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dimanche 20 octobre 2013

Un peu de lecture III : Nicolas Bernard, la guerre germano-soviétique


Nicolas Bernard exerce la profession d’avocat, et contribue de longue date à plusieurs titres de la presse spécialisée. La guerre germano-soviétique, paru aux éditions Tallandier, est son premier ouvrage et nous le remercions de nous en avoir envoyé un exemplaire.




Disons-le d’entrée, l’auteur a magistralement réussi un pari extrêmement ambitieux, consistant à proposer, pour la première fois dans la langue française, un livre offrant une vue d’ensemble du duel titanesque entre le IIIe Reich et l’URSS entre 1941 et 1945. Hors, donner un aperçu claire et cohérent d’un théâtre des opérations immense où s’opposèrent au cours de batailles gigantesques non-seulement des armées, mais aussi des Etats, des économies et des systèmes politiques très différents peut sembler relever de la gageure et ce d’autant plus, comme le dit l’auteur, que cet affrontement fut bien ce qui se rapprocha le plus d’une guerre totale au cours d’un XXe siècle pourtant peu avare en démesure en la matière. Bref, l’immensité du sujet abordé donne le tournis, et Nicolas Bernard parvient pourtant à le synthétiser de manière efficace dans ce qu’il convient d’appeler un « pavé » de 797 pages, fort d’une bibliographie d’une soixantaine de pages.

Cette dernière est donc conséquente, mais aussi riche, car comportant des ouvrages en russe, anglais, allemand et français. Ces références constituent à la fois le who’s who des historiens ayant écrit sur cette guerre, mais aussi une mise à jour incluant les travaux les plus récents. Il s’agit là d’un point important, dans la mesure où l’historiographie du conflit a beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies, tout en restant relativement peu exploitée en langue française. Bref, si l’on tient compte à la fois de la parcimonie des publications dans ce domaine et de la richesse de la bibliographie de l’ouvrage, il est plus que probable que celui-ci reste une référence incontournable durant les années à venir.

Comme le précise l’auteur dans son introduction, ce livre n’est pas une histoire « totale » dans la mesure où le traitement des opérations militaires y occupe une place centrale. En revanche, il s’agit bel et bien d’une « nouvelle » histoire militaire, incluant dans le propos une multitude d’aspects politiques, diplomatiques ou économiques. On appréciera par exemple le soin et l’équilibre avec lequel Nicolas Bernard aborde les multiples atrocités commises à l’Est, que ce soit par les Nazis ou les Soviétiques, tout en n’omettant jamais de les replacer dans leur contexte idéologique et politique. S’agissant d’un tel sujet, la démarche est salutaire, car à trop se focaliser sur le pure déroulement des opérations militaire, on en viendrait inévitablement à développer une vision aseptisée, et à vrai dire, irréelle, de cette guerre de tous les superlatifs. Cette tendance n’est de plus pas neutre car elle correspond in fine au biais délibérément crée par des militaires comme Von Manstein lorsqu’ils rédigèrent leurs mémoires. In fine, cette approche « pluridisciplinaire » de l’Ostfront associée à la richesse bibliographique de l’ouvrage permettront au lecteur de revisiter des épisodes connus en les voyant apparaître sous un jour différent.

Par exemple, l’invasion de la Yougoslavie et de la Grèce, loin de coûter aux Allemands la bataille de Moscou, augmenta les chances de succès de l’opération Barbarossa. L’invasion, souvent vue comme une marche triomphale jusqu’à l’arrivée des boues automnales puis de l’hiver, est présentée là encore sous un jour bien différent, comme l’atteste le fait qu’au 26 septembre 1941, la Wehrmacht compte déjà 543'086 hommes tués, blessés, disparus ou malades ; bref, la saignée débuta en même temps que la guerre. De même, le rôle attribué à Richard Sorge, qui en découvrant la décision de l’armée impériale japonaise de ne pas attaquer l’URSS, aurait permis de déployer les troupes « sibériennes » devant Moscou et inverser le cours d’une bataille qui aurait pu changer l’issue du conflit, est battu en brèche. En effet, le Front d’Extrême-Orient fut constamment renforcé par Staline durant les premiers mois de la guerre, passant de 700'000 hommes le 22 juin 1941 à 1'340'000 hommes le 5 décembre 1941. De plus, l’auteur rappelle des affrontements largement oubliés, comme l’opération Mars, pratiquement lancée en même temps que l’opération Uranus. La première visait à détruire la 9e armée allemande dans le saillant de Rjev, alors que la seconde devait permettre l’anéantissement de la 6e armée à Stalingrad. Si Uranus connut le succès que l’on sait, Mars échoua lamentablement et causa aux soviétiques des pertes immenses.

Les sacrifices dantesques consentis par l’armée soviétique pour remporter la victoire sont également rappelés, illustrés par le fait que de 1941 à 1945, le corps des officiers perdit à lui seul deux millions de tués, blessés ou disparus. Autre exemple, 310’000 des 403’272 tankistes qui servirent durant ces quatre années perdirent la vie. Remarquons que le traitement de l’armée soviétique dans cet ouvrage est particulièrement nuancé. Si l’auteur règle son compte aux bonnes vieilles antiennes des débuts de la guerre froide sur le rouleau-compresseur rouge, il évite de tomber dans une idolâtrie aveugle de l’art opératif soviétique, démontrant par exemple les risques encourus à plusieurs reprises par les soviétiques en cas de contre-attaque mécanisée allemande sur leurs flancs. Le rôle vital joué par l’aide alliée est aussi abordé de manière convaincante, tandis que les raisons motivant les décisions d’Hitler ou de Staline sont généralement clairement expliquées.

In fine, nous ne pouvons que conclure cette recension en affirmant que La guerre germano-soviétique de Nicolas Bernard doit tout simplement figurer dans la bibliothèque de tout personne intéressée par ce conflit, tout simplement parce qu’il s’agit bel et bien d’un outil indispensable pour l’aborder, et qu’en français, il n’existe tout simplement pas d’alternative à celui-ci.

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