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lundi 3 avril 2017

Cinéma II: la bataille du Gripen


Grégoire Chambaz & Adrien Fontanellaz

 
Le renouvellement des flottes de combat des forces aériennes occidentales attire invariablement l’attention du public. Cette thématique fait le plus souvent l’objet de nombre de commentaires et d’articles, notamment dans la presse spécialisée sur les questions de défense, mais aussi dans les médias plus généralistes, entre autres du fait des coûts généralement gigantesques associés à de tels programmes. Pourtant, il est rarissime que le processus acquisition d’avions de combat, pourtant politique par essence, soit soumis à une votation populaire.

Le système de démocratie directe helvétique permet précisémment ce genre de débats tranchés par l’ensemble des citoyens. Le 18 mai 2014, celui-ci rejetait avec une courte majorité (53.4 %) l’achat par les forces aériennes suisses de 22 Gripen E, destinés à permettre le remplacement des F-5E Tiger II arrivés à bout de souffle, et qui n’avaient pas fait l’objet d’une modernisation.

Ce vote était le point culminant d’une campagne de plusieurs mois durant lequels les partisans de l’achat de l’avion, donnés largement gagnant au début de cette dernière, perdirent progressivement la bataille des idées face aux opposants. Ceux-ci surent mettre adroitement à profit tant les errements communicationnels de leurs adversaires que les aléas de l’actualité. Ce fut dans tous les cas une époque particulière pour les amateurs d’aviation militaire puisque les comparaisons entre Rafale, Gripen et Typhoon faisaient alors partie des sujets de conversation usuels dans tout le pays.

Des militaires avaient en effet publiquement fait savoir leur préférence pour le Rafale, avant que le processus de sélection du nouvel avion n’aboutisse au rejet du chasseur français ainsi qu’à celui du Typhoon. Dans le même temps, ce vote fut une surprise considérable puisque le plus souvent, les votes portant sur l’armée reflètent peu ou prou le rapport de force entre le camp de la gauche (Principalement le PS et les Verts) et celui de la droite (dominée par le PDC, le PLR et la nationale-conservatrice UDC), un tiers de l’électorat votant pour le premier et les deux tiers restants pour le second. 


 


La bataille du Gripen, Frédéric Gonseth, 98 minutes, 2017. Actuellement en salles.










En 2014, en pleine campagne sur le Gripen, le réalisateur Frédéric Gonseth suit pendant neuf mois les partisans pour et contre le Gripen. A travers une narration tendant à l'équilibre, celui-ci dresse le récit près de trois plus tard d'une campagne pleine de rebondissements, débouchant sur le refus par le souverain de l'acquisition du Gripen.

Pour le réalisateur, le documentaire cherche à montrer comme comment la démocratie suisse est "un mécanisme de haute précision". En outre, le film illustre la problématique du référendum, notamment ses limites quand la technicité de la question est supposée dépasser l'expertise des citoyens.

Un film visant avant tout à raconter la campagne

Financé par la RTS, l'office fédéral de la culture, le canton de Vaud et la Loterie Romande, Frédéric Gonseth réalise un film suisse à plus d'un égard : tourné autant au Tessin, en Suisse alémanique, qu'en Romandie, il fait participer divers personnages, qu'ils soient politiciens professionnels, activistes, ou citoyens ordinaires, tous rassemblés par la question : « doit-on ou ne doit-on pas acheter le Gripen ? »

Mis à part l'illustration des principes de la démocratie directe suisse, le réalisateur montre comment le débat autour du Gripen a évolué. Passant de la question de la police aérienne, celui-ci migre à celui de la souveraineté aérienne, en prenant un détour sur des questions techniques, sur fond de cristallisation du débat autour de la personnalité du Conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du DDPS (Département fédéral de la Défense et des Sports, équivalent du Ministère de la défense) fin tacticien mais mauvais stratège politique.

On peut regretter que le réalisateur s'arrête à la narration des événements sans essayer d'établir quels étaient les besoins en termes de politique de sécurité. De même que la pertinence du Gripen comme compromis, ainsi qu'une histoire comparative des commandes avions de combat par le passé basées sur des versions encore inexistantes, à l'instar de ce qui se serait produit sur le Gripen et qui a constitué un des arguments des opposants.

Les raisons de l'échec du Gripen

Si le GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée) lance la récolte de signatures pour le référendum, ses alliés de gauche et de droite parviennent très tôt à un compromis avec le groupe pacifiste : celui-ci restera en retrait dans la gestion de médiatique de la campagne, tout en participant activement aux actions militantes. Cette alliance va permettre de sortir la campagne d'une perspective « contre l'armée », qui aurait pu fortement nuire au camp du non, après l'écrasante victoire de la votation en faveur de l'obligation de servir huit mois auparavant.

Le chef de département, Ueli Maurer, effectue une série de performances politiques qui tournent généralement en sa défaveur. Cherchant ses appuis avant tout chez son parti plus qu'au sein du gouvernement, ses tactiques antagonisent une partie de la population, en particulier les femmes. Il faut en effet rappeler que si son parti, l’UDC, représente à elle seule environ le tiers de l’électorat, certains de ses positionnements politiques tendent à fragiliser ses alliances avec les autres partis de droite, sans même parler d’un antagonisme structurel avec les formations de gauche.

De plus, la décision du département de la défense d'interdire aux pilotes de s'exprimer, par crainte de dissidence, vient assombrir le tableau par la censure.

Ensuite, « la semaine noire » vient polariser la votation de manière irréversible, ne permettant pas aux partisans du oui de renverser la balance. IL y a tout d'abord la votation du 9 février, particulièrement clivante puisque elle about au rejet de la libre-circulation à la suite d’un référendum initié par l’UDC. Selon Christophe Keckeis, ancien chef de l'armée, une partie du corps électoral qui aurait soutenu l’achat du Gripen va voter contre dans le seul but de « punir » l’UDC. Puis, le 11 février, la révélation de l'implication des suédois dans la campagne, qui provoque un outrage national. Et enfin, le détournement d'un avion sur l'aéroport de Genève le 17 février va clouer au sol l'argument de la police aérienne, la force aérienne étant désormais moquée comme une institution travaillant uniquement durant les « heures de bureau ».

Enfin, pour le brigadier Denis Froidevaux, alors président de la Société suisse des officiers, la défaite est d'abord le résultat des mauvaises performances du camp du oui, avant la victoire du camp adverse. Pour lui, le camp du oui fait face à un manque de sens, avec « trop peu d'arguments et trop tard ». Enfin, la question du sens renvoie à l'incapacité du gouvernement à définir et surtout, communiquer une politique de sécurité complète pour la Suisse.














In fine, visionner La bataille du Gripen est fortement recommandé – malgré l’absence déjà évoquée d’une contextualisation quant aux enjeux de défence à l’origine de l’aquisition de l’avion - puisque ce documentaire offre au spectateur la possibilité de s’initier aux mécanismes de la démocratie hélevètique et de découvrir les raisons à l’origine de l’échec de l’avion de combat suédois en Suisse.





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