La
Lord Resistance Army (LRA, l’armée de résistance du Seigneur)
figure en bonne place parmi les groupes armés qui sont
intrinsèquement liés, dans l’imaginaire collectif, aux crises
humanitaires frappant le continent africain. Pourtant, si tout le
monde a entendu parler de la sanguinaire LRA, il ne semble pas
inutile de revenir, même brièvement, sur son histoire, dans la
mesure où elle représente sans doute un bon exemple de groupe
auxquelles pourrait se trouver confrontées des forces occidentales
déployées sur le continent. Cet article met donc l’accent sur
l’histoire de ce mouvement en tant que force militaire et ne
s’étend que peu sur les causes et les conséquences humanitaires,
économiques et politiques de son existence. In fine, l’étude des
modes opératoires de la LRA semble révéler que ce type
d’organisation peut constituer un adversaire bien plus redoutable
que ne le laisserait supposer une représentation communément admise
les assimilant à de simples bandes de pillards sanguinaires
associant cruauté , magie et absence de buts définis.
Adrien Fontanellaz (article déjà publié sur l'autre côté de la colline)
Née
dans la guerre
L'origine
de la LRA remonte à la seconde moitié des années 80, alors que
l'Ouganda était plongé dans une violente guerre civile opposant les
gouvernements de Milton Obote, puis brièvement, de Tito Okello, à
la National
Resistance Army
(NRA) de Yoweri Museveni, fondée en 1981. Ce conflit s'acheva en
janvier 1986 lorsque les troupes de Museveni prirent Kampala, la
capitale du pays. La même année, Alice Lauma, une femme sans
enfants issue de l'ethnie acholi, la même que celle du président
déposé, annonça avoir été possédée par l'esprit d'un officier
italien polyglotte dans les mois précédents. Celui-ci, nommé
Lakwena (les mots de Dieu), lui aurait ordonné de fonder un
mouvement voué à renverser le nouveau pouvoir.
De cette
vision naquit le Holy
Spirit Movement
et son bras armé, les Holy
Spirit Mobile Forces.
L'organisation de ce dernier était particulière dans la mesure où
il était divisé en trois compagnies chapeautées chacune par un
esprit assurant sa protection et la guidant au combat. Les membres du
mouvement étaient soumis à une série de règles destinées à
garantir leur sécurité. Ils devaient ainsi, entre autres, combattre
debout, s'abstenir de toute consommation d'alcool ou de tabac et ne
pas exécuter de prisonniers. Avant un combat, ils étaient soumis à
des rites de purification devant les rendre invulnérables aux tirs
ennemis. Durant la bataille, les hommes équipés d'armes à feu
devaient tirer au jugé, les esprits se chargeant de guider leurs
balles ou encore de transformer en grenades les pierres qu'ils
lançaient. Après une série de succès initiaux, imputables sans
doute partiellement au fait que certains de leurs adversaires
devaient croire à leur invulnérabilité, Alice et ses troupes
marchèrent sur Kampala puis furent massacrées par des éléments
aguerris de la NRA. La prophétesse s'enfuit alors au Kenya après
avoir indiqué que les esprits l'avaient abandonnée alors que son
propre père, Sverino Lukoya, tenta vainement de reconstituer le
mouvement, notamment en faisant enlever de jeunes enfants.
Joseph Kony et ses commandants (via theafricapaper.com) |
Un autre
membre de la famille allait néanmoins rencontrer beaucoup plus de
succès. Il s'agissait de Joseph Kony, cousin ou neveu d'Alice Lauma.
Après une brève période de scolarité, il avait suivi une
formation de guérisseur traditionnel puis s'était engagé dans le
Holy
Spirit Movement où
il avait joué un rôle d'animateur et de propagandiste. Après la
défaite face à la NRA, il rallia des survivants, déclara qu'il
avait hérité des esprits qui avaient déserté la prophétesse
partie en exil puis fonda une entité entièrement nouvelle ;
l'armée de résistance du Seigneur. Cependant, ayant appris de la
débâcle subie par sa prédécesseur, Jospeh Kony ne plaça pas
toute sa confiance dans les forces surnaturelles et s'efforça au
contraire d'apporter un entraînement plus conventionnel à ses
hommes. Il fut immensément aidé en cela par le fait que des soldats
de l’ancienne armée gouvernementale, chassée par Museveni et
composée d'un grand nombre d'Acholi, originaires du Nord du pays, se
rallièrent à lui à la fin de l'année 1987. Ces hommes, à la tête
desquels se trouvait le Brigadier Odong Latek amenèrent avec eux un
savoir-faire tactique dont la LRA était à l'origine dépourvue.
L'année suivante, confronté à des difficultés de recrutement dans
un contexte de lassitude générale face à la guerre, Joseph Kony
s'inspira du père de d’Alice Lauma en commençant à faire enrôler
de force des enfants nordistes pour accroître les effectifs de sa
petite armée. Le recours à des enfants n’était pas non plus une
invention du leader de la LRA car plusieurs factions armées, à
commencer par la NRA, avaient déjà fait usage d'enfants-soldats au
cours de la guerre.
Si les
populations du Nord de l'Ouganda n'étaient sans doute pas forcément
enthousiastes à l'idée de participer à la prolongation d'une
guerre vieille de plusieurs années et durant laquelle elles avaient
déjà payés un lourd tribut, beaucoup d'individus parmi elles ne
pouvaient également qu'entretenir une certaine méfiance face au
gouvernement de Museveni. Celui -ci avait en effet renversé un
président acholi alors que les principaux viviers de recrutement de
son armée, la NRA, se situaient dans d'autres régions du pays. De
plus, à l'époque de la colonisation britannique, cette partie de
l'Ouganda avait été bénéficiaire d'un développement économique
bien moindre que le Sud, même si les Anglais avaient privilégié
les populations du Nord pour recruter les soldats dont ils avaient
besoin. Ainsi, la région ne comptait, au début des années 90,
pratiquement pas de routes bitumées. La NRA commit ensuite, après
son arrivée au pouvoir, l’erreur de laisser ses hommes commettre
des exactions contre les populations locales, facilitant d’autant
l’implantation du mouvement de Kony. Par ailleurs, l’existence
d’autres groupes opposés au nouveau pouvoir de Kampala permirent à
la LRA d’échapper à des attaques gouvernementales soutenues alors
qu’il était en train de développer son armée.
La
première offensive majeur visant spécifiquement la LRA, dénommée
opération North
n’intervint
ainsi qu’en 1990. Le général David Tinyefuza,
en charge des opérations, fit du Nord du pays une véritable zone
interdite où il initia une vague de répression, faisant notamment
fouetter en public des politiciens locaux. Si la LRA fut peut-être
affaiblie, les dirigeants de la National
Resistance Army
conclurent trop rapidement qu’ils avaient remporté la victoire et
réduisirent le volume des effectifs engagés dans la région,
laissant à une milice locale crée pour l’occasion, la Arrow
Boys Brigade,
le soin d’achever l’ennemi. L’armement de ces miliciens, comme
l’indique le nom de leur unité, était constitué initialement
d’arcs et de flèches. Cette diminution de l’effort de Kampala
fut probablement aussi la résultante des pressions du Fonds
Monétaire International qui ne cessait de préconiser une réduction
du format des forces armées. De fait, celles-ci passèrent de
100'000 à 60'000 hommes entre 1992 et 1994. Ces chiffres étaient au
demeurant supérieurs à la réalité dans la mesure où certains
officiers tendaient à enfler la taille des effectifs sous leurs
ordres afin d’en tirer un bénéfice économique.
L’alliance avec Khartoum
Malgré ses insuffisances, la
NRA parvint sans aucun doute à avoir un impact significatif sur la
LRA, dans la mesure où les premiers rapports faisant état de la
présence d’éléments de cette dernière dans la province
soudanaise de l’Equateur Oriental, frontalière du Nord de
l’Ouganda, remontent à 1991. Quelques années plus tard, alors que
la pression de l’armée gouvernementale augmentait à nouveau et
que la LRA répliquait par une escalade de la violence, la donne
géopolitique régionale allait permettre à Joseph Kony de
considérablement augmenter les capacités militaires de son
mouvement jusque-là dépourvu d’appuis extérieurs.
Enfant-soldat de la LRA photographié au Soudan (via dailyexpress.co.uk) |
En
effet, au Soudan, l'arrivée au pouvoir du duumvirat constitué par
Hassan al-Tourabi et Omar el-Béchir à la fin des années 80 et
l'orientation islamiste du nouveau régime ne tardèrent pas à lui
attirer l'inimité de Washington. La diplomatie américaine s'efforça
alors de contenir ce qu'elle percevait comme une menace régionale en
tissant une alliance entre plusieurs pays entourant le Soudan et qui
avaient pour point commun d'être dirigés par des hommes arrivés au
pouvoir à l'issue d'une guerre civile, soit l'Erythrée, l'Ethiopie
et l'Ouganda. Un volet essentiel de cette politique consistait à
exploiter le talon d'Achilles du pouvoir de Khartoum en soutenant le
SPLA (Sudan
People's Liberation Army),
un mouvement sécessionniste luttant pour obtenir l'indépendance du
Sud-Soudan. Une partie de cette aide transita par l'Ouganda de
Museveni et les autorités soudanaises réagirent en soutenant à
leur tour Joseph Kony.
Cette
alliance avec Khartoum, qui débuta vers le milieu des années 90,
bénéficia immensément à la LRA. Celle-ci put implanter des bases
arrière dans la province de l'Equateur Oriental. Le gouvernement
soudanais livra de grandes quantités d'armes légères et d'armes
collectives incluant, outre la classique combinaison d'AKM, de RPK,
PKM et RPG-7, des mitrailleuses lourdes de 12.7 mm, des mortiers de
82mm, des canons sans recul SPG-9 et B10 et des missiles anti-aériens
portables SAM-7. L'armée soudanaise dépêcha aussi des instructeurs
qui entraînèrent les combattants de Joseph Kony aux tactiques de
contre-embuscade et de combat en jungle. En outre, le mouvement qui
dans les premières années ne pouvait coordonner ses unités qu'à
l'aide de messagers commença à faire usage de Walkie-Talkie dès
1995, avant que des spécialistes soudanais n'apprennent en 1999 à
deux cent membres de la LRA l'usage de radios et ne les initient au
codage. Enfin, des avions de transport de la Soudanese
Air Force
violèrent régulièrement l'espace aérien ougandais afin de
soutenir les opérations de la NRA dans le Nord du pays. Cette aide
ne vint cependant pas sans un prix. En effet, durant la guerre civile
soudanaise, la province de l’Equateur Oriental, loin de constituer
un paisible sanctuaire, était une zone de guerre où s’affrontaient
plusieurs mouvements armés. Joseph Kony dût ainsi régulièrement
dépêcher une partie de ses troupes pour soutenir l'armée
soudanaise dans ses opérations contre le SPLA. Les officiers
soudanais utilisaient la LRA comme première vague d’assaut suivie
par leurs propres soldats souvent appuyés par des armes lourdes. Les
combattants ougandais se voyaient aussi régulièrement confier la
mission de nettoyer les tranchées ennemies. Lors de ses opérations
au Soudan, le LRA ne manqua pas d’essuyer des revers, dont le
principal fut la capture de la base du carrefour d’Aru par le SPLA
en 1997. Il ne s’agissait en effet rien de moins que du
quartier-général de Joseph Kony, qui servait aussi de camp
d’entraînement et de garnison pour l’équivalent de plusieurs
bataillons. Le quartier-général de la LRA fut ensuite partiellement
relocalisé dans la ville de Juba.
Le
soutien de Khartoum permit à l'armée de résistance du Seigneur de
se structurer, jusqu'à un certain point, comme une armée régulière.
A son zénith, le mouvement a pu compter jusqu'à 10'000 individus
dont 2'à 4'000 combattants. Il était organisé en un
haut-commandement, appelé Control
Altar, et
des
brigades Gilva,
Sinia,
Stockree
et Trinkle
auxquels s'ajoutait une force prétorienne, la Central
Brigade,
divisée en deux éléments, la High
Protection Unit
et la Home
Guard,
chargées d'assurer la sécurité de Joseph Kony et de sa suite. Par
ailleurs, cette Central
Brigade, composée
de combattants réputés fidèles servait aussi de vivier parmi
lequel étaient sélectionnés les futurs cadres de l’organisation.
La chaîne de commandement de la LRA reflétait aussi celle d’une
armée régulière, les grades s’échelonnant de Sergeant
à
Major
General,
le grade que s’attribua Joseph Kony. Si ceux-ci avaient ne
correspondaient pas, en terme d’effectifs commandés, réellement à
leurs équivalents dans une armée régulière, il n’en reste pas
moins qu’ils étaient strictement respectés et s’accompagnaient
pour leurs détenteurs de privilèges incluant une meilleure
nourriture, le droit de se marier et pour certain officiers de haut
rang, la possession d’une escorte personnelle, perçue comme un
symbole de prestige. Dans tous les cas, Joseph Kony seul gardait la
haute main sur les promotions ou au contraire des rétrogradations au
sein de la hiérarchie de la LRA. Dans certains cas, ces dernières
se limitèrent à des mesures symboliques comme la suppression de la
garde personnelle alors que dans d’autres, des commandants furent
purement et simplement tués. Cependant, les exécutions parmi le
cercle dirigeant du mouvement furent relativement rares, plusieurs
années séparant la mort de Otti Lagony en 1999, première victime
de haut rang connue, et celle de Vincent Otti en 2007. La
« militarisation » de l’armée de résistance du
Seigneur alla de pair avec une évolution du discours avec lequel
Joseph Kony légitimait sa domination. Il tendit en effet à
accentuer progressivement son statut de chef militaire tout en
diminuant l’étendue de ses pouvoirs paranormaux. La LRA continua
d’utiliser le kidnapping comme moyen de recrutement privilégié.
Ainsi, en 1998, environ 10'000 enfants avaient été enlevés et
emmenés au Soudan au cours des deux années précédentes, alors
qu’en 2001, un total de 30'839 personnes auraient été enlevées
depuis la création de la LRA, dont un tiers d’enfants.
Parmi
ceux-ci les garçons considérés comme aptes à devenir des
combattants rejoignaient une unité d’entraînement où leur
curricalum
vitae
était soigneusement consigné au cours d’un interrogatoire avant
de subir un examen médical. Les recrues étaient ensuite soumises à
un rite d’initiation incluant des passages à tabac avant de
recevoir un uniforme et des bottes de caoutchouc puis de débuter
leur entraînement militaire. Ce dernier était relativement
classique et incluait des parades quotidiennes ainsi que diverses
formes de drill et était parfois prodigué par des officiers
soudanais. La nécessité de prendre soin de leurs armes en les
nettoyant et en les huilant régulièrement était aussi
soigneusement inculquée aux recrues. Contrairement à d’autres
milices africaines, l’ensemble des combattants était soumis à un
ensemble de règles d’inspiration religieuse ou militaire. Les
infractions étaient punies de manière impitoyable, la consommation
de marijuana pouvant par exemple conduire à la peine capitale.
Alors
qu’au Soudan, les forces de la LRA menaient des opérations
relativement conventionnelles contre le SPLA, leur modus
operandi
dans le Nord de l’Ouganda s’apparentait beaucoup plus à celui
d’une guérilla faite de raids de harcèlement et d’embuscades.
Ces dernières étaient souvent établies de manière classique, en C
ou en L et incluaient des plans de tirs préparés à l’avance. Une
tactique utilisée à plusieurs reprises consistait à envoyer une
dizaine de combattants harceler une position de l’Uganda
People’s Defence Force (UPDF,
le nouveau nom de la NRA depuis 1995) avant de retraiter avec pour
instruction d’attirer d’éventuels poursuivants vers une
embuscade soigneusement préparée à l’avance par un autre
détachement. Les combattants infiltrés en Ouganda utilisaient aussi
des ruses pour rendre plus difficile leur pistage par des traqueurs,
marchaient silencieusement et en formation espacée afin de pouvoir
détecter les hélicoptères ennemis au bruit le plus tôt possible
et se dissimuler à temps. De plus, en cas de poursuite, les membres
d’un groupe pouvaient aussi se disperser avant de se retrouver à
un point de rendez-vous pré-arrangé. Enfin, lorsqu’ils
s’adonnaient à la mission essentielle qu’était l’enlèvement
de nouvelles recrues, les hommes de Kony procédaient
systématiquement à l’encerclement du village visé afin de dénier
à ses habitants toute voie de fuite. Les attaques étaient
soigneusement préparées et l’objectif faisait systématiquement
l’objet d’une reconnaissance préalable. L’importance du
renseignement était explicitée par le fait que chaque unité
disposait de son propre Intelligence
Officer.
Le type d’actions menées dans le Nord de l’Ouganda impliqua
nécessairement que malgré le caractère éminemment totalitaire de
l’organisation, les commandants en charge disposaient d’une très
grande autonomie.
Les
opérations de la LRA et les réactions de l’UPDF qu’elles
engendraient eurent de très lourdes conséquences sur les
populations locales. Outre le fait que les hommes de Kony utilisaient
des tactiques conçues pour semer la terreur, comme en coupant les
lèvres et les oreilles de ceux qu’ils soupçonnaient de collaborer
avec l’ennemi, l’armée ougandaise implémenta à partir de 1997
une politique visant à regrouper les populations sous son contrôle
afin de les soustraire à l’emprise de la LRA. Cette année-là,
300'000 personnes se déplacèrent dans des camps pour Internally
Displaced People
(IDP). Un peu plus de 10 ans plus tard, le nombre de réfugiés
internes atteignit deux millions, dont la moitié environ étaient
des Acholis. Les camps, dont l’infrastructure était déficiente,
n’offraient d’ailleurs pas une protection absolue contre la LRA
qui les prit régulièrement pour cible. L’effort de guerre s’avéra
par ailleurs coûteux pour le gouvernement, qui doubla le budget de
la défense en 1998, le faisant passer de 150 à 350 millions de
dollars.
Opération Iron Fist
En 1999, une première
offensive de l’UPDF, coordonnée avec des troupes éthiopiennes,
érythréennes et le SPLA, eut lieu en territoire soudanais afin
d’attaquer les camps de la LRA. Plusieurs furent détruits, mais
l’opération s’acheva prématurément à cause de l’éclatement
de la guerre Erythrée-Ethiopie qui brisa la coalition. Pour la LRA,
le répit allait s’avérer de courte durée car les relations entre
les régimes de Khartoum et Kampala se réchauffèrent à partir de
2000 et, en avril de l’année suivante, l’UPDF obtint un droit de
poursuite en territoire soudanais.
En
février 2002, les forces ougandaises lancèrent une offensive
majeure appelée Iron
Fist.
Celle-ci incluait la participation de deux brigades fortes d’une
dizaine de milliers de soldats soutenus par des tanks, de
l’artillerie et des hélicoptères de combat Mi-24. L’opération
correspondit à la phase la plus violente du conflit opposant le
gouvernement de Kampala à la LRA. En effet, si l’UPDF indiqua
avoir capturé quatre camps ennemis dès la fin du mois de mars, les
pertes subies tant par les deux adversaires que la population civile
auraient été extrêmement lourdes. L’armée de Joseph Kony
répliqua en lançant une nouvelle série de raids de terreur dans le
Nord de l’Ouganda malgré la présence de 30'000 hommes de l’armée
ougandaise. Après deux mois et demi de combat après avoir perdu
d’importants stocks d’armes et cinq bases, les troupes de la LRA
se dispersèrent mais parvinrent à maintenir leur présence dans le
Sud du Soudan. L’opération se conclut ainsi par un demi-échec
pour l’UPDF, l’officier en charge de l’offensive, le Major
General James
Kazini ayant déclaré dans une conférence de presse début mai 2002
qu’il démissionnerait si le commandant de la LRA était toujours
vivant au 31 décembre. En revanche, l’armée de résistance du
Seigneur avait été saignée à blanc durant les combats, son
effectif tombant à moins d’un millier de combattants. Par
ailleurs, le rapprochement entre Kampala et Khartoum eut pour effet
d’interrompre progressivement le flux d’armes et d’équipements
dont bénéficiait le mouvement entre 2002 et 2005. En
effet, après que les accords de janvier 2005 aient été conclus
avec le SPLA, un proxy comme la LRA perdit de son intérêt aux yeux
de Khartoum. Pourtant, cette dernière parvint à rester active car
son chef avait « thésaurisé » une partie des armes
livrées durant les années fastes, qui furent dissimulées dans des
caches situées dans les zones frontalières avec l'Ouganda et dans
le Nord de ce pays. Celles-ci, le plus souvent emballées et
enterrées, étaient régulièrement exhumées pour être entretenues
avant d'être à nouveau cachées.
In
fine,
le conflit semblant sans issue, la LRA et Kampala finirent, grâce à
la médiation sud-soudanaise, par entamer des négociations en
juillet 2006 dans la ville de Juba. L'année précédente, des
éléments du mouvement pénétrèrent en République Démocratique
du Congo (RDC) et s'implantèrent dans le parc national de Garamba,
dans le Nord-Est du pays. Ce détachement précurseur reconnut le
terrain local, s'adjoignant les services d'un garde-forestier qu'ils
capturèrent à cet effet. Cette familiarité avec le secteur lui
permit ensuite, en janvier 2006, de tendre une embuscade meurtrière
à des casques bleus guatémaltèques au cours de laquelle huit de
ces derniers perdirent la vie. Les gros de la LRA, avec Joseph Kony
parmi eux, suivirent et s'installèrent dans six camps. La structure
de l'armée de libération du Seigneur se simplifia avec la
disparition du Control
Altar dont
les fonctions furent reprises par la High
Protection Unit.
Témoignage de l'affaiblissement du mouvement, ses brigades ne
comptaient plus qu'environ 150 combattants. Des champs furent mis en
culture autour des camps afin d'assurer la subsistance de leurs
habitants. Le regroupement de la LRA dans les forêts de Garamba fut
aussi la résultante d'une série d'opérations lancées avec succès
par l'UPDF dans le Nord de l'Ouganda. Généralement bien renseignés
par leurs services de renseignements épaulés par une aide
américaine, les soldats de Kampala y frappèrent plusieurs bases
durant l'année 2006 au moyen de raids lancés par des Mig-21Bis
immédiatement suivis par l'héliportage de commandos.
Pendant ce temps, les
négociations à Juba s'enlisèrent, Joseph Kony ayant rompu le
contact, peut-être par la peur de voir son assise sur la LRA menacée
par les liens se créant entre certains de ses cadres avec le monde
extérieur ou encore à cause de l'émission d'un mandat d'arrêt de
la cour pénale internationale à son encontre. Quoi qu'il en soit,
l'échec des pourparlers marqua le début d'une nouvelle opération
de l'UPDF visant à décapiter la LRA et mettre fin au conflit.
Opération Lightning
Thunder
Soigneusement
préparée par les services de renseignements, qui avaient identifiés
le camp dans lequel se trouvait Kony, l’opération Lightning
Thunder
prévoyait une frappe aérienne par les jets ougandais suivie
immédiatement par un assaut de commandos héliportés. Enfin, une
importante force terrestre incluant 4'200 hommes soutenus par des
blindés avait été rassemblée dans le Nord-Ouest de l’Ouganda et
devait avancer rapidement dans la zone afin d’achever la
destruction de l’ennemi. Enfin, si l’UPDF était clairement le
fer de lance de cette opération, celle-ci fit l’objet d’une
coopération internationale, des troupes congolaises et
sud-soudanaises ayant été déployées pour la soutenir.
Cependant,
une météo défavorable lorsque l’attaque fut lancée, le 14
décembre 2008, eut pour effet de compromettre cette planification
soigneusement établie. En effet, les MiG-21Bis ne furent pas en
mesure de mener leur bombardement dont l’un des objectifs était
d’affaiblir la capacité de réaction des défenseurs du camp. De
ce fait, lors de leur arrivée, les hélicoptères furent la cible de
violents tirs d’armes automatiques et ne purent pas débarquer les
commandos directement sur l’objectif. Enfin, les troupes au sol
ougandaises mirent deux jours pour rallier les camps, ce qui laissa
aux combattants de la LRA le temps de se disperser. A la fin de
l’opération le 15 mars 2009, l’UPDF annonça avoir capturé 5
cadres de la LRA et libéré 300 captifs. L’armée ougandaise
indiqua avoir perdu douze soldats tués dans les combats et compté
150 cadavres de combattants ennemis. Cependant, la presse ougandaise
fit ensuite état de rumeurs indiquant que l’UPDF avait subi des
pertes beaucoup plus élevées au cours de l’opération. Dans tous
les cas, les représailles de l’armée de résistance du Seigneur
ne se firent pas attendre ; dans les trois mois suivant le début
de Lightning
Thunder,
une vague d’exactions causa la mort d’un millier de civils et
entraîna le déplacement de 200'000 personnes dans la région. In
fine,
Joseph Kony et le noyau dur du mouvement étaient parvenus à
s’extirper de la nasse, même si il fut durablement affaibli et
continua à être la cible d’opérations de traque lancées par
l’UPDF en 2009 et en 2010.
Sous la
pression de l’UPDF, Joseph Kony aurait attribué à ses commandants
des zones d’opérations spécifiques et la LRA se dispersa ainsi en
petits groupes présents en RDC, au Soudan et en République
Centrafricaine. Après Lightning
Thunder,
le mouvement n’aurait compté plus que 400 hommes soit 250
ougandais et 150 autres recrutés parmi les populations congolaises,
sud-soudanaises ou centrafricaines. Les combattants auraient été
divisés en deux catégories distinctes. La première regroupait les
soldats les plus expérimentés, chargés des missions offensives,
alors que la seconde était composée de soldats considérés comme
moins valeureux et qui se voyaient confier des missions plus faciles,
comme la garde des camps ou des captifs. Les membres appartenant à
ce second groupe ne pouvaient d’ailleurs pas accéder à un grade
supérieur à second lieutenant. Par ailleurs, le mouvement tentait à
l’évidence de conserver précieusement son noyau de combattants
expérimentés. Ainsi, les officiers étaient toujours installés au
centre d’un camp, entourés par les hommes les plus aguerris, le
cercle extérieur, le plus exposé, correspondant à la place
réservée aux « bleus ». La coordination entre les
différents groupes dispersés sur des étendues immenses ne put
cependant que s’affaiblir. En effet, en mai 2009, Joseph Kony
ordonna de restreindre au maximum l’usage des téléphones
satellitaires et des radios pour limiter les risques de triangulation
par les services d’écoute ennemis. Même ainsi, les opérateurs
ont pour instruction de s’éloigner d’au moins 15 kilomètres de
leur camp avant d’émettre. In
fine,
le mouvement dut recourir à des messagers comme durant ses premières
années d’existence.
Conclusion
De nos
jours, réduite à quelques centaines de combattants dispersés en
petits groupes sur une zone immense, la Lord
Resistance Army
représente sans doute plus une nuisance résiduelle qu’une réelle
menace et n’est plus qu’une lointaine réminiscence de ce qu’elle
fut au moment de son zénith durant la seconde moitié des années
90. Néanmoins, tant qu’elle conservera un noyau de combattants
expérimentés suffisamment grand, son chef pourra entretenir
l’espoir de la faire renaître de ses cendres pour reprendre le
combat dans le Nord de l’Ouganda. Cependant, il est difficile
d’imaginer qu’une telle remontée en puissance puisse se faire
sans deux éléments historiquement indispensables, à quelques
exceptions près, à toute guérilla ; des sanctuaires et un
soutien logistique.
Outre
les interrogations qu’elle laisse sur le futur de ce mouvement et
de son leader, l’histoire de la LRA permet d’illustrer que ce
type d’organisation ne doit pas être sous-estimé par des forces
armées risquant de s’y trouver confrontées. En effet, la longue
litanie d’atrocités commise par les nervis de Joseph Kony, qui
visèrent avant tout des cibles civiles, ne doit pas masquer le fait
qu’ils s’avérèrent aussi être de redoutables combattants.
Ainsi, si le crédo politico-religieux du mouvement paraît étrange,
il n’en reste pas moins qu’il contribua à créer un réel esprit
de corps renforcé par l’application d’une stricte discipline. Le
dédain manifesté par les combattants de Joseph Kony à l’égard
des militaires congolais, qu’ils ne considéraient pas comme des
soldats du fait de leur consommation d’alcool et de marijuana est à
cet égard significatif, comme l’est le fait que le mouvement soit
parvenu, sans aide extérieure, à survivre à l’opération
Lightning
Thunder et
à intégrer des membres issus d’autres régions que son bassin de
recrutement acholi originel. Par ailleurs, si certaines pratiques
comme la nécessité d’accéder à un grade spécifique pour se
marier semblent bien éloignées des pratiques de toute armée
contemporaine, elles ne sont pas pour autant inédites ou inconnues.
Ainsi, dans ce cas précis, cette méthode de motivation des hommes
conditionnant leur accès au mariage à leur valeur militaire
renvoie-t-elle aux Zoulous, dont les guerriers ne pouvaient prendre
femme qu’après avoir lavé leur iklwa
(sagaie à manche courte et à large lame) dans le sang d’un
ennemi. De même, si le fait que dans certaines unités de la LRA,
les commandants encouragèrent l’émulation entre leurs combattants
expérimentés par une compétition portant sur le nombre d’ennemis
tués peut sembler simplement barbare, son principe ne diffère
pourtant guère de celui de la rivalité entre « as »
soigneusement orchestrée durant les deux guerres mondiales.
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