La
guerre Iran-Irak résulta d'une erreur d'appréciation du raïs de Bagdad, Saddam
Hussein, qui en attaquant l’Iran, anticipa une guerre d'ampleur et de durée
limitée, destinée à accroître son prestige, obtenir des concessions
territoriales et affaiblir le nouveau pouvoir issu de la révolution islamique.
Les buts de guerre irakiens consistaient donc principalement à s'emparer de
gages territoriaux avant de négocier en position de force. Cependant, cette
perception n'était pas partagée par le régime iranien qui annonça que seul le
renversement pur et simple du pouvoir baathiste suffirait à mettre fin à la
guerre, alors que dans le même temps, celle-ci lui permettait de consolider son
emprise, encore fragile, sur le pays. Le confit voulu comme limité devint ainsi
une des plus grandes guerres conventionnelles de l’après-guerre. L’offensive
irakienne lancée en septembre 1980 s’enlisa au bout de quelques mois au fur et
à mesure que les forces armées iraniennes, initialement désorganisées et
gravement affaiblies par les purges ayant suivi la révolution islamique,
montaient en puissance. Après une première contre-attaque de grande envergure
qui échoua au début de 1981, les Iraniens lancèrent une série d’offensives
dévastatrices qui leur permirent de récupérer la quasi-totalité des territoires
perdus en 1982. Malgré ces défaites cinglantes, le régime irakien parvint à
reconstituer puis accroître considérablement la taille de son armée, qui resta
essentiellement sur la défensive à partir de cette année et parvint à repousser
tant bien que mal les offensives iraniennes successives lancées dans le Sud, le
Centre et le Nord du pays dans le cadre d’un conflit qui s’était transformé en
guerre d’usure ; aucun des deux belligérants ne parvenant à infliger une
défaite décisive à l’adversaire.
Adrien
Fontanellaz (Déjà publié sur l’autre côté de la colline)
Les forces armées des deux pays évoluèrent de manière différente
au fur et à mesure que le conflit durait. Du côté irakien, de nouvelles
divisions d’infanterie furent levées en nombre de plus en plus grand afin de
tenir le front – les deux pays partageant une frontière commune de 1'458
kilomètres. Entre 1980 et 1985, le nombre de divisions d’infanterie passa ainsi
de cinq à trente. Nombre de celles-ci avaient des capacités limitées, et
étaient essentiellement aptes à des missions statiques. Celles-ci chapeautaient
en effet des unités du Jeish Al Shabi,
l’armée populaire, à l’origine une milice du parti baath chargée de missions de
sécurités intérieures, réputées pour leur manque d’efficacité. Les divisions
d’infanterie étaient normalement composées de trois brigades d’infanterie et
disposaient d’un bataillon de chars. L’armée continua par ailleurs à entretenir
un noyau de sept divisions blindées et mécanisées de bonne qualité et
distribuées au sein de corps d’armée attachés à des zones précises. Leur
organigramme était issu d’un mélange de pratiques britanniques et soviétiques.
Ainsi, une brigade blindée était centrée autour de trois bataillons de chars et
un bataillon mécanisé alors qu’inversement, une brigade mécanisée incluait
trois bataillons mécanisés et un bataillon de chars. Une division blindée
incluait deux brigades blindées et une brigade mécanisée, cette proportion
s’inversant pour les divisions mécanisées. Toutes les divisions irakiennes
incluaient en sus une brigade d’artillerie. Enfin, une réserve opérative, la
célèbre garde républicaine, fut progressivement constituée à partir d’une
formation de la taille d’une brigade, essentiellement chargée de la garde des
palais présidentiels, à laquelle furent agglomérés d’autres unités
particulièrement réputées de l’armée régulière, à l’image de la 10ebrigade
blindée indépendante qui s’était illustrée durant la bataille de Susangerd au
début de 1981. En avril 1984, celle-ci comprenait une brigade mixte, chargée de
la mission originelle de la garde, deux brigades blindées, une brigade
d’infanterie et une brigade de commandos, chapeautées par un état-major
divisionnaire. L’accès à des financements octroyés par les monarchies
pétrolières du Golfe Persique ainsi qu’à plusieurs sources de matériels de
guerre moderne comme la France et l’Union soviétique permirent à l’Irak de
considérablement accroître la puissance de feu de son armée. Dans un contexte
où la posture irakienne était, sur le plan terrestre, essentiellement défensive
depuis 1982, les généraux irakiens tendaient à utiliser de façon très méthodique
cette puissance de feu pour user l’adversaire tout en limitant leurs pertes,
établissant des systèmes défensifs de plus en plus massifs et sophistiqués.
Dans le même temps, l’efficacité globale de l’armée s’améliora
considérablement, notamment par la mise en place d’une politique systématique
de retour d’expérience ou encore par celle d’un réseau logistique performant
permettent de déplacer rapidement des divisions entières d’un secteur à un
autre du front. Enfin, conscient que des défaites militaires successives
pourraient mettre en péril la pérennité de son pouvoir, le dictateur irakien
infléchit progressivement sa politique consistant à octroyer des postes de
commandement à des officiers choisis en fonction de critères politiques et
indépendamment de leurs compétences professionnelles. Par ailleurs, les
Irakiens firent appel, à partir de 1984, à l’usage d’armes chimiques, produites
en très grandes quantités par une industrie locale rapidement développée grâce
à l’aide prodiguée par des sociétés étrangères, et pour la plupart,
occidentales.
Inversement, l’Iran,
isolé sur la scène internationale ne pouvait pas compenser ses pertes avec des
matériels de qualité équivalente, et ce tout particulièrement dans le domaine
de l’aviation. Du fait de ces contraintes mais aussi parce que leur posture
était offensive et qu’elles opéraient dans un contexte politique très
particulier, l’évolution des forces armées iraniennes fut donc différente de
celle suivie par l’adversaire. L’infanterie devint ainsi l’arme première
iranienne, les autres branches opérant en soutien de cette dernière. De plus,
cette infanterie développa des tactiques qui la rendirent particulièrement
redoutable pour les Irakiens. Si au début du conflit, celles-ci étaient peu
sophistiquées, et pouvaient aller jusqu’à l’utilisation de simples vagues
humaines, elles se complexifièrent par la suite et l’infanterie iranienne finit
par se distinguer par son usage systématique de tactiques de feu et mouvement,
d’infiltration nocturne - au point de parvenir parfois à attaquer en premier
directement l’Etat-Major d’une unité ennemie, par l’usage intensif de
reconnaissances systématiques. L’imposante flotte d’hélicoptères de transport
héritée du l’armée impériale, forte de 402 AB-205 et Bell 214 et 84 CH-47 en 1980,
lui apportait un surcroît de mobilité important, facilitant notamment son
ravitaillement. De plus, à partir de 1984, l’accent fut mis sur un meilleur
entraînement des cadres alors que la coordination entre armée régulière et pasdarans s’améliora au niveau tactique.
Soldat iranien équipé d'un RPG-7 (via militaryphotos.net) |
De fait, et tout
comme son adversaire, l’Iran possédait plusieurs armées. La première de
celles-ci était l’Artesh, héritière
de l’armée impériale, et qui comptait au début de la guerre l’équivalent d’une
petite dizaine de divisions très bien équipées et structurées selon le modèle
américain. Ce puissant instrument militaire fut cependant gravement affaibli
par les purges qui suivirent la révolution iranienne, et qui touchèrent tout
particulièrement le corps des officiers. A cette armée régulière s’ajouta le
corps des gardiens de la révolution islamique qui se développa rapidement
durant la guerre et dont le commandement devint totalement séparé de celui de
l’armée en 1985. Fort de quelques dizaines de milliers d’hommes au début de la
guerre, celui-ci alignait ainsi quatorze divisions à la fin de l’année 1984,
dont l’une était blindée. Les pasdarans pouvaient
également faire appel, pour des périodes de deux à trois mois, aux bassidjis, des miliciens souvent très
jeunes et sommairement entraînés, qui étaient alors intégrés dans leurs
divisions régulières. Paradoxalement, en dépit de sa population trois fois plus
importante que celle de l’Irak, les effectifs alignés par l’Iran n’étaient pas
très supérieurs à ceux de l’ennemi, dans la mesure où la politique de
recrutement mise en œuvre par Téhéran fut bien moins systématique, l’enrôlement
des bassidjis se faisait par exemple
sur une base volontaire, que celle de Bagdad, qui dut faire massivement appel à
une main d’œuvre expatriée pour remplacer les hommes mobilisés et envoyés sur
le front.
Cette asymétrie entre
les deux armées poussa les Iraniens, qui gardaient l’initiative, à opérer
autant que faire se peut dans des secteurs dont la géographie réduisait les
atouts ennemis en entravant le déploiement de ses forces mécanisées. Ainsi,
durant l’année 1985, pas moins de trois offensives furent lancées dans les
immenses marais de Hoveyzeh situés au Nord de Bassora. Cette dernière ville, la
grande métropole du Sud de l’Irak et porte d’accès du pays au Golfe Persique
via le Chatt el-Arab située à une trentaine de kilomètres de la frontière
iranienne fut un objectif majeur des Iraniens à partir de 1982. En effet, le
régime des ayatollahs était convaincu que la prise de cette cité, bien plus
accessible que Bagdad, serait fatale au régime baathiste irakien dans la mesure
où les populations chiites du Sud du pays ne manqueraient alors pas de se
révolter contre Saddam Hussein, dictateur impitoyable issu de la minorité
sunnite. Bassora fut ainsi la cible de plusieurs grandes offensives entre 1982
et 1985, mais celles-ci échouèrent face aux puissantes défenses ceinturant la
ville et sur un terrain ne favorisant que peu la plus grande qualité de leur
infanterie. C’est pourquoi, en 1985, les Iraniens optèrent pour une autre
approche, consistant à s’emparer de la péninsule de Fao, à l’extrême Sud de
l’Irak, ainsi que du port Oum Qasr, et
couper ce faisant l’accès de l’Irak au Golfe Persique tout en disposant des
bases de départ permettant d’attaquer Bassora depuis le Sud en évitant ses
principales défenses orientées face à la frontière iranienne. Prendre la
péninsule de Fao n’était cependant pas une mince affaire dans la mesure où
celle-ci était séparée de l’Iran par le Chatt el-Arab dont la largeur dans ce
secteur pouvait atteindre près de 1'000 mètres.
Durant
la seconde moitié de 1985, les Iraniens commencèrent à préparer l’attaque
contre Fao, baptisée Valfajr 8 (Aurore 8). Deux divisions d’infanterie menèrent
ainsi des exercices amphibie sur les rives de la mer Caspienne, alors que plus
de 3'000 pasdarans reçurent un
entraînement de nageurs de combats afin d’être en mesure de reconnaître les
futurs points de débarquement et d’éliminer les obstacles couvrant ceux-ci.
Parallèlement, l’aviation de l’armée de terre et la force aérienne de la
république d’Iran (IRIAF) s’efforcèrent de parfaire leurs procédures d’appui
rapproché et améliorer leur coordination, et chacune mit en place un état-major
dédié dans le Sud du front afin de contrôler plus efficacement leurs
opérations. Au début du mois de janvier 1986, l’IRIAF en particulier mena des
exercices de très grande ampleur incluant chasseurs, transports et
ravitailleurs et où l’accent fut mis sur l’accroissement du taux de sortie des
appareils disponibles alors que dans les dernières semaines de janvier, deux
missions de reconnaissance extrêmement périlleuses furent menées par des RF-4E
afin de déceler les points faibles du dispositif irakien dans la péninsule. De
nombreux matériels de franchissement, incluant des ponts flottants
assemblables, des bacs automoteurs et des centaines d’embarcations diverses
furent ensuite transportés vers le Sud du front et soigneusement camouflés
tandis qu’un réseau de routes, dissimulé au sein des palmeraies de la région,
devait permettre de soutenir l’opération. Enfin, environ 250'000 hommes, pour
un total de huit divisions, soit six divisions d’infanterie, une division de
génie et une d’artillerie se rassemblèrent progressivement dans le secteur.
Afin de faire accroire à l’ennemi que leur prochaine grande opération aurait
lieu dans le secteur des marais du Hoveyzeh, les Iraniens construisirent
des camps et des positions factices afin de tromper les avions de
reconnaissance irakiens et les satellites américains, alors que dans le même
temps, de faux messages radios étaient échangés afin d’accroître encore la
confusion du côté irakien.
Pour les Irakiens, la
péninsule de Fao était un secteur secondaire, et ses défenses étaient
dimensionnées pour faire face à des attaques d’ampleur limitées. Elle dépendait
du VIIe corps, dont le quartier-général était situé dans la ville de
Fao, située à proximité de l’extrémité de la péninsule. Symptôme de
l’importance limitée accordée par Bagdad à cette zone, le lieutenant-général
Chawket, commandant de ce dernier, était subordonné au VIe corps
stationné plus au Nord. Le VIIecorps chapeautait la 26e
division d’infanterie, une formation de second rang incluant des soldats de
l’armée populaire, qui occupait des positions défensives le long du Chatt
el-Arab, établies au sein des vergers qui en couvraient la rive, ainsi que la
15e division d’infanterie, stationnée plus au Nord, à hauteur d’Oum
al-Rassas, un îlot sableux au milieu du Chatt el-Arab situé à proximité de
Khorramchahr. Enfin, les ports de Fao et Um Qasr étaient protégés par les 441e
et 440e brigades d’infanterie de marine respectivement. Malgré les
observations rapportées par les unités stationnées dans la région, faisant état
de préparatifs en cours face à la péninsule, les services de renseignements
irakiens restèrent convaincus que les Iraniens se préparaient à attaquer au
Nord de Bassora. Une attaque préemptive fut même lancée entre le 6 et le 14
janvier 1986 durant laquelle les Irakiens réussirent à reprendre une des îles
Majnoun, situées au centre des marais du Hoveyzeh alors que dans le même temps,
leur aviation menait de nombreuses missions d’interdiction dans ce secteur.
Evacuation de blessés iraniens par bateau, durant une opération antérieure (Sajed.ir via wikicommons) |
Valfajr
8 débuta dans la nuit du 9 au 10 février 1986, lorsque les Iraniens, favorisés
par une météo exécrable marquée par de fortes pluies, franchirent le Chatt el-Arab en
plusieurs endroits simultanément. Dans la plupart des cas, des nageurs de
combats traversèrent en premier afin de sécuriser les points de débarquements
prévus sur la rive irakienne du fleuve avant d’être rejoints, une fois leur
mission accomplie, par une seconde vague de pasdarans
acheminée au moyen de centaines de canots pneumatiques tandis que
l’artillerie iranienne pilonnait les positions ennemies. Alors qu’une attaque
de diversion était lancée contre Bassora par une division, d’autres unités
établirent plusieurs têtes de pont à hauteur de l’îlot d’Oum al-Rassas, à Siba,
face à Abadan, et à une quinzaine de kilomètres de Fao, coupant ce faisant
l’axe routier stratégique long de 130 kilomètres longeant le fleuve et relient
Bassora à Fao. Dans le même temps, des éléments de la 3ebrigade
d’infanterie de marine débarquaient dans la périphérie de la ville portuaire.
Le génie iranien s’empressa ensuite d’assembler plusieurs ponts flottants afin
de pouvoir acheminer des renforts sur la rive ennemie. Le succès initial de
l’opération fut dû en grande partie à l’effet de surprise, et aussi au
sang-froid de certaines unités. En effet, des nageurs de combats furent
soudains pris sous un feu massif d’armes automatiques provenant des positions
irakiennes proches mais s’abstinrent de riposter conformément aux ordres reçus.
Ce sang-froid paya dans la mesure où, loin de les avoir détectés, les Irakiens
avaient suivi une de leurs procédures standard consistant à ouvrir le feu en
direction des lignes ennemies à l’improviste dans un secteur donné durant une
quinzaine de minutes. A partir de leur tête de pont située dans le secteur
d’Abadan, les Iraniens déployèrent simultanément la 77e division,
chargée d’avancer vers Bassora, et la 21e division qui longea le
Chatt el-Arab, en réduisant au fur et à mesure les positions irakiennes. La
ville de Fao tomba le 11 février et les Iraniens y capturèrent un riche butin,
consistant en radars de veille aérienne et de surface et plusieurs batteries de
missiles anti-aériens et antinavires. Durant les premiers jours de l’offensive,
les Iraniens capturèrent une grande partie de la péninsule, au prix 2'600
soldats tués ou blessés, et infligèrent le double de pertes à l’ennemi. A ce
moment, ils avaient déployé l’équivalent d’un corps sur la rive irakienne du
Chatt el-Arab, composé très majoritairement d’infanterie.
La réaction irakienne
à l’offensive fut relativement confuse dans la mesure où il fallut plusieurs
jours pour réaliser où se situait son point d’application principal. Ainsi, la
division de la garde républicaine fut initialement déployée au Nord de Bassora
car les Irakiens, croyant que les événements de Fao, dont ils avaient une
vision confuse du fait de la météo exécrable qui empêchait les vols de
reconnaissance, correspondaient à une simple diversion ennemie. Puis, dans un
second temps, ils concentrèrent leurs efforts contre Oum al-Rassas, qui fit
l’objet d’une contre-attaque menée par la 15e division d’infanterie
renforcée par des commandos. Après 36 heures de combats acharnés, l’île d’Oum
al-Rassas fut reprise, alors que l’avance de la 77e division iranienne
vers Bassora avait été stoppée et qu’un coup de main contre le port d’Oum Qasr,
dernière base navale irakienne avec un accès direct sur le Golfe Persique, fut
repoussé par la 440ebrigade d’infanterie de marine qui en assurait
la protection. Le 12 février, alors qu’une autre contre-attaque hâtivement mise
en place fut stoppée net par le pilonnage de l’artillerie iranienne, le raïs de
Bagdad autorisait le déploiement d’armes chimiques tandis que la 2e
division d’infanterie, la 5e division d’infanterie mécanisée, la 6edivision
blindée et plusieurs brigades de commandos rattachées à d’autres corps furent
dépêchées afin de renforcer une nouvelle ligne de défense établie en urgence
afin d’empêcher les Iraniens de déboucher de la péninsule. Certaines de ces
unités contre-attaquèrent le long de la route longeant le Chatt el-Arab, mais,
soumis aux tirs dévastateurs de l’artillerie ennemie, subirent de très lourdes
pertes dans la large bande de vergers et de palmeraies longeant le fleuve
âprement défendue par l’infanterie iranienne. In fine, ces renforts ne furent cependant d’aucune utilité à la 26edivision
d’infanterie, isolée plus au Sud et dont les restes furent anéantis dans la
nuit du 13 au 14 février. Un bataillon de reconnaissance irakien isolé et
retranché à l’extrême pointe de la péninsule parvint cependant à résister
jusqu’au 19 février, date de la capture de son commandant. La lenteur de la
réaction irakienne permit aux Iraniens de relever leurs troupes avec trois
unités fraîches, les 8e, 25e et 31e divisions
d’infanterie, et, après avoir échoué dans leurs tentatives d’avances vers Oum
Qasr et Bassora, de se retrancher afin de faire face aux inévitables
contre-attaques irakiennes.
Une fois passées sur
la défensive, l’infériorité matérielle des forces terrestres iraniennes sur la
péninsule allait être compensée par plusieurs facteurs. En premier lieu, la
bataille devint aéroterrestre avec l’intervention massive des aviations
belligérantes sur le champ de bataille dès que la météo devint plus clémente. Si
les Irakiens menèrent 400 missions de combat pour la seule journée du 11
février, l’action des redoutables hélicoptères de combat Cobra et des
chasseurs-bombardiers F-4 et F-5 iraniens allait compenser au moins
partiellement la puissance de feu inférieure des pasdarans et des bassidjis et
ce d’autant plus que l’efficacité des avions d’entraînement PC-7 armés de
mitrailleuses déployés par les Irakiens pour gêner l’action des hélicoptères
ennemis s’avéra médiocre -seul un Bell 214 fut peut-être abattu par les
monomoteurs suisses. De plus, durant l’hiver, la péninsule, déjà partiellement
couverte de vergers et de palmiers, se transformait en véritable champs de
boue, qui n’entravait pas drastiquement les mouvements de l’infanterie, mais
rendait les véhicules dépendants des routes. Hors, seuls trois routes
surélevées, larges d’une vingtaine de mètres au maximum, pouvaient être suivies
par les Irakiens pour progresser en direction de Fao. La première, et la
meilleure, suivait le cours du Chatt el-Arab alors que la seconde, asphaltée,
traversait le milieu de la péninsule et que le troisième longeait la mer. Les
itinéraires que devraient suivre les forces irakiennes, fortement mécanisées et
donc nécessairement rivées aux axes routiers, étaient donc faciles à deviner,
ce qui facilitait par exemple immensément la tâche des artilleurs iraniens en
leur permettant de concentrer leurs feux sur des secteurs de taille réduite. En
revanche, la présence de la boue, dans laquelle les hommes pataugeaient
jusqu’aux genoux, contribua à réduire l’efficacité des canons, dans la mesure
où les obus s’y enfonçaient avant de détonner, ce qui amortissait le choc de
l’explosion et, dans le cas Irakien, réduisait la diffusion des gaz de combats
qu’ils contenaient.
Soldats irakiens (via militaryphotos.net) |
Une fois certains
d’avoir identifié le Schwerpunkt ennemi
grâce aux révélations d’un pilote de F-5E iranien récemment capturé, les
Irakiens organisèrent une contre-attaque de grande ampleur suivant les trois
axes routiers conduisant au port de Fao. Celle-ci débuta le 18 février, après
l’arrivée de la division de la garde républicaine. Une première colonne,
dirigée par le lieutenant-général Chawket, et incluant la 5e
division mécanisée, suivit la route longeant le Chatt el-Arab avant d’être
stoppée devant la localité de Siba, sise face à Abadan et où les Iraniens avait
érigés un ponton. Les troupes de l’armée régulière parvinrent à s’en emparer
après de très violents combats le 23 février, mais ne purent ensuite progresser
que de quelques kilomètres, alors que le commandant de la 5e
division mécanisée fut tué lorsque une paire de Tiger iraniens bombarda le
quartier général divisionnaire. Une seconde colonne, également composées
d’unités de l’armées régulière et commandée par le général Jabouri suivit la
route longeant l’autre côté de la péninsule. Elle rencontra initialement une
résistance moins acharnée durant les premiers jours de l’attaque, mais finit
par être stoppée à son tour le 23 février par l’infanterie ennemie soutenue par
des missiles anti-char TOW. Enfin, la division de la garde républicaine,
composée des 2e et 10ebrigades blindées, de la 3e
brigade d’infanterie, d’une unité de garde-frontières ainsi que d’un régiment
de reconnaissance, fut chargée d’avancer le long de la route dite stratégique
du milieu de la péninsule. Dans l’ensemble, les unités mécanisées irakiennes,
malgré la résistance acharnée de l’ennemi et l’état du champ de bataille,
réduit en immense bourbier où les fantassins pataugeaient jusqu’aux genoux,
parvinrent à progresser d’une vingtaine de kilomètre entre le 18 et le 23
février avant que leur avance soit stoppée par un raidissement de la résistance
iranienne. Soucieux de limiter leurs pertes et d’éviter autant que faire se
peut de engager leurs soldats dans des combats rapprochés contre des fantassins
iraniens réputés comme particulièrement redoutables, les Irakiens firent un
usage massif de leur artillerie, dont les canons pouvaient tirer jusqu’à 600
obus par jour. La consommation de munitions fut telle que l’Irak dut procéder à
des achats d’urgence pour recompléter ses stocks d’obus. Le front finit par se
stabiliser le 13 mars lorsque Bagdad renonça à reconquérir la péninsule. Les
Iraniens restèrent donc maîtres de 400 km 2 son extrémité et conservaient la
ville de Fao alors que leurs troupes continuaient à être ravitaillées à l’aide
d’un pont lourd et deux autres plus légers placés une dizaine de kilomètres de
la ville.
Les
pertes subies par les belligérants lors de l’opération Valfajr 8 restent
aujourd’hui difficiles à établir, même si elles furent extrêmement élevées, et
auraient pu atteindre 50'000 hommes pour les Irakiens, et au moins autant pour
les Iraniens. La bataille fut aussi acharnée dans les cieux qu’au sol, et la
force aérienne irakienne lança ainsi plus de missions durant les premiers mois
de 1986 que durant l’ensemble de l’année 1985, perdant une cinquantaine
d’avions et une vingtaine d’hélicoptères durant ses opérations sur ce secteur
de front. Ces pertes furent dues en grande partie aux trois batteries de
missiles Hawk iraniennes mises en place entre Fao et Abadan. Témoignage de
cette efficacité, une seule de ces batteries revendiqua la destruction de trois
MiG-23BN et Su-22 en l’espace de 30 minutes le 20 février 1986. De son côté, la
force aérienne iranienne, malgré son infériorité numérique et les immenses
difficultés qu’elle rencontrait pour maintenir une partie de son parc d’avions
opérationnelle parvint à lancer un millier de missions d’appui sur le champ
bataille en deux semaines. Si l’opération fut incontestablement un grand succès
iranien, et une démonstration de l’efficacité de son appareil militaire à ce
stade de la guerre, elle ne déboucha cependant pas sur un résultat décisif. De
fait, si les forces terrestres iraniennes démontrèrent leur capacité à
surprendre l’ennemi et à percer son front, elles ne disposaient pas des moyens
matériels d’exploiter cette rupture, alors que dans les premiers jours suivant
l’établissement des têtes de pont, une attaque mécanisée contre Bassora aurait
été extrêmement dangereuse pour les Irakiens encore désorganisés. Par ailleurs,
une des raisons de l’acharnement dont firent preuve ces derniers pour reprendre
la péninsule, contre-attaquant sur un terrain qui leur était pourtant
éminemment défavorable, trouvait son origine dans la mentalité souvent décrite
comme « bédouine » de Saddam Hussein, qui percevait toute perte de territoire
comme une atteinte à son prestige. Significativement, l’opération Ramadan Al-Moubarak, le premier volet de
la série d’offensives séquencées lancée en 1988 au moyen d’une réserve
opérationnelle soigneusement agrandie et entraînée depuis 1986 et qui acheva de
contraindre l’Iran à accepter un cessez-le-feu, visait à reconquérir la
péninsule.
Bibliographie
Razoux
Pierre, La Guerre Iran-Irak, Première
guerre du Golfe 1980-1988, Perrin, 2013.
Ward Steven R, Immortal: A
Military History of Iran and Its Armed Forces, Georgetown University Press,
2009.
Woods Kevin M, Murray
Williamson, Nathan, Elizabeth A, Sabara Laila, Venegas Ana M, Saddam’s
generals, Perspectives of the Iran-Irak War, Institute for Defense
Analyses, Alexandria, 2010.
Woods Kevin M, Murray
Williamson, Holaday Thomas, Elkhamri Mounir, Saddam’s War,
An Iraqi Military Perspective of the Iran-Irak War, National Defense
University, Washington, 2009.
Cooper Tom et Bishop Farzad, Iran-Iraq War
in the Air 1980-1988, Schiffer Publishing, 2003.
Forum de
discussion du Air Combat Information
Group. (www.acig.org)
Iraq Armed Forces Forum (http://iraqimilitary.org)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire