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jeudi 1 janvier 2015

Un peu de lecture X: Regards sur les armées allemandes.


Cet ouvrage récemment  sorti de presse correspond aux actes de la journée d’étude du 29 octobre 2011 organisée par le Centre d’Histoire et de Prospective  Militaires (CHPM) de Pully. Dans sa préface, Pierre Streit, directeur du comité scientifique du CHPM, présente les différents auteurs d’article, et introduit la structure du livre, divisé en deux grandes parties distinctes, soit la première, de quatre articles, consacrée aux armées allemandes, et la seconde, qui regroupe plusieurs textes issus de présentations faites à l’occasion de différentes rencontres organisées par le CHPM, comme la traditionnelle Saint-Nicolas. Pierre Streit rappelle que l’histoire de l’institution militaire, dont les changements de nom ont reflété de profonds changements, peut aussi susciter certains paradoxes, dont la  boutade en cours parmi les militaires de la Bundeswehr parlant de « culture prussienne »  pour désigner le style de commandement de l’armée française constitue un exemple.

Jean-Jacques Langendorf signe un premier article de 13 pages, intitulé La Reichswehr, deux armées entre deux armées, qui revient sur les armées de la République de Weimar. Cette dernière, par l’adoption de la loi du 6 mars 1919 sur la Reichswehr provisoire, s’attela à faire renaître des cendres encore tièdes de l’armée impériale une force nouvelle, basée sur le volontariat, et amalgamant certains Freikorps ayant participé à la répression du mouvement spartakiste. En juin 1919, elle alignait déjà 400'000 hommes - dont 40'000 officiers - bien équipés et entraînés. Cependant, les dispositions adoptées avec le Traité de Versailles allaient bouleverser de fond en comble les fondations de ce nouvel édifice en donnant naissance à la Reichswehr. Cette dernière, dont l’effectif ne pouvait pas dépasser les 100'000 hommes, était constituée de sept divisions centrées autour de trois régiments d’infanterie et d’un régiment d’artillerie auxquels s’ajoutaient les unités bataillonnaires classiques de génie, de reconnaissance, de transmission ou encore de transport. Son recrutement était exclusivement volontaire, et elle ne disposait que d’un nombre limité d’armes lourdes alors que la possession de tanks et d’avions était proscrite. L’inventaire en armes d’infanterie était également réduit avec 112'000 fusils et 2'000 mitrailleuses lourdes et légères. L’article de Jean-Jacques Langendorf décrit également les principaux dirigeants politiques et militaires de la Reichswehr, de son origine provisoire jusqu’à l’avènement de la Wehrmacht, présente aussi le rôle joué de la commission alliée de contrôle ainsi que l’existence de la Reichswehr noire, une expression désignant plusieurs formations paramilitaires souvent déguisées en associations sportives.

L’auteur relève, outre les diverses opérations clandestines utilisées par les Allemands pour contourner les dispositions du Traité de Versailles, l’effet paradoxal de celles-ci qui, à certains égards, contribuèrent à la modernisation de l’institution allemande. En effet, elles eurent pour effet d’unifier structurellement l’armée allemande de par l’abandon des contingents parfois très autonomes, comme le prussien ou le bavarois, caractéristiques de l’ancienne armée impériale. La seconde contribution, de 16 pages, signée par Philippe Richardot, prend la suite de la première en présentant la Wehrmacht  de son avènement jusqu’à sa chute. Il détaille la montée en puissance trop rapide de l’armée du IIIe Reich, qui passe de sept divisions en 1933 à 102 en 1939, tout en rappelant son manque d’homogénéité. En effet, à côté des révolutionnaires Panzerdivision subsista une majorité d’unités peu motorisées voir totalement hippomobiles. Philippe Richardot aborde ensuite, illustrant son propos par de nombreux tableaux, la bataille de la production ainsi que les effets d’une trop grande dispersion stratégique durant la guerre. D’autre facteurs, comme la crise du recrutement ainsi que la pénurie des carburants, sont également décrits, ainsi que la doctrine allemande favorisant la recherche d’une bataille décisive par encerclement – à l’origine des premiers triomphes, mais qui s’avéra, in fine, incapable de fournir une issue à ce qui devint rapidement une guerre d’usure, et ce tout particulièrement à partir de l’invasion de l’URSS. Deux articles en allemand suivent. Jonas Flöter, historien, présente l’armée nationale populaire de la RDA (National Volksarmee, NVA), voulue comme « prussienne dans la forme et communiste dans le contenu ». L’auteur explique comment et pourquoi la NVA, fondée par la loi du 18 janvier 1956, était un véritable bras armé du parti unique, même si la conscription ne fut établie qu’en 1961, quelques années après sa création. Ainsi, tous les officiers devaient nécessairement être membres du Parti socialiste unifié d’Allemagne, avec pour résultat que cette forte politisation se fit au détriment du professionnalisme des cadres. Le général Klaus Wittmann présente à son tour, sur une dizaine de pages, les mutations en cours de la Bundeswehr.

La deuxième partie de l’opus, «Mélanges », débute par un article de Julien Renggli qui apporte sa contribution à un débat classique, dans le contexte de l’histoire militaire antique, avec La bataille de Magnésie du Sipyle (189 av. J.-C.), la phalange macédonienne face à la légion romaine. L’auteur démontre à cette occasion que la phalange faisait partie d’un système complexe où elle était associée à de l’infanterie légère et lourde et à la cavalerie. Julien Renggli explique que la défaite séleucide face à deux légions et deux alae romaines était due aux erreurs de commandement du roi Antiochos III bien plus qu’à une infériorité intrinsèque de la phalange macédonienne. Nicolas Gex présente ensuite, dans un article de 19 pages et intitulé Alésia : Une bataille et un site mythiques, la bataille et ses principales péripéties, décrivant aussi les fouilles effectuées sous le Second Empire ou encore les polémiques portant sur son emplacement. François Villard aborde un sujet plus contemporain, soit la doctrine de la défense combinée propre à l’armée suisse durant la Guerre froide à partir des années soixante. Celle-ci associait des forces statiques – l’infanterie- avec des forces dynamiques, représentés par les éléments mécanisés de l’armée, le tout devant former un ensemble capable de défendre le territoire national aussi longtemps que possible tout en infligeant de lourdes pertes à l’ennemi, et, in fine, renforcer la politique de dissuasion adoptée par la Suisse.  Dans sa contribution intitulée Japon : le traumatisme de 1945 peut-il être surmonté ?, Laurent Schang fait le point sur la montée des tensions en Extrême-Orient, caractérisée par la réémergence de la Chine en tant que grande puissance, et décrit la montée en puissance graduelle des forces militaires nippones qui en découle. Enfin, la dernière intervention est signée par Christophe Vuilleumier, auteur d’un ouvrage à venir consacré aux activités d’espionnage en Suisse entre 1914 et 1918, et revient sur la Suisse durant la Première Guerre mondiale avec un titre provocateur : Il n’y a rien à dire sur la Suisse pendant la première guerre mondiale ! faisant allusion à un manque d’intérêt relatif sur ce sujet. En introduisant des thèmes aussi variés que l’impact de cette guerre sur la société helvétique, les Suisses engagés dans des armées étrangères durant le conflit ou encore l’action humanitaire du pays, Christophe Vuilleumier démontre la richesse du sujet.

In fine, cet ouvrage reflète donc bien la diversité et la qualité des interventions rythmant l’activité du CHPM, et sa lecture et vivement recommandée, bien que nous conseillons aussi aux lecteurs romands férus d’histoire militaire de directement devenir membres, avec pour avantage de pouvoir être présents durant les conférences et donc d’interagir avec les auteurs directement.

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