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mercredi 24 octobre 2012

L'arme de la revanche

Les porte-avions classe Essex pendant la Seconde Guerre mondiale

par Stéphane Mantoux, animateur du blog Historicoblog3





   Aux côtés du fusil M1 Garand, loué par Patton, du char M4 Sherman, de la Jeep ou du B-17, le porte-avions lourd classe Essex figure en bonne place parmi les armes ayant assuré la victoire aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces bâtiments forment l'ossature de la flotte qui détruit l'aéronavale japonaise et assure la couverture des grands débarquements caractéristiques de la guerre du Pacifique. A ce jour, la classe Essex demeure la plus nombreuse pour ce qui est des porte-avions construits, avec 24 unités lancées et opérationnelles. Elle résume également à merveille la production industrielle de masse réalisée pendant la guerre par les Etats-Unis, une des clés de la victoire de ce que l'on a communément appelé, avec Roosevelt, « l'arsenal des démocraties » .


Une classe de porte-avions de l'avant-guerre

   Les Etats-Unis mettent en service, pendant la Seconde Guerre mondiale, 3 types de porte-avions différents : les porte-avions lourds classe Essex, les porte-avions légers classe Independence (CVL), et les porte-avions d'escorte (CVE). 14 porte-avions de la classe Essex ont vu le feu durant la guerre du Pacifique, et tous sauf 2 (les plus endommagés pendant le conflit[1]) restent en service après la fin du conflit. Artisan de la victoire américaine contre les Japonais, le porte-avions classe Essex souffre pourtant de défauts de jeunesse : il est conçu sur un tonnage limité par les traités d'avant-guerre[2], en dehors de toute expérience opérationnelle, et, pendant le conflit, il doit supporter une surcharge en hommes, en avions et en matériel de DCA qui l'alourdit considérablement. Le succès de l'Essex, pourtant, tient à plusieurs facteurs qui supplantent ces inconvénients : il embarque un groupe aérien important ; il opère en nombre pendant la guerre, avec des flottes de porte-avions classe Essex regroupés, soutenues par des porte-avions légers et des portes avions d'escorte qui fournissent une couverture de chasse et des possibilités de transport supplémentaires. Enfin, la dégradation des équipages de l'aéronavale japonaise rend les attaques à la torpille, fréquentes en 1942 contre les porte-avions de la classe Yorktown, beaucoup moins dangereuses: en 1944-1945, les kamikazes touchent les porte-avions classe Essex là où ils peuvent encaisser le choc, au-dessus de la ligne de flottaison. Le Franklin, frappé par deux bombes le 19 mars 1945, perd 996 tués ou blessés, mais ne coule pas. Les attaques contre Okinawa et sur le sol du Japon durant la dernière année de la guerre marquent également les limites de l'action des porte-avions. Ceux-ci ne disposent en effet pas de la quantité de bombes -montées sur appareils- suffisante pour infliger des dommages irrémédiables aux cibles terrestres. Par ailleurs, le groupe aérien des porte-avions comprend de plus en plus de chasseurs pour assurer sa défense aérienne, réduisant d'autant son efficacité. Enfin, le pont d'envol et les hangars sont les plus vulnérables aux attaques kamikazes.

L'Intrepid en 1944 (wikicommons)
   La classe Essex tire son origine du Naval Expansion Act de 1938, qui autorise la construction de 40 000 tonnes supplémentaires en porte-avions pour la marine américaine. Le premier construit est l'USS Hornet (CV-8) qui, en raison du besoin pressant de porte-avions, est construit sur le modèle de la classe Yorktown de 1934 (19 000 tonnes, il entre en service en septembre 1939). L'USS Essex (CV-9), en revanche, doit être bâti sur un nouveau modèle, afin de servir contre les Japonais dans le Pacifique, et pour absorber les 20 400 tonnes restantes. Mieux armé, mieux protégé et plus rapide, le nouveau porte-avions accueille surtout un groupe aérien plus vaste, avec une escadrille supplémentaire (une de chasse, en plus de celle déjà présente, de celle de bombardement en piqué, de celle de torpillage et de celle de reconnaissance). Le pont est agrandi (plus de 260 m) au moyen de quelques modifications sur l'îlot et par le retrait des obstructions présentes sur la classe précédente (tourelles de DCA). La défense antiaérienne est renforcée : elle comprend une batterie de canons de 5 pouces (127 mm) à 12 tubes et quantité de canons antiaériens Bofors de 40 mm et Oerlikon de 20 mm. La protection passive repose sur un blindage au niveau du hangar et de la ligne flottaison, mais le pont n'est pas blindé, contrairement aux porte-avions britanniques. L'Essex dispose aussi, au niveau de sa propulsion, d'un moteur alternatif alimenté par des chaudières qui n'était pas présent sur le Hornet -cette absence sera d'ailleurs jugée responsable de son abandon et de sa destruction par les destroyers japonais lors de la bataille de Santa Cruz[3]. Deux défauts, en revanche, sont présents initialement : le système de ventilation, censé réduire les ouvertures dans le pont d'envol, se révèle un conduit idéal pour la fumée et les matériaux enflammés, comme le montre le cas de l'attaque sur le Franklin ; les salles de briefing et du personnel, placées sous le pont d'envol, sont très vulnérables en cas de dommages subis. Tous ces changements alourdissent le poids du porte-avions, bien au-delà de ce qui avait prévu dans les traités : au final, l'Essex déplace 27 000 tonnes en configuration normale et 33 000 à pleine charge.

   La guerre se déclenchant en septembre 1939, les Etats-Unis décident de se doter de davantage de porte-avions. Le Two Ocean Navy Act de mai 1940 autorise la construction des CV-10 à 12, puis de 13 à 10 après la chute de la France en juin 1940. Les CV-20 et 21 sont programmés le 15 décembre 1941, juste après Pearl Harbor, les CV-31 à 40 en août 1942, et les CV-45 à 47 en juin 1943, juste après que la première unité de la classe soit arrivée dans la zone des combats. 6 de plus, les CV-50 à 55, sont proposés en 1945, mais sont rejetés par le président Roosevelt. En tout 26 porte-avions de classe Essex sont entamés, 24 sont terminés, dont un avec un dessin modifié pour l'après-guerre. Sur les 24 construits, 17 sont finis avant la fin des hostilités et 14 voient le feu contre les Japonais. Les porte-avions classe Essex sont construits à Newport News et au Norfolk Navy Yard en Virginie, à Bethlehem Quincy dans le Massachussets, au Philadelphia Navy Yard et au New York Navy Yard de Brooklyn, à New York. L'Essex est mise en chantier le 28 avril 1941 sur la même cale que le Hornet, à Newport News en Virginie : il est achevé 15 mois avant la date prévue. Cette prouesse est due à l'efficacité des ouvriers mais aussi à la simplicité du dessin et de la construction. Les porte-avions classe Essex symbolisent à merveille la production de masse en temps de guerre, à partir d'un dessin existant, qui raccourcit la durée de construction et autorise une standardisation des matériaux.

Un porte-avions optimisé durant le conflit

   Au cours de la guerre, la classe Essex connaît quelques modifications dues à l'expérience opérationnelle des porte-avions déjà engagés. Les plus notables sont le renforcement de la DCA, avec l'ajout d'un affût quadritube de canons Bofors de 40 mm à la proue et à la poupe, le remplacement de la catapulte du hangar par deux affûts quadritubes de Bofors de 40 mm et une conduite de tir Mark 37, une seconde catapulte sur le pont et un nouveau système de ventilation. Le pont d'envol est légèrement réduit pour donner un plus grand champ de tir aux nouvelles pièces de 40 mm. La proue s'en trouve modifiée et on parle alors de porte-avions « long hull » pour les différencier des « short hull » du début de la classe. En termes de DCA, certains porte-avions sont modifiés à partir de mars 1944 et reçoivent 5 affûts quadritubes de Bofors sur le côté tribord de la coque et 4 autres sur le côté babord. Le nombre des canons de 20 mm Oerlikon passe de 44 en 1943 à 61 en 1945. Le besoin urgent d'efficacité contre les kamikazes conduit à installer de nouveaux matériels, tels des canons bitubes de 20 mm (le canon simple étant jugé inefficace contre les appareils japonais) ou des pièces quadritubes de mitrailleuses cal.50 de 12,7 mm.

   Conséquence de ces ajouts : le porte-avions gagne en poids, avec 1 000 tonnes supplémentaires, ce qui entraîne des problèmes de stabilité. Le problème est tel au printemps 1945 que le nombre de munitions par pièce est limité à 800 pour préserver l'assiette nécessaire en cas de dommages. C'est ce surpoids qui rend alors les Essex très vulnérables à des attaques à la torpille, en-dessous de la ligne de flottaison, qui fort heureusement ne surviendront pas en raison de la mort programmée de l'aéronavale japonaise. Le surpoids n'est pas dû qu'aux pièces de DCA : le besoin supplémentaire de canonniers, de radaristes, de pilotes, fait qu'à la fin de la guerre les porte-avions classe Essex embarquent plus de 3300 hommes, alors qu'ils ne sont conçus au départ que pour en embarquer 2300 ! Idem pour le poids et la taille du groupe aérien embarqué : prévus pour transporter 91 appareils, les Essex en alignent à la fin du conflit 103, plus lourds et mieux armés en général que les premiers modèles disponibles en 1943.

F6F Hellcat sur le pont du Yorktown en 1943 (via wikicommons)

   L'Essex est au départ conçu pour véhiculer 5 escadrilles de 18 appareils, avec 10 avions en réserve (36 chasseurs, 36 bombardiers en piqué et 18 avions-torpilleurs). Si l'Essex et le Yorktown (CV-10, le deuxième de la classe) embarquent encore au départ quelques F4F Wildcats, la classe Essex dispose dès le départ du nouveau chasseur F6F Hellcat et du bombardier-torpilleur TBF Avenger qui a fait ses preuves en 1942. Le SBD Dauntless est progressivement remplacé par le nouveau bombardier en piqué SB2C Helldiver, qui souffre de difficultés initiales (problèmes de stabilité latérale dus à l'exigence de la marine de pouvoir mettre deux appareils sur l'ascenseur de pont) et n'est véritablement adopté que dans la seconde moitié de 1944. Le F4U Corsair, rejeté également au départ par la marine, est lui aussi mis en service fin 1944 (par exemple sur le CV-17 USS Bunker Hill) et offre de nouvelles possibilités en tant que chasseur-bombardier.

1943 : le baptême du feu
   L'Essex entre en service le 31 décembre 1942 et après une période de tests, il arrive enfin à Pearl Harbor le 31 mai 1943. Les porte-avions suivants de la classe renforcent bientôt le « grand frère » : le Yorktown arrive le 27 juillet, le CV-16 Lexington le 9 août avec deux porte-avions légers classe Independence, et le Bunker Hill s'ajoute à l'ensemble le 2 octobre. L'amiral Nimitz confie alors à la nouvelle flotte de porte-avions des missions de raids pour aguerrir les équipages et le matériel. Le premier est mené avec l'Essex, le Yorktown et le CVL-22 Independence le 31 août 1943 contre l'île Marcus. Ce raid permet de mettre au point la technique des décollages avant l'aube, de régler les fréquences radios, et d'organiser les trois porte-avions dans une formation circulaire qui maximise la défense anti-aérienne. Renforcés par le Lexington et les porte-avions légers CVL-23 Princeton et CVL-24 Belleau Wood, les Américains frappent les îles Gilbert les 18 et 19 septembre en prévision du débarquement sur Makin et Tarawa. Si les défenses japonaises sont à peine entamées, l'opération permet de renforcer l'expérience des équipages et fournit surtout une couverture photo complète de l'objectif.

   Deux semaines plus tard, l'Essex, le Yorktown et le porte-avions léger CVL-25 Cowpens rejoignent le Lexington et les porte-avions légers Independence et Belleau Wood pour une frappe sur l'île de Wake. Le raid comprend également un bombardement par des croiseurs couverts par les porte-avions légers ; c'est aussi la première fois que des sous-marins américains sont spécifiquement chargés de secourir les pilotes abattus en mer (6 repêchés sur 11, ce qui confirme le succès de l'opération). Les chasseurs japonais font en outre les frais de la puissance du F6F Hellcat et de l'entraînement de ses pilotes. Au moment de l'opération Galvanic, l'assaut contre les îles Gilbert, lancé le 19 novembre 1943, la Task Force 50 regroupe déjà les porte-avions Essex, Yorktown, Lexington et Bunker Hill, les porte-avions anciens CV-6 Enterprise et CV-3 Saratoga, 5 porte-avions légers et 5 porte-avions d'escorte. Le 4 décembre 1943, après un raid décevant des porte-avions sur les îles Marshall en préparation du prochain débarquement américain, Nimitz limoge le contre-amiral Pownall, qui commandait jusque-là le groupe de porte-avions, et qu'il estime trop pusillanime, et le remplace par le contre-amiral Mitscher, qui commandait déjà le premier Hornet durant le raid de Doolittle et à Midway. Mitscher mène la Task Force 58 -ou Task Force 38, selon l'amiral qui la commande, pour égarer les Japonais- de janvier 1944 à août 1945, un organisme qui devient sans doute la force navale la plus puissante que le monde ait connu jusque là.

1944 : le triomphe

   En janvier 1944, le porte-avions CV-11 Intrepid (classe Essex) et le porte-avions léger CVL-27 Langley (classe Independence) remplacent le Lexington et l'Independence qui subissent des réparations suite à de légers dommages infligés par les Japonais. Pour l'assaut sur les îles Kwajalein, Mitscher inaugure les frappes préventives avant l'aube sur les aérodromes, de façon à détruire l'essentiel des appareils nippons au sol et à s'assurer une supériorité aérienne complète le plus rapidement possible. Par ailleurs, plutôt que de retourner à Pearl Harbor, la flotte inaugure le système des bases avancées -ici sur l'atoll de Majuro-, ce qui permet d'économiser des quantités considérables de carburant et autorise les porte-avions à frapper un nouvel objectif plus rapidement. La prochaine cible est l'atoll de Truk, que les Américains jugent fortement défendu, alors qu'il l'est en réalité beaucoup moins qu'ils ne le croient. Le 17 février, les appareils de 5 porte-avions classe Essex et 4 porte-avions légers attaquent l'île. Mitscher dispose d'une force plus importante que celle de Nagumo à Pearl Harbor : si la flotte combinée n'est pas là, ayant évacué les lieux avant le raid, 75 Hellcats attaquent avant l'aube le premier jour suivis par des frappes menées toutes les heures pendant deux jours. 325 avions japonais sont détruits au sol, 40 en l'air, de même que 13 navires de guerre et 34 navires marchands. Les Japonais parviennent toutefois à toucher le porte-avions Intrepid. Néanmoins, le raid de Mitscher sur Truk est un succès complet et force les Japonais à rapatrier tous leurs avions de Rabaul sur place.

   Nimitz ordonne ensuite à Mitscher de lancer un raid préventif sur les Mariannes, le prochain objectif américain. 2 porte-avions classe Essex et 3 porte-avions légers conduisent ce raid qui mène à la destruction de 101 appareils japonais au sol et 67 en combat aérien. Le 30 mars, les porte-avions de la TF 58 mènent trois jours d'attaques continues contre les îles Palaus. Les Japonais, qui jusqu'alors ont refusé l'engagement aéronaval pour reformer leurs unités aériennes et mettre en service de nouveaux porte-avions, vont accepter l'engagement pour défendre les Mariannes. Le 6 juin 1944, alors qu'a lieu le débarquement en Normandie, 15 porte-avions américains quittent l'atoll de Majuro (dont le nouveau et septième porte-avions classe Essex, le CV-18 Wasp deuxième du nom). Les 11 et 12 juin, Mitscher procède à la destruction des appareils japonais basés au sol sur les Mariannes, puis des installations côtières les 13 et 14 juin. Enfin, les 15 et 16 juin, deux groupes de porte-avions mènent des raids contre les pistes des îles Bonin. Le 15 juin, l'amiral japonais Ozawa a levé l'ancre avec 9 porte-avions. Son plan initial fonctionne : il cherche à frapper les porte-avions américains à longue distance avant d'être lui-même attaqué, ce qui se produit car l'amiral Spruance maintient une position fixe près des Mariannes pour couvrir le débarquement, alors que Mitscher souhaiterait aller à la rencontre des Japonais. Le 19 juin, il lance 372 appareils en plusieurs vagues contre les porte-avions américains. Ceux-ci sont accueillis par 450 chasseurs Hellcats et une DCA surpuissante qui en expédient 300 au fond des eaux : c'est le « tir au pigeon des îles Mariannes » . En outre, les sous-marins américains torpillent et envoient par le fond les porte-avions Taiho et Shokaku. En fin d'après-midi, les Américains lancent leurs appareils sur la flotte japonaise à la limite de leur rayon d'action. Un porte-avions supplémentaire est coulé : surtout, l'aéronavale japonaise, décimée, est rayée de la carte jusqu'à la fin de la guerre. Les appareils américains, réservoirs à sec, tentent ensuite, de nuit, de revenir sur leurs porte-avions : Mitscher fait allumer tous les projecteurs disponibles pour faciliter le retour des appareils, plus ou moins heureux. La bataille de la mer des Philippines, et la chute de Saïpan, causent un profond choc chez la population japonaise qui découvre alors l'ampleur des revers subis par ses forces armées ; les porte-avions japonais, privés d'aviation embarqués, ne sauront désormais plus utilisés que comme leurres, et les militaires japonais en viennent à des extrêmités absolues avec l'emploi des kamikazes.


Le Franklin photographié peu après avoir été touché le 19 mars 1945 (wikicommons)
   Après un autre raid sur Iwo Jima, les porte-avions américains bénéficient d'une courte pause avant de participer à l'opération contre les Philippines, dont les défenses apparaissent plus faibles que ce qui était escompté. Le 12 octobre 1944, la flotte de porte-avions devenue Task Force 38 sous les ordres de l'amiral Halsey attaque Formose. Elle comprend alors 17 porte-avions -dont les nouveaux CV-19 Hancock et CV-13 Franklin classe Essex. 600 appareils japonais sont détruits, contre 79 appareils américains perdus. La route des Philippines est désormais ouverte. Le 20 octobre 1944, les Américains débarquent sur l'île de Leyte. Les Japonais jouent leur va-tout et expédient leurs dernières forces navales pour entrer en lice dans ce qui devient la bataille du golfe de Leyte. Celle-ci commence par des raids d'avions japonais basés à terre contre la TF 38, qui parviennent à couler le porte-avions léger Princeton. La TF 38 réplique en attaquant une des forces de l'escadre japonaise pendant la bataille de la mer de Sibuyan, où disparaît notamment le supercuirassé Musashi. Halsey est ensuite attiré au nord par l'appât des porte-avions japonais de l'amiral Ozawa. Il coule les quatre porte-avions nippons (dont le Zuikaku, dernier survivant de Pearl Harbor) mais est rappelé d'urgence au sud, où l'amiral japonais Kurita s'est approché sans crier gare des unités de couverture du débarquement, porte-avions et destroyers d'escorte, qui ont résisté tant bien que mal aux grosses unités japonaises. Kurita choisit de se replier, sauvant la force d'invasion. Ce 25 octobre 1944 est pourtant terni par la mise en oeuvre, côté japonais, de la première mission kamikaze, qui envoie par le fond le porte-avions d'escorte CVE-63 St-Lo. Plusieurs porte-avions de la TF 38 sont endommagés par des kamikazes dans les derniers mois de 1944 au large des Philippines. La bataille du golfe de Leyte est la plus grande défaite de la marine japonaise : elle scelle le sort des Philippines, achevant de couper le Japon de ses zones d'approvisionnement en Asie du Sud-Est. La flotte japonaise reste désormais dans ses bases jusqu'à la fin de la guerre, si l'on excepte la sortie suicide du Yamato en avril 1945.

1945 : le péril kamikaze

   En 1945, 5 porte-avions classe Essex supplémentaires sont achevés (CV-14Ticonderoga, CV-20 Bennington, CV-15 Randolph, CV-31 Bon Homme Richard, CV-38 Shangri La). L'amiral Spruance remplace Halsey début 1945 et en février, la TF 58 frappe le Japon pour empêcher toute interférence avec le débarquement prévu sur Iwo Jima. De la même manière, avant le débarquement sur Okinawa, le 1er avril, les porte-avions américains renforcés de leurs homologues britanniques visent à nouveau les aérodromes de l'archipel. La campagne d'Okinawa est un moment particulièrement pénible pour les porte-avions américains, victimes des attaques conventionnelles à la bombe des appareils japonais et des kamikazes, qui les frappent sur leur point faible, le pont d'envol. Les Wasp, Enterprise (frappé par une bombe le 18 mars, par un kamikaze le 11 avril et à nouveau par un autre le 14 mai), Yorktown (touché par une bombe le 18 mars comme l'Enterprise) et Franklin sont tous endommagés à des degrés divers. Le 11 mai, c'est le Bunker Hill qui est touché à son tour par deux kamikazes et perd 389 hommes d'équipage et 264 blessés. Cependant aucun porte-avions n'est coulé, même si le Franklin, éventré par deux bombes le 19 mars alors qu'il est très vulnérable (rempli d'appareils armés et en train de faire le plein de carburant), manque de peu de chavirer. Les explosions secondaires se révèlent dévastatrices, mais le contrôle des feux par les équipes incendie et le blindage du hangar protègent les stocks de munitions et le système de propulsion du navire. En dépit de ses 724 morts et 265 blessés, le Franklin est capable de regagner New York par ses propres moyens, exemple qui montre la robustesse des porte-avions classe Essex en dépit des défauts de conception.

 
Conclusion : une longévité exceptionnelle

   Après la fin de la guerre, les porte-avions de la TF 58 restent en place jusqu'à l'occupation du Japon par les forces américaines. La plupart participe à l'opération Magic Carpet, le rapatriement des soldats américains des quatre coins du globe vers les Etats-Unis. Les deux unités encore en chantier sont annulés et les navires commencent à être désarmés en 1947, seuls les plus récents restant en service. Avec le déclenchement de la guerre de Corée en juin 1950, les 4 porte-avions Essex encore opérationnels sont expédiés sur place. Ils sont rejoints par un cinquième à l'automne, puis par deux autres en 1951. Entre 1951 et 1953, d'autres porte-avions de la classe sont réarmés et modernisés et 4 voient le feu en Corée. Avec la fin de la guerre du Pacifique et l'avènement des avions à réaction, la classe Essex nécessite, en effet, une refonte complète. Le CV-34 Oriskany est le premier porte-avions nouvelle génération (SCB-27A) achevé en 1950 et 9 autres suivront. 6 sont aussi concernés par les nouvelles modifications de la classe SCB-27C à partir du début 1951. Au final, 14 Essex se retrouvent modernisés, 3 servent encore sans les modifications apportés dans l'après-guerre, 1 sert de navire école et 3 sont utilisés comme transports d'assaut pour hélicoptères (LPH). La guerre du Viêtnam relègue les porte-avions classe Essex à la lutte anti-sous-marine ou au support amphibie. La fin de ce conflit les voit atteindre leur limite d'âge et ils sont progressivement retirés du service, l'Oriskany étant le dernier à le faire en 1976. Le Lexington sert encore de navire école jusqu'en 1990. Seuls demeurent aujourd'hui 4 porte-avions de classe Essex reconvertis en musée : le Yorktown en Caroline du Sud, l'Intrepid à New York, le Hornet en Californie et le Lexington au Texas. Un dernier hommage à ces navires de guerre qui marquent indubitablement l'histoire des porte-avions et de la Seconde Guerre mondiale.

Pour en savoir plus :

Un petit ouvrage d'introduction au sujet :
Michael C. SMITH, Essex class carriers in action, Warships 10, Squadron/Signal Publications, 1997.
Et pour l'iconographie, la page du site officiel de l'histoire de l'US Navy sur la classe Essex :








[1]Le CV-13 USS Franklin et le CV-17 USS Bunker Hill.


[2]Traité de Washington de 1925, traité de Londres de 1930, révisés en 1936.


[3]Le 26 octobre 1942, l'aéronavale japonaise place 3 bombes et 2 torpilles sur le Hornet, sans compter l'impact d'un bombardier Aichi D3A Val endommagé qui finit sa course sur le pont. Les Américains tentent de le faire remorquer par le croiser léger USS Northampton, mais une autre attaque aérienne japonaise -où le Hornet récolte une torpille supplémentaire- interrompt la manoeuvre. L'abandon du navire est alors décidé : deux destroyers américains expédient 9 torpilles et plus de 400 obus de 127 mm sur le Hornet, qui refuse de sombrer. Il est finalement achevé par 4 torpilles des destroyers japonais Makigumo et Akigumo arrivés sur zone. Un porte-avions classe Essex (CV-12) reprend son nom.




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