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dimanche 24 novembre 2013

Un peu de lecture IV : Jean-Jacques Langendorf, la pensée militaire prussienne


Dans un premier temps, nous remercions l'auteur de nous avoir fourni un exemplaire de son ouvrage.

Jean-Jacques Langendorf est historien, écrivain et maître de recherche à l'Institut de Stratégie et des Conflits – Commission Française d'Histoire Militaire. Auteur prolixe, il a beaucoup écrit sur l'histoire militaire suisse mais aussi sur des sujets plus inattendus. On citera par exemple Le Bouclier et la Tempête. Aspects militaires de la guerre du Golfe, un ouvrage paru en 1995 qui constitue toujours une remarquable analyse de Desert Storm. Malgré le fait que Jean-Jacques Langendorf soit une personnalité relativement médiatique en Suisse, peu savent qu'il figure en bonne place parmi les très rares initiés connaissant intimement la pensée militaire prussienne, comme l'atteste La pensée militaire prussienne, études de Frédéric le Grand à Schlieffen, ouvrage de 615 pages paru aux éditions Economica en 2012. 

 
Pour le lecteur profane, se plonger dans cet ouvrage est une expérience fascinante. En effet, personne n'ignore le nom de Clausewitz, sujet d'innombrables publications décortiquant les différents aspects de sa pensée. Par ailleurs, à certains égards, l'histoire militaire allemande, dans toutes ses dimensions, semble être un des sujets les plus étudiés dans la branche et ce pour des raisons évidentes. Et pourtant, dès les premières lignes de son livre, Jean-Jacques Langendorf entraîne le lecteur dans un univers finalement inconnu et l'on se rend bien vite compte que l'arbre Clausewitz cache la forêt des Ernst von Pfuel, Rühle von Lilienstern ou encore Lossau, Bülow et Berenhorst.

L'ouvrage est un recueil de 28 articles rédigés par l'auteur au fil des années, dont près du quart sont inédits. Une partie conséquente de ceux-ci est consacrée à la pensée militaire prussienne au 18e siècle, antérieure au traumatisme de Iéna et d'Auerstaedt en 1806. Plusieurs autres articles traitent de Clausewitz sous des aspects originaux, comme ses écrits sur la nature de la guerre en montagne issus de son voyage en Suisse en 1807, au cours duquel il fréquenta Madame de Staël dont il admirait « l'âme allemande ». L'auteur présente aussi plusieurs autres grands penseurs prussiens du 19e siècle, avant de terminer avec plusieurs articles plus thématiques, comme La manoeuvre allemande : l'archiduc Charles, Clausewitz, Moltke, Schlieffen ou Le laboratoire militaire prussien (1814-1914).

Le style de l'auteur a ceci de particulier qu'il ne se contente pas de dérouler les postulats des différents penseurs qu'il décrirait de manière désincarnée en se limitant à évoquer leur bibliographie et ses traits saillants, mais ne manque jamais de présenter leurs origines familiales, leurs carrières et aussi leurs excentricités. Pour ne citer qu'un exemple, il suffit d'évoquer Wilhelm Friedrich Ernst, comte de Schaumburg-Lippe qui tenta de réformer la minuscule armée de son comté en s'inspirant des Lumières et en prenant le contre-pieds du modèle alors immensément prestigieux de Frédéric II, y gagnant le surnom de Kanonengraf (le comte aux canons) auprès de ses sujets. Par ailleurs, l'auteur fait abondamment appel à des citations, par paragraphes entiers. L'immense mérite de cette pratique est de donner au lecteur la possibilité d'entre-apercevoir de manière « brute » le fruit du labeur intellectuel de ces penseurs méconnus. A une époque où les écrits de Clausewitz sont sans cesse entremêlés avec des considérations sur les guerres contemporaines, se plonger dans le contexte historique et intellectuel qui marqua l'oeuvre de ces penseurs est, in fine, rafraîchissant.

Bref, La pensée militaire prussienne de Jean-Jacques Langendorf est indispensable à tout amateur d'histoire militaire européenne des trois derniers siècles d'une part parce que, à notre connaissance, une telle somme est unique en français et d'autre part parce que cet ouvrage est le fruit de l'expérience d'un grand historien alliant un réel don de conteur avec une érudition remarquable portant non-seulement sur l'histoire militaire stricto sensu, mais aussi sur le contexte philosophique plus large qui marqua l'univers intellectuel de ces penseurs.

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