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dimanche 11 décembre 2016

Tchad ; les tribulations d’une force aérienne


   


Après son indépendance le 11 août 1960, ce fut vers la France que se tourna la jeune et fragile république tchadienne afin de l’aider à constituer ses forces armées. Paris accepta de fournir une assistance matérielle ainsi que des instructeurs et un encadrement qui s’avérèrent vitaux lors de la mise en place d’une armée nationale, d’une gendarmerie, ainsi que d’une garde nationale relevant du ministère de l’intérieure.  La jeune armée nationale tchadienne fut rapidement dotée d’une composante aérienne, baptisée Escadrille Nationale Tchadienne (ENT). En 1969, celle-ci avait déjà reçu cinq C-47 de transport et trois Max Holste MH.1521 Broussard de liaison, ainsi qu’au moins une Alouette II. L’ENT était alors totalement dépendante du cadre de conseillers français puisqu’elle ne disposait que d’un unique piloté qualifié d’origine tchadienne.

Adrien Fontanellaz 

Cette article accompagne et complète le billet paru sur War is Boring le 21 Novembre 2016


L’histoire particulièrement tourmentée du pays, malmené par une succession de conflits internes puis par l’intervention directe du voisin libyen, qui induisirent en retour une présence militaire française presque continue de la fin des années 60 à nos jours, ne manqua pas d’avoir des effets majeurs sur le développement des forces armées nationales.  Ainsi, l’ENT connut une période de croissance majeure durant les années 70, décennie où elle reçut, outre plusieurs Cessna-Reims FTB.337, une paire d’hélicoptères Gazelle, et six AD-4N Skyraider. Le transport ne fut également pas négligé avec l’arrivée de treize C-47 et C-54. Le moteur de cette montée en puissance ne reposait cependant pas sur des facteurs endogènes puisque le Tchad était incapable de la financer ni de mobiliser les ressources humaines adéquates, et ce d’autant plus que l’escadrille était constamment engagée dans des opérations de guerre et subissait une forte attrition, induite par l’association entre les tirs ennemis et des conditions d’emploi particulièrement exigeantes pour les cellules et les moteurs. De fait, la totalité de ces matériels furent livrés à titre gracieux par la France, qui mit également à disposition les équipages et les techniciens nécessaires. Par exemples, seul deux pilotes tchadiens étaient qualifiés sur AD-4N, qui représentaient pourtant l’essentiel de la puissance de feu de l’ENT.  Aussi, lorsque le gros des troupes et des instructeurs français quittèrent le pays en  1979, l’ENT, rebaptisée Armée de l’air tchadienne (AdAT), tomba rapidement en déshérence faute de pouvoir entretenir et mettre en œuvre son parc d’aéronefs, bientôt laissé en grande partie à l’abandon, et ce malgré l’arrivée de cinq hélicoptères Puma en 1980.


Douglas C-47 "Dakota" tchadien (Coll. Demange via aviateurs.e-monsite.com)

En 1982, l’arrivée au pouvoir de Hissen Habré redonna une relative stabilité au pouvoir central, au prix cependant d’un règne de terreur qui perdura jusqu’en 1990, année durant laquelle il fut à son tour renversé par Idriss Deby, l’actuel dirigeant du pays. Durant cette période, l’aide française reprit avec la livraison d’un C-130A et de un à deux C-212 afin de renforcer les capacités de transport de l’AdAT. En outre, Paris fournit une paire dr Pilatus PC-7 en 1985 et un unique Rallye 235 l’année suivante, redonnant ainsi aux Tchadiens une capacité de frappe aérienne limitée. L’engagement des Etats-Unis en faveur du Tchad découlant de la volonté de Washington de s’opposer à l’expansionnisme de la Lybie du colonel Kadhafi se traduisit par la livraison de trois autres C-130A en 1983, 1984 et 1988 et de deux C-130H en 1989, portant à six le nombre de Hercules reçus par l’AdAT durant la décennie. La capture par les forces tchadiennes de la base libyenne d’Ouadi Doum en mars 1987 déboucha sur la prise d’un gigantesque butin, incluant des L-39ZO, des hélicoptères Mi-25 et des SF.260W. Cependant, seuls quatre SF.260W rejoignirent la petite flotte tchadienne, les onze L-39 étant revendus sur le marché privé américain et les Mi-25 livrés aux forces américaines et françaises. Sur le plan structurel, et dès 1982, l’AdAT comprenait  une aviation de combat, une aviation de transport, des services spécialisés et des unités de fusiliers de l’air, chargés de la protection des bases aériennes. 


Un rustique An-26 tchadien en 2009 (Chris Lofting via wikicommons)


Si les années 80 furent comparativement fastes, les défaites militaires libyennes puis  le rétablissement de relations plus cordiales avec le régime du colonel Kadhafi qui suivit l’arrivée au pouvoir d’Idriss Deby, chaque parti s’abstenant notamment de soutenir les opposants de l’autre, entrainèrent une diminution drastique de l’aide militaire prodiguée au Tchad, qui dévasté par des années de guerre, restait structurellement incapable de financer un tel volume de force. Aussi, les années 90 furent une période de relatif déclin pour les forces aériennes locales et la majeure partie du parc fut perdue lors d’accident ou plus simplement laissée à l’abandon alors que les acquisitions de nouveaux aéronefs se limitèrent à une paire d’Alouette III ex-hollandaises en 1995 ainsi que deux Mi-24D et un Mil-17 à la fin de la décennie, tandis que l’amélioration des relations avec la Lybie se traduisait par le don de deux An-26 de transport. En outre, un L-100-30, version civile du C-130, a probablement été livré durant cette période.


Faire feu de tout bois


N’Djamena acquit deux Mi-24V et deux Mi-17 en Ukraine en 2000 et 2001. L’attrition continuait à être très élevée et les nouveaux achats ne faisaient que globalement compenser – au mieux – les pertes.  Ainsi, après quinze ans de disette financière, et sur les sept Hercules reçus, le pays ne disposait plus que d’un unique L-100-30, au demeurant rarement opérationnel, à la fin de l’année 2006, le second Hercules survivant en début d’année s’étant écrasé en juin à Abéché, forçant les FANT à faire appel à des compagnies de fret privées.  Pourtant, les années 2005-2006 allaient marquer un véritable tournant dans l’histoire des ailes tchadiennes.


Mil Mi-24 Hind tchadien (©Idriss Fall via aviationsmilitaires.net )




Celui-ci allait être causé par l’association de trois facteurs distincts. Le premier, d’ordre financier, découlait de la mise en exploitation, à partir de 2003, de champs pétrolifères sur le territoire national. L’or noir augmenta considérablement les revenus de l’état, qui commença à toucher ses premières royalties dès l’année suivante ; entre 2004 et 2007, ce dernier aurait ainsi touché environ deux milliards de dollars américains. Le second facteur fut l’irruption d’un conflit de grande ampleur dans le Darfour soudanais qui favorisa l’émergence d’une opposition armée bien plus dangereuse pour le régime d’Idriss Deby que ne le furent les quelques mouvements actifs durant la décennie précédente. Enfin, troisième facteur, l’avantage majeur induit par la possession d’une force aérienne était fort bien comprise au sommet de l’Etat, puisque le président tchadien avait lui-même débuté sa carrière militaire comme pilote au sein de l’ENT.


Cependant, la nécessité d’une rapide montée en puissance de la petite AdAT était  rendue difficile par le manque de personnels locaux, les quatre hélicoptères livrés cinq ans plus tôt, auxquels s’ajoutèrent deux Mil-17 en 2006, étant par exemple opérés largement à l’aide de personnels ukrainiens, y compris dans les missions de combat. En 2005, un conseiller proche de la présidence tchadienne entra en contact avec Habib Boukharouba,  dirigeant et fondateur de la société Griffon Aerospace. Ce dernier avait occupé une position de vendeur  au sein de la société suisse Pilatus à l’issue de sa carrière au sein de l’armée de l’air française, puis s’était mis à son compte en fondant sa propre entreprise. S’associant avec la société Aerosud, fondée par Henri de Waubert de Genlis, un autre ancien de l’armée de l’air, Habib Boukharouba signa avec les Tchadiens un contrat de 12 millions d’Euros portant sur l’acquisition d’un Pilatus PC-7 de seconde main aux Etats-Unis ainsi que la remise en état de l’unique PC-7 dont disposait encore l’AdAT. L’éventail de prestations fournies par Griffon Aerospace à son client tchadien s’élargit rapidement, puisque la société recruta pour le compte de ce dernier une cinquantaine de pilotes et techniciens, dont nombre d’algériens et mexicains. En outre, la société se chargea d’adapter des bombes d’origine occidentale Mk.81 et Mk.82 produites au Pakistan sur les hélicoptères d’origine russe alignés par les Tchadiens. Le parc de l’AdAT s’accrut encore avec la livraison d’un PC-9 acheté directement en Suisse ainsi que celle de deux SF.260W offerts par la Lybie en 2006, alors que l’Ukraine livra à son tour deux Mi-24V en 2007 puis deux autres en 2008. 


L'image à l'origine d'un scandale en Suisse; l'unique PC-9 armés de bombes Mk.82 (via via grat.over-blog.com)


Cette petite armada fut rapidement engagée au combat et mena nombre de missions contre des camps insurgés dans le Darfour. Elle appuya également la reprise de la ville d’Abéché par l’armée tchadienne le 26 novembre 2006 après que des combattants de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) y aient fait irruption le jour précédent. Les opérations se poursuivirent les années suivantes, l’aviation tchadienne bombardant à nouveau des camps insurgés en territoire soudanais le 7 janvier 2008 en combinant des frappes menées par des Pilatus et des Mi-24 et 17. Moins d’un mois plus tard, environ 2'000 combattants de l’UFDD investirent la capitale tchadienne après une avance-éclair de plus de 1'000 kilomètres depuis leurs bases soudanaises. Le 2 février, alors que les insurgés tentaient de prendre le palais présidentiel âprement défendu par les prétoriens du régime appuyés par des T-55, les Mi-24 de l'AdAT prenaient en enfilade les pick-up ennemis le long des artères de la ville au canon et à la roquette. Ayant tout misé sur la réussite rapide de leur coup de main, les forces de l’UFDD durent retraiter dans les jours suivants. La force aérienne subit également des pertes durant ces années de crise, avec notamment la perte d’un SF.260W abattu par les insurgés le 26 novembre 2006 ainsi que celle d’un Mi-24V également abattu au début de 2008.


Changement de paradigme


S’ils avaient fait preuve de leur utilité, les avions d’entraînement de la classe des SF.260W ou des Pilatus PC-7 et 9 n’emportent qu’une quantité limitée d’armements. Dans le même temps, l’hostilité croissante entre Karthoum et N’Djamena – chacun appuyant l’opposition armée de l’autre – risquait de tourner à la guerre ouverte. Aussi, l’AdAT reçut entre 2008 et 2010 quatre Su-25 et deux Su-25UB fournis par l’Ukraine, augmentant ainsi massivement sa puissance de feu. Durant ces trois années, les Tchadiens acquirent également six hélicoptères AS-350 Fennec singapouriens. En 2009, ces moyens étaient répartis entre une escadrille de chasse, une escadrille de liaison, une escadrille de transport et une escadrille d’hélicoptères. En outre, l’AdAT inclut un Groupement aérien de transport des personnalités et un Groupement de sécurité et de protection chapeautant trois régiments des Fusiliers commandos de l’air, composés de quatre bataillons chacun.


Changement de paradigme;  un des Su-25, vu  le 4 décembre 2009 sur l'aéroport de N'Djamena,  (via wikicommons)


Dans le même temps, des efforts continuèrent à être consentis afin de réduire la très forte dépendance de la force aérienne à l’égard de ses mercenaires et conseillers techniques étrangers. Ainsi, des élèves tchadiens ont été envoyés en Ethiopie pour y être formés par le Multi-National Aviation Training Center d’Addis-Abeba, non sans que ceux-ci n’aient risqué d’être expulsés du centre en février 2009 du fait d’un retard de paiement de leur écolage par l’Etat tchadien. En octobre 2010, une dizaine d’autres cadets tchadiens furent également envoyés à Dax, en France, afin d’y recevoir une formation de pilotes d’hélicoptères auprès de la société Helidax, qui instruit également les élèves français et belges. L’AdAT continua par ailleurs à procéder à de nouvelles acquisitions, avec quatre Su-25 livrés par l’Ukraine en 2013, et avec l’achat de deux C-27J Spartan en 2014. Celui-ci fit suite à un projet avorté formulé à la fin de l’année 2006 visant à commander trois C-130J et un C-130H auprès des Etats-Unis. Si opter pour une paire de C-27J constitue de facto une révision très à la baisse des ambitions exprimées quelques années plus tôt, l’achat des deux avion-cargo révèle l’importance attachée par l’AdAT au transport puisque leur coût cumulé est de 106 millions de dollars américains et qu’il s’agit de l’un des très rares cas où elle s’équipe d’appareils neufs et non pas de seconde-main. 

Un des MiG-29 achetés par le Tchad à l'Ukraine, avant sa livraison en 2014 (Oleg Volkov via wikicommons)

Enfin, last but not least, un nouveau cap fut franchi en 2014 avec la livraison par l’Ukraine d’un trio de MiG-29, donnant pour la première fois au pays une capacité d’interception autonome. L’acquisition de chasseurs de cette catégorie peut surprendre  - même si ils peuvent emporter des armements air-sol, ils sont bien moins performants dans ce rôle que les Su-25 – et s’explique probablement par une volonté de pouvoir protéger de manière autonome, soit sans dépendre du contingent de l’Armée de l’air française présent dans le pays, la base d’Abéché qui se trouve à portée de frappe de l’aviation soudanaise. Même si l’achat d’une dizaine du Su-25 et de quelques MiG-29 en quelques années ne constitue guère un événement majeur à l’aune du marché global des armements, il n’en reste pas moins que l’AdAT s’est ainsi dotée de capacités comparables à celle du Nigéria et supérieures à celles du Cameroun – tous deux pourtant nettement plus riches.


Un des Su-25 en vol en  décembre 2009 (Frogfoot via wikicommons)


Dans le même temps, ses moyens restent considérablement inférieurs à ceux de la Sudanese Air Force, dont l’ordre de bataille inclut l’équivalent de deux escadrilles de MiG-29 disposant d’un système d’arme et de missiles air-air plus évolués, d’une escadrille de Su-25 ainsi qu’un nombre indéterminé de Q-5 et de MiG-23MS. Pourtant, il est peu probable que cet adversaire potentiel puisse réunir l’ensemble de ses moyens sur sa base darfourienne d’El Fasher, seul moyen pour elle de mettre ses appareils de combat à portée d’Abéché dans l’hypothèse d’un conflit frontalier opposant les deux pays. L’AdAT ne fut pas engagée au combat durant l’opération Serval malgré un fort investissement tchadien au côté des forces françaises, sous la forme d’un régiment et de deux bataillons, pour un total de 2'000 hommes, mais elle mena nombre de frappes à partir du début de l’année 2015 contre les forces de Boko Haram afin d’appuyer le contingent terrestre tchadien opérant contre le groupe djihadiste aux confins du Nigeria et du Cameroun. 







Outre la consultation de sources de références comme le SIPRI ou d’articles divers en lien avec l’actualité tchadienne, cet article est basé sur les ouvrages suivants ;




Tom Cooper, Albert Grandolini et Arnaud Delalande, Lybian Air Wars volume 1 & 2, Helion & Company, 2015 & 2016




Tom Cooper et Peter Weinert, avec Fabian Hinz et Mark Lepko, African MiGs Vol. 1 & 2, Harpia Publishing, 2011

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