Pierre
Streit, historien suisse, dont plusieurs ouvrages ont déjà fait l’objet d’une
recension sur ce blog ici et ici avait publié chez Infolio en 2006 une Histoire militaire suisse. Ce petit
volume de 128 pages proposait une initiation à l’histoire militaire helvétique.
Cet opus avait l’immense avantage de proposer au profane de se familiariser
avec un sujet méconnu, y compris et surtout en Suisse même. Une nouvelle
version de l’ouvrage, Histoire militaire
suisse, des origines à nos jours, vient de sortir dans la collection
microméga des éditions Infolio.
Avec 260
pages, cette nouvelle mouture est très enrichie et permet une présentation
considérablement plus détaillée du sujet. La préface de l’ouvrage est signée
par le colonel EMG Christian Bühlmann, qui rappelle la nécessité d’étudier
l’histoire miliaire et est suivie par une introduction de l’auteur. Dans cette
dernière, Pierre Streit revient sur l’évolution de cette branche de l’histoire,
passée de la simple « histoire-bataille », très souvent porteuse
d’une connotation patriotique, à une pratique beaucoup plus inclusive et
pluridisciplinaire. L’auteur présente aussi l’ambition de son ouvrage, qui
consiste à mettre en évidence les ruptures, les paradoxes et aussi les
continuités d’une histoire quasi-millénaire et ce dans un cadre défini par
trois concepts structurants essentiels et spécifiques ; la géographie, la
neutralité et la milice.
Ces
éléments sont détaillés dans les trois premiers chapitres du livre. L’ouvrage
adopte ensuite une approche chronologique, chaque chapitre correspondant à une
date ou à une période-clé de l’histoire du pays, commençant par le chapitre IV qui
prend pour point de départ le Neandertal et se termine avec les chapitres XI,
XII et XIII, qui couvrent l’après-guerre froide. L’ensemble des événements
considérés comme déterminants dans l’histoire militaire du pays comme le pacte
de 1291 et la bataille de Marignan sont présentés, et surtout, contextualisés.
En effet, l’objet du livre ne consiste pas à décrire de manière exhaustive les épisodes
en question mais à les situer dans le temps long et d’explorer les dynamiques
sous-jacentes à ceux-ci.
Néanmoins,
et il s’agit l’un des point forts du livre, l’auteur consacre un espace
important à des sujets et des événements restés à l’ombre du récit historique
national. Les écoliers suisses ont durant des générations appris les noms de
Sempach, Morat ou Marignan, mais qui se souvient des guerres de
Villmergen ?
Présentant
le système de milice et ses évolutions à travers le temps, Pierre Streit n’en
cache pas les faiblesses. Il décrit ainsi la longue sclérose rendue quasiment
inévitable par les structures politiques en place au regard des évolutions de
l’art de la guerre intervenant en Europe et qui conduisirent tout droit à
l’écrasante défaite bernoise de 1798. Dans le même temps, une autre structure
essentielle, aujourd’hui disparue, le service étranger, est présentée dans ses
aspects militaires, mais aussi politico-économiques et diplomatiques.
La lente
transformation durant le 19e siècle d’une collection disparate d’armées
(milices) cantonales en une armée fédérale – un thème généralement peu abordé –
est elle aussi décrite, soulignant à quel point la constitution d’une armée
fédérale s’est faite de manière parallèle à celle de l’état fédéral lui-même,
avant que le rôle et les évolutions de l’armée durant les Première et Seconde
Guerres mondiales ainsi que la Guerre froide ne soient présentés à leur tour.
On appréciera tout particulièrement la place importante – trois chapitres – consacrée à l’histoire immédiate, soit les adaptations vécues par l’armée à la suite la chute du mur de Berlin. Ce changement de paradigme suscita en effet de très vifs et récurrents débats politiques et ceux-ci sont présentés avec les résultats des diverses votations populaires qui en ont résulté.
Enfin,
dans sa conclusion, Pierre Streit interroge le concept d’une « culture militaire
suisse » et rappelle les questions levées par l’adaptation d’un système de
milice face à la RMA (Révolution dans les Affaires Militaires) de la fin des
années 90 ou encore la guerre cybernétique et ce dans un contexte de disette
budgétaire structurelle. Il propose aussi des orientations bibliographiques et
dresse un état des lieux de l’historiographie militaire suisse, soulignant
qu’une véritable histoire politique de l’armée manque. Au regard des évolutions
dans la pratique historienne mentionnés dans son introduction, l’auteur plaide
pour l’existence de ce qui pourrait être une Nouvelle histoire des Suisse et de leurs armées.
In fine, nous ne pouvons que conseiller fortement la
lecture de l’ouvrage, et ce à plusieurs titres. En premier lieu, il constitue
un excellent moyen de s’initier à l’histoire suisse sous l’angle de sa
composante militaire. Dans un second temps, il place dans une perspective
globale, et souvent nouvelle, des événements connus tout comme d’autres qui le
sont beaucoup moins et enfin, le style d’écriture de l’auteur, très claire,
rend la lecture du tout facile – ce qui relève souvent de l’exploit tant
l’histoire des structures politiques – et partant – militaires, suisses ont
longtemps été complexes.
Enfin,
soulignons que les débats politiques nationaux ayant trait à la chose militaire
étant somme toute fréquents, et que chaque citoyen étant appelé régulièrement à
se prononcer sur le sujet, l’existence d’un tel ouvrage, à la fois pointu et
facile d’accès, est précieuse. En effet, il permet à tous de se forger un avis
sur une thématique actuelle tout en bénéficiant d’un éclairage historique sur
le temps long alors que dans le même
temps, tout débat prospectif ne pout que bénéficier d’un éclairage fourni par
l’histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire