Pages

mardi 12 août 2014

Un peu de lecture VIII : Pierre Rochat, la garnison de Saint-Maurice


En préambule, nous remercions l’auteur de nous avoir envoyé une copie de son livre.

Pierre Rochat est juriste et colonel breveté d’état-major. La publication de son ouvrage La garnison de Saint-Maurice en 2013 par les éditions Cabédita est le fruit d’un peu plus d’une décennie de recherches et d’écriture. Le livre est imposant, soit 688 pages, et s’appuie sur un vaste éventail de sources, que celles-ci soient secondaires, avec près 90 ouvrages cités ou primaires avec la consultation d’archives fédérales, cantonales ou communales, de l’armée ou encore privées. L’ouvrage de Pierre Rochat présente une histoire détaillée - minutieuse même – de l’institution chargée de protéger un secteur éminemment  stratégique situé dans le Bas-Valais et dont la géographie en fait l’un des principaux verrous alpins. Celui-ci fût donc l’une des zones les plus densément fortifiées du pays avec le Saint-Gothard et Sargans.



L’ouvrage se subdivise en quatre parties ; la première couvre la période s’échelonnant de 1894 à 1914, avec la constitution officielle de la garnison par un arrêté du Conseil fédéral le 16 juin 1894 alors que la deuxième s’intéresse au premier service actif de 1914 à 1918.  La troisième partie revient sur l’entre-deux guerres, période de disette budgétaire où les principaux investissements consentis furent le financement de nouveaux canons Bofors de 105 mm. Les dispositifs défensifs de Saint-Maurice et du Gothard bénéficiaient alors d’une priorité moindre comparés à celui de Sargans dans l’allocation de budgets déjà limités. Enfin, la quatrième partie évoque le second service actif, de 1939 à 1945 et les années qui suivirent jusqu’en 1951, année de la disparition de la garnison de Saint-Maurice en tant qu’entité distincte lorsqu’elle fut intégrée dans une brigade de forteresse forte d’un régiment d’artillerie de forteresse, deux régiments frontière et deux bataillons de montagne indépendants. 



En rédigeant son ouvrage, Pierre Rochat s’est clairement intéressé avant tout à l’histoire tactique, humaine et institutionnelle de l’unité, au détriment des caractéristiques techniques et matérielles des fortifications. A notre sens, il s’agit là d’un choix judicieux dans la mesure où, en forteresses comme en blindés, une trop grande focalisation sur les caractéristiques techniques des systèmes d’armes tend trop souvent à escamoter le contexte bien plus large - et en termes d’analyse d’historique, bien plus déterminant - dans lequel ils furent conçus et utilisés. Le livre est en fait à la fois une monographie d’unité très complète où le lecteur découvrira les ordres de batailles de la garnison à plusieurs époques, comme à sa création où elle incluait à la fois des unités appartenant à « L’arme spéciale », soit cinq compagnies de forteresse catégorisées en fonction de leur spécialisation (artilleurs, observateurs, mitrailleurs et sapeurs) et des unités détachées de l’armée de compagne, soit les 42e et 53e régiments d’infanterie à deux bataillions, le bataillon de fusilier 12, et des compagnies d’artillerie de télégraphistes, de sapeurs ou encore d’ambulanciers. L’ouvrage permet en outre de découvrir les vies de nombre d’officiers qui servirent dans cette garnison. 

Mais la garnison de Saint-Maurice est bien plus qu’une simple monographie d’unité, aussi détaillée fusse-t-elle. L’auteur décrit aussi les nombreux débats institutionnels que suscita la place que devait occuper cette force hybride au sein de l’armée. En effet, nombreux furent ceux qui s’opposèrent à l’attribution à la garnison de troupes dédiées à la couverture des forts de crainte d’affaiblir l’armée de campagne alors que nombre d’officiers de milice pouvaient aussi être des parlementaires, cette porosité garantissant virtuellement un certain intérêt politique pour ce type de questions. Dès lors, l’ouvrage aborde aussi un aspect tactique propre aux fortifications, et pourtant généralement peu abordé, à savoir qu’au moins à l’époque moderne, elles impliquent une coordination interarmes qui a nécessité la mise au point d’unités intégrées entraînées à collaborer. Ironiquement, alors que la fortification a été souvent perçue comme un archaïsme se situant à l’extrême inverse des blindés – parfois véritables incarnations de la modernité, la garnison de Saint-Maurice révèle que les fortifications ont aussi nécessité la mise en place de forces spécifiques, à l’identité particulière, et sources d’âpres débats qui ne vont pas sans rappeler la difficile genèse des premières unités blindées interarmes.

En conclusion, nous ne pouvons que recommander ce livre qui offre une source d’informations très largement inédite sur ce sujet le seul bémol étant que cette richesse rend sa lecture exigeante. Pourtant, le lecteur verra son effort récompensé dans la mesure où il est évident que cet ouvrage est nécessairement amené à faire référence pour longtemps tant la perspective de la parution d’autre titres de qualité équivalente sur le sujet semble improbable et mérite donc amplement sa place dans la bibliothèque des lecteurs férus d’histoire militaire suisse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire