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jeudi 21 juillet 2016

Super Tucano ; la migration africaine d’un volatil brésilien




Empresa Brasileira de Aeronáutica S.A (Embraer) fut fondée le 19 août 1969 avec le soutien du gouvernement brésilien. Active dès ses débuts dans les segements civils aussi bien que militaires, la compagnie développa bientôt ses propres appareils, parmi lesquels figura le EMB-312 Tucano, un avion d’entraînement capable de missions d’attaque légère dont le prototype effectua son premier vol le 18 août 1980. Le projet déboucha sur un succès commercial majeur avec des centaines d’exemplaires fournis à des pays aussi divers que la France, la Grande-Bretagne ou encore le Venezuela, l’Iran et l’Irak.


L’envol d’un Toucan


A la fin des années 80, Embraer, s’appuyant sur les retours d’expérience prodigués par la force aérienne colombienne, un autre acquéreur du Tucano qui utilisait l’appareil pour des missions antiguérilla, estima qu’un marché existait pour une nouvelle version du Tucano, très modifiée et disposant d’une motorisation plus puissante et dont les capacités offensives seraient renforcées. Un prototype effectua son premier vol le 9 septembre 1991 mais il fallut encore plusieurs années pour que le projet débouche réellement. 

L'un des six Super Tucano angolais. Ils sont mis en œuvre par l' Esquadra de Reconhecimento de la Força Aérea Nacional Angolana
Enfin, le 18 août 1995, la Força Aérea Brasileira signa un contrat portant sur le développement puis l’achat de cent appareil monoplaces et biplaces devant être capables de mener des missions d’attaque légère, d’intercepter des appareils civils de petites taille et de remplacer les jets d’entraînement Xavante utilisés par la FAB pour l’entraînement avancé de ses pilotes  ainsi que les missions d’attaque. Hors, les prototypes existants n’étaient pas en mesure de répondre à ces contraintes et ce d’autant plus que le cahier de charge émis par la FAB incluait nombre de spécificités comme la présence d’un moteur de 1'600 chevaux ou encore l’emport de deux mitrailleuses d’aile de 12.7mm alimentées par 200 coups chacune. Les ingénieurs de la société brésilienne se remirent donc à l’ouvrage. La version finale de l’avion, baptisée EMB-314 Super Tucano, fit son premier vol le 2 juin 1999. La production en série débuta trois ans plus tard et les premiers appareils furent livrés à la FAB en 2004.


Le poids à vide du Super Tucano atteint 2'420 kilos et son turbopropulseur Pratt & Whitney Canada PT6A-68-3 de 1'600 chevaux lui permet d’atteindre une vitesse maximale en palier de 557 km/h alors que son autonomie est conséquente puisqu’il peut parcourir 1'568 kilomètres à une altitude de 9'144 mètres tout en conservant une réserve de vol de trente minutes. Il dispose surtout de capacités offensives beaucoup plus importantes que la génération précédente d’avions d’entraînement et d’attaque légère motorisés par un turbopropulseur, à l’image du Tucano ou des PC-7 et 9 suisses. D’une part, ses cinq pylônes, deux par aile et un ventral, peuvent emporter 1'500 kilos de charges externes, alors que d’autre part, son système d’arme peut gérer l’emploi d’armements bien plus sophistiqués que les pods-canons ou mitrailleuses, les paniers de roquettes ou les bombes lisses qui constituent l’armement de ses prédécesseurs. En effet, outre des armements essentiellement similaires tels que les pod-roquettes SBAT-70/19 ou LAU-68 A/G de 70mm, pod-canons GIAT NC621 de 20mm ou bombes lisses M117, Mk 81, Mk 82 et Mk 83, le Super Tucano peut tirer des bombes guidées laser Lizard d’origine israélienne ou Paveway d’origine américaine ainsi que des bombes GBU-38 et GBU-54 guidées par GPS. Il peut également être armé de missiles air-sol AGM-65 et air-air à guidage infrarouge MAA-1 Piranha brésiliens ou AIM-9 Sidwinder américains. En outre, l’appareil peut emporter une tourelle FLIR ainsi que divers pods de contre-mesure électronique ou de reconnaissance. Son avionique est conçue pour lui permettre d’opérer de nuit, le tableau de bord étant compatible avec l’usage de jumelles de vision nocturne. 

Un des trois Super Tucano mauritaniens, vu au Salon du Bourget 2013 (Julian Herzog via wikimedia)


La Colombie - premier client export– reçut ses premiers exemplaires en décembre 2006 et fut suivie par nombre d’autres acquéreurs, notamment sud-américains. Le Super Tucano bénéficiait en effet à son entrée en service de nombre d’avantage qui lui ont permis un tel succès. Dans un premier temps, il offre des capacités restées jusque-là largement réservées à des avions de combat autrement plus coûteux alors que le prix unitaire de l’avion brésilien se situerait autour de 10 millions de dollars américains (Note 1). Il constitue aussi une plateforme d’entraînement avancé tout-à-fait compétitive, même si moins perfectionnée dans ce rôle que le PC-21 de Pilatus. Surtout, le Super Tucano était alors le seul appareil de ce type proposé sur ce segment du marché mondial des armements puisque son rival le plus immédiat, l’AT-6 Texan II de Beechcraft -  un dérivé du Pilatus PC-9 – développé afin de répondre à un programme d’acquisition américain abandonné par la suite, ne fit son premier vol que le 10 septembre 2009. Comme il s’agissait d’un prototype, plusieurs années s’écoulèrent avant que l’AT-6 ne puisse être proposé à l’export et il n’a pas encore trouvé d’acquéreur à ce jour.


Cap sur l’Afrique


Le marché africain, du fait de ses caractéristiques, allait bientôt se révéler être porteur pour Embraer. En effet, nombre de pays d’Afrique sub-saharienne sont confrontés à une menace terroriste qui les pousse à moderniser leurs forces aériennes, le plus souvent mal équipées pour mener des opérations contre des adversaires hybrides ou non-conventionnels à l’image de Boko Haram ou d’AQMI.  Dans le même temps, si acquérir la capacité d’opérer de nuit et de mener des frappes de précisions constitue une réelle montée en puissance  capacitaire, la plupart d’entre eux ne disposent que de ressources financières très limitées, les poussant donc à se tourner vers le segment de marché où Embraer reste maître. 

Un Tucano, toujours au couleurs mauritaniennes. Les différences entre les deux générations de l'appareil brésilien y apparaissent clairement (via www.aeronavale-porteavions.com)


Au demeurant, il convient, outre le prix d’achat, de prendre en compte le fait que les coûts d’exploitation de l’avion brésilien sont modérés et que de plus, il a été spécifiquement conçu pour être capable d’opérer à partir de terrains sommaires – une perspective importante dans un contexte africain qui se caractérise par une relative rareté en termes d’infrastructures aéroportuaires. L’avionneur brésilien doit cependant faire face à la concurrence des matériels de seconde main, souvent d’origine russe, vers lesquels peuvent se tourner d’éventuels clients africains. Sur ce dernier point, et si le cas des Su-25 tchadiens ne peut être pris en compte car au moment de leur achat, N’Djamena était confrontée à l’hypothèse d’une guerre conventionnelle avec le Soudan, le cas nigérien, avec l’acquisition annoncée d’une paire de Su-25 en 2013, est en revanche beaucoup plus parlant à cet égard. 


 
Le trio de Super Tucano burkinabés avant leur livraison (via le faso.net)

Le premier client africain fut le Burkino Faso, qui reçut trois exemplaires de l’appareil durant l’année 2011. Les choses s’accélèrent en 2012 avec l’annonce par Embraer de la vente de six autres EMB-314 à l’Angola et la livraison de trois avions du même type à la Mauritanie. Ces deux derniers pays étaient déjà utilisateurs de EMB-312 Tucano, Luanda s’étant déjà directement fourni au Brésil alors que Nouakchott avait reçu quatre exemplaires de seconde main livrés par la France en 2010 et 2011. En 2013, un contrat fut signé par le Sénégal, qui se porta à son tour acquéreur de trois Super Tucano alors qu’en juin 2015, Embraer annonça la conclusion des négociations portant sur la livraison de onze EMB-314, soit six pour le Mali et cinq autres pour le Ghana, portant le total des Super Tucano vendus sur le continent à 26 exemplaires. En fin d’année, le Ghana signalait son intérêt pour porter sa commande à neuf exemplaires. De plus, de nouveaux clients se profilent à l’horizon ; le Mozambique, qui a reçu trois Tucano du Brésil à titre d’assistance militaire en 2014, souhaiterait se doter d’un nombre identique de Super Tucano, alors que le Nigéria aurait également manifesté son intérêt pour une douzaine d’appareils, destinés à remplacer sa flotte d’Alpha Jet. Il est à cet égard parlant de constater que trois de ces huit pays sont ou ont été très activement engagés dans des missions de lutte anti-insurrectionnelle et/ou contre-terroriste.


Note 1 : Le prix réel des appareils de combat est en général extrêmement difficile à connaître sur la base des informations rendues publiques. En effet, les contrats incluent généralement, outre la livraison des appareils concernés, des packages liés à l’entraînement des personnels, des prestations de maintenance ou encore la fourniture d’armements et d’équipements associés, et ce sans parler de mécanismes parfois plus obscures comme d’éventuelles rétro-commissions. A titre d’exemple, la valeur du contrat portant sur la livraison de cinq Super Tucano au Ghana est de 88 millions de dollars américains.


Références


Santiago Rivas, Super Tucano A Brazilian Success Story », in Combat Aircraft Volume 17, Number 2, Février 2016


Site du Centre historique d’Embraer, en ligne, consulté le 21 juillet 2016

Brazilian firm to supply aircraft for training of pilots, graphic.com.gh, 20 juin 2015

Laurent Touchard, Le Niger déploie ses premiers avions à réactions, deux Sukhoy Su-25, 01 mai 2013, via le site du magazine Jeune Afrique, consulté le 21 juillet 2016

Morgan Winsor, Ghana’s Air Force to Expand Super Tucano A-29 Planes Acquisition Amid Negotiations  With Brazil’s Embraer Defense, 12 novembre 2015, via le site ibtimes, consulté le 21 juillet 2016

Jeremy Binnie, Nigeria waiting for US to approve Super Tucano sale, 7 juin 2016, IHS Jane’s Defence Weekly, 7 juin 2016, consulté le 21 juillet 2016

SIPRI Arms Transfers Database, récapitulatif des exportations brésiliennes extrait le 21 juillet 2016

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