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vendredi 1 août 2014

L'armée de résistance du Seigneur


La Lord Resistance Army (LRA, l’armée de résistance du Seigneur) figure en bonne place parmi les groupes armés qui sont intrinsèquement liés, dans l’imaginaire collectif, aux crises humanitaires frappant le continent africain. Pourtant, si tout le monde a entendu parler de la sanguinaire LRA, il ne semble pas inutile de revenir, même brièvement, sur son histoire, dans la mesure où elle représente sans doute un bon exemple de groupe auxquelles pourrait se trouver confrontées des forces occidentales déployées sur le continent. Cet article met donc l’accent sur l’histoire de ce mouvement en tant que force militaire et ne s’étend que peu sur les causes et les conséquences humanitaires, économiques et politiques de son existence. In fine, l’étude des modes opératoires de la LRA semble révéler que ce type d’organisation peut constituer un adversaire bien plus redoutable que ne le laisserait supposer une représentation communément admise les assimilant à de simples bandes de pillards sanguinaires associant cruauté , magie et absence de buts définis. 

Adrien Fontanellaz (article déjà publié sur l'autre côté de la colline) 
 

Née dans la guerre


L'origine de la LRA remonte à la seconde moitié des années 80, alors que l'Ouganda était plongé dans une violente guerre civile opposant les gouvernements de Milton Obote, puis brièvement, de Tito Okello, à la National Resistance Army (NRA) de Yoweri Museveni, fondée en 1981. Ce conflit s'acheva en janvier 1986 lorsque les troupes de Museveni prirent Kampala, la capitale du pays. La même année, Alice Lauma, une femme sans enfants issue de l'ethnie acholi, la même que celle du président déposé, annonça avoir été possédée par l'esprit d'un officier italien polyglotte dans les mois précédents. Celui-ci, nommé Lakwena (les mots de Dieu), lui aurait ordonné de fonder un mouvement voué à renverser le nouveau pouvoir. 
 

De cette vision naquit le Holy Spirit Movement et son bras armé, les Holy Spirit Mobile Forces. L'organisation de ce dernier était particulière dans la mesure où il était divisé en trois compagnies chapeautées chacune par un esprit assurant sa protection et la guidant au combat. Les membres du mouvement étaient soumis à une série de règles destinées à garantir leur sécurité. Ils devaient ainsi, entre autres, combattre debout, s'abstenir de toute consommation d'alcool ou de tabac et ne pas exécuter de prisonniers. Avant un combat, ils étaient soumis à des rites de purification devant les rendre invulnérables aux tirs ennemis. Durant la bataille, les hommes équipés d'armes à feu devaient tirer au jugé, les esprits se chargeant de guider leurs balles ou encore de transformer en grenades les pierres qu'ils lançaient. Après une série de succès initiaux, imputables sans doute partiellement au fait que certains de leurs adversaires devaient croire à leur invulnérabilité, Alice et ses troupes marchèrent sur Kampala puis furent massacrées par des éléments aguerris de la NRA. La prophétesse s'enfuit alors au Kenya après avoir indiqué que les esprits l'avaient abandonnée alors que son propre père, Sverino Lukoya, tenta vainement de reconstituer le mouvement, notamment en faisant enlever de jeunes enfants.
 




Joseph Kony et ses commandants (via theafricapaper.com)
Un autre membre de la famille allait néanmoins rencontrer beaucoup plus de succès. Il s'agissait de Joseph Kony, cousin ou neveu d'Alice Lauma. Après une brève période de scolarité, il avait suivi une formation de guérisseur traditionnel puis s'était engagé dans le Holy Spirit Movement où il avait joué un rôle d'animateur et de propagandiste. Après la défaite face à la NRA, il rallia des survivants, déclara qu'il avait hérité des esprits qui avaient déserté la prophétesse partie en exil puis fonda une entité entièrement nouvelle ; l'armée de résistance du Seigneur. Cependant, ayant appris de la débâcle subie par sa prédécesseur, Jospeh Kony ne plaça pas toute sa confiance dans les forces surnaturelles et s'efforça au contraire d'apporter un entraînement plus conventionnel à ses hommes. Il fut immensément aidé en cela par le fait que des soldats de l’ancienne armée gouvernementale, chassée par Museveni et composée d'un grand nombre d'Acholi, originaires du Nord du pays, se rallièrent à lui à la fin de l'année 1987. Ces hommes, à la tête desquels se trouvait le Brigadier Odong Latek amenèrent avec eux un savoir-faire tactique dont la LRA était à l'origine dépourvue. L'année suivante, confronté à des difficultés de recrutement dans un contexte de lassitude générale face à la guerre, Joseph Kony s'inspira du père de d’Alice Lauma en commençant à faire enrôler de force des enfants nordistes pour accroître les effectifs de sa petite armée. Le recours à des enfants n’était pas non plus une invention du leader de la LRA car plusieurs factions armées, à commencer par la NRA, avaient déjà fait usage d'enfants-soldats au cours de la guerre. 
 

Si les populations du Nord de l'Ouganda n'étaient sans doute pas forcément enthousiastes à l'idée de participer à la prolongation d'une guerre vieille de plusieurs années et durant laquelle elles avaient déjà payés un lourd tribut, beaucoup d'individus parmi elles ne pouvaient également qu'entretenir une certaine méfiance face au gouvernement de Museveni. Celui -ci avait en effet renversé un président acholi alors que les principaux viviers de recrutement de son armée, la NRA, se situaient dans d'autres régions du pays. De plus, à l'époque de la colonisation britannique, cette partie de l'Ouganda avait été bénéficiaire d'un développement économique bien moindre que le Sud, même si les Anglais avaient privilégié les populations du Nord pour recruter les soldats dont ils avaient besoin. Ainsi, la région ne comptait, au début des années 90, pratiquement pas de routes bitumées. La NRA commit ensuite, après son arrivée au pouvoir, l’erreur de laisser ses hommes commettre des exactions contre les populations locales, facilitant d’autant l’implantation du mouvement de Kony. Par ailleurs, l’existence d’autres groupes opposés au nouveau pouvoir de Kampala permirent à la LRA d’échapper à des attaques gouvernementales soutenues alors qu’il était en train de développer son armée.


La première offensive majeur visant spécifiquement la LRA, dénommée opération North n’intervint ainsi qu’en 1990. Le général David Tinyefuza, en charge des opérations, fit du Nord du pays une véritable zone interdite où il initia une vague de répression, faisant notamment fouetter en public des politiciens locaux. Si la LRA fut peut-être affaiblie, les dirigeants de la National Resistance Army conclurent trop rapidement qu’ils avaient remporté la victoire et réduisirent le volume des effectifs engagés dans la région, laissant à une milice locale crée pour l’occasion, la Arrow Boys Brigade, le soin d’achever l’ennemi. L’armement de ces miliciens, comme l’indique le nom de leur unité, était constitué initialement d’arcs et de flèches. Cette diminution de l’effort de Kampala fut probablement aussi la résultante des pressions du Fonds Monétaire International qui ne cessait de préconiser une réduction du format des forces armées. De fait, celles-ci passèrent de 100'000 à 60'000 hommes entre 1992 et 1994. Ces chiffres étaient au demeurant supérieurs à la réalité dans la mesure où certains officiers tendaient à enfler la taille des effectifs sous leurs ordres afin d’en tirer un bénéfice économique. 
 

L’alliance avec Khartoum
 

Malgré ses insuffisances, la NRA parvint sans aucun doute à avoir un impact significatif sur la LRA, dans la mesure où les premiers rapports faisant état de la présence d’éléments de cette dernière dans la province soudanaise de l’Equateur Oriental, frontalière du Nord de l’Ouganda, remontent à 1991. Quelques années plus tard, alors que la pression de l’armée gouvernementale augmentait à nouveau et que la LRA répliquait par une escalade de la violence, la donne géopolitique régionale allait permettre à Joseph Kony de considérablement augmenter les capacités militaires de son mouvement jusque-là dépourvu d’appuis extérieurs.






Enfant-soldat de la LRA photographié au Soudan (via dailyexpress.co.uk)
En effet, au Soudan, l'arrivée au pouvoir du duumvirat constitué par Hassan al-Tourabi et Omar el-Béchir à la fin des années 80 et l'orientation islamiste du nouveau régime ne tardèrent pas à lui attirer l'inimité de Washington. La diplomatie américaine s'efforça alors de contenir ce qu'elle percevait comme une menace régionale en tissant une alliance entre plusieurs pays entourant le Soudan et qui avaient pour point commun d'être dirigés par des hommes arrivés au pouvoir à l'issue d'une guerre civile, soit l'Erythrée, l'Ethiopie et l'Ouganda. Un volet essentiel de cette politique consistait à exploiter le talon d'Achilles du pouvoir de Khartoum en soutenant le SPLA (Sudan People's Liberation Army), un mouvement sécessionniste luttant pour obtenir l'indépendance du Sud-Soudan. Une partie de cette aide transita par l'Ouganda de Museveni et les autorités soudanaises réagirent en soutenant à leur tour Joseph Kony.



Cette alliance avec Khartoum, qui débuta vers le milieu des années 90, bénéficia immensément à la LRA. Celle-ci put implanter des bases arrière dans la province de l'Equateur Oriental. Le gouvernement soudanais livra de grandes quantités d'armes légères et d'armes collectives incluant, outre la classique combinaison d'AKM, de RPK, PKM et RPG-7, des mitrailleuses lourdes de 12.7 mm, des mortiers de 82mm, des canons sans recul SPG-9 et B10 et des missiles anti-aériens portables SAM-7. L'armée soudanaise dépêcha aussi des instructeurs qui entraînèrent les combattants de Joseph Kony aux tactiques de contre-embuscade et de combat en jungle. En outre, le mouvement qui dans les premières années ne pouvait coordonner ses unités qu'à l'aide de messagers commença à faire usage de Walkie-Talkie dès 1995, avant que des spécialistes soudanais n'apprennent en 1999 à deux cent membres de la LRA l'usage de radios et ne les initient au codage. Enfin, des avions de transport de la Soudanese Air Force violèrent régulièrement l'espace aérien ougandais afin de soutenir les opérations de la NRA dans le Nord du pays. Cette aide ne vint cependant pas sans un prix. En effet, durant la guerre civile soudanaise, la province de l’Equateur Oriental, loin de constituer un paisible sanctuaire, était une zone de guerre où s’affrontaient plusieurs mouvements armés. Joseph Kony dût ainsi régulièrement dépêcher une partie de ses troupes pour soutenir l'armée soudanaise dans ses opérations contre le SPLA. Les officiers soudanais utilisaient la LRA comme première vague d’assaut suivie par leurs propres soldats souvent appuyés par des armes lourdes. Les combattants ougandais se voyaient aussi régulièrement confier la mission de nettoyer les tranchées ennemies. Lors de ses opérations au Soudan, le LRA ne manqua pas d’essuyer des revers, dont le principal fut la capture de la base du carrefour d’Aru par le SPLA en 1997. Il ne s’agissait en effet rien de moins que du quartier-général de Joseph Kony, qui servait aussi de camp d’entraînement et de garnison pour l’équivalent de plusieurs bataillons. Le quartier-général de la LRA fut ensuite partiellement relocalisé dans la ville de Juba. 
 

Le soutien de Khartoum permit à l'armée de résistance du Seigneur de se structurer, jusqu'à un certain point, comme une armée régulière. A son zénith, le mouvement a pu compter jusqu'à 10'000 individus dont 2'à 4'000 combattants. Il était organisé en un haut-commandement, appelé Control Altar, et des brigades Gilva, Sinia, Stockree et Trinkle auxquels s'ajoutait une force prétorienne, la Central Brigade, divisée en deux éléments, la High Protection Unit et la Home Guard, chargées d'assurer la sécurité de Joseph Kony et de sa suite. Par ailleurs, cette Central Brigade, composée de combattants réputés fidèles servait aussi de vivier parmi lequel étaient sélectionnés les futurs cadres de l’organisation. La chaîne de commandement de la LRA reflétait aussi celle d’une armée régulière, les grades s’échelonnant de Sergeant à Major General, le grade que s’attribua Joseph Kony. Si ceux-ci avaient ne correspondaient pas, en terme d’effectifs commandés, réellement à leurs équivalents dans une armée régulière, il n’en reste pas moins qu’ils étaient strictement respectés et s’accompagnaient pour leurs détenteurs de privilèges incluant une meilleure nourriture, le droit de se marier et pour certain officiers de haut rang, la possession d’une escorte personnelle, perçue comme un symbole de prestige. Dans tous les cas, Joseph Kony seul gardait la haute main sur les promotions ou au contraire des rétrogradations au sein de la hiérarchie de la LRA. Dans certains cas, ces dernières se limitèrent à des mesures symboliques comme la suppression de la garde personnelle alors que dans d’autres, des commandants furent purement et simplement tués. Cependant, les exécutions parmi le cercle dirigeant du mouvement furent relativement rares, plusieurs années séparant la mort de Otti Lagony en 1999, première victime de haut rang connue, et celle de Vincent Otti en 2007. La « militarisation » de l’armée de résistance du Seigneur alla de pair avec une évolution du discours avec lequel Joseph Kony légitimait sa domination. Il tendit en effet à accentuer progressivement son statut de chef militaire tout en diminuant l’étendue de ses pouvoirs paranormaux. La LRA continua d’utiliser le kidnapping comme moyen de recrutement privilégié. Ainsi, en 1998, environ 10'000 enfants avaient été enlevés et emmenés au Soudan au cours des deux années précédentes, alors qu’en 2001, un total de 30'839 personnes auraient été enlevées depuis la création de la LRA, dont un tiers d’enfants. 
 

Parmi ceux-ci les garçons considérés comme aptes à devenir des combattants rejoignaient une unité d’entraînement où leur curricalum vitae était soigneusement consigné au cours d’un interrogatoire avant de subir un examen médical. Les recrues étaient ensuite soumises à un rite d’initiation incluant des passages à tabac avant de recevoir un uniforme et des bottes de caoutchouc puis de débuter leur entraînement militaire. Ce dernier était relativement classique et incluait des parades quotidiennes ainsi que diverses formes de drill et était parfois prodigué par des officiers soudanais. La nécessité de prendre soin de leurs armes en les nettoyant et en les huilant régulièrement était aussi soigneusement inculquée aux recrues. Contrairement à d’autres milices africaines, l’ensemble des combattants était soumis à un ensemble de règles d’inspiration religieuse ou militaire. Les infractions étaient punies de manière impitoyable, la consommation de marijuana pouvant par exemple conduire à la peine capitale. 
 

Alors qu’au Soudan, les forces de la LRA menaient des opérations relativement conventionnelles contre le SPLA, leur modus operandi dans le Nord de l’Ouganda s’apparentait beaucoup plus à celui d’une guérilla faite de raids de harcèlement et d’embuscades. Ces dernières étaient souvent établies de manière classique, en C ou en L et incluaient des plans de tirs préparés à l’avance. Une tactique utilisée à plusieurs reprises consistait à envoyer une dizaine de combattants harceler une position de l’Uganda People’s Defence Force (UPDF, le nouveau nom de la NRA depuis 1995) avant de retraiter avec pour instruction d’attirer d’éventuels poursuivants vers une embuscade soigneusement préparée à l’avance par un autre détachement. Les combattants infiltrés en Ouganda utilisaient aussi des ruses pour rendre plus difficile leur pistage par des traqueurs, marchaient silencieusement et en formation espacée afin de pouvoir détecter les hélicoptères ennemis au bruit le plus tôt possible et se dissimuler à temps. De plus, en cas de poursuite, les membres d’un groupe pouvaient aussi se disperser avant de se retrouver à un point de rendez-vous pré-arrangé. Enfin, lorsqu’ils s’adonnaient à la mission essentielle qu’était l’enlèvement de nouvelles recrues, les hommes de Kony procédaient systématiquement à l’encerclement du village visé afin de dénier à ses habitants toute voie de fuite. Les attaques étaient soigneusement préparées et l’objectif faisait systématiquement l’objet d’une reconnaissance préalable. L’importance du renseignement était explicitée par le fait que chaque unité disposait de son propre Intelligence Officer. Le type d’actions menées dans le Nord de l’Ouganda impliqua nécessairement que malgré le caractère éminemment totalitaire de l’organisation, les commandants en charge disposaient d’une très grande autonomie. 
 

Les opérations de la LRA et les réactions de l’UPDF qu’elles engendraient eurent de très lourdes conséquences sur les populations locales. Outre le fait que les hommes de Kony utilisaient des tactiques conçues pour semer la terreur, comme en coupant les lèvres et les oreilles de ceux qu’ils soupçonnaient de collaborer avec l’ennemi, l’armée ougandaise implémenta à partir de 1997 une politique visant à regrouper les populations sous son contrôle afin de les soustraire à l’emprise de la LRA. Cette année-là, 300'000 personnes se déplacèrent dans des camps pour Internally Displaced People (IDP). Un peu plus de 10 ans plus tard, le nombre de réfugiés internes atteignit deux millions, dont la moitié environ étaient des Acholis. Les camps, dont l’infrastructure était déficiente, n’offraient d’ailleurs pas une protection absolue contre la LRA qui les prit régulièrement pour cible. L’effort de guerre s’avéra par ailleurs coûteux pour le gouvernement, qui doubla le budget de la défense en 1998, le faisant passer de 150 à 350 millions de dollars. 
 

Opération Iron Fist 
 

En 1999, une première offensive de l’UPDF, coordonnée avec des troupes éthiopiennes, érythréennes et le SPLA, eut lieu en territoire soudanais afin d’attaquer les camps de la LRA. Plusieurs furent détruits, mais l’opération s’acheva prématurément à cause de l’éclatement de la guerre Erythrée-Ethiopie qui brisa la coalition. Pour la LRA, le répit allait s’avérer de courte durée car les relations entre les régimes de Khartoum et Kampala se réchauffèrent à partir de 2000 et, en avril de l’année suivante, l’UPDF obtint un droit de poursuite en territoire soudanais. 
 

En février 2002, les forces ougandaises lancèrent une offensive majeure appelée Iron Fist. Celle-ci incluait la participation de deux brigades fortes d’une dizaine de milliers de soldats soutenus par des tanks, de l’artillerie et des hélicoptères de combat Mi-24. L’opération correspondit à la phase la plus violente du conflit opposant le gouvernement de Kampala à la LRA. En effet, si l’UPDF indiqua avoir capturé quatre camps ennemis dès la fin du mois de mars, les pertes subies tant par les deux adversaires que la population civile auraient été extrêmement lourdes. L’armée de Joseph Kony répliqua en lançant une nouvelle série de raids de terreur dans le Nord de l’Ouganda malgré la présence de 30'000 hommes de l’armée ougandaise. Après deux mois et demi de combat après avoir perdu d’importants stocks d’armes et cinq bases, les troupes de la LRA se dispersèrent mais parvinrent à maintenir leur présence dans le Sud du Soudan. L’opération se conclut ainsi par un demi-échec pour l’UPDF, l’officier en charge de l’offensive, le Major General James Kazini ayant déclaré dans une conférence de presse début mai 2002 qu’il démissionnerait si le commandant de la LRA était toujours vivant au 31 décembre. En revanche, l’armée de résistance du Seigneur avait été saignée à blanc durant les combats, son effectif tombant à moins d’un millier de combattants. Par ailleurs, le rapprochement entre Kampala et Khartoum eut pour effet d’interrompre progressivement le flux d’armes et d’équipements dont bénéficiait le mouvement entre 2002 et 2005. En effet, après que les accords de janvier 2005 aient été conclus avec le SPLA, un proxy comme la LRA perdit de son intérêt aux yeux de Khartoum. Pourtant, cette dernière parvint à rester active car son chef avait « thésaurisé » une partie des armes livrées durant les années fastes, qui furent dissimulées dans des caches situées dans les zones frontalières avec l'Ouganda et dans le Nord de ce pays. Celles-ci, le plus souvent emballées et enterrées, étaient régulièrement exhumées pour être entretenues avant d'être à nouveau cachées. 


Soldats de l'UPDF à l'entraînement (via wikicommons)
 

In fine, le conflit semblant sans issue, la LRA et Kampala finirent, grâce à la médiation sud-soudanaise, par entamer des négociations en juillet 2006 dans la ville de Juba. L'année précédente, des éléments du mouvement pénétrèrent en République Démocratique du Congo (RDC) et s'implantèrent dans le parc national de Garamba, dans le Nord-Est du pays. Ce détachement précurseur reconnut le terrain local, s'adjoignant les services d'un garde-forestier qu'ils capturèrent à cet effet. Cette familiarité avec le secteur lui permit ensuite, en janvier 2006, de tendre une embuscade meurtrière à des casques bleus guatémaltèques au cours de laquelle huit de ces derniers perdirent la vie. Les gros de la LRA, avec Joseph Kony parmi eux, suivirent et s'installèrent dans six camps. La structure de l'armée de libération du Seigneur se simplifia avec la disparition du Control Altar dont les fonctions furent reprises par la High Protection Unit. Témoignage de l'affaiblissement du mouvement, ses brigades ne comptaient plus qu'environ 150 combattants. Des champs furent mis en culture autour des camps afin d'assurer la subsistance de leurs habitants. Le regroupement de la LRA dans les forêts de Garamba fut aussi la résultante d'une série d'opérations lancées avec succès par l'UPDF dans le Nord de l'Ouganda. Généralement bien renseignés par leurs services de renseignements épaulés par une aide américaine, les soldats de Kampala y frappèrent plusieurs bases durant l'année 2006 au moyen de raids lancés par des Mig-21Bis immédiatement suivis par l'héliportage de commandos. 
 

Pendant ce temps, les négociations à Juba s'enlisèrent, Joseph Kony ayant rompu le contact, peut-être par la peur de voir son assise sur la LRA menacée par les liens se créant entre certains de ses cadres avec le monde extérieur ou encore à cause de l'émission d'un mandat d'arrêt de la cour pénale internationale à son encontre. Quoi qu'il en soit, l'échec des pourparlers marqua le début d'une nouvelle opération de l'UPDF visant à décapiter la LRA et mettre fin au conflit. 
 

Opération Lightning Thunder


Soigneusement préparée par les services de renseignements, qui avaient identifiés le camp dans lequel se trouvait Kony, l’opération Lightning Thunder prévoyait une frappe aérienne par les jets ougandais suivie immédiatement par un assaut de commandos héliportés. Enfin, une importante force terrestre incluant 4'200 hommes soutenus par des blindés avait été rassemblée dans le Nord-Ouest de l’Ouganda et devait avancer rapidement dans la zone afin d’achever la destruction de l’ennemi. Enfin, si l’UPDF était clairement le fer de lance de cette opération, celle-ci fit l’objet d’une coopération internationale, des troupes congolaises et sud-soudanaises ayant été déployées pour la soutenir. 
 

Cependant, une météo défavorable lorsque l’attaque fut lancée, le 14 décembre 2008, eut pour effet de compromettre cette planification soigneusement établie. En effet, les MiG-21Bis ne furent pas en mesure de mener leur bombardement dont l’un des objectifs était d’affaiblir la capacité de réaction des défenseurs du camp. De ce fait, lors de leur arrivée, les hélicoptères furent la cible de violents tirs d’armes automatiques et ne purent pas débarquer les commandos directement sur l’objectif. Enfin, les troupes au sol ougandaises mirent deux jours pour rallier les camps, ce qui laissa aux combattants de la LRA le temps de se disperser. A la fin de l’opération le 15 mars 2009, l’UPDF annonça avoir capturé 5 cadres de la LRA et libéré 300 captifs. L’armée ougandaise indiqua avoir perdu douze soldats tués dans les combats et compté 150 cadavres de combattants ennemis. Cependant, la presse ougandaise fit ensuite état de rumeurs indiquant que l’UPDF avait subi des pertes beaucoup plus élevées au cours de l’opération. Dans tous les cas, les représailles de l’armée de résistance du Seigneur ne se firent pas attendre ; dans les trois mois suivant le début de Lightning Thunder, une vague d’exactions causa la mort d’un millier de civils et entraîna le déplacement de 200'000 personnes dans la région. In fine, Joseph Kony et le noyau dur du mouvement étaient parvenus à s’extirper de la nasse, même si il fut durablement affaibli et continua à être la cible d’opérations de traque lancées par l’UPDF en 2009 et en 2010. 
 

Sous la pression de l’UPDF, Joseph Kony aurait attribué à ses commandants des zones d’opérations spécifiques et la LRA se dispersa ainsi en petits groupes présents en RDC, au Soudan et en République Centrafricaine. Après Lightning Thunder, le mouvement n’aurait compté plus que 400 hommes soit 250 ougandais et 150 autres recrutés parmi les populations congolaises, sud-soudanaises ou centrafricaines. Les combattants auraient été divisés en deux catégories distinctes. La première regroupait les soldats les plus expérimentés, chargés des missions offensives, alors que la seconde était composée de soldats considérés comme moins valeureux et qui se voyaient confier des missions plus faciles, comme la garde des camps ou des captifs. Les membres appartenant à ce second groupe ne pouvaient d’ailleurs pas accéder à un grade supérieur à second lieutenant. Par ailleurs, le mouvement tentait à l’évidence de conserver précieusement son noyau de combattants expérimentés. Ainsi, les officiers étaient toujours installés au centre d’un camp, entourés par les hommes les plus aguerris, le cercle extérieur, le plus exposé, correspondant à la place réservée aux « bleus ». La coordination entre les différents groupes dispersés sur des étendues immenses ne put cependant que s’affaiblir. En effet, en mai 2009, Joseph Kony ordonna de restreindre au maximum l’usage des téléphones satellitaires et des radios pour limiter les risques de triangulation par les services d’écoute ennemis. Même ainsi, les opérateurs ont pour instruction de s’éloigner d’au moins 15 kilomètres de leur camp avant d’émettre. In fine, le mouvement dut recourir à des messagers comme durant ses premières années d’existence. 
 

Conclusion 
 

De nos jours, réduite à quelques centaines de combattants dispersés en petits groupes sur une zone immense, la Lord Resistance Army représente sans doute plus une nuisance résiduelle qu’une réelle menace et n’est plus qu’une lointaine réminiscence de ce qu’elle fut au moment de son zénith durant la seconde moitié des années 90. Néanmoins, tant qu’elle conservera un noyau de combattants expérimentés suffisamment grand, son chef pourra entretenir l’espoir de la faire renaître de ses cendres pour reprendre le combat dans le Nord de l’Ouganda. Cependant, il est difficile d’imaginer qu’une telle remontée en puissance puisse se faire sans deux éléments historiquement indispensables, à quelques exceptions près, à toute guérilla ; des sanctuaires et un soutien logistique. 
 

Outre les interrogations qu’elle laisse sur le futur de ce mouvement et de son leader, l’histoire de la LRA permet d’illustrer que ce type d’organisation ne doit pas être sous-estimé par des forces armées risquant de s’y trouver confrontées. En effet, la longue litanie d’atrocités commise par les nervis de Joseph Kony, qui visèrent avant tout des cibles civiles, ne doit pas masquer le fait qu’ils s’avérèrent aussi être de redoutables combattants. Ainsi, si le crédo politico-religieux du mouvement paraît étrange, il n’en reste pas moins qu’il contribua à créer un réel esprit de corps renforcé par l’application d’une stricte discipline. Le dédain manifesté par les combattants de Joseph Kony à l’égard des militaires congolais, qu’ils ne considéraient pas comme des soldats du fait de leur consommation d’alcool et de marijuana est à cet égard significatif, comme l’est le fait que le mouvement soit parvenu, sans aide extérieure, à survivre à l’opération Lightning Thunder et à intégrer des membres issus d’autres régions que son bassin de recrutement acholi originel. Par ailleurs, si certaines pratiques comme la nécessité d’accéder à un grade spécifique pour se marier semblent bien éloignées des pratiques de toute armée contemporaine, elles ne sont pas pour autant inédites ou inconnues. Ainsi, dans ce cas précis, cette méthode de motivation des hommes conditionnant leur accès au mariage à leur valeur militaire renvoie-t-elle aux Zoulous, dont les guerriers ne pouvaient prendre femme qu’après avoir lavé leur iklwa (sagaie à manche courte et à large lame) dans le sang d’un ennemi. De même, si le fait que dans certaines unités de la LRA, les commandants encouragèrent l’émulation entre leurs combattants expérimentés par une compétition portant sur le nombre d’ennemis tués peut sembler simplement barbare, son principe ne diffère pourtant guère de celui de la rivalité entre « as » soigneusement orchestrée durant les deux guerres mondiales. 
 

Bibliographie 
 

Ronald R. Atkinson, From Uganda to the Congo and Beyond : Pursuing the Lord’s Resistance Army, , Décembre 2009, International Peace Institute. 
 

Philippe Lancaster, Guillaume Lacaille, Ledio Cakay, Diagnostic Study of the Lord’s Resistance Army, June 2011, The International Bank for Reconstruction and Development / World Bank. 
 

Mareike Schomerus, The Lord Resistance Army in Soudan : An History and Overview, Small Arms Survey HSBA Working Paper 8



Ledio Cakaj, The Lord’s Resistance Army of Today, Enough, Novembre 2010


Robert L. Feldman, Why Uganda has Failed to Defeat the LRA in Defense & Security Analysis Vol. 24, No. 1, Routledge, Mars 2008 
 

Why has Kony survived UPDF Fire for 22 years? , consulté le 20 octobre 2013 sur http://www.independent.co.ug/news/news-analysis/587-why-has-kony-survived-updf-fire-for-22-years


Tom Cooper et Peter Weinert, avec Fabian Hinz et Mark Lepko, African MiGs Vol. 2 -Madagascar to Zimbabwe - MiGs and Sukhois in Service in Sub-Saharan Africa, Harpia Publishing, L.L.C, 2011. 
 

Colette Braeckmann, l’enjeu congolais, l’Afrique centrale après Mobutu, Fayard, 1999. 
 

C.J Chivers, The Gun, Simon & Schuster, 2010

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