la ligne (l’ordre mince) durant  les décennies précédant la révolution. Enfin, une formation intermédiaire apparut, l’ordre mixte, où les deux extrémités d’une ligne étaient constituées de colonnes. La réponse à ce dilemme consistait, dans l’idéal, à disposer de troupes suffisamment entraînées pour passer d’une formation à une autre rapidement, au gré des circonstances.


Ordre mince (ligne)
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Ordre profond (colonne)
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Ordre mixte
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   Ainsi, lors d’une hypothétique attaque, un bataillon aurait pu avancer en colonne, couvert par sa compagnie de voltigeurs, puis, arrivé à une distance adéquate, se déployer en ligne avant de lâcher une salve de mousqueterie sur les rangs ennemis, avant de charger à la baïonnette. Si l’ennemi aurait fait donner sa cavalerie pour couvrir la fuite de ses fantassins, le bataillon se serait formé en carré, et si, cette menace disparue, il aurait reçu l’ordre de rejoindre un autre point du champ de bataille, il se serait redéployé en colonne. Dans les faits, effectuer de telles manœuvres en pleine bataille demandait des troupes solides et entraînées. De plus, ces changements de formation ne se pratiquaient pas seulement à l’échelle du bataillon, mais aussi à celles du régiment, de la brigade et de la division.
L’artillerie
   A l’époque des guerres napoléoniennes, les armées en campagne alignaient deux types de pièces d’artillerie ; les canons et les obusiers. Les premiers effectuant des tirs tendus, alors que la trajectoire des projectiles tirés par les seconds était courbe. C’est pourquoi les obusiers tiraient des boulets évidés remplis de poudre et munis d’une fusée, dans le but d’exploser au milieu des rangs ennemis. Les canons utilisaient deux types de projectiles ; le boulet et la boîte à mitraille. Cette dernière était au canon ce que la chevrotine est au fusil de chasse. Le calibre des canons, et donc, leur taille, était définie par le poids du boulet qu’ils pouvaient tirer. L’artillerie de campagne française était par exemple équipée de canons de 4, 6, 8 et 12 livres. Un obusier était défini par le diamètre de la bouche de son canon, mesuré en pouces, d’où l’obusier français de 6 pouces 1 ligne, ou 152 mm. La cadence de tir soutenue et la portée de ces armes était limitée, mais pour les canons, le tir en ricochet permettait de doubler cette portée, pour peu que le terrain soit suffisamment dure. Dans sa pratique, l’artillerie française tendait à prendre pour cible l’infanterie de l’ennemi plus que ses canons. Enfin, elle tendit, au cours des années, à masser plus en plus ses feux, c’est-à-dire à concentrer les tirs de plusieurs batteries contre une seule cible. Dans tous les cas, son usage était agressif, les artilleurs n’hésitant pas à mettre en batterie leurs pièces au plus près de l’ennemi afin d’accroître l’efficacité de leurs tirs.                                 




Cadence de tir soutenue
Portée tir à mitraille
Portée boulets en tir tendu
Canons de 12 livres
1 coup /  minute
595 mètres
915 mètres
Canons de 6 et 8 livres
2 coups / minute
550 mètres
820 mètres








   La Grande Armée bénéficia d’un précieux legs de la monarchie française. Elle disposait de la meilleure artillerie d’Europe grâce au travail acharné d’un ingénieur de l’ancienne armée royale ; Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, mort en 1789. Celui-ci, après avoir étudié les pratiques et matériels prussiens et austro-hongrois, remodela complètement l’artillerie française. La production des canons, des affûts et des caissons fut standardisée, alors que de nouveaux modèles, plus mobiles étaient introduits. De strictes normes de tolérance furent imposées aux fonderies, accroissant la durée de vie et la précision des canons. Le calibre des armes fut également standardisé, avec les canons de 4, 8 et 12 livres et l’obusier de 6 pouces. En 1803, un nouveau canon de 6 livres fut introduit dans le but de remplacer les pièces de 4 et de 8. Dans la pratique, faute d’une production suffisante, la nouvelle pièce côtoya les anciennes.  

Canon de 12 livres, via wikipedia, photo PHCOM
   L’artillerie de campagne se divisait en deux catégories ; l’artillerie à cheval et l’artillerie à pied. L’artillerie à cheval, ou artillerie volante, était une innovation de Frédéric II de Prusse, introduite en France en 1792. L’ensemble des artilleurs était monté, ce qui permettait aux batteries de se déplacer rapidement sur le champ de bataille. De plus, cette mobilité lui permettait d’accompagner des unités entièrement composées de cavalerie. Elle devenait alors une auxiliaire précieuse de cette dernière, son feu permettant de briser des carrés de fantassins invulnérables aux charges des cavaliers. Par contre, cette versatilité avait un coût ; l’artillerie à cheval n’était pas équipée des puissants canons de 12, trop lourds. A l’inverse, l’artillerie à pied se déplaçait, comme son nom l’indique, à la vitesse du fantassin, ses artilleurs n’étant pas montés. En 1804, l’armée française comprenait six régiments d’artillerie à cheval et huit régiments d’artillerie à pied. Ces derniers se composaient de deux bataillons alignant chacun onze compagnies. Sur le plan tactique, l’unité de base était constituée par la compagnie.
   Une compagnie d’artillerie à cheval incluait six canons de 6 ou 8 livres, ou quatre canons et deux obusiers, alors qu’une compagnie d’artillerie à pied comprenait six canons de 6, 8 ou 12 livres et deux obusiers. Une compagnie d’artillerie comprenait une centaine d’hommes et quatre officiers, chaque pièce étant servie par huit artilleurs. Cependant, chaque compagnie était couplée à une compagnie du train d’artillerie, sans laquelle elle ne pouvait pas fonctionner. En effet, alors que la première avait la charge des pièces et de leurs caissons, la seconde était responsable des chevaux et des harnais. A l’avènement de Napoléon, les équipages du train avaient été incorporés dans l’armée, tournant le dos à la pratique antérieure où ces tâches étaient confiées à des entrepreneurs civils, moins désireux de risquer leur capital, et surtout leur vie, dans les combats. L’artillerie était une arme coûteuse ; outre le prix des canons, de leurs affûts, des pièces de rechange, des forges mobiles, des munitions et autres impedimenta, elle était une grande consommatrice de main d’œuvre et de chevaux. Il en fallait par exemple quatre pour tracter une pièce de 8 et six pour une pièce de 12.  
La cavalerie
   La cavalerie française était à ce moment la meilleure de son temps, alors que, paradoxalement, elle était souvent moins bien montée que ses rivales, et ses hommes n’étaient pas aussi bon cavaliers que leurs adversaires. Sa supériorité résidait dans son organisation, sa discipline et sa doctrine d’emploi. Schématiquement, deux grandes missions lui incombaient. La première était la reconnaissance, l’éclairage, le harcèlement et la poursuite de l’ennemi et revenait à la cavalerie légère. La seconde mission, servir d’arme de rupture sur le champ de bataille, était l’apanage de la cavalerie lourde. L’organisation des régiments différait de celle de l’infanterie ; un régiment était constitué de quatre escadrons de deux compagnies subdivisées en deux pelotons. Les effectifs des compagnies variaient en fonction des types de cavalerie soit quatre officiers et 140 hommes pour la cavalerie légère, trois officiers et 86 hommes pour la cavalerie lourde et enfin 3 officiers et 116 hommes pour les dragons. Comme l’infanterie, la cavalerie se déplaçait en colonne, mais l’unité tactique de base était l’escadron, qui, au combat, se déployait le plus souvent sur deux lignes. Deux ou trois régiments formaient ensuite une brigade, alors qu’une division comprenait deux ou trois de ces dernières. Les divisions disposaient systématiquement d’artillerie à cheval.

Cuirassier, 1809, via wikimedia
   La cavalerie lourde, ou grosse cavalerie, était forte de douze régiments de cuirassiers et de deux régiments de carabiniers à cheval. Il s’agissait d’une force d’élite, mieux payée que le commun des soldats, et précieusement gardée intacte pour la bataille, où elle était souvent engagée pour porter le coup décisif à un ennemi déjà affaibli par l’artillerie et l’infanterie. Les cuirassiers avaient la particularité de porter un plastron conçu pour être capable de stopper une balle de mousquet tirée à moyenne portée. Vingt-quatre régiments de chasseurs à cheval et dix régiments de hussards constituaient la cavalerie légère. En cours de campagne, elle formait un écran permettant de masquer les mouvements de l’armée, mais ses tâches n’excluaient pas de mener une charge sur le champ de bataille en cas de besoin. Enfin, les trente régiments de dragons étaient un cas particulier. Il s’agissait en effet d’une cavalerie hybride, conçue pour être capable d’appuyer la cavalerie légère ou lourde, et de combattre démontée. A l’origine, les dragons devaient en effet être une force d’infanterie se déplaçant à cheval et combattant à pied. A la différence des autres cavaliers, les dragons étaient équipés d’une version courte du fusil d’infanterie au lieu d’une carabine. Par manque de chevaux, un escadron de chaque régiment dut être démonté, et leurs hommes regroupés dans une division provisoire de 6'000 hommes.
Les corps d’armée
   Ce furent les corps d’armée qui distinguèrent le plus la machine de guerre française de ses rivales austro-hongroises, prussiennes et russes. Ces corps n’étaient en effet pas des formations add-hoc mais disposaient au contraire d’états-majors permanents. Ils avaient été conçus pour avoir une masse critique suffisante pour opérer indépendamment, tout en restant le plus mobile possible. Si nécessaire, ils devaient pouvoir résister seuls face aux gros de l’armée ennemie le temps nécessaire pour permettre aux autres corps de venir à la rescousse. De plus, segmenter l’armée en plusieurs corps progressant par des voies différentes avait pour avantage d’accroître sa vitesse de déplacement, un corps de trente mille hommes couvrant, lors de ses déplacements, une vingtaine de kilomètres de route. Hors, en règle générale, plus une colonne est importante, plus elle se déplace lentement. De plus, les armées françaises, pour limiter la taille de leur train logistique, se ravitaillaient le plus possible sur le terrain, et là aussi, disperser les troupes en plusieurs détachements traversant des régions différentes facilitait d’autant leur approvisionnement. 
   Les corps étaient principalement constitués d’infanterie et d’artillerie, et ne se voyaient allouer que les moyens en cavalerie légère nécessaires à l’éclairage de leurs axes de progression. En effet, une grande partie de la cavalerie, représentant jusqu’ à 10% des effectifs de la Grande Armée, était concentrée dans une puissante réserve de cavalerie contrôlée directement par l’Empereur. Cette dernière incluait l’ensemble des régiments de cuirassiers, de carabiniers et de dragons ainsi qu’une partie importante des régiments de hussards et de chasseurs à cheval. L’infanterie des corps d’armée était répartie entre plusieurs divisions, chacune comprenant au moins deux brigades à deux régiments d’infanterie, et, en théorie, de une à deux compagnies d’artillerie. Chaque corps disposait en sus d’au moins une compagnie équipée de canons de 12 livres, et si possible, d’une compagnie d’artillerie à cheval. Ainsi, par exemple, le IIIe corps du maréchal Davout, comprenait, en octobre 1806, trois divisions d’infanterie et une brigade de cavalerie, soit 12 régiments d’infanterie de ligne, un régiment d’infanterie légère et trois régiments de chasseurs à cheval. Au total, le corps alignait 28'874 fantassins, 1426 cavaliers et 46 canons, dont 29 étaient répartis dans ses trois divisions.  

Grenadier de la garde impériale, via wikimedia
   L’origine de la Grande Armée et de ses six corps remonte à la création, en 1803, de l’armée des côtes de l’Océan, à la suite de la répudiation du traité d’Amiens par la Grande-Bretagne le 18 mai 1803. La majeure partie de l’armée française fut alors concentrée dans les camps de Brest, Montreuil, Boulogne, Saint-Omer, Bruges et Utrecht, afin de préparer l’invasion de l’Angleterre. Faute de pouvoir acquérir la maîtrise de la Manche, cette invasion ne se concrétisa jamais, mais durant plus de deux ans, les troupes présentes dans les six camps, furent soumises à un entraînement intense. Ainsi, dans le camp de Boulogne, chaque semaine comprenait deux jours consacrés à « l’école de bataillon » et à des exercices de tir, trois jours à des manœuvres à l’échelon du régiment, de la brigade ou de la division, et le dimanche à un exercice incluant l’ensemble du corps. Puis, la constitution de la troisième coalition entre l’Angleterre, la Russie, la Suède et l’Autriche contraignit Napoléon à entrer en campagne et à diriger le gros de ses troupes vers l’Allemagne. Chacun des six camps donna alors naissance à un corps, alors qu’en août 1805, la nouvelle armée fut baptisée Grande Armée pour masquer dans quelle direction se porterait l’effort principal. Celle-ci comprenait 20 divisions d’infanterie et 13 de cavalerie, soit 150'000 répartis entre ses six corps d’armée, la réserve de cavalerie et la garde impériale. La taille cette dernière était encore limitée, mais elle se composait uniquement de vétérans endurcis. Son infanterie incluait un régiment de grenadiers et un régiment de chasseurs à pieds, de deux bataillons chacun, alors que la cavalerie de la garde alignait un régiment de grenadiers à cheval (cavalerie lourde) et un régiment de chasseurs à cheval (cavalerie légère). La garde impériale disposait par ailleurs de sa propre artillerie, à raison d’une à deux compagnies d’artillerie à cheval et une compagnie d’artillerie à pied. Cette élite servait de dernière réserve de l’Empereur. La Grande Armée laissa derrière elle près de 30'000 hommes qui continuèrent à constituer l’armée des côtes de l’Océan, alors que le maréchal Masséna dirigeait l’armée d’Italie forte de 50'000 hommes, et que Gouvion-Saint-Cyr surveillait le royaume de Naples avec un peu moins de 20'000 soldats. 
Conclusion 
   Même si cette brève présentation est bien lacunaire, faute d’avoir abordé des aspects essentiels de la machine de guerre napoléonienne comme la logistique, le fonctionnement des états-majors ou encore l’avancement au mérite, elle suffit à souligner à quel point la Grande Armée de 1805 était la meilleure de son temps. Ceci est peu contesté, mais les raisons de cette suppériorité sont par contre sujettes à débat. Certaines écoles de pensées ont vu dans la suprématie des armes françaises une simple conséquence de l’ère révolutionnaire et de ses levées en masse, associées, ou pas, au talent de Napoléon pour la guerre. Le succès cette armée aurait été la conséquence de l’éveil précoce du peuple français durant la révolution, et n’aurait duré que jusqu’ à l’éveil des autres nations européennes. Hors, c’est bien là qu’une description de la composition et de la gestation de la Grande Armée, si brève fut-elle, prend tout son intérêt. Le Premier Consul, puis Empereur des français n’inventa pas une nouvelle armée, mais systémisa les enseignements issus de décennies de réflexions et de l’expérience des guerres de la révolution. La Grande Armée était par ailleurs composée de soldats bien entraînés, et dont le tiers avaient connu le combat dans les années précédant la paix d’Amiens. L’armée napoléonienne de 1805 n’était donc pas une simple préfiguration des armées de masse du 20ième siècle, mais bien un outil maîtrisant l’ensemble des savoirs tactiques de son époque. A ce moment, la France ne comptait en effet pas plus d’hommes sous l’uniforme que sous le règne de Louis XIV un siècle plus tôt.
  Dans tous les cas, cette suprématie fut éphémère; ses ennemis se mirent bien vite à son école, et reproduisirent de moins en moins facilement leurs erreurs des débuts, tandis que la Grande Armée perdait peu à peu de son excellence tactique,  au fil des hémorragies subies par son cadre de vétérans. Enfin, et il s’agit d’une constante historique, l’excellence tactique et opérative d’une armée ne saurait pallier durablement à une stratégie mal formulée ou inepte. En 1805 comme dans les années qui suivirent, l’Empereur ne pouvait pas atteindre le centre de gravité qui lui aurait permis de pérenniser sa domination sur l’Europe ; l’Angleterre. Hors, tant que cette dernière restait indomptée, la Grande Armée était condamnée à se lancer dans de nouvelles campagnes au fur et à mesure que se formaient de nouvelles coalitions dont la création était facilitée par les mesures coercitives imposées par la France, et destinées à atteindre l’Angleterre.   
 
Bibliographie
John R. Elting, Swords around a Throne, Da Capo Press, 1997
Alain Pigeard, L’artillerie : force de frappe des armées napoléoniennes in choc, feu, manœuvre et incertitude dans la guerre, CHPM, 2010
Robert B. Bruce, Iain Dickie, Kevin Kiley, Michael F. Pavkovic, Frederick C. Schneid, Fighting Techniques of The Napoleonic Age 1792~1815, Thomas Dunne Books, 2008
divers articles sur napoleonistyka.atspace.com
divers articles sur www.1789-1815.com
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