Servir dans des armées
étrangères a longtemps été une pratique répendue en Suisse, avant que celle-ci
ne s’interrompe progressivement durant le XIXe siècle avec la fin des
capitulations existantes au fil du temps, la prohibition de nouvelles en 1848
et enfin, l’interdiction de servir à l’étranger, sauf dérogation du Conseil
fédéral, insitutée en 1859, mais initialement peu réprimée. Une nouvelle
contribution portant sur ce très vaste
sujet vient d’être publiée en début d’année par le Centre d’Histoire et de
Prospective Militaires dans la collection Militaria
Helvetica.
L’auteur de l’ouvrage en
question, Capitaine Cérésole (1836-1881) ; un officier suisse au service de
la France, est Jérôme Guisolan, historien et archiviste, et déjà auteur
d’un Le corps des officiers de
l’état-major général suisse pendant la guerre froide (1945-1966) : des
citoyens au service de l’Etat ? L’apport de la prosopographie, soit le
neuvième volume de la série EMG suisse, paru aux éditions hier+jetzt en 2004.
Le livre trouve son origine
dans la curiosité de l’auteur qui, intrigué par la présence d’un drapeau, celui
du 145e battaillon de la Commune de Paris, dans les archives du
canton de Vaud, s’est interessé à l’importante
correspondance ainsi qu’au journal de campagne laissé par un Veveysan ayant
effectué une longue carrière militaire sous le drapeau français ; Adolphe
Cérésole.
Né en 1833, et membre d’une
fratrie de huit frères, parmis lesquels Paul Cérésole, qui deviendra Conseiller
fédéral en 1870 lui rendra de nombreux services, Adolphe Cérsole s’engage le 30
mars 1855 dans le 1er Régiment de la 2e Légion étrangère,
alors qu’il a dix-huit ans. Adolphe Cérésole continuera à servir en France
quasimment sans interruption, à l’exception d’un retour en Suisse de quelques
années, mais connaîtra un avancement plutôt mesuré, puisque sa carrière
culminera avec le rang de Capitaine, qu’il obtient au début de 1871. Il reçoit
également la Légion Etrangère, qu’il aura ardamment désirée durant des années,
de par le prestige qu’elle offre à ses détenteurs mais aussi de par la pension
qui l’accompagne. Adolphe Cérésole participe à la plupart des campagnes menées
par l’armée française, et servira en Algérie, en Italie, où il est présent à la
bataille de Magenta mais absent de celle de Solférino, et au Mexique.
Il est également actif
durant la guerre franco-prussienne de 1870, où il est légèrement blessé puis
capturé par les Prussiens. Enfin, à peine rapatrié en France, il participe à
l’écrasement de la Commune de Paris. C’est à la fin des affrontements qu’à la
tête de la 1ère compagnie du 5ème battaillon du Régiment
Etranger, il enlève deux barricades et que l’un de ses hommes s’empare du drapeau
du 145e battaillon de la Commune de Paris, qu’il parviendra à
conserver, expliquant ainsi la présence de cet artefact dans les archives
cantonales vaudoises des décennies plus tard.
La suite de sa carrière militaire sera plus terne, notamment à cause de
son alcoolisme, et il finit par mourir d’une pneumonie le 11 juillet 1881.
L’ouvrage de Jérôme Guisolan
fait pourtant bien plus que de relater de manière facturelle et de mettre en
relief la vie d’ Adolphe Cérésole. De nombreuses citations issues de ses
correspondances avec les membres de sa famille ou de son journal de campagne
accompagnent le texte. Bien mises en perspective, elles offrent des aperçus des
opinions – en général très tranchées – du personnage, et jettent un regard
parfois extrêmement crû sur les préjugés d’une époque. Pour n’en mentionner
qu’une, on reproduira celle issue d’une lettre adressée à sa mère le 31 mai
1871, qui illustre les affres de la guerre civile, et où il lui raconte une
action qu’il vient de mener avec sa compagnie, soit l’investissement de maisons
immédiatement d’où étaient partis des coups de feu visant son
commandement.
« Nous sommes silencieux, Tout d’un coup, nous surprenons debout à une
fenêtre du rez-de-chaussée d’un cabaret un insurgé avec galons de sergent. Il
nous voit, veut se sauver, je le saisis par la gorge et lui fends la tête d’un
coup du sabre de Paul. Il tombe à mes pieds, le sergent derrière moi l’achève.
Nous entrons dans la maison par les fenetres, les portes et surprenons 8 insurgés
avec leurs armes en train de gobeloter. Ils sont séance tenante passés par les
armes. Nous arrivons dans un jardin derrière. Tout ce que nous trouvons
d’ennemis est fusillé, vingt se réfugient dans une cave. Ils sont fusillés
n’ayant pas voulu se rendre. »
Bref, nous ne pouvons que
conseiller la lecture de cet ouvreage, qui offre, à travers le personnage
d’Adolphe Cérésole, un témoignage passionnant sur la culture militaire d’une
époque, mettant paradoxalement en relief certaines coutumes finalement plus
humaines qu’aujourd’hui, comme les officiers prisonniers sur parole, mais
rappelant aussi que la violence des guerres civiles a aussi touché le cœur de
l’Europe relativement récemment, et ce à moment où, depuis quelques décennies,
la violence des guerres civiles touchant diverses parties du monde, sont
souvent décrites comme « incompréhensibles », soit, implicitement,
comme fondamentalement étrangères une supposée retenue dont nos sociétés
pacifiées feraient « traditionnellement » preuve.
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