Grégoire Chambaz & Adrien Fontanellaz
Le renouvellement des flottes de combat des forces aériennes occidentales attire invariablement l’attention du public. Cette thématique fait le plus souvent l’objet de nombre de commentaires et d’articles, notamment dans la presse spécialisée sur les questions de défense, mais aussi dans les médias plus généralistes, entre autres du fait des coûts généralement gigantesques associés à de tels programmes. Pourtant, il est rarissime que le processus acquisition d’avions de combat, pourtant politique par essence, soit soumis à une votation populaire.
Le renouvellement des flottes de combat des forces aériennes occidentales attire invariablement l’attention du public. Cette thématique fait le plus souvent l’objet de nombre de commentaires et d’articles, notamment dans la presse spécialisée sur les questions de défense, mais aussi dans les médias plus généralistes, entre autres du fait des coûts généralement gigantesques associés à de tels programmes. Pourtant, il est rarissime que le processus acquisition d’avions de combat, pourtant politique par essence, soit soumis à une votation populaire.
Le système de démocratie directe helvétique permet
précisémment ce genre de débats tranchés par l’ensemble des citoyens. Le 18 mai
2014, celui-ci rejetait avec une courte majorité (53.4 %) l’achat par les
forces aériennes suisses de 22 Gripen E, destinés à permettre le remplacement
des F-5E Tiger II arrivés à bout de souffle, et qui n’avaient pas fait l’objet
d’une modernisation.
Ce vote était le point culminant d’une campagne de
plusieurs mois durant lequels les partisans de l’achat de l’avion, donnés
largement gagnant au début de cette dernière, perdirent progressivement la
bataille des idées face aux opposants. Ceux-ci surent mettre adroitement à
profit tant les errements communicationnels de leurs adversaires que les aléas
de l’actualité. Ce fut dans tous les cas une époque particulière pour les
amateurs d’aviation militaire puisque les comparaisons entre Rafale, Gripen et
Typhoon faisaient alors partie des sujets de conversation usuels dans tout le
pays.
Des militaires avaient en effet publiquement fait
savoir leur préférence pour le Rafale, avant que le processus de sélection du
nouvel avion n’aboutisse au rejet du chasseur français ainsi qu’à celui du
Typhoon. Dans le même temps, ce vote fut une surprise considérable puisque le
plus souvent, les votes portant sur l’armée reflètent peu ou prou le rapport de
force entre le camp de la gauche (Principalement le PS et les Verts) et celui
de la droite (dominée par le PDC, le PLR et la nationale-conservatrice UDC), un
tiers de l’électorat votant pour le premier et les deux tiers restants pour le
second.
La
bataille du Gripen,
Frédéric Gonseth, 98 minutes, 2017. Actuellement en salles.
En 2014, en pleine campagne sur le Gripen, le
réalisateur Frédéric Gonseth suit pendant neuf mois les partisans pour et
contre le Gripen. A travers une narration tendant à l'équilibre, celui-ci
dresse le récit près de trois plus tard d'une campagne pleine de
rebondissements, débouchant sur le refus par le souverain de l'acquisition du
Gripen.
Pour le réalisateur, le documentaire cherche à
montrer comme comment la démocratie suisse est "un mécanisme de haute
précision". En outre, le film illustre la problématique du référendum,
notamment ses limites quand la technicité de la question est supposée dépasser
l'expertise des citoyens.
Un film visant avant tout à
raconter la campagne
Financé par la RTS, l'office fédéral de la culture,
le canton de Vaud et la Loterie Romande, Frédéric Gonseth réalise un film
suisse à plus d'un égard : tourné autant au Tessin, en Suisse alémanique, qu'en
Romandie, il fait participer divers personnages, qu'ils soient politiciens
professionnels, activistes, ou citoyens ordinaires, tous rassemblés par la
question : « doit-on ou ne doit-on pas acheter le Gripen ? »
Mis à part l'illustration des principes de la
démocratie directe suisse, le réalisateur montre comment le débat autour du
Gripen a évolué. Passant de la question de la police aérienne, celui-ci migre à
celui de la souveraineté aérienne, en prenant un détour sur des questions
techniques, sur fond de cristallisation du débat autour de la personnalité du
Conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du DDPS (Département fédéral de la Défense
et des Sports, équivalent du Ministère de la défense) fin tacticien mais
mauvais stratège politique.
On peut regretter que le réalisateur s'arrête à la
narration des événements sans essayer d'établir quels étaient les besoins en
termes de politique de sécurité. De même que la pertinence du Gripen comme
compromis, ainsi qu'une histoire comparative des commandes avions de combat par
le passé basées sur des versions encore inexistantes, à l'instar de ce qui se
serait produit sur le Gripen et qui a constitué un des arguments des opposants.
Les raisons de l'échec du
Gripen
Si le GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée)
lance la récolte de signatures pour le référendum, ses alliés de gauche et de
droite parviennent très tôt à un compromis avec le groupe pacifiste : celui-ci
restera en retrait dans la gestion de médiatique de la campagne, tout en
participant activement aux actions militantes. Cette alliance va permettre de
sortir la campagne d'une perspective « contre l'armée », qui aurait pu
fortement nuire au camp du non, après l'écrasante victoire de la votation en
faveur de l'obligation de servir huit mois auparavant.
Le chef de département, Ueli Maurer, effectue une
série de performances politiques qui tournent généralement en sa défaveur.
Cherchant ses appuis avant tout chez son parti plus qu'au sein du gouvernement,
ses tactiques antagonisent une partie de la population, en particulier les
femmes. Il faut en effet rappeler que si son parti, l’UDC, représente à elle
seule environ le tiers de l’électorat, certains de ses positionnements
politiques tendent à fragiliser ses alliances avec les autres partis de droite,
sans même parler d’un antagonisme structurel avec les formations de gauche.
De plus, la décision du département de la défense
d'interdire aux pilotes de s'exprimer, par crainte de dissidence, vient
assombrir le tableau par la censure.
Ensuite, « la semaine noire » vient polariser la
votation de manière irréversible, ne permettant pas aux partisans du oui de
renverser la balance. IL y a tout d'abord la votation du 9 février,
particulièrement clivante puisque elle about au rejet de la libre-circulation à
la suite d’un référendum initié par l’UDC. Selon Christophe Keckeis, ancien
chef de l'armée, une partie du corps électoral qui aurait soutenu l’achat du
Gripen va voter contre dans le seul but de « punir » l’UDC. Puis, le
11 février, la révélation de l'implication des suédois dans la campagne, qui
provoque un outrage national. Et enfin, le détournement d'un avion sur
l'aéroport de Genève le 17 février va clouer au sol l'argument de la police
aérienne, la force aérienne étant désormais moquée comme une institution
travaillant uniquement durant les « heures de bureau ».
Enfin, pour le brigadier Denis Froidevaux, alors
président de la Société suisse des officiers, la défaite est d'abord le
résultat des mauvaises performances du camp du oui, avant la victoire du camp
adverse. Pour lui, le camp du oui fait face à un manque de sens, avec « trop
peu d'arguments et trop tard ». Enfin, la question du sens renvoie à
l'incapacité du gouvernement à définir et surtout, communiquer une politique de
sécurité complète pour la Suisse.
In fine, visionner La bataille du Gripen est
fortement recommandé – malgré l’absence déjà évoquée d’une contextualisation
quant aux enjeux de défence à l’origine de l’aquisition de l’avion - puisque ce
documentaire offre au spectateur la possibilité de s’initier aux mécanismes de
la démocratie hélevètique et de découvrir les raisons à l’origine de l’échec de
l’avion de combat suédois en Suisse.
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