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samedi 2 avril 2016

Le bûcher des hirondelles; les débuts du Kawasaki Ki-61-I Hien


Le Kawasaki Ki-61 se distingua en étant le seul chasseur entré en service dans le service aérien de l’aviation impériale japonaise à être équipé d’un moteur en ligne.  Il fut aussi, avec le Nakajima Ki-44, le premier appareil produit en grandes quantités se démarquant de la tradition fermement établie au sein du service visant à mettre l’accent sur la maniabilité à basse vitesse, fut-ce au détriment de la protection et de l’armement. Pourtant, et malgré ses réelles qualités, le chasseur de Kawasaki fut impuissant à influer de manière déterminante sur le cours des campagnes aériennes opposant forces aériennes alliées et japonaises.

Adrien Fontanellaz (Déjà publié sur l’autre côté de la colline)

La violente bataille du Nomonhan, qui opposa soviétiques et japonais aux confins de la Mandchourie entre mai et septembre 1939, joua un rôle important dans la genèse du Ki-61. En effet, si l’excellente manœuvrabilité des légers Nakajima Ki-27 fut exploitée de main de maître par des pilotes nippons généralement chevronnés, les Soviétiques apprirent rapidement à renoncer au combat tournoyant pour privilégier des tactiques de frappes et d’esquives mettant à profit la puissance de feu et la vitesse en piqué de leurs Polikarpov I-16. Une fois les affrontements terminés, le Koku Hombu (Quartier-général du service aérien) conclut de cette expérience qu’il devait s’équiper d’appareils conçus pour être avant tout robustes, rapides et puissamment armés en parallèle à ses avions aux caractéristiques plus traditionnelles associant légèreté, faible armement et extrême manœuvrabilité. Outre le fait qu’elle déboucha sur la production en série d’un pur intercepteur sous la forme du Nakajima Ki-44, cette nouvelle politique s’avéra aussi propice pour la firme Kawasaki Kokuki Kogyo K.K qui se vit confier, en février 1940, le développement de deux appareils distincts ; un intercepteur et un chasseur de supériorité aérienne. La société était alors la grand spécialiste des moteurs en ligne de l’industrie aéronautique japonaise, et bénéficia probablement de la réputation flatteuse acquise en Europe par les chasseurs pourvus de ce type de motorisation.

Naissance d’une hirondelle

De fait, Kawasaki négociait depuis des années l’acquisition d’une licence de production pour le remarquable moteur DB-601A de la firme allemande Daimler-Benz qui équipait le Messerschmitt Bf-109E. Cet engin à douze cylindres en V inversé était refroidi par liquide et développait une puissance de 1'175 chevaux au sol alors qu’un compresseur à un étage lui donnait de bonnes performances à haute altitude. Les négociations se conclurent par l’arrivée d’une équipe d’ingénieurs de la firme japonaise dans les usines Daimler-Benz de Stuttgart en avril 1940. Lors de leur retour au Japon au début de l’été, ces techniciens ramenèrent non seulement les plans de l’engin mais aussi trois exemplaires complets du DB-601A. En outre, le Japon reçut deux Messerschmitt Bf-109E-4 à des fins d’évaluation. Il fallut cependant environ une année pour que le premier exemplaire japonais du moteur sorte d’usine en juillet 1941, sous le nom de Ha-40. Après une série d’essais en banc d’étalonnage, le moteur, pesant 640 kilos et développant 1'175 chevaux à 2'500 tours/minute au sol, fut officiellement adopté par l’armée avant que la production en série ne démarre très progressivement. Seuls 10 exemplaires furent produits en 1941 et 65 en 1942, la fabrication en masse ne débutant réellement qu’en 1943 avec 875 engins sortant des chaînes puis 2'047 en 1944.


Ki-61 de l'école d'Akeno photographié en novembre 1943 (www.asisbiz.com)

En parallèle avec la mise au point de la version japonaise du DB-601A, Kawasaki confia la tâche de développer  les deux modèles de chasseurs commandés par le Koku Hombu, à une équipe dirigée par Takeo Doi et Shin Owada, deux ingénieurs déjà expérimentés qui avaient été formés par l’Allemand Richard Vogt. La priorité fut initialement donné à la conception de l’intercepteur, dénommé Ki-60, au détriment du Ki-61 - le chasseur plus polyvalent et plus léger. Le premier prototype du Ki-60 effectua son premier vol en mars 1941, à peine une année après la réception de la commande. Les performances de l’avion, armé de deux canons d’ailes allemands MG-151 de 20mm et de deux canons (dans la terminologie de l’armée, la désignation de canon se rapportait à toute arme capable de tirer des obus explosifs, même si dans les autres forces aériennes, le calibre de 12.7 mm appartenait à la catégorie des mitrailleuses) Ho-103 de 12.7 mm dans le capot, s’avérèrent cependant décevantes. Il se montrait entre autres instable en vol, souffrait d’une charge alaire particulièrement élevée, du moins selon les standards locaux, de 181.76 kg/m2, ainsi que de vitesses d’atterrissage et de décrochage bien trop élevées. De plus, le premier prototype s’avéra incapable de dépasser les 550 km/heure en palier alors que les ingénieurs avaient escompté une vitesse maximale de 600 km/heure. Malgré des mesures drastiques de réduction de poids incluant le remplacement des deux MG-151 par des Ho-103 nettement plus légers, les deux prototypes suivants ne parvinrent pas à corriger significativement à l’ensemble de ces défauts, même si la vitesse du dernier de ceux-ci fut amenée à 570 km/heure. Dès le mois de décembre 1940, les priorités furent inversées et Kawasaki concentra ses efforts sur le développement du Ki-61, qui débuta à ce moment, tandis que le Koku Hombu perdit son intérêt pour le Ki-60 dans la mesure où le Ki-44 de Nakajima arrivait à maturité et présentait une alternative beaucoup plus crédible. In fine, le projet d’intercepteur lourd de Kawasaki fut abandonné au cours de l’année 1941.

L’équipe de Takeo Doi et Shin Owada poursuivit donc le développement du Ki-61, prêtant une attention particulière à la réduction du poids ainsi que de la traînée du futur chasseur. Le fruit d’une année de labeur se concrétisa lorsqu’un premier prototype sortit de l’usine Kawasaki de Kagamigahara avant d’effectuer son premier vol en décembre 1941. Ce premier avion fut suivi de onze autres prototypes et appareils de présérie utilisés afin de perfectionner le nouveau modèle. Le treizième exemplaire du Ki-61 fut produit à l’aide de la chaîne d’assemblage récemment mise en place par Kawasaki et constitua dont le premier appareil de série. La phase d’essai ne se déroula cependant pas sans difficultés, notamment à cause de pannes des moteurs Ha-40 ainsi que de problèmes hydrauliques récurrents. Ainsi, le chef des pilotes d’essai de Kawasaki fut tué lorsque son appareil explosa en plein vol pour des raisons inexpliquées alors que plusieurs autres prototypes furent perdus. Malgré ces problèmes de fiabilité, le chasseur démontra ses performances lors d’une série d’essais comparatifs menés avec plusieurs autres modèles d’appareils locaux incluant des Nakajima Ki-43 et Ki-44 mais aussi étrangers dont un des Messerschmitt Bf-109E-4 livré par l’Allemagne, un Curtiss P-40E capturé et peut-être un Lavotchkine LaGG-3 dont le pilote avait fait défection et s’était posé en Mandchourie. Le Ki-61 s’avéra plus performant que l’ensemble de ses rivaux et seul le Nakajima Ki-43 le surpassa sur le plan de la maniabilité. La supériorité du dernier-né de Kawasaki sur le Messerschmitt Bf-109E, qui disposait d’une motorisation identique, témoignait par ailleurs de l’excellence du résultat obtenu par les ingénieurs nippons. Ces performances eurent pour effet l’interruption du développement du Ki-62 de Nakajima, également motorisé avec un Ha-40, et dont le Koku Hombu avait demandé la conception par mesure de précaution afin de palier à un éventuel échec du Ki-61. Ce dernier n’eut guère à attendre pour connaître le feu, son premier combat intervenant alors que les essais étaient encore en cours. Le 18 avril1 942, le lieutenant Umekawa, aux commandes d’un prototype armé en vue de mener des essais de tir fut détourné afin d’intercepter les B-25 survolant le Japon lors du célèbre raid mené par le colonel Doolittle. Le pilote japonais parvint à s’approcher de l’un des bombardiers américains mais ne put que lâcher qu’une rafale à grande distance avant de devoir abandonner la poursuite faute de carburant.

Le Ki-61 fut officiellement adopté par le service aérien de l’armée impériale à la fin en janvier 1943 en tant que 3 Shiki Sentoki  (Chasseur de l’armée type 3), aussi connu sous le nom de Hien (hirondelle volante), et les premiers exemplaires de série furent livrés à une escadrille de conversion opérationnelle indépendante, le 23e Dokuritsu Dai Shijugo Chutai basé à Ota. La charge allaire de la première version de série du Hien restait comparativement élevée dans le contexte japonais, mais déjà bien inférieure à celle du Ki-60, avec 147.5 kg/m2. L’avion, dont la longueur était de 8.74 mètres et l’envergure de 12 mètres, était pourvu de réservoirs auto-obturant d’une contenance de 550 litres, lui permettant de parcourir une distance de 600 kilomètres en configuration normale. En outre, le pilote bénéficiait de la protection,  inhabituelle chez les Japonais, d’une plaque de blindage de 13 mm protégeant son dos. Avec une masse à vide de 2'238 kilos, l’avion, relativement lourd, pouvait piquer à des vitesses bien supérieures à celle des légers A6M2 et Ki-43 Hayabusa. Cette caractéristique était déterminante sur le plan tactique car les chasseurs alliés utilisaient systématiquement le piqué pour esquiver les attaques de leurs adversaires japonais incapables de les suivre. Le Hien avait un plafond de 11'000 mètres et pouvait monter à 5'000 mètres en 5 minutes et 31 secondes, soit 19 secondes de plus que le Ki-43-I. En revanche, sa vitesse maximale en palier atteignait 590 km/h à 6'000 mètres, près de 100 km/h de plus que le Ki-43-I. La puissance de feu de la première version de série du Hien, le Ki-61-I restait limitée, avec seulement deux canons Ho-103 installé sur le capot-moteur et alimentés par 250 coups chacun et deux mitrailleuses type 89 de 7.7 mm disposées dans les ailes et pourvues de 300 coups chacune. Il en résulta qu’une seconde version du Hien, le Ki-61-I Otsu avec une paire de Ho-103, alimentés par 250 coups chacune, installées dans les ailes en lieu et place des type 89, entra rapidement en production. Grâce à la légèreté du Ho-103, cet accroissement conséquent de la puissance de feu ne nécessita pas de lourdes modifications structurelles et les performances du Ki-61-I Otsu restèrent très proches de celles du Ki-61-I .

Un envol contrarié

Le Hien représentait donc un progrès certain comparé au Hayabusa, véritable bête de somme de la chasse de l’armée impériale. Cependant, une combinaison de facteurs allait réduire l’impact du nouveau chasseur sur le cours de la guerre aérienne dans le Pacifique.  En effet, le premier prototype du Ki-61 prit son envol plus ou moins au moment où son cousin italien, le Macchi C.202 Folgore,  entrait en service au sein de la Regia Aeronautica alors que le Messerschmitt Bf-109E avait fait son apparition au sein des Jagdgeschwader allemandes dès 1939. De ce fait, le Ki-61-I était le dernier-né de la famille des chasseurs motorisés par une variante du DB-601 avec pour conséquence que la période durant laquelle il affronterait des appareils alliés de même génération, comme le P-40, serait nécessairement réduite compte tenu des progrès aéronautiques accélérés qui marquèrent la Seconde Guerre Mondiale. En effet, en 1943, la puissance du Ho-40  était comparativement limitée et il devint rapidement indispensable d’adopter un moteur d’avion bien plus puissant pour permettre au Hien de garder son rang dans la course généralisée à la vitesse et à la puissance de feu. De fait, les évolutions ultérieures du Ki-61-I s’avèrent problématiques dans la mesure où l’adoption de canons de 20 mm afin de renforcer leur armement se traduisit par une diminution sensible de la performance. Ainsi, le Ki-61-I Heï, dont les ailes avaient été renforcées afin de permettre l’emport d’une paire de MG-151, vit son poids à vide augmenter de 392 kilos et sa vitesse maximale diminuer de 10 km/heure alors que dans le même temps, le plafond se réduisait de 1000 mètres et que le temps pour atteindre une altitude de 5'000 mètres passait à 7 minutes. Par ailleurs, le Ho-140 de 1500 chevaux développé par Kawasaki pour succéder au Ho-40, et qui équipa le Ki-61-II lui-même apparut en 1944, s’avéra encore plus délicat et peu fiable que son prédécesseur, avec des résultats désastreux pour la carrière de la seconde génération de Hien. De plus, la production des deux premières versions du Hien démarra lentement, avec seulement 34 Ki-61-I sortis de la chaîne de montage de Kagamigahara durant l’année 1942. Ceux-ci furent suivis en 1943 par 354 autres , 311 exemplaires appartenant à la version Otsu et 45 de la version Heï. A titre de comparaison, la production de Hayabusa en 1943 correspondit, avec 1'437 exemplaires toutes versions confondues, au double de celle du Hien.  

Le moteur en ligne Ha-40 (http://cyber.breton.pagesperso-orange.fr)

De plus, le Ho-40 s’avérait particulièrement complexe à produire avec pour corollaire que des défauts furent détectés sur de nombreux moteurs à la sortie de la chaîne de fabrication, et ce d’autant plus que les contrôles de qualité durent être renforcés afin de limiter le nombre d’engins défectueux arrivant au sein des unités. L’ampleur du phénomène fut suffisamment importante pour perturber l’ensemble du cycle de production du Hien avec pour résultat que des cellules étaient immobilisées dans l’usine d’assemblage dans l’attente de moteurs. In fine, l’ensemble de ces facteurs garantit que,  compte tenu de la forte attrition subie par les unités de chasse durant cette période du conflit, seule un nombre réduit de ces dernières pourraient aligner cet appareil simultanément, et que l’apparition graduelle de l’avion sur le front laisserait à l’ennemi le temps de s’y adapter. De fait, seuls les 18e, 68e, 78e et 244e sentai (régiment forts d’une quarantaine d’avions) se convertirent sur Ki-61 en 1943.

Nantô Homen

Les deux premiers régiments à être équipés de Hien furent les 68e et 78e Sentai. Ils avaient tous deux été formés en mars 1942 en Chine et en Mandchourie à partir d’un cadre fourni par les 9e, 13e et 64e sentai pour le premier et avec un noyau de personnels détachés des 24e et 33e Sentai pour le second. Ces deux unités, initialement équipées de Nakajima Ki-27, furent placées sous un commandement unique en formant le 14e Hikodan (brigade aérienne), alors qu’elles entamaient leur conversion sur Ki-43. Le 68e Sentai rallia ensuite la base d’Akeno au Japon, une des principales écoles du service aérien de l’armée, en décembre 1942 où ses pilotes entamèrent leur conversion sur Ki-61. Celle-ci se termina en Mars 1943, mois durant lequel il fut entièrement rééquipé avec le nouveau chasseur. Dans un contexte général où, à la suite de la défaite de Guadalcanal et à la menace de plus en plus pressante que faisaient peser les Alliés sur la Nouvelle-Guinée, l’armée impériale faisait feu de tout bois pour renforcer un théâtre d’opérations perçut comme essentiel, le régiment fut mobilisé pour renforcer le Nantô Homen (front du Sud-Est) immédiatement après sa conversion. L’unité embarqua à Yokosuka sur le porte-avions Taiyo de la marine impériale  à destination de la base navale de Truk où elle arriva le 10 avril 1943. Le 68e Sentai échappa de peu à l’annihilation un jour avant son arrivée à Truk lorsque le Taiyo fut touché par une torpille tirée par le sous-marin américain USS Tunny. L’engin, défectueux, n’explosa pas, et le navire japonais ne subit que des dégâts mineurs. En revanche, le régiment fut durement frappé peu après, lorsqu’une première formation de chasseurs décolla de Truk pour rallier Rabaul, le pivot de la présence japonaise dans le Sud-Ouest du Pacifique. Sur les treize avions, un seul arriva à destination, deux durent faire demi-tour et retourner à Truk, huit atterrir en catastrophe, alors que les deux derniers disparurent corps et bien. Une explication partielle de ce désastre résidait dans la présence de valves à essence défectueuses qui conduisirent plusieurs avions à la panne sèche. Après son installation à Rabaul, le 68e Sentai assura la couverture aérienne de navires de transport en transit avant de mener sa première mission offensive le 17 mai 1943, où il dépêcha 30 appareils pour escorter des bombardiers bimoteurs Ki-21 envoyés contre les positions ennemies à Wau, en Nouvelle-Guinée mais sans rencontrer de réaction de la chasse ennemie. Le 2 Juillet, une autre mission similaire contre Rendova, où des troupes américaines avaient débarqué le 30 juin, conduisit à la perte de trois avions et de leurs pilotes à la suite d’une erreur de navigation. Le 78e Sentai arriva à son tour à Akeno en avril 1943 pour s’y convertir sur le Ki-61-I. Contrairement à son prédécesseur, il rejoignit le Nantô Homen directement par la voie des airs, quittant le Japon le 16 juin avant de parcourir les 9'000 kilomètres le séparant de Rabaul en transitant par Formose et les Philippines avant d’arriver à destination le 5 juillet 1943. Le régiment ne fut pas plus épargné par les défaillances mécaniques que le 68e Sentai dans la mesure où sur les 45 avions partis du Japon, 33 arrivèrent à destination. Une dizaine de jours après avoir été à nouveau rassemblée, la 14e Hikodan fut redéployée à Wewak, directement en Nouvelle-Guinée, laissant à Rabaul  un détachement chargé d’acclimater ses nouveaux pilotes aux particularités locales avant de les engager au combat. Le climat local était non-seulement particulièrement éprouvant pour les personnels, mais aggravait encore considérablement le manque de fiabilité des Ha-40. Son dispositif de refroidissement ne parvenait en effet pas à compenser la chaleur ambiante, avec pour résultat que les moteurs surchauffaient au décollage, alors que la poussière et même la moisissure due à l’extrême humidité ambiante, contribuaient également à soumettre les mécaniques à rude épreuve. Ces déficiences étaient exacerbées par le manque de mécaniciens maîtrisant les arcanes de ce type de moteurs, la plupart d’entre eux étant familiarisés avec les moteurs en étoile équipant pratiquement tous les autres modèles d’avions de l’armée, et ce alors que les forces japonaises présentes sur ce théâtre des opérations dépendaient  d’une chaîne logistique de plus en plus ténue au fur et à mesure que les pertes infligées à la marine marchande nippone s’aggravaient, compliquant d’autant l’acheminement de pièces de rechanges. 

Rangée de Ki-61, toujours à Akeno, en septembre 1943 (www.asisbiz.com)



La première victoire en combat aérien des Hien survint le 20 juillet lorsque cinq appareils du 68e Sentai abattirent  un quadrimoteur B-24 du 320e Bomber squadron, et ce deux jours après une autre première, soit un affrontement avec des P-38 appartenant aux 39e Fighter squadron. Bien que les pilotes japonais revendiquèrent une victoire et leurs homologues américains six à cette occasion, aucun camp ne subit de pertes. En revanche, le 21 juillet, une vingtaine d’avions des 68e et 78e Sentai escortant, aux côtés de Hayabusa, des bombardiers Ki-48 du 208e Sentai, affrontèrent à nouveau des P-38 appartenant aux 39e et 80e Fighter squadrons américains. Cette rencontre se traduisit par la perte d’un Lightning et de deux Ki-61 ainsi que par celle de leurs pilotes. Le 23 juillet fut à nouveau marqué par deux affrontements contre des P-38 qui coutèrent la vie à deux pilotes de Ki-61, alors que les deux Sentai revendiquèrent cinq victoires. Trois jours plus tard, trois autres Hien furent perdus après avoir été surpris peu avant d’atterrir par des P-38 du 9e Fighter squadron. Les pilotes du 78e Sentai prirent leur revanche le 15 août lorsqu’une vingtaine d’entre eux, faisant partie de l’escorte d’une formation de bombardiers partie attaquer le terrain nouvellement construit de Tsili-Tsili, abattirent un C-47 et quatre P-39 en conjonction avec des Ki-43. Un autre raid le lendemain eut des résultats bien différents avec deux Ki-61 abattus par des P-38 et des P-47.  Pendant ce temps, la 5e Air Force américaine, bénéficiant des informations recueillies par l’interception et le décodage du trafic radio ennemi, avait suivi la montée en puissance de la 4e Kokugun à Wewak, devenu le centre de gravité de la puissance aérienne japonaise en Nouvelle-Guinée. Une attaque d’une ampleur inédite fut ainsi planifiée pour tuer dans l’œuf la tentative ennemie de reconquérir la maîtrise du ciel. Dans la nuit du 16 au 17 août 1943, douze B-17 et 36 B-24 pilonnèrent les quatre aéroports formant le complexe de Wewak, avec pour but de rendre les pistes inopérables jusqu’au matin afin d’y immobilier les avions ennemis. Cette première vague fut suivie à l’aube par 32 B-25 escortés par 85 P-38 qui s’attaquèrent aux mêmes objectifs, les bombardiers effectuant des passes de mitraillage à très basse altitude tout en larguant leurs cargaisons de bombes retardées par parachute. L’assaut pris les Japonais totalement par surprise, la DCA mettant plusieurs minutes pour ouvrir le feu et le raid américain dévasta littéralement la 4e Kokugun. Le 78e Sentai  souffrit particulièrement car 32 de ses chasseurs étaient alignés et dans l’attente de décoller pour une nouvelle mission contre  Tsili-Tsili lorsque les B-25 firent irruption. La 5e Air Force réitéra son opération le lendemain avec 26 bombardiers quadrimoteurs et 53 B-25 escortés par 74 Lightning, qui se heurtèrent cette fois à une opposition farouche de la chasse japonaise, dont une partie décolla à temps. Au cours des combats aériens qui s’ensuivirent, un des cinq Hien dépêchés par le 68e Sentai fut abattu. Les 23 chasseurs japonais appartenant à cinq Sentai différents qui participèrent à la mêlée parvinrent à abattre un B-25 et deux P-38. Les américains continuèrent ensuite de lancer des attaques d’une ampleur moindre contre Wewak jusqu’à la fin du mois d’août, moment où les pertes de la 4e Kokugun au sol et dans les airs se montèrent à 112 appareils alors la 5e Air Force ne perdit que cinq bombardiers et six chasseurs pour obtenir ce résultat, les raids du mois d’août contre Wewak marquant un tournant de la guerre aérienne en Nouvelle-Guinée. Les deux régiments équipés de Hien partagèrent le même sort que les autres unités engagées sur ce théâtre des opérations, tant et si bien qu’à la fin du mois d’août, seuls une poignée de Ki-61 restaient opérationnels à Wewak, et tous deux furent brièvement rappelés à Manille pour y être rééquipés avant de revenir en Nouvelle-Guinée.

Conclusion

Hormis lors de brèves périodes de reconstitution, les deux régiments furent constamment engagés jusqu’à leur anéantissement en avril 1944, lorsqu’à la suite d’un nouveau débarquement allié à Hollandia, leurs personnels durent abandonner leurs bases et se réfugier dans la jungle. In fine, cette brève narration de l’introduction au combat du Ki-61, précipitée car le Koku Hombu était conscient que les défauts de jeunesse d’avion n’étaient pas encore surmontés, démontre que si les avions de combat fascinent pour une multitude de raisons, ils ne sont que la composante la plus visible de l’ensemble bien plus complexe que sont les forces aériennes. Si les performances du Hien pouvaient faire la différence entre la vie et la mort pour leurs pilotes engagés au combat, d’autres facteurs sont bien plus déterminants pour expliquer l’échec relatif de l’avion. Outre les défaillances de la base industrielle chargée de sa production et son arrivée tardive, pratiquement au moment où une nouvelle génération d’avions alliés apparaissait à son tour avec des résultats dévastateurs, le Hien à la mécanique délicate souffrit d’être engagé sur un théâtre d’opérations pratiquement dépourvu d’infrastructures, dépendant intégralement d’un ravitaillement qui devait être acheminé sur des milliers de kilomètres, et ce face à un adversaire dont les capacités matérielles et organisationnelles en la matière étaient bien supérieures. Dans ce contexte, le résultat obtenu par le déploiement d’un nouveau modèle de chasseur en relativement faible quantité ne pouvait être que transitoire et limité sur le plan tactique. De fait, depuis le début de l’année 1943, l’armée impériale ne fit qu’injecter dans la région des moyens de plus en plus considérables dans le vain espoir d’inverser une situation sans issue, consumant inutilement de nombreuses troupes et une grande partie de son service aérien, qui ne se remit jamais de la saignée subie dans le Pacifique Sud.  En effet, l’attrition accélérée les unités se traduisit, en l’espace de quelques mois, par une perte de compétence liée à la disparition des pilotes chevronnés, remplacés par des recrues formées de plus en plus hâtivement au fur et à mesure que la fin de la guerre approchait.

Bibliographie
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