Pierre
Razoux est directeur de recherches à l'IRSEM (Institut de recherche stratégique
de l'Ecole militaire), spécialiste du Moyen-Orient, et a déjà écrit plusieurs
ouvrages de référence parmi lesquels Tsahal
– Nouvelle histoire de l'armée israélienne paru chez Perrin en 2008
(Tempus), La guerre du Kippour d’octobre 1973 ou bien encore La Guerre des six
jours, 5-10 juin 1967 : du mythe à la réalité, parus tous deux chez Economica en 2011 et 2004. Il vient de publier La guerre Iran-Irak, Première guerre du
Golfe, 1980-1988 chez Perrin.
Votre
ouvrage vient combler un vide important. Selon vous, pourquoi la guerre
Iran-Irak a-t-elle suscité un nombre aussi réduit de publications alors qu’il
s’agit d’un des conflits les plus importants de l’après-guerre ?
Pourriez-vous également nous donner les raisons qui vous ont poussé à vous
lancer dans ce projet ?
La complexité même de cette guerre a constitué
un frein à l’écriture d’ouvrages la décrivant. Comprendre celle-ci implique en
effet non-seulement d’étudier sa dimension militaire, mais aussi ses aspects
politiques, diplomatiques et économiques. La dimension économique reste ainsi
une des causes fondamentales de la défaite iranienne. Lorsque l’Arabie saoudite
tripla sa production de pétrole en six mois en 1985, elle causa un effondrement
des prix qui aboutit à une diminution massive des recettes de l’état iranien,
qui ne disposait d’aucune source alternative de revenus. En revanche, l’Irak
continua à bénéficier d’un accès privilégié aux crédits américains et surtout
saoudiens. Il s’agissait là d’une manœuvre saoudienne délibérée, coordonnée
avec l’administration Reagan, qui permit à la fois d’affaiblir l’Iran et
l’Union soviétique. Autre exemple de la complexité inhérente à cette guerre,
pas moins de 48 pays vendirent des armes à l’un ou l’autre des
belligérants et la moitié d’entre eux, dont les cinq membres permanents du
Conseil de Sécurité, en fournirent aux deux adversaires. Bref, seule une
approche interdisciplinaire était susceptible de donner au lecteur une
compréhension globale de cette guerre.
Un autre obstacle majeur à l’étude de cette
guerre a été le manque de sources aisément accessibles. Pour écrire ce livre,
j’ai dû mener une centaine d’interviews auprès de personnes ayant été partie
prenante à cette guerre, d’une manière ou d’une autre. Par ailleurs, j’ai eu
également la chance de pouvoir accéder à des archives encore non-accessibles
pour le public, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis. Bref, un tel projet a
demandé des années pour être mené à bien, ce qui en soi, explique au moins
partiellement l’absence relative de publications antérieures sur un sujet si
vaste, mais si méconnu.
Pour répondre à la deuxième partie de votre
question, la guerre Iran-Irak m’a toujours interpellé, et ce d’autant plus
qu’elle faisait souvent les gros titre de la presse durant les années où je
commençais à me passionner pour l’histoire militaire. Comprendre celle-ci m’est
apparu essentiel pour appréhender correctement la situation actuelle au
Moyen-Orient. C’est pourquoi l’ambition de ce livre consiste à offrir au
lecteur une perception globale de ce conflit, le plus meurtrier et le plus long
du 20e siècle au Moyen-Orient, ainsi que de ses conséquences pour
les équilibres géopolitiques actuels. Comme je le mentionne dans mon
introduction, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 a bel et bien
offert aux Iraniens la victoire qu’ils n’étaient pas parvenus à obtenir après
des sacrifices inouïs un peu plus d’une décennie auparavant. Les mollahs
iraniens auraient été fondés à ériger une statue en l’honneur de George W
Bush !
Pouvez-vous
nous éclairer sur la conduite politique de cette guerre dans les deux pays et
plus particulièrement en Iran ?
Pour Saddam Hussein, la guerre constitue un moyen d’accentuer son
contrôle sur l’armée. In fine, les
décisions importantes en Irak reviennent toujours au raïs et au petit cercle
d’hommes en qui il a confiance, comme Adnan Khairallah (son cousin, ministre de
la Défense) ou Ali Hassan al-Majid (son autre cousin, chef des services de
renseignements), plus connu sous le sobriquet d’Ali le chimique. Saddam Hussein
n’ayant jamais eu d’expérience militaire, il s’est formé sur le tas auprès d’Adnan
Khairallah, ce qui lui permit d’acquérir au fils du temps une compréhension,
limitée mais réelle, de la chose militaire. Les enregistrements des réunions
tenues en la présence du dictateur que j’ai pu consulter (les fameuses bandes
audio de Saddam) révèlent à cet égard certains aspects de sa personnalité.
Ainsi, il écoutait beaucoup, demandant fréquemment à ses subordonnés de
justifier leurs propositions par de simple « pourquoi ».
Du côté iranien, le nouveau pouvoir issu de la révolution est encore
instable et fragile au moment de l’invasion irakienne. La guerre permet au
régime de se consolider et l’ayatollah Khomeiny dira lui-même que celle-ci est
une aubaine. Petit-à-petit, les élites issues du clergé sont ainsi en mesure
d’éliminer leurs rivaux issus de mouvements laïques comme le Tudeh (communistes), les libéraux ou les Moudjahidines du Peuple et de
s’emparer de l’ensemble des leviers du pouvoir. Ce processus culmine en 1981
avec la disgrâce et la fuite du président Bani Sadr, puis à la répression qui
s’abat sur les Moudjahidines du Peuple et qui correspond de facto à une seconde révolution.
Il convient cependant de ne pas oublier que le pouvoir des ayatollah
n’est pas un bloc monolithique mais qu’il est aussi divisé en factions, dont
les deux principales sont menées par Akbar Hashemi Rafsandjani, le président du
parlement, et Ali Khamenei, le président de la république. Ces deux factions
sont constamment en train de s’opposer, l’ayatollah Khomeiny jouant in fine le rôle d’arbitre. Rafsandjani,
qui dirige les opérations militaires, n’a aucun intérêt à voir le conflit
prendre fin. Cette instrumentalisation contribue à expliquer pourquoi en 1982,
alors que les Irakiens ont été repoussés du territoire iranien et se déclarent
prêts à cesser les hostilités, la guerre continue. De manière surprenante,
après la mort de l’ayatollah Khomeiny, ce fut le moins charismatique de ces
deux rivaux, Ali Khamenei, qui prit l’ascendant en devenant guide de la
révolution, Rafsandjani ayant commis l’erreur de privilégier l’accès au poste
de président de la République. La lutte entre ces deux figures politiques
majeures issues de la révolution iranienne n’est encore pas terminée de nos
jours. L’élection récente de Hassan Rohani en est une illustration flagrante.
Volontaires iraniens (via Wikicommons) |
Quelle fut l’ampleur de la
mobilisation dans les deux pays, et comment ceux-ci ont-ils pu financer leur
effort de guerre ?
Dans les deux cas, la mobilisation fut totale, à la fois militaire, morale
et économique. Sur le plan militaire stricto sensu, jusqu'à deux
millions de soldats, 10 000 véhicules blindés et un millier d'aéronefs
furent engagés simultanément par les belligérants. Cependant, l’effort demandé
aux Irakiens fut sans doute moindre que celui imposé à la population iranienne.
En effet, en Iran, la guerre consolide le régime qui ne craint pas de gaspiller
la vie des soldats pour compenser son infériorité matérielle. Cela se traduit
sur le champ de bataille par des modes opératoires privilégiant le choc,
l’assaut frontal et les vagues humaines.
Inversement, en Irak, le pouvoir baathiste craint qu’une trop forte
sollicitation de la population ne puisse la pousser à se retourner contre lui.
Afin de la ménager, Saddam Hussein fait massivement renforcer les défenses
anti-aériennes de Bagdad dans le but de pouvoir lever le couvre-feu dans la
capitale aussi rapidement que possible. Cette situation ne va pas sans rappeler
la guerre de 14-18, où Paris vivait presque comme en temps de paix, alors que
l’horreur régnait dans les tranchées distantes d’un peu plus d’une centaine de
kilomètres. L’armée irakienne s’efforce par ailleurs d’épargner autant que
faire se peut la vie de ses hommes en privilégiant l’usage du feu. Il est vrai
que Saddam Hussein est en mesure d’éviter de faire un choix entre le beurre et
les canons parce qu’il a la possibilité de mener sa guerre à crédit,
principalement grâce aux financements alloués par les pétromonarchies du Golfe.
En revanche, l’Iran ne dispose pas de telles facilités, et doit donc gérer ses
ressources avec parcimonie pour pouvoir financer sa participation au conflit.
Sur le plan militaire, une
perception très répandue dans le public assimile la guerre Iran-Irak à une
simple réédition de la guerre des tranchées, notamment parce que ces deux
conflits ont pour point commun l’usage de gaz de combat et les assauts par
vagues humaines. Qu’en a-t-il été réellement ?
A mon sens, la guerre Iran-Irak constitue une forme de magasin des
horreurs du XXe siècle. On y retrouve certes un usage massif d’armes chimiques
et le recours aux vagues humaines caractéristiques de la Première Guerre
mondiale, mais aussi un usage de grandes formations blindées ou de
bombardements de terreur sur les centres urbains que l’on tend plutôt à
assimiler à la Seconde Guerre mondiale. De plus, les opérations menées tant par
les Iraniens que par les Irakiens contre leurs mouvements indépendantistes
kurdes respectifs, dans les montagnes du Nord, ne vont pas sans rappeler la
guerre d’Algérie, alors que par ailleurs, les tactiques d’infanterie légère
iraniennes dans les marais entourant les îles Majnoun rappellent plutôt la
guerre du Vietnam. Et les combats aériens rappellent les guerres
israélo-arabes. Les belligérants furent aussi parfois des précurseurs,
notamment en matière de guerre aérienne, où ils firent appel massivement à des
munitions guidées tirées à distance de sécurité. Les Super Frelon, Super
Etendard et Mirage F-1EQ5 irakiens ne tirèrent pas moins de 500 Exocet durant
la guerre, tandis que les F-4 iraniens firent un usage massif de
missiles air-sol Maverick. Sur le plan naval, l’opération Praying Mantis, qui opposa marines américaine et iranienne (en
avril 1988) fut la plus grande bataille aéronavale de ces dernières décennies.
Il existe une vision un peu
condescendante considérant que des pays moyen-orientaux ne sauraient égaler les
Occidentaux en termes de savoir-faire militaire « classique ». On a
parfois entendu que ces armées tendent à ne pas maîtriser intégralement
l’emploi des technologies qu’elles acquièrent. Que nous enseigne la guerre
Iran-Irak sur ces questions ?
La réalité est évidemment beaucoup plus nuancée. Au début du conflit,
l’armée irakienne montre par exemple rapidement ses limites, tout
particulièrement en termes tactiques. Ceci dit, au fur et à mesure que la
guerre se prolonge, cette dernière apprend, s’adapte et se professionnalise. In fine, en 1988, les forces armées
irakiennes n’ont strictement plus rien à voir avec ce qu’elles étaient en 1980.
Elles maîtrisent clairement l’ensemble de leurs matériels, du char T-72 au
Mirage F-1EQ6 en passant par les canons G-5. Bref, les Irakiens sont parvenus à
créer leur armée de la victoire. Celle-ci parvient à asséner une série de coups
brutaux et rapprochés en 1988, qui achèvent d’assommer un ennemi épuisé, dont
les soldats sont déjà démoralisés après des années de sacrifices inouïs. Sans
compter le fait que les caisses iraniennes sont vides et que les mollahs n’ont
plus les moyens de financer leurs offensives.
Les Iraniens maîtrisent eux aussi leurs matériels les plus complexes,
mais ils se sont trouvés entravés, au début du conflit, par le fait qu’un
nombre important de leurs spécialistes les mieux formés se trouvaient en
prison. Une fois libérés, ces personnels sauront entretenir et faire
fonctionner correctement le matériel. Les pilotes de F-14 soigneusement
entraînés du temps du Shah se révéleront redoutables face aux pilotes irakiens
et sauront utiliser parfaitement leurs missiles Phoenix. Plus généralement, les
Iraniens se sont montrés capables d’improvisations surprenantes, y compris avec
des engins de très haute technologie. Des missiles mer-air Standard équipant
leur marine furent par exemple convertis en engins air-mer pouvant être tirés
par des Phantom. Leurs techniciens parvinrent à entretenir des engins
aussi complexes que les batteries de missiles Hawk ou les chasseurs Tomcat sans
aide extérieure et en ne bénéficiant que d’un approvisionnement en pièces
détachées incertain du fait de l’embargo américain sur les armes. Sur le plan
terrestre, poussés par leur infériorité matérielle, ce sont les Iraniens qui
ont le plus innové, comme le démontre la prise de Fao.
Dans le domaine aérien en revanche, ce sont les Irakiens qui se sont
démarqués par un nombre important d’innovations à partir de 1984. A cette date,
le général Hamid Shaaban prend la tête de la force aérienne. Celui-ci est un
visionnaire qui sait s’entourer de personnels compétents, et sous son
impulsion, l’aviation irakienne devient progressivement une force de frappe
redoutable, capable de mener des attaques précises sur de longues distances,
comme le démontre les raids de Mirage F-1 sur le terminal de Larak, à
l’embouchure du détroit d’Ormuz. Même sur le plan tactique, des innovations
brillantes comme la transformation d’avions de transport Il-76 en bombardiers
larguant des palettes de fûts de napalm ou encore l’usage de formations mixtes
comprenant Mirage F-1 et Su-22, les nacelles de guidage des premiers éclairant
les cibles pour les armes guidées laser d'origine soviétiques des seconds.
Cette combinaison a permis aux Irakiens de détruire les pontons permettant aux
Iraniens de ravitailler leurs positions sur la péninsule de Fao.
Pilotes irakiens de Mirage F-1 (via Wikicommons) |
Quel fut le rôle joué par la
France pendant cette guerre ?
En France, l’Irak fut longtemps perçu comme un véritable Eldorado pour
les industriels français, que ce soit dans le BTP, le pétrole,
l’agroalimentaire, le nucléaire et bien entendu dans le commerce des armes. Ces
derniers ont bénéficié pendant des années d’un accès privilégié au marché
irakien. Il s’agissait d’une situation qui correspondait aux objectifs
politiques du raïs de Bagdad, soucieux de diversifier ses sources
d’approvisionnement dans le domaine des armements. Dans l’Hexagone, Saddam Hussein
était aussi perçu comme un rempart de la laïcité contre l’Islam intégriste, un
despote éclairé qui était un moindre mal. In
fine, la France joua un rôle essentiel dans ce conflit ne serait-ce que
parce qu’elle alimenta en armes de haute technologie la machine de guerre
irakienne. En parallèle, Paris négocia aussi avec Téhéran dans l’espoir de
résoudre plusieurs contentieux « lourds » opposant les deux
capitales. Outre le soutien français à Bagdad, on peut citer le contentieux
Eurodif et l’asile accordé à des dissidents iraniens comme Bani Sadr. Au pire
moment, et après que les Iraniens aient directement frappé le territoire
français au moyen d’attaques terroristes, les deux pays fermeront leurs
ambassades respectives. Le juteux marché de l’armement irakien et iranien
n’attira cependant pas que la France et même des pays neutres ne se privèrent
pas de l’exploiter. La société suisse Pilatus livra ainsi des avions PC-7,
utilisés pour l’attaque légère ou l’épandage d’armes chimiques, tant à l’Irak
qu’a l’Iran, alors que la Suède fournit à l’Iran des missiles sol-air portables
RBS-70 à l’Iran et l’Autriche des pièces d’artillerie lourde à l’Irak.
La description que vous
faites des performances de l’armée irakienne en 1988 peut surprendre alors que celle-ci
fut humiliée en 1991. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons de ce brutal
passage du triomphe à la défaite ?
Une des raisons du désastre de 1991 réside dans la disparition en 1989 d’Adnan
Khairallah, cousin de Saddam Hussein et ministre de la Défense. Probablement
éliminé sur ordre d’Oudaï et de Qoussaï, les propres fils du dictateur, il
était le seul militaire compétant en qui le raïs avait totalement confiance, et
qui aurait donc pu lui faire comprendre à quel point les forces armées
irakiennes, taillées sur mesure pour affronter l’adversaire iranien, étaient
inférieures à la gigantesque armada aéroterrestre de la coalition assemblée par
le président Bush.
Privé des conseils d’Adnan Khairallah et convaincu en même temps de la
pertinence de ses propres conceptions, Saddam Hussein resta persuadé qu’il
conservait de sérieuses chances de l’emporter dans le combat à venir avec la
coalition. Comme on le sait, les Etats-Unis firent à cette occasion l’étalage
de la puissance brute de leur force, mais aussi celle de l’efficacité de la
doctrine Air Land Battle, conçue
initialement pour affronter l’armée soviétique. Il n’est par ailleurs pas exclu
que l’objet de la démonstration de force dont l’armée irakienne fit les frais
ait en réalité eut pour objet de dissuader les dirigeants d’une URSS en phase
terminale de tout aventurisme désespéré.
Pour conclure, pourriez-vous
nous indiquer quel est l’héritage laissé par la guerre Iran-Irak ?
Une conséquence directe de cette guerre fut bien entendu l’invasion irakienne
du Koweït et tout ce qui s’ensuivit. Saddam Hussein hérita d’une armée aux
effectifs pléthoriques dont la démobilisation pouvait s’avérer coûteuse
politiquement, avec le risque de voir de nombreux vétérans condamnés au chômage
errer dans les rues des villes du pays et fragiliser ainsi le régime. En
parallèle, le pays était dans une situation financière catastrophique avec
l’arrivée à échéance de nombreuses dettes. Dans le même temps, le Koweït se
refusait d’une part à annuler ses créances sur l’Irak et d’autre part à
contribuer à une hausse des prix du pétrole, Saddam ayant besoin d’un pétrole
cher pour renflouer ses caisses. Dès lors, la tentation devint vite irrésistible
pour Saddam Hussein de régler ces problèmes en utilisant son armée pléthorique.
Même de nos jours, il est impossible de comprendre la position iranienne
sur le dossier nucléaire sans remonter à la guerre Iran-Irak. Contrairement à
ce que l’on peut entendre et à l’impression désastreuse qu’ont pu donner les
rodomontades du président Ahmadinejad, la politique suivie par les Iraniens en
matière nucléaire reste rationnelle et profondément marquée par les leçons
tirées de cette guerre. En Iran, posséder une capacité nucléaire fait l’objet
d’un large consensus, y compris dans les factions prônant une plus grande
ouverture vers l’Occident. Cette quasi-unanimité s’explique par le fait que
l’Iran a été un des seuls pays victimes d’un usage massif d’armes chimiques,
sans pour autant que le communauté internationale n’y trouve à redire. Beaucoup
d’Iraniens sont par ailleurs convaincus que si la centrale Osirak n’avait pas
été détruite au début du conflit par les Israéliens, ils auraient été victimes
de frappes nucléaires irakiennes si la guerre avait duré assez longtemps pour
cela. L’approche iranienne est donc éminemment dissuasive. Une autre leçon
tirée par les Iraniens de ce bain de sang est qu’ils s’efforceront toujours de
négocier en disposant d’une marge de manœuvre aussi grande que possible, de
crainte de se trouver dans une position identique à celle de 1988, où ils
furent dos au mur. C’est la raison pour laquelle le nouveau président iranien
Rohani préfère négocier avec les Américains tant qu’il a encore des cartes en
main et un peu d’argent dans ses caisses, plutôt que quand ses options seront
réduites à néant.
Malheureusement, la plupart des élites occidentales actuelles, que ce
soit par ignorance, par adhésion aveugle au politiquement correct, par intérêt
idéologique ou simplement sous le poids des lobbies relayant les positions des
monarchies pétrolières du Golfe qui s’accommodent fort bien d’une diabolisation
de l’Iran, peinent à reconnaître à ce pays le statut d'acteur rationnel et
pragmatique. Par ailleurs, certains concepts comme celui du croissant chiite
tendent à complexifier encore davantage les choses. A cet égard, l’alliance
entre la Syrie et l’Iran est bien plus la résultante d’un calcul politique
purement bismarckien de la part de Téhéran que d’une véritable accointance
religieuse. Si c’est leur intérêt, les Iraniens, me semblent-il, n’hésiteront
pas à lâcher le régime syrien s’ils peuvent obtenir mieux en échange.
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