En préambule, nous remercions l’auteur de
nous avoir envoyé une copie de son livre.
Pierre Rochat est juriste et colonel
breveté d’état-major. La publication de son ouvrage La garnison de Saint-Maurice en 2013 par les éditions Cabédita est
le fruit d’un peu plus d’une décennie de recherches et d’écriture. Le livre est
imposant, soit 688 pages, et s’appuie sur un vaste éventail de sources, que
celles-ci soient secondaires, avec près 90 ouvrages cités ou primaires avec la
consultation d’archives fédérales, cantonales ou communales, de l’armée ou
encore privées. L’ouvrage de Pierre Rochat présente une histoire détaillée -
minutieuse même – de l’institution chargée de protéger un secteur
éminemment stratégique situé dans le
Bas-Valais et dont la géographie en fait l’un des principaux verrous alpins.
Celui-ci fût donc l’une des zones les plus densément fortifiées du pays avec le
Saint-Gothard et Sargans.
L’ouvrage se subdivise en quatre
parties ; la première couvre la période s’échelonnant de 1894 à 1914, avec
la constitution officielle de la garnison par un arrêté du Conseil fédéral le
16 juin 1894 alors que la deuxième s’intéresse au premier service actif de 1914
à 1918. La troisième partie revient sur
l’entre-deux guerres, période de disette budgétaire où les principaux
investissements consentis furent le financement de nouveaux canons Bofors de
105 mm. Les dispositifs défensifs de Saint-Maurice et du Gothard bénéficiaient alors
d’une priorité moindre comparés à celui de Sargans dans l’allocation de budgets
déjà limités. Enfin, la quatrième partie évoque le second service actif, de
1939 à 1945 et les années qui suivirent jusqu’en 1951, année de la disparition
de la garnison de Saint-Maurice en tant qu’entité distincte lorsqu’elle fut intégrée
dans une brigade de forteresse forte d’un régiment d’artillerie de forteresse,
deux régiments frontière et deux bataillons de montagne indépendants.
En rédigeant son ouvrage, Pierre Rochat s’est
clairement intéressé avant tout à l’histoire tactique, humaine et
institutionnelle de l’unité, au détriment des caractéristiques techniques et
matérielles des fortifications. A notre sens, il s’agit là d’un choix judicieux
dans la mesure où, en forteresses comme en blindés, une trop grande
focalisation sur les caractéristiques techniques des systèmes d’armes tend trop
souvent à escamoter le contexte bien plus large - et en termes d’analyse
d’historique, bien plus déterminant - dans lequel ils furent conçus et
utilisés. Le livre est en fait à la fois une monographie d’unité très complète
où le lecteur découvrira les ordres de batailles de la garnison à plusieurs
époques, comme à sa création où elle incluait à la fois des unités appartenant
à « L’arme spéciale », soit cinq compagnies de forteresse
catégorisées en fonction de leur spécialisation (artilleurs, observateurs,
mitrailleurs et sapeurs) et des unités détachées de l’armée de compagne, soit
les 42e et 53e régiments d’infanterie à deux bataillions,
le bataillon de fusilier 12, et des compagnies d’artillerie de télégraphistes,
de sapeurs ou encore d’ambulanciers. L’ouvrage permet en outre de découvrir les
vies de nombre d’officiers qui servirent dans cette garnison.
Mais la garnison de Saint-Maurice est bien plus qu’une simple monographie d’unité,
aussi détaillée fusse-t-elle. L’auteur décrit aussi les nombreux débats
institutionnels que suscita la place que devait occuper cette force hybride au
sein de l’armée. En effet, nombreux furent ceux qui s’opposèrent à
l’attribution à la garnison de troupes dédiées à la couverture des forts de
crainte d’affaiblir l’armée de campagne alors que nombre d’officiers de milice
pouvaient aussi être des parlementaires, cette porosité garantissant
virtuellement un certain intérêt politique pour ce type de questions. Dès lors,
l’ouvrage aborde aussi un aspect tactique propre aux fortifications, et
pourtant généralement peu abordé, à savoir qu’au moins à l’époque moderne,
elles impliquent une coordination interarmes qui a nécessité la mise au point
d’unités intégrées entraînées à collaborer. Ironiquement, alors que la
fortification a été souvent perçue comme un archaïsme se situant à l’extrême
inverse des blindés – parfois véritables incarnations de la modernité, la garnison de Saint-Maurice révèle que
les fortifications ont aussi nécessité la mise en place de forces spécifiques,
à l’identité particulière, et sources d’âpres débats qui ne vont pas sans
rappeler la difficile genèse des premières unités blindées interarmes.
En conclusion, nous ne pouvons que
recommander ce livre qui offre une source d’informations très largement inédite
sur ce sujet le seul bémol étant que cette richesse rend sa lecture exigeante.
Pourtant, le lecteur verra son effort récompensé dans la mesure où il est
évident que cet ouvrage est nécessairement amené à faire référence pour
longtemps tant la perspective de la parution d’autre titres de qualité
équivalente sur le sujet semble improbable et mérite donc amplement sa place
dans la bibliothèque des lecteurs férus d’histoire militaire suisse.
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