Une des caractéristiques de
la politique étrangère du gouvernement révolutionnaire cubain fut la constance
et le volontarisme avec lequel il tenta de soutenir d’autres mouvements
révolutionnaires, que ce soit par des livraisons d’armes, la mise à disposition
de financements, de formations prodiguées à Cuba ou par l’envoi à l’étranger
d’instructeurs ou de combattants. Cette politique fut poursuivie en Amérique du
Sud - l’exemple bolivien étant sans doute le plus connu – mais aussi en Afrique
où, dès le mois d’octobre 1963 un contingent comprenant 686 hommes, 22 T-34 et
de l’artillerie fut envoyé en Algérie afin de soutenir le gouvernement d’Ahmed
Ben Bella alors engagé dans une guerre contre le Maroc. Dans les années qui
suivirent, l’action des Cubains se porta en Afrique noire, où ils s’efforcèrent
notamment de soutenir les mouvements indépendantistes en lutte contre les
autorités coloniales portugaises, marquant le début d’un processus qui culmina
près de deux décennies plus tard avec la présence continue de plusieurs
dizaines de milliers de leurs soldats sur le continent.
Adrien Fontanellaz (Déjà publié sur l'autre côté de la colline)
Cuba et le MPLA
Les premières relations entre révolutionnaires cubains et angolais
intervinrent à Lisbonne avant même la prise du pouvoir par Fidel Castro lorsque
des membres du Mouvement du 26 juillet, qui allait devenir le parti communiste
cubain en 1965, entretinrent des contacts informels avec des étudiants proches
ou affiliés au Movimento Popular de
Libertação de Angola (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola ;
MPLA). Le soutien apporté aux indépendantistes angolais par le nouveau pouvoir
castriste se limita cependant à l’accueil et à la formation, comprenant un
entraînement militaire, de six exilés angolais entre 1962 et 1964. Le 5 janvier
1965, une rencontre entre Che Guevara et Agostino Neto, président du MPLA, se
tint à Brazzaville – la République du Congo était alors la principale base
arrière du mouvement – et marqua un tournant dans la politique de la Havane à
l’égard de l’organisation révolutionnaire angolaise. Dans les mois qui
suivirent, la République du Congo remplaça l’Algérie en tant que centre de
gravité cubain sur le sol africain et des instructeurs y furent détachés afin
d’entraîner les combattants du MPLA ainsi qu’une nouvelle milice locale, le
corps de défense civil, chargée d’assurer la protection du président congolais Alphonse Massamba-Débat.
oldats des FAR en Angola posant devant un BM-21 (via
|
La mission cubaine au Congo-Brazzaville perdit
cependant rapidement de son utilité dans la mesure où le MPLA déplaça
progressivement ses activités en Zambie, dont la frontière avec l’Angola
offrait des voies de pénétration bien plus prometteuses pour ses guérilleros,
alors que dans le même temps, les
incursions contre l’enclave de Cabinda s’étaient avérées décevantes. A partir
de 1966, les Cubains ouvrirent une seconde antenne africaine en Guinée-Conakry afin de soutenir le redoutable Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo
Verde (Parti
africain pour l’indépendance de la Guinée et Cap-Vert ; PAIGC) d’Amilcar
Cabral. Des dizaines de soldats cubains y entraînèrent les combattants du PAIGC
et y menèrent aussi des opérations de combat, servant notamment les pièces
d’artillerie utilisées pour pilonner les positions portugaises depuis le sol de
la Guinée-Conakry. In fine, la
mission cubaine au Congo fut fermée en juillet 1967 tandis que l’aide apportée
au MPLA déclina considérablement car la Zambie s’opposa farouchement à la
présence sur son sol d’instructeurs cubains. Dans les années qui suivirent,
seul un nombre réduit de membres du mouvement angolais furent envoyés à Cuba
pour y être entraînés avant de rejoindre la Zambie et d’y former d’autres
recrues, réduisant d’autant la nécessité pour le MPLA de faire appel à des
instructeurs étrangers.
La révolution des Œillets
Le Portugal parvint à garder le contrôle de ses trois colonies
africaines jusqu’en 1974, notamment grâce à l’efficacité de ses forces armées
qui s’étaient très rapidement adaptées aux contraintes inhérentes à la lutte
contre-insurrectionnelle, notamment en élaborant dès le début des années
soixante une doctrine basée sur les expériences britanniques et françaises en
la matière. Cependant, le fardeau que faisait peser la guerre sur la société et
l’économie portugaise - et ce alors que les autorités politiques s’abstenaient
de faire usage des succès obtenus par
les forces armées pour rechercher une solution politique réaliste - finit par susciter l’opposition d’une partie
du corps des officiers, à l’origine de la formation, en août 1973, du Movimento
das Forças Armadas (Mouvement
des Forces Armées, MFA). Celui-ci renversa le gouvernement de Marcelo Caetano, héritier de la dictature instaurée
par António de Oliveira Salazar, par un coup
d’état le 25 avril 1974. Bénéficiant d’un immense soutien populaire les nouveaux
dirigeants s’attelèrent à la mise en place de leur programme visant à
démocratiser le pays et à rapidement mettre fin aux hostilités sur le sol
africain.
La tenue de pourparlers afin d’organiser la passation de pouvoir entre
Portugais et mouvements de libération s’avéra relativement aisée en Guinée et
au Mozambique car les insurgés y étaient réunis par un seul mouvement, le PAIGC et le FRELIMO (Frente de Libertação de Moçambique) respectivement et
Lisbonne était donc en mesure de négocier avec un interlocuteur unique. La
situation était plus complexe dans le cas angolais car le camp indépendantiste
était divisé entre trois grands mouvements rivaux, au point où plusieurs cas de
collaboration avec les Portugais afin d’affaiblir une des autres organisations
furent recensés durant les années de guerre, ainsi que plusieurs affrontements
armés entre guérilleros appartenant à des groupes différents.
Le MPLA d’Agostino
Neto était né de la fusion en 1956 du parti communiste angolais et du Partido da Luta Unida dos Africanos de Angola (Parti de la lutte unifiée pour les Africains en Angola ; PLUA) et
mena ses premières actions armées au début des années soixante depuis le
Congo-Brazzaville avant d’ouvrir un second front, dit « de l’Est »
depuis la Zambie à partir de 1966, où il concentra la majeur partie de sa
branche armée, rebaptisée Forças Armadas
Populares de Libertação de Angola (Forces armées populaires de libération
de l’Angola ; FAPLA) en 1974. Le MPLA avait reçu au fil des années un
soutien plus ou moins conséquent de Cuba, de l’Algérie, de l’URSS ou encore du
Nord-Vietnam, et ses combattants étaient
considérés comme particulièrement redoutables par les Portugais, faisant
également preuve de discipline vis-à-vis des populations vivant où ils
opéraient en évitant de commettre des exactions et en payant pour les denrées
réquisitionnées. Recrutant principalement dans la population métisse ou
côtière, le MPLA fut cependant gravement affaibli en 1973 par des dissensions
internes, qui se traduisirent notamment par la défection de Daniel Chipenda,
l’un de ses commandants les plus importants, et qui fut suivi par plusieurs
milliers de combattants, ainsi que par le gel de l’aide jusque-là prodiguée par
l’Union soviétique et l’Organisation de l’Union Africaine.
L’autre acteur indépendantiste majeur était le Frente Nacional de Libertação de
Angola (Front National de Libération de l’Angola ; FNLA) fondé en 1962
et descendant direct d’une formation plus ancienne, l’Uniao dos Populacoes de Angola
(Union des Populations de l’Angola, UPA), qui avait joué un rôle important
dans la vague de violence qui marqua le début de la guerre en 1961. Dirigé
depuis sa création par Holden Roberto, le FNLA recrutait principalement parmi
l’ethnie Bakongo majoritaire dans le Nord de l’Angola et bénéficiait du soutien
du Zaïre, qui abritait ses bases. Au fil des ans, le mouvement, considéré comme
pro-occidental, reçut des aides provenant de pays aussi variés que la Tunisie,
l’Éthiopie, la Grande-Bretagne, la Belgique, la France, la République de Chine
Populaire, la Roumanie ou encore les Etats-Unis. Sa branche armée, l’Exercito Nacional de Libertação de Angola (Armée
Nationale de Libération de l’Angola ; ELNA), était numériquement plus
importante que celle des autres mouvements mais ses combattants étaient
considérés comme moins disciplinés, s’illustrant par les exactions commises sur
les populations civiles angolaises, alors que les dirigeants du FNLA, à
commencer par Holden Roberto lui-même, étaient réputés pour leur corruption. Ce
dernier avait adopté une stratégie attentiste, préférant garder les gros de
l’ELNA dans son sanctuaire congolais (NOTE, Zaïre), dont l’effectif se monta à
environ 6'200 hommes jusqu’en 1974, afin de disposer d’un appareil militaire
intact au moment décisif. Cette politique eut cependant des conséquences
néfastes sur le moral des troupes à un point tel qu’une mutinerie éclata en
1972, avant d’être réprimée par les Forces Armées Zaïroises (FAZ). Enfin, le troisième – et le plus faible - de
ces acteurs était l’União Nacional para a Independência Total de Angola (Union
Nationale pour une Indépendance Totale de l’Angola ; UNITA), crée en 1964
par Jonas Savimbi à la suite d’une scission avec le FNLA. L’UNITA opérait et
recrutait dans les zones à peuplement ovimbundu et sa branche armée, les Forças Armadas de Libertação de Angola (Forces Armées de
Libération de l’Angola; FALA), ne comptait que 500 hommes au moment de sa
création puis vit son développement entravé par la Zambie qui lui refusa
l’usage de son sol.
De la guerre de libéraiton à la guerre civile
Alors que les hostilités
entre forces portugaises et indépendentistes s’arrêtaient, Lisbonne tenta
d’amorcer un processus politique devant lui permettre de retirer ses troupes,
favorisant ce faisant le MPLA dont certains officiers issus du MFA se sentaient proches pour des motifs principalement
idéologiques. Des négociations impliquant les trois mouvements et le
gouvernement portugais, excluant par la même d’autres acteurs moins puissants
comme le Frente para a Libertação do
Enclave de Cabinda (Front pour la Libération de l’Enclave de
Cabinda ; FLEC) ou la faction du MPLA dirigée par Daniel Chipenda,
débouchèrent sur les accords d’Alvor signés le 15 janvier 1975. Ceux-ci
prévoyaient la mise en place d’un gouvernement de transition, dirigé par un
Portugais et incluant des membres du MPLA, de l’UNITA et du FNLA, chargé de
gérer le pays jusqu’à son indépendance. Cette dernière, dont la date fut fixée
au 11 novembre 1975, devait être précédée d’élections générales alors qu’une
armée commune de 24'000 hommes, dont chaque mouvement devait fournir le tiers
des effectifs, devait être mise sur pied.
La résolution visant à
amalgamer les différents mouvements armés ne fut cependant jamais suivie
d’effets. Au contraire, la compétition opposant le MPLA, le FLNA et dans une
moindre mesure l’UNITA – cette dernière, plus faible militairement, pouvant
espérer plus du processus de négociations que d’un affrontement armé - se fit
de plus en plus féroce au fur et à mesure que l’indépendance approchait. Tous
s’efforcèrent de renforcer leurs branches armées alors que le vacuum politique et militaire crée par
le retrait progressif portugais attira les grandes puissances dans le jeu
local, dans un contexte où, Guerre froide oblige, chacune d’entre elle
craignait que le parti soutenu par ses rivales ne s’impose sur la scène
angolaise, avec pour effet de rendre plus improbable encore un modus vivendi entre les factions
angolaises. Le FLNA fut initialement avantagé durant cette montée en puissance.
Les effectifs de l’ELNA auraient ainsi
atteints 21'000
hommes en janvier 1975 alors qu’elle bénéficia d’un important soutien chinois,
qui se traduisit par l’envoi d’un centaine d’instructeurs et de 450 tonnes de
matériel entre mai et septembre 1974. Les Américains apportèrent également un
soutien financier d’abord limité partir de juillet 1974. Le FNLA reçut
également un soutien de la Roumanie alors qu’en mai 1975, le président zaïrois
Mobutu Sese Seko, par ailleurs beau-frère de Holden Roberto, déploya les 4e
et 7e bataillons de commandos des FAZ, appuyés par des AML-60 ou 90
ainsi que par deux canons M-46 de 130mm, soit un total d’environ 1'200 hommes,
afin de soutenir l’avance de l’ELNA dans le Nord de l’Angola.
Si la principale vulnérabilité de l’ELNA résidait dans son indiscipline,
les FAPLA n’étaient pas exemptes de faiblesses. Leurs effectifs étaient plus
réduits avec un maximum de 8'000 combattants, même si le MPLA leva dans la
ville de Luanda une milice séparée, le Poder
Popular (pouvoir populaire). Les FAPLA avaient certes acquis une expérience
certaine durant la lutte contre les Portugais mais celle-ci se limitait à des
opérations menées à petite échelle. En effet, les militaires de Lisbonne
n’avaient jamais laissé à leurs adversaires angolais la possibilité de passer
aux dernières étapes de la doctrine de la guerre populaire maoïste, durant
lesquelles les insurgés ajoutent aux actions de guérilla la constitution d’un corps de bataille
destiné, in fine, à vaincre
l’adversaire dans un combat du fort au fort, à l’image de ce qu’avait réussi le
Vietminh en Indochine. Ainsi, les plus grosses unités déployées par les FAPLA
durant la lutte pour l’indépendance, à partir de 1970, se limitaient à des Esquadrões de la taille d’une compagnie,
comprenant des mortiers et des canons sans recul, utilisés pour attaquer les
postes fortifiés ennemis. Si Moscou, à la suite de la révolution des Œillets,
modifia à nouveau sa politique en décidant de renouveler son aide au MPLA, ce
soutien resta limité, par exemple avec l’accueil de 200 membres du mouvement en
URSS pour y être entraînés en décembre 1974 et il fallut attendre mars 1975
pour que des cargaisons d’armes substantielles ne parviennent aux FAPLA, dont
les stocks constitués durant les années précédentes étaient par ailleurs restés
bloqués à Dar Es Salaam en Tanzanie. En revanche, le MPLA disposait aussi
d’atouts majeurs dont, en premier lieu, sa forte présence à Luanda qui lui
donnait une position centrale face au FNLA et à l’UNITA. Le mouvement était
également le seul à disposer d’un embryon de force aérienne, la future Forca Aérea Popular de Angola – Defesa
Anti-Avionies (FAPA-DAA), composé d’appareils variés laissés par les
Portugais, et comprenant des Alouette III, des Dornier Do.27 et deux C-47. Le
MPLA ne disposant que de trois pilotes qualifiés, ces aéronefs furent
principalement mis en œuvre par des personnels étrangers.
La montée en puissance de l’ELNA, des FALA ou des FAPLA fut également facilitée par l’existence d’un important vivier de
soldats angolais bien entraînés et rendus disponibles par le retrait portugais.
En effet, ceux-ci avaient poursuivi une politique de recrutement faisant appel
à la population locale afin de répartir le fardeau de leur lutte
anti-insurrectionnelle entre la métropole et les colonies, au point où en 1973,
42.4 % des effectifs déployés en Angola étaient d’origine autochtone. Les FAPLA
bénéficièrent en particulier d’un apport particulièrement précieux avec le
ralliement de la plupart des Fiéis en
avril 1975. Ces derniers, au nombre de 3'000 une année plus tôt, n’étaient
autres que les anciens gendarmes katangais qui avaient dû se réfugier en Angola
en 1967 afin d’échapper à la répression mobutiste, où ils furent accueillis à
bras ouvert par les autorités coloniales portugaises qui les réorganisèrent en
trois bataillons avant de leur confier des missions de lutte antiguérilla.
Les premières victimes de ce qui devint bientôt la guerre civile angolaise
furent les mouvements politiquement et militairement les plus vulnérables. En
novembre 1974 déjà, le FLEC fut chassé de la ville de Cabinda par l’action
conjointe des FAPLA et de l’armée portugaise. Puis, au début du mois de février
1975, le MPLA s’attaqua à sa branche dissidente et l’expulsa de Luanda. Daniel
Chipenda, affaibli, n’eut alors d’autre choix que de sa rallier au FLNA avec ses hommes.
Puis, dans un second temps, les deux rivaux les plus puissants s’affrontèrent
afin de contrôler la capitale, après qu’une attaque à la grenade par des
militants du FNLA contre un bureau du MPLA le 23 mars 1975 ait mis le feu aux
poudres. Les deux mouvements dépêchèrent des renforts dans Luanda alors que les
affrontements s’intensifiaient et, après une série d’âpres combats – il y eut
ainsi 700 tués et plus d’un millier de blessés entre le 28 avril et le 2 mai
1975 - interrompus par une trêve en mai, les FAPLA et
le Poder Popular prirent
progressivement l’ascendant avant de parvenir à chasser le FLNA et l’UNITA de
la ville en juillet. Cette victoire résulta en partie du soutien des
Soviétiques. Ceux-ci livrèrent des cargaisons d’armes de plus en plus
substantielles, qui commencèrent à être déchargées directement dans le port de Luanda à partir
de juillet, donnant aux FAPLA une puissance de feu accrue. La petite aviation
du MPLA bombarda à cette occasion les troupes de l’ELNA durant leur retrait de
la capitale, sans pour autant pouvoir empêcher cette dernière de renforcer son
emprise dans le Nord du pays grâce au soutien zaïrois. De leur côté, les FAPLA,
progressaient dans le Sud et s’emparaient de plusieurs capitales provinciales.
Les succès du MPLA, associés aux livraisons soviétiques, engendrèrent un
accroissement du soutien américain à ses adversaires avec l’opération IAFEATURE, menée par la CIA et
approuvée par le président Ford en juillet, consistant à livrer des armes au
FNLA et à l’UNITA, mettant en place à un pont aérien reliant les Etats-Unis au
Zaïre à cet effet. En août, la CIA mit sur pieds une petite aviation de
transport et de liaison, opérant en Angola pour le compte du FNLA, et incluant
plusieurs avions légers, une Alouette II et trois Fokker F.27. Surtout, l’avance des FAPLA vers les
frontières de l’actuelle Namibie suscita une inquiétude de plus en plus vive à
Pretoria, dont les autorités, viscéralement anti-communistes, ne souhaitaient
en aucun cas voir un mouvement progressiste arriver au pouvoir en Angola, et
décidèrent également en juillet de livrer des armes au FNLA et à l’UNITA, parfois
au moyen de C-130 et de DC-4 de la South
African Air Force (SAAF). De plus, un petit détachement sud-africain
pénétra en territoire angolais afin de sécuriser la récente centrale
hydroélectrique de Calueque dont l’’importance était vitale pour l’approvisionnement
en électricité de la Namibie.
La mission militaire cubaine
en Angola
En mai 1975, alors que les combats faisaient rage dans Luanda et que les
troupes zaïroises pénétraient sur le territoire angolais tandis que les
premières livraisons d’armes soviétiques se faisaient attendre, Agostino Neto se
tourna une nouvelle fois vers La Havane afin d’obtenir de l’aide, qui s’était
limitée depuis le début de l’année à l’entraînement d’une dizaine d’angolais malgré
l’envoi d’une mission cubaine auprès du MPLA en janvier. Cette fois-ci, le
dirigeant du MPLA demanda l’envoi d’instructeurs chargés de former les
combattants des FAPLA directement sur le sol angolais, chose que les Soviétiques refusaient
de fournir, et qui ne suscitait guère d’enthousiasme chez les Cubains, qui ne
donnèrent leur accord qu’à la suite d’une nouvelle requête du MPLA en juillet.
Cependant, une fois leur décision prise, les autorités de La Havane agirent
rapidement ; un groupe d’évaluation comprenant sept hommes et dirigée par
le commandant Raul Diaz-Argüelles Garcia fut
dépêché en Angola où il résida entre le 3 et le 8 août avant de retourner à
Cuba, préconisant la mise en place d’une mission d’instruction forte d’une
centaine d’hommes, alors qu’à la fin du mois de juillet, cinquante spécialistes
étaient arrivés à Brazzaville afin d’aider au reconditionnement des cargaisons
d’armes livrées par les Soviétiques via la République du Congo.
Peu après que Raul Diaz-Argüelles Garcia ait présenté ses
recommandations à La Havane le 11 août, il fut décidé d’augmenter
considérablement la taille de la future mission d’entraînement cubaine en
Angola en portant ses effectifs à un
demi-millier d’hommes afin de lui donner la taille critique nécessaire pour se
défendre avec succès en cas de nécessité. Elle serait chargée d’établir quatre Centros de Instrucción Revolucionaria
(Centres d’instruction révolutionnaire) et de former, à partir de la
mi-octobre, seize bataillons - soit 4'800 hommes - des FAPLA ainsi que les
servants de plusieurs dizaines de batteries de mortiers et d’artillerie
anti-aérienne en six mois, période à l’issue de laquelle ils devaient être
autonomes. Cette opération devait être entièrement cubaine par nécessité dans
la mesure où les Soviétiques refusèrent tout soutien impliquant le déploiement
de leurs propres soldats sur le sol angolais. De plus, les Cubains durent
équiper eux-mêmes leurs pupilles angolais, fournissant des dizaines de
mortiers, de mitrailleuses, 12'000 fusils M-52 tchécoslovaques, 133 RPG-7 et
une batterie de LRM BM-21 alors que leur contingent fut encore agrandi avec
l’ajout de docteurs et d’une petite équipe de pilotes destinés à renforcer
l’embryon de force aérienne angolaise. L’ensemble des personnels cubains
concernés étaient volontaires et issus des Fuerzas Armadas Revolucionaras (Forces armées
révolutionnaires ; FAR). Plus de la moitié étaient
des officiers. Ils formèrent la Misión
Militar Cubana en Angola (Mission Militaire Cubaine en Angola ; MMCA),
placée sous les ordres de Raul Diaz-Argüelles Garcia.
Les premiers éléments de la MMCA arrivèrent par avion à Luanda le 21
août avant d’être rejoints par une centaine d’hommes durant le mois de
septembre. Les gros de la mission firent cependant le trajet par la mer, à bord
des cargos Vietnam Heroico, Coral Island et La Plata qui transportaient également les équipements destinés aux
futurs élèves angolais et qui arrivèrent à destination entre le 5 et le 11
octobre 1975. Les volontaires cubains s’attelèrent rapidement à la mise en
place des centres d’instruction. 191 hommes, dirigés par le général Ramón Espinosa
Martín, se virent confier le plus important d’entre eux dans l’enclave de
Cabinda, que leur présence devait contribuer à sécuriser face à une éventuelle
menace zaïroise. Le reste des personnels de la mission fut réparti entre trois
autres camps, installés à Saurimo, dans l’Est du pays, Benguela, le long de la
côte entre Luanda et Namibe, et N’Dalatando, à proximité de Luanda, alors que
le quartier-général de la mission était installé dans la capitale. L’ensemble
des camps fut prêt le 20 octobre à l’exception de celui de Saurimo.
Opération
Savannah
A partir du mois d’août, les Sud-Africains, outre leurs livraisons
d’armes, prodiguèrent aussi un entraînement à plusieurs centaines de
combattants de l’UNITA et du FNLA, alors que dans le même temps, un sous-marin
de la South African Navy patrouillait
par intermittence le long des côtes angolaises. A la fin du mois de
septembre, une vingtaine de conseillers furent envoyés à Huambo, bastion de
l’UNITA, afin d’y former un millier de recrues des FALA. Cependant, dans les
jours qui suivirent, les FAPLA lancèrent une offensive concentrique contre la
ville au moyen de trois colonnes parties de Cela, Benguela
et Lobito. Les Sud-Africains constituèrent rapidement une unité ad-hoc,
baptisée Foxbat, comprenant une
compagnie des FALA et trois AML possédées par ces dernières, dont ils assurèrent
l’encadrement. Ce groupement se porta à la rencontre de l’une des colonnes
ennemies, qu’elle affronta le 5 octobre 1975. Malgré un début d’engagement
confus où des tirs subis par un véhicule causèrent un début de panique parmi
les soldats des FALA, le détachement mixte sortit victorieux du combat, au
cours duquel un des cinq blindés mis en œuvre par la colonne ennemie fut
détruit. Dans leur compte-rendu de l’affrontement, les conseillers
sud-africains indiquèrent avoir constaté la présence de cubains combattant aux
côtés des FAPLA. Cette information allait être lourde de conséquence car elle
poussa Pretoria, encouragée par les USA qui, contexte post-Vietnam oblige,
préféraient voir un allié intervenir plutôt que de s’impliquer directement, à
accroître son engagement en Angola. Le Premier Ministre Johannes Vorster
autorisa donc une action à plus grande échelle, baptisée opération Savannah, des South
African Defence Force (Forces de Défense
Sud-Africaines ; SADF) devant permettre à l’UNITA et au FNLA de conserver les territoires
qu’ils contrôlaient et d’empêcher une victoire politique du MPLA. De fait, les
autorités sud-africaines étaient divisées entre faucons et colombes et les
objectifs fixés à l’opération étaient relativement flous puis évoluèrent dans
le temps, jusqu’à envisager la prise de Luanda. Afin de rendre cette
intervention aussi discrète que possible, Pretoria limita le rôle de la SAAF à
des missions de ravitaillement, de liaison et de reconnaissance, renonçant
ainsi à faire appel à sa redoutable puissance de feu. De plus, l’ordre de
bataille terrestre devait être constitué de formations mixtes associant
fantassins angolais et cadres ou spécialistes sud-africains, ces derniers étant
équipés d’uniformes différents de ceux en usage dans les SADF alors que les
véhicules de transport étaient civils. In fine, l’opération Savannah allait englober quatre Task Force motorisées différentes ; Zulu, Foxbat, Orange et X-Ray, typiquement constituées
d’un cadre d’officier sud-africains, d’un ou de deux bataillons motorisés issu
des FALA ou de l’ELNA,
d’un escadron de blindés légers équipés d’Eland - la version sud-africaine des
AML-60 et 90 françaises - et d’une batterie de mortiers ou d’artillerie, les
blindés et les pièces d’artillerie étant servis par des personnels des SADF. Certaines
Task Force furent progressivement
agrandies durant la campagne, la principale d’entre elles, Zulu, se voyant renforcée par deux compagnies de l’ELNA, deux compagnies de
parachutistes des SADF et un escadron d’Eland dans les semaines suivant son entrée
en Angola alors que Foxbat reçu un escadron d’Eland
transporté par la voie des airs. In fine, l’opération Savannah chapeauta jusqu’à 2'000 sud-africains et 7'000 combattants angolais,
parmi lesquels figuraient également d’anciens militaires portugais.
Ordre de bataille terrestre, opération Savannah
Task Force
|
Principaux composants
|
Zulu
|
1 batterie d’artillerie, deux bataillons
d’infanterie ELNA et anciens Flechas, deux compagnies para SADF, un escadron de blindés légers
|
Foxbat
|
1 bataillon FALA, un escadron de blindés
légers
|
Orange
|
1 bataillon FALA, un escadron de blindés
légers
|
X-Ray
|
1 bataillon FALA, un escadron de blindés
légers et une batterie d’artillerie
|
La Task Force Zulu, assemblée la veille, pénétra en territoire angolais le 14 octobre
1975 et s’empara de la localité de N’Giva cinq jours plus tard. Le 24 octobre
elle prit la ville de Lubango à l’issue d’âpres combats et au cours desquels
elle détruisit trois blindés ennemis et captura plusieurs dizaines de
prisonniers et des stocks d’armes et de munitions. Alors que les éléments des
FAPLA présents dans la région se repliaient vers Cacula, la Task Force quitta
Lubango le 27 octobre et poursuivit sa chevauchée motorisée en direction de la
côte Atlantique où elle prit le port de Namibe le lendemain, faisant main basse
sur un riche butin comprenant des centaines de pick-up, avant de recevoir
l’ordre de reprendre sa progression en direction de Benguela. Le Blitzkrieg de la Task Force Zulu, qui parcourut en moyenne une centaine de kilomètres par jour
et dont la logistique était assurée par la SAAF qui mettait à profit les
aéroports qu’elle capturait au fur et à mesure de son avance, ne suscita
pourtant qu’une réaction limitée des Cubains, qui tardèrent à identifier la
nouvelle menace, au point où le 1er novembre encore, le chef de la
MMCA rapportait à ses supérieurs que la situation en Angola permettait
d’attendre que les unités entraînées par les Cubains terminent leur formation
et que celles-ci suffiraient ensuite à prendre l’ascendant sur les adversaires
du MPLA.
Outre la confusion inhérente à la rapidité des mouvements sud-africains,
l’erreur d’appréciation cubaine était due à l’existence d’un autre front
majeur. En effet, si les FAPLA étaient parvenues à prendre le contrôle de
Luanda en juillet, les gros de l’ELNA, secondés par le contingent zaïrois et
par d’anciens soldats portugais, restaient dangereusement proches de la
capitale. Le 18 septembre, les FAPLA
avaient lancé une attaque contre Caxito afin de repousser les forces de Holden
Roberto, mais avaient été repoussés dès le lendemain par une puissante
contre-attaque. Le 26 septembre, d’autres combats entre FAPLA et ENLA eurent
lieu sur la hauteur de Morro do Cal, située entre Caxito et Quifangondo, et se
conclurent par une victoire de l’ENLA qui conserva la position. Sous la
pression induite par la montée en puissance du FNLA, les Cubains durent fermer
le centre d’instruction révolutionnaire de N’Dalatando
le 21 octobre, soit trois jours à peine après son ouverture, et à envoyer au front
les instructeurs et les recrues à peine formées qui s’y trouvaient. Le 23
octobre, ceux-ci, renforcés par deux compagnies d’ex-gendarmes katangais, soit
un total de 1'094 hommes, lancèrent une nouvelle, et vaine, attaque contre
Morro do Cal. En effet, préparé à la hâte et sans disposer de renseignements
précis, l’assaut fut rapidement repoussé par des défenseurs trois fois plus
nombreux, et les assaillants durent se replier vers leur base de départ, Quifangondo,
avant de subir à leur tour une attaque de ELNA qui les avait poursuivis, mais
qu’ils parvinrent à repousser dans la soirée. Par chance pour les FAPLA et les
Cubains, l’ELNA et les FAZ n’insistèrent pas et préfèrent continuer à se
renforcer avant de lancer l’assaut final contre Luanda, laissant ainsi le temps
à leurs adversaires de se retrancher à Quifangondo et d’y construire une série
de positions défensives incluant bunkers et tranchées. Le rapport transmis à La
Havane le 1er novembre par le commandant Raul Diaz-Argüelles Garcia
à la suite de cette stabilisation du front Nord allait cependant être
rapidement contredit par la suite des événements.
En effet, après avoir pris Namibe,
la Task Force Zulu avait reçu l’ordre
de continuer sa progression le long de la côte en direction de Benguela,
où était situé un des camps cubains alors que la Task Force Foxbat, partie de Huambo, se dirigeait
vers Lobito. A l’approche de la Task Force Zulu,
les 51 cubains présents au centre d’instruction et leurs recrues, soit environ
un millier d’hommes, établirent une puissante position défensive sur une
colline située derrière une rivière à quelques kilomètres de la ville de
Catengue. Après avoir traversé la localité sans encombre, la colonne
sud-africaine butta sur les forces angolo-cubaines bien camouflées. Il fallut à
la Task Force Zulu neuf heures et
trois assauts frontaux pour déloger les défenseurs de la colline. Ces derniers
subirent de lourdes pertes durent l’affrontement, encore aggravées durant leur
retraite lors d’une embuscade tendue par un détachement sud-africain qui
s’était infiltré sur leurs arrières alors que la bataille pour la colline
battait son plein. Si pour, les Sud-Africains, l’affrontement fut le plus
violent qu’ils aient dû mener depuis leur entrée en territoire angolais, la perte
de quatre tués, sept blessés et la disparition de treize soldats cubains - et
ce sans compter les douzaines de soldats des FAPLA tués - causa un choc à
Luanda. Le lendemain, le Politburo du MPLA, réalisant l’ampleur de la menace
pesant au Sud en plus de celle déjà présente au Nord, et ce alors que le FLEC
risquait également de tenter une avancée dans l’enclave du Cabinda, résolut de
demander une aide massive et urgente à Cuba alors que les deux compagnies
katangaises présentes à Quifangondo étaient retirées et envoyées au Sud afin de
renforcer les défenses de la ville de Benguela. Le 5 novembre, la Task Force Zulu investit Benguela avant de se
heurter à une forte résistance, une contre-attaque la forçant même à abandonner
temporairement quatre Eland et plusieurs canons. Cependant, craignant de se
voir encerclés par une des classiques manœuvres en tenaille sud-africaines, les
défenseurs retraitèrent durant la nuit. Après avoir capturé Benguela le 6
novembre, la Task Force s’empara de Lobito le lendemain, cette fois sans
rencontre de résistance.
Opération Carlota
La tournure dramatique prise par les événements en Angola et la demande
du MPLA, ne laissait que deux alternatives à La Havane, dans la mesure où la
définition des effectifs de la mission n’avait pas pris en compte l’éventualité
d’une escalade aussi rapide de la guerre civile angolaise. De ce fait, Fidel
Castro, seul à pouvoir prendre de telles décisions dans le système cubain,
n’avait que deux possibilités ; accéder à la demande angolaise et s’engager
massivement dans le conflit ou alors évacuer la MMCA en catastrophe afin
d’éviter son anéantissement en abandonnant le MPLA à son sort, avec pour
corollaire une perte de prestige certaine pour le régime révolutionnaire et une
lourde déconvenue pour le principe de l’internationalisme dont il avait fait un
des piliers de sa politique extérieure. Significativement, la décision de
lancer l’opération Carlota fut prise
sans demander l’aval du puissant allié soviétique, comme cela avait déjà été le
cas avec l’intervention en Algérie ou encore l’envoi de Che Guevara en Bolivie
- qui s’était fait à l’insu des Soviétiques dans la mesure où cette action
était en contradiction avec la politique suivie par Moscou. Sur le plan
militaire, les FAR étaient dans une meilleure position pour se lancer dans une
telle aventure que dans le cas algérien car Cuba avait bénéficié entre 1970 et
1975 d’un programme de rééquipement majeur en matériels modernes, la valeur des
équipements militaires reçus durant ces cinq années équivalant au double de
toutes les livraisons d’armes fournies par l’URSS entre la Révolution et 1970. In fine, la décision de secourir la MMCA
et le MPLA fut prise en quelques heures, après que le Líder Máximo ait consulté seulement ses plus proches conseillers. Le
dictateur cubain s’impliqua dès le début très fortement dans la conduite de
l’opération - baptisée Carlota,
d’après le nom d’une esclave noire qui prit la tête d’une rébellion en 1843 -
passant parfois des jours entiers dans le quartier-général des FAR.
La première unité cubaine mobilisée fut un bataillon spécial de 628
hommes dépendant du Ministère de l’Intérieur (MININT), composé uniquement de
personnels soigneusement entraînés et considérés comme particulièrement fiables
par le régime, qui le destinait aux opérations extérieures. De plus, 20
artilleurs expérimentés des FAR furent sélectionnés afin de mettre en œuvre une
batterie de LRM BM-21 – ce système d’arme était à peine entré en service à Cuba
- déjà envoyée par la voie maritime en août. Ces éléments devaient constituer
l’avant-garde d’une force forte de plusieurs milliers d’hommes composée
d’officiers d’actives et de réservistes volontaires qui commencèrent à être
mobilisés simultanément. Afin d’acheminer un maximum de troupes vers l’Angola
aussi rapidement que possible, les Cubains n’eurent d’autre choix que de mettre
en place un pont aérien pour lequel ils étaient mal équipés. Ils durent en
effet faire appel aux vénérables Bristol Britannia
de la compagnie nationale, la Cubana de Aviación S.A. Du fait de l’autonomie
réduite de ces avions, les pilotes cubains n’eurent d’autre choix que de
multiplier les escales, transitant par La Barbade, Bissau et Brazzaville avant
d’atteindre Luanda. Afin de palier à la capacité d’emport limitée de ces
appareils, les soldats allèrent jusqu’à retirer les munitions qu’ils devaient
emmener de leurs caisses et à charger leurs armes avant d’embarquer alors que
la petite flotte aérienne cubaine effectua un total de 70 vols La Havane –
Luanda entre le 7 novembre et le 9 décembre 1975, épuisant ce faisant le nombre
réduit de pilotes disponibles, dont le nombre d’heures de vol mensuel passa
brusquement de 70 à 200. Conscients de l’impossibilité de déployer par la voie
aérienne l’ensemble de leurs corps expéditionnaire, même si les Soviétiques
allaient par la suite, à partir de janvier 1976, fournir leurs propres avions
de transport et s’engager à livrer directement à Luanda les matériels nécessaires
sans transiter par la grande île des Caraïbes, les Cubains ne tardèrent pas
aussi à mobiliser l’ensemble des navires de commerce disponible. Les trois
premiers vaisseaux levèrent l’ancre dès le 8 novembre, avec 1'200 hommes et
leurs équipements à bord, après avoir été hâtivement modifiés afin de les
adapter au transport de troupes mais n’arrivèrent à destination que vers la fin
du mois, avec pour conséquence que durant plusieurs semaines, seules les
troupes acheminées par avion seraient disponibles pour aider les FAPLA à défendre
Luanda et Cabinda face au FLEC, à l’ELNA, au FALA et à leurs soutiens sud-africains et zaïrois.
Victoires cubaines
Le FLNA avait continué à se renforcer à Morro do Cal depuis sa dernière tentative d’attaque contre
Quifangondo qui
constituait le dernier obstacle avant Luanda. Outre plus d’une centaine
d’anciens soldats portugais, les 1'200 hommes du contingent zaïrois et la
présence de membres de la CIA, l’ELNA bénéficia d’un nouvel appui dépêché par
les SADF, sous la forme d’une équipe de conseillers dirigés par le Brigadier
Ben Roos ainsi que de trois canons BL 5.5 Inch (140mm) et leurs 52 servants,
qui furent transportés par avion avec leurs pièces. Pressé par la nécessité
d’investir Luanda avant la date hautement symbolique du 11 novembre, Holden
Roberto opta pour un assaut frontal contre Quifangondo le 10 novembre malgré
les objections de ses conseillers sud-africains, la SAAF acceptant malgré tout
de soutenir l’opération par des bombardements. La géographie jouait en effet
contre l’ELNA ; la position de Quifangondo, située sur une hauteur,
surplombait la seule route menant à Luanda et permettait d’en interdire
l’usage. Pire encore, avant d’arriver au pied de la position, cette route
traversait une zone de marais la séparant de la côte atlantique et d’un lagon,
rendant toute manœuvre autre qu’un assaut frontal impossible. De leur côté, la
MMCA et les FAPLA avaient mis à profit l’absence d’initiative ennemie pour
améliorer leurs retranchements en aménageant des bunkers profondément enterrés.
Un assaut en règle soutenu par cinq AML zaïroises lancé le 5 novembre fut ainsi
aisément repoussé par les défenseurs, bien pourvus en mortiers, mitrailleuses
lourdes et canons sans recul, qui ne subirent aucune perte. La situation de la
MMCA s’améliora encore le 8 novembre en soirée avec l’atterrissage à Luanda de
deux Bristol Britannia qui transportaient les premiers éléments de l’opération Carlota, soit 164 hommes du bataillon
spécial du MININT. Ceux-ci furent immédiatement envoyés à Quifangondo puis
placés en réserve avant que dans la nuit du 9 au 10 novembre, la batterie de
six BM-21 et ses vingt artilleurs ne les rejoigne, accroissant immensément la
puissance de feu disponible et ce d’autant plus que les effets notoirement
dévastateurs des orgues de Staline sur des troupes au moral fragile allait être
encore accentué par le fait qu’il s’agissait de la première fois que ce système
serait employé au combat en Angola, les rockets Grad de 122mm tirées au cours
des précédents combats l’ayant été au moyen d’affûts monotubes.
La nuit avant l’assaut décisif du 10 novembre, les artilleurs
sud-africains pilonnèrent Quifangondo avant qu’au petit matin, trois Canberra
de la SAAF ne bombardent à leur tour la colline, sans beaucoup d’effets car les
pilotes avaient reçu l’ordre de larguer leurs bombes à une altitude les
plaçant hors de portée de la DCA
ennemie, diminuant la précision de leur attaque. Dans tous les cas, les effets
du bombardement furent atténués par le fait que les troupes au sol ne lancèrent
l’assaut que plusieurs heures après. Ainsi, lorsque les 2'000 soldats de l’ELNA
et les 4e et 7e bataillons de commandos des FAZ, soutenus
par une douzaine d’AML, six jeeps équipées de canons sans-recul et les tirs de
l’artillerie sud-africaine, débutèrent leurs progression vers Quifangondo, les
défenseurs avaient largement eu le temps de quitter leurs bunkers et de se
préparer à faire face à l’attaque. Ces derniers laissèrent l’ennemi approcher
et n’ouvrirent le feu qu’à courte distance, brisant l’élan des assaillants en
détruisant rapidement quatre AML et en infligeant de lourdes pertes à son infanterie.
Les BM-21 entrèrent ensuite en action, lâchant une première salve contre des
troupes ennemies encore non-engagées regroupées près d’un élevage de poulets où
la force combinée avait laissé ses camions avant de cibler les gros de
l’ennemi, déjà immobilisés, tirant près de 700 rockets durant les heures qui
suivirent. Les deux M-46, qui étaient les seuls canons ayant une portée
suffisante pour contrebattre les lance-roquettes cubains, ne jouèrent aucun
rôle dans la bataille à cause d’incidents de tirs, l’une des pièces tuant ses
servants en explosant. Le pilonnage vint bientôt à bout de la cohésion des
troupes angolaises et zaïroises qui s’enfuirent dans le plus grand désordre,
mettant fin à la bataille et par la même occasion, au rêve de Roberto Holden d’entrer
dans Luanda, alors que les pertes cubaines se montèrent à deux blessés et
celles des FAPLA à un tué et trois blessés. Bien que les forces angolo-cubaines
ne furent pas en mesure de parachever leur victoire en poursuivant un ennemi en
pleine déroute à cause de la menace sud-africaine qui restait entière au Sud,
la bataille de Quifangondo sonna le glas de la puissance militaire du FNLA, qui
ne se releva jamais de cette défaite. Parvenant à la même conclusion, les
Sud-Africains exfiltrèrent leurs conseillers et leurs artilleurs à l’aide de la
South African Navy le 27 novembre.
Surtout, le MPLA remporta une victoire politique éclatante car il avait
conservé le contrôle de Luanda jusqu’au 11 novembre, jour de l’indépendance,
asseyant de ce fait sa légitimité en tant que gouvernement du pays, rebaptisé
République Populaire d’Angola.
Parallèlement à cette bataille, les instructeurs de la MMCA remportèrent
une autre victoire dans l’enclave de Cabinda, cette fois sans le soutien de
l’opération Carlota. Au matin du 8
novembre, trois bataillons du FLEC, commandés par un citoyen américain, et un
bataillon zaïrois appartenant à la division Kamanyola, alors favorite du
Président Mobutu et entraînée par des instructeurs nord-coréens – elle était la
seule parmi les FAZ à défiler au pas de l’oie lors des parades à Kinshasa et se
caractérisait par son égalitarisme, les officiers partageant le même repas que
leurs hommes, lancèrent une offensive en suivant les trois axes menant de la
frontière zaïroise à la ville de Cabinda. La défense de l’enclave était assurée
par les instructeurs de la MMCA arrivés en septembre, un bataillon des FAPLA
dont ils avaient terminé l’entrainement, et un second constitué de recrues
inexpérimentées. Ces troupes, comme à l’accoutumée bien pourvues en armes
collectives tels que mortiers et quadritubes anti-aériens ZPU-4 de 14.5mm,
étaient dirigées par le dirigeant de l’antenne locale de la MMCA, le général
Ramón Espinosa Martín. Dans un premier temps, le FLEC et le bataillon zaïrois
bousculèrent sans difficulté les éléments des FAPLA placés en couverture près
de la frontière, puis leur progression fut ensuite ralentie par des actions
retardatrices - les Cubains firent à cette occasion un large usage de mines
pour couvrir leurs positions défensives - avant de finalement déboucher près de
Cabinda, convaincus d’avoir surmonté la résistance ennemie. Les forces
coalisées cubano-angolaises avait pourtant établi leurs principales positions
défensives, soigneusement camouflées, à la périphérie de la ville, d’où elles
parvinrent à surprendre tour-à-tour plusieurs colonnes ennemies, leur
infligeant de lourdes pertes. Le général Ramón Espinosa Martín ordonna ensuite
une contre-attaque générale le 12 novembre, qui repoussa l’ennemi, qui aurait
perdu 600 hommes dans les combats, soit près du tiers de son effectif, à la
frontière, mettant fin à l’invasion en six jours au cours desquels une centaine
d’Angolais et de Cubains furent tués ou blessés.
Cubains contre Sud-Africains
L’ELNA repoussée, le commandant Raul Diaz-Argüelles Garcia, qui
dirigeait maintenant l’ensemble des forces cubaines en Angola, fit renforcer en
toute hâte le front Sud avec tous les moyens disponibles afin de contrer les
Sud-Africains. En effet, Pretoria, après avoir
hésité à retirer ses troupes d’Angola donna finalement l’ordre de capturer autant
de territoires que possible avant le sommet de l’OUA prévu pour le 9 décembre puis
reporté à janvier 1976, afin de placer ses alliés dans une situation aussi
favorable que possible. Les Task Force Zulu
et Foxbat reprirent leur avance le
jour de l’indépendance, suivant des axes de progression différents devant les
amener à Quibala, où elles devaient faire leur jonction avant une éventuelle
nouvelle poussée vers Luanda. La Task Force Zulu,
elle-même divisée en deux détachements progressant séparément, captura Sumbe le
13 novembre après avoir livré un violent combat au cours duquel deux Eland
furent touchées par des tirs de RPG alors qu’un obus ennemi tombant au milieu
d’une batterie de mortiers fit un tué et dix-sept blessés. Cependant, le même
jour, un premier détachement de 150 hommes appartenant au bataillon spécial du
MININT arriva à Porto Amboim, renforçant les éléments de la MMCA déjà
présents dans la région. Les Cubains s’empressèrent alors de faire sauter les
rares ponts permettant de franchir la rivière Queve, dont le cours faisait
obstacle à une progression ennemie en direction de Porto Amboim et de Quibala.
Ainsi, le 14 novembre au matin, une colonne sud-africaine avançant vers Porto
Amboim n’eut d’autre choix que de rebrousser chemin après avoir atteint la
rivière, faute de disposer des équipements de franchissement nécessaire, et
après un vain duel d’artillerie avec les forces ennemies retranchées sur
l’autre rive. La destruction des ponts permit aux Cubains de bloquer in extremis l’avance ennemie puis
d’établir une ligne de front stable, gagnant ainsi le temps nécessaire à
l’arrivée du gros des troupes mobilisées dans le cadre de l’opération Carlota. Cependant, les sapeurs, pris
par le temps, ne détruisirent qu’incomplètement le pont situé le plus à
l’intérieur des terres, ce qui permit à la Task Force Foxbat de franchir la rivière et d’avancer jusqu’à Cela, qu’elle
prit le 15 novembre. A ce moment, le centre de gravité de l’opération Savannah bascula de la Task Force Zulu, confrontée à l’obstacle formidable
présenté par la Queve, à la Task Force Foxbat,
qui gardait une marge de manœuvre plus grande, même si les forces
pro-gouvernementales présentes dans ce secteur se replièrent et établirent avec succès de nouvelles
défenses en mettant à profit la présence de deux autres cours d’eau, les
rivières Nhia et Mabassa, afin de bloquer toute avance vers Quibala.
Le 23 novembre, un fort détachement de la Task Force Foxbat associant quatre compagnies d’infanterie angolaise, une
batterie de quatre 25 Pounders, un escadron d’Eland, deux jeeps armées de
canons de 106mm sans recul et deux mortiers, tenta de franchir la rivière
Mabassa en utilisant un gué que son commandant pensait mal défendu.
L’infanterie, couverte par les Eland qui restèrent sur la rive Sud, traversa le
cours d’eau avant de prendre pieds sur l’autre rive, ignorant qu’elle
s’enfonçait au milieu d’une embuscade soigneusement préparée par deux
compagnies des FAPLA et 70 membres des forces spéciales cubaines, appuyés par
une batterie de BM-21 et un canon de 76mm. Retranchés dans des positions soigneusement
camouflées sur une hauteur à l’Est du gué, ces éléments causèrent de lourdes
pertes à l’infanterie ennemie qui ne tarda pas à s’enfuir en retraversant la
rivière. De plus, sept des douze Eland du détachement, qui constituaient des
cibles faciles faute de pouvoir manœuvrer sur un terrain particulièrement
boueux, furent détruits ou abandonnés. Ayant subi des pertes comparativement
très élevées, avec quatre tués et onze blessés sud-africains et au moins
cinquante tués angolais, le détachement se replia vers Cela, alors que la
propagande castriste tira profit de
l’événement afin d’escamoter les résultats bien moins favorables des
affrontements antérieurs entre FAR et SADF, et surtout, la grave défaite qu’ils
subirent quelques semaines plus tard dans le même secteur.
A la suite de leur échec, les Sud-Africains renforcèrent leur présence
sur le front de Quibala, Pretoria dépêchant des troupes et de l’artillerie
supplémentaire en Angola alors que des éléments de la Task Force Zulu rejoignirent la Task Force Foxbat. Au début du mois de décembre,
deux de leurs observateurs d’artillerie parvinrent à s’infiltrer du côté ennemi
de la rivière Nhia, à proximité du seul pont, très endommagé et baptisé Bridge
14 par les SADF, permettant de la franchir, et s’installèrent sur une colline
adjacente qui leur donnait une excellente vue sur la zone, qui était fortement
défendue, et ce d’autant plus que les gouvernementaux la renforcèrent durant
les deux premières semaines de décembre jusqu’à aligner environ un millier de soldats
angolais et cubains répartis en deux bataillons appuyés par une nombreuse
artillerie comprenant des BM-21, dont les roquettes furent affublées du surnom Red Eye par les Sud-Africains, et des
ZPU-4, que les Cubains surnommaient cuatro
bocas. ou encore des missiles anti-char AT-3 Sagger. La bataille du Bridge
14 commença par un duel d’artillerie qui dura plusieurs jours et où les SADF
prirent rapidement le dessus. Outre l’avantage prodigué par leurs observateurs
idéalement positionnés - les soldats angolo-cubains ne parvinrent jamais à les
détecter malgré l’emploi d’hélicoptères - les artilleurs sud-africains firent
un usage très agressif de leurs canons de 140mm en les positionnant très en
avant afin de pallier à leur portée inférieure comparée à celle des pièces
ennemies et utilisèrent constamment de nouveaux emplacements de tirs tout en
effectuant des mises et des sorties de batterie très rapides afin d’éviter les
tirs de contre-batteries adverses. Leurs homologues cubains s’avérèrent
rapidement surclassés malgré la supériorité de leurs matériels parce qu’ils
utilisaient des tactiques plus rigides. Ainsi, ils déplacèrent également
régulièrement leurs pièces afin d’échapper aux tirs ennemis mais se
contentèrent de le faire au sein d’un réseau de positions fixe préparées à
l’avance, avec pour effet que les observateurs sud-africains eurent tout le
loisir de faire préenregistrer les coordonnées de chacune d’entre elle par
leurs canonniers. Dès lors, les tirs de 140mm devenaient particulièrement
meurtriers car immédiatement précis, sans nécessiter de tirs de réglage pouvant
alerter l’adversaire. Une fois l’artillerie ennemie muselée, les canonniers
sud-africains eurent tout le loisir d’infliger de lourdes pertes aux forces
ennemies. De plus, les Cubains jouèrent de malchance lorsque Raul
Diaz-Argüelles Garcia, qui, bien qu’ayant cédé sa place de commandant de
l’ensemble des troupes cubaines en Angola à Abelardo Colomé Ibarra, plus connu
sous le sobriquet de Furry et particulièrement proche des frères Castro, continuait
à diriger les forces présentes dans le secteur de Quibala, fut tué lorsque son
blindé sauta sur une mine, causant une certaine confusion au sein des FAPLA et
des FAR et ce peu avant que les Sud-Africains ne passent à l’offensive.
Après avoir constaté que les forces ennemies avaient déserté leurs
positions les plus exposées le long de la rivière, les SADF déployèrent un
détachement interarmes comprenant 300 fantassins et un escadron d’Eland le long
de la rive Sud. Des éléments d’infanterie s’infiltrèrent sur la rive Nord le 10
décembre puis, dans la nuit du 11 au 12, le génie parvint à réparer le pont à
l’aide de troncs d’arbres, le rendant praticable pour des véhicules. Le 12
décembre à l’aube, les Sud-Africains, formant trois détachements, passèrent à
l’attaque après un barrage d’artillerie particulièrement bien préparé qui prit
l’adversaire par surprise, détruisant plusieurs positions de mortiers et
d’artillerie et faisant sauter plusieurs camions de munitions, qui ajouta
encore à la confusion générale. Infligeant de lourdes pertes à l’adversaire -
les Eland s’avérant meurtrières durant l’engagement tout en esquivant les
missiles Sagger en mettant à profit leurs capacités tout-terrain - la Task Force Foxbat parvint à proximité de la rivière Catofe, qui représentait
le dernier obstacle naturel avant Quibala, vers midi. Cependant, Abelardo
Colomé Ibarra, qui avait rejoint le secteur en catastrophe afin de diriger les
opérations, parvint à déployer une compagnie de tanks et deux compagnies
d’infanterie des FAPLA afin de défendre le seul pont de la région permettant de
franchir cette rivière, établissant une nouvelle ligne défensive in extremis. Surtout, les Sud-Africains
ne tentèrent pas d’exploiter leur succès en lançant une nouvelle avance, pour
des raisons principalement politiques ; Pretoria, à ce stade de
l’intervention, avait décidé de se limiter à défendre les territoires déjà
contrôlés par les adversaires du MPLA jusqu’à un sommet de l’OUA et durant
lequel l’organisation devait déterminer quel mouvement elle reconnaîtrait comme
représentant légitime de l’Angola, avant de retirer ses troupes du pays. De
plus, l’assise politique de l’opération Savannah
s’était fragilisée à cause des dissensions persistant au sein du gouvernement
et aussi parce que l’intervention avait finalement été rendue publique,
notamment à cause de l’accroissement des effectifs engagés et de la nécessité
d’employer des réservistes afin de relever certaines des troupes d’active engagées
depuis octobre. Enfin, le Sénat américain adopta en décembre l’amendement
Clark, qui prohibait toute action de la CIA en Angola, complexifiant encore la
relation ambiguë entre Pretoria et Washington, où les Américains encourageaient
les Sud-Africains à intervenir tout en condamnant fermement leur politique
d’Apartheid. La victoire du Bridge 14 resta donc tactique mais infligea une
véritable saignée aux FAPLA et aux FAR, les SADF annonçant avoir tué 200
soldats Cubains et 200 soldats angolais et capturé 37 mortiers, canons et
lance-roquettes, au prix de quatre militaires sud-africains tués.
La bataille marqua l’apogée des affrontements entre cubains et
sud-africains en 1975. En effet, ces derniers s’abstenant d’avancer et les
premiers se contentant de tenir leurs positions, le nombre d’accrochages entre
les deux adversaires se réduisit considérablement, même si quatre soldats
sud-africains furent capturés durant un combat le 18 décembre au cours duquel
les Eland s’illustrèrent une nouvelle fois en repoussant un groupe de chars
T-34/85 pourtant bien supérieurs après avoir mis hors de combat l’un d’entre
eux ou encore le 23 décembre lorsque deux canonniers sud-africains furent tués
durant l’un des échanges d’artillerie qui perdurèrent le long de la ligne de
front. De plus, même si, à partir de décembre, les Cubains disposèrent d’une
petite aviation de combat grâce aux Soviétiques qui transportèrent à Luanda dix
MiG-17F par navire, suivis par 12 MiG-21MF acheminés en janvier 1976 à l’aide
de gros-porteurs An-22, ainsi qu’à l’envoi par la Defensa Anti-Aérea y Fuerza Aérea
Revolucionaria (DAAFAR) cubaine d’un contingent supplémentaire de pilotes et de techniciens, ordre leur
fut donné de ne pas attaquer les SADF, avec pour résultat qu’une seule attaque
aérienne fut relevée par les Sud-Africains, lorsqu’une de leur patrouille fut
mitraillée par un MiG-17F en maraude le 23 décembre 1975. Son pilote fut par la
suite sévèrement puni pour avoir enfreint ces instructions.
Le retrait sud-africain
En fin d’année, les Cubains lancèrent une offensive sur le front Sud,
l’opération « Premier congrès », en référence au premier congrès du
parti communiste cubain qui se tint entre les 17 et 24 décembre 1975. Celle-ci
avait été rendue possible par l’afflux de troupes et d’équipements qui avait
suivi le lancement de l’opération
Carlota ; les services de renseignement américains estimèrent qu’à la
fin du mois de décembre 1975, 7'500 cubains étaient arrivés dans le pays par
les voies aérienne et maritime. Fin
janvier 1976, de grandes quantités de matériels soviétiques étaient également
arrivées à Luanda, incluant des véhicules blindés de transports de troupe
BTR-152, des blindés de reconnaissance BRDM et BTR-40, des pièces d’artillerie
de 76, 85 et 122mm, 73 tanks PT-76 et T-34/85 et 21 BM-21. Durant les deux premières semaines
de janvier, des combats acharnés opposèrent à nouveau troupes gouvernementales
et sud-africaines dans les secteurs de Waku-Kungo et de Cela. Cependant,
le 23 janvier 1976, après que l’OUA ait définitivement reconnu le MPLA comme
représentant légitime de l’Angola, Pretoria ordonna à ses troupes de quitter
l’Angola. Le retrait fut progressif, les Sud-Africains détruisant les ponts
encore intacts et semant nombre de mines et de pièges dans leur sillage, et
laissant à leurs alliés, l’UNITA et le FNLA,
le soin de défendre les territoires conquis en octobre et novembre. Au 4
février, les SADF avaient déjà réduit leur présence aux zones frontalières avec
la Namibie, gardant notamment le contrôle du barrage du Calueque. Laissées à
elles-mêmes, l’ELNA et les FALA
se retrouvèrent immédiatement dans une situation périlleuse car très mal
équipées pour affronter des forces gouvernementales considérablement renforcées
et dont les FAR constituaient le fer de lance, et ce d’autant plus que leurs
troupes les plus expérimentées, qui avaient servi dans les Task Force
sud-africaines, avaient été emmenées en Namibie par leurs mentors, où elles
constituèrent par la suite des unités de lutte antiguérilla appelées à devenir
célèbres comme le 32 battalion.
Cette faiblesse ne tarda pas à être mis à
profit par les Cubains, qui initièrent une avance générale sur trois axes.
Progressant rapidement malgré la nécessité de réparer les ponts endommagés,
leurs forces et celles des FAPLA reprirent Huambo le 8 février à l’issue de
violents combats durant lesquels 600 membres des FALA furent tués, puis Lobito
et Benguela le 10 février 1976. Opérant dans des zones dépourvues de présence
sud-africaine, les FAR firent cette fois appel à l’aviation, leurs MiG-21MF
menant de nombreuses missions d’interdiction et d’appui, surprenant puis
détruisant le 13 mars un Fokker F.27 d’Air Congo sur une piste d’atterrissage alors qu’il livrait
une cargaison d’arme à l’ELNA. Alors que Jonas Savimbi, le dirigeant de
l’UNITA, se retirait avec les quelques centaines de combattants qu’il lui
restait dans la province de Moxico, aux confins de la Zambie et du Zaïre, les
gouvernementaux s’établirent sur une nouvelle ligne défensive s’étendant de
Namibe à Menongue après une avance de 600 kilomètres en trois semaines, afin
d’éviter tout affrontement inutile avec les troupes sud-africaines encore
présente sur le territoire angolais. Après que les autorités de Luanda aient
donné des garanties quant à la pérennité de la production des installations
hydroélectriques de Calueque, les derniers éléments des SADF quittèrent le pays
le 27 mars 1976, mettant fin à l’opération Savannah,
suivis par un détachement mixte FAPLA-FAR qui arriva à la frontière avec la
Namibie le 1er avril.
La reconquête du Nord
La présence de troupes de plus en plus nombreuses permit aux Cubains de
lancer une contre-offensive contre l’ELNA de Holden Roberto dans le Nord du
pays alors même que les combats contre les Sud-Africains faisaient rage dans le
Sud. Le 5 décembre, deux bataillons des FAPLA assistés par 150 Cubains et
dirigés par le Brigadier Victor Schueg Colàs prirent la ville de Caxito, malgré
la présence de plusieurs centaines de combattants de l’ELNA, faisant 150
prisonniers et capturant 14 tonnes d’armes et de munitions. Les gouvernementaux
poursuivirent ensuite leur offensive en suivant deux axes distincts avec une
première force constituée d’un gros bataillon des FAPLA renforcé par plusieurs
centaines de cubains progressa depuis Caxito en suivant la côte Atlantique
tandis qu’une seconde force, centrée sur la 9e brigade des FAPLA,
composée de deux bataillons d’infanterie encadrés par des conseillers des FAR,
partit du camp d’entraînement révolutionnaire de N’Dalatando, progressant à
l’intérieur des terres avec comme objectif les villes de Luinga et Cambatela.
La première agglomération fut prise le 27 décembre et le seconde quelques jours
plus tard après de très violents combats, car l’aéroport de la ville était
d’une importance vitale pour la logistique ennemie. Le 4 janvier, après avoir
reçu une compagnie de chars et un bataillon supplémentaire, la 9e
brigade captura la ville de Carmona, qui tenait lieu de capitale au FNLA.
L’effectif des troupes pro-gouvernementales déployées ne fit ensuite que se
renforcer pour atteindre treize bataillons, appuyés par des chars et de
l’artillerie lourde, à la mi-février 1976.
Après la défaite de Quifangondo et le retrait du contingent des FAZ qui
en résulta, Holden Roberto fit appel à des mercenaires afin de renforcer une
ELNA en pleine déliquescence. Au nombre de 128, ceux-ci arrivèrent en Angola à
la fin du mois de décembre 1975. Recrutés à la hâte et dirigés par Costas
Georgiu, un chef incompétent et vaniteux, ces mercenaires de la dernière chance
ne pesèrent que peu sur l’issue des combats, et les forces combinées des FAPLA
et des FAR achevèrent de capturer l’ensemble des localités tenues par le FNLA
dès le 15 février. De plus, les mercenaires s’avérèrent paradoxalement bien
plus utiles au MPLA qu’à Holden Roberto. En effet, plusieurs d’entre eux furent
capturés au cours des combats puis jugés à Luanda au cours d’un procès qui fit
l’objet d’une large publicité, achevant de déconsidérer un FNLA déjà
militairement défait aux yeux de l’opinion publique tout en asseyant la
légitimité du MPLA en tant que seul mouvement authentiquement nationaliste
contrairement à des rivaux invariablement décrits de simples marionnettes au
service du néo-colonialisme.
Conclusion
Avec la reconquête nominale de la quasi-totalité de l’Angola,
l’opération Carlota déboucha sur un
triomphe castriste ; le MPLA fut sauvé et la puissance militaire de ses rivaux
écrasée. Ce succès s’avéra pourtant éphémère. En effet, si le FNLA cessa
effectivement d’un être acteur significatif après 1976, l’UNITA de Jonas
Savimbi ne tarda pas à renaître de ses cendres, changeant radicalement de
stratégie en optant pour un retour aux opérations de guérilla. La montée en
puissance du mouvement de Jonas Savimbi qui intervint au cours des années
suivantes résulta également en grande partie d’un facteur qui allait peser
lourdement sur l’engagement cubain ; le renouvellement par les autorités
de Pretoria d’une politique agressive en Angola, rendue nécessaire à leurs yeux
par le soutien prodigué par le MPLA à la South-West
African People's Organisation (Organisation du peuple
du Sud-Ouest africain ; SWAPO), qui visait à chasser les Sud-Africains de
Namibie. Dès lors, l’UNITA bénéficia à nouveau d’un soutien de plus en plus
marqué tandis que les SADF lancèrent au fil des années une série de
pénétrations en Angola visant soit à détruire les infrastructures de la SWAPO
soit à protéger l’UNITA lorsque celle-ci se trouvait trop menacée par les
offensives de grande envergure lancées par les FAPLA pour l’éradiquer, ne
laissant d’autre choix aux Cubains que de conserver en permanence dans le pays
un puissant corps expéditionnaire afin de garantir la survie du MPLA, alors
qu’initialement, l’opération Carlota était voulue comme ponctuelle. In
fine, plusieurs centaines de milliers de militaires cubains servirent en
Angola, et l’engagement des Cubains y fut donc proportionnellement bien
supérieur à celui des Américains au Vietnam.
Certaines des causes de
l’enlisement des FAR sur le sol angolais étaient déjà perceptibles en 1975,
notamment la fragilité du gouvernement de Luanda induite par la faiblesse des
FAPLA. En l’occurrence, malgré une croissance massive, leur conversion en armée
conventionnelle et la livraison d’immenses quantités de matériels par l’Union
soviétique, celles-ci s’avérèrent incapables de contrer des SADF déjà
redoutables tactiquement en 1975, mais dont l’efficacité ne fit que s’accroître,
notamment par l’action offensive de la SAAF mais aussi de l’entrée en service
de matériels taillés sur mesure pour les actions très mobiles caractéristiques
des opérations sud-africaines, comme les obusiers G-5 ou encore les véhicules
transport de troupe Ratel. De fait, même les forces cubaines, que les
Sud-Africains considéraient comme redoutables en défensive de par leur capacité
à établir très rapidement des retranchements bien conçus et à opposer une
résistance acharnée, ne parvinrent jamais à égaler la souplesse tactique et
l’excellente coordination interarmes des SADF, bien que ces dernières aient
aussi eu des faiblesses indéniables, à commencer par leur sensibilité aux
pertes, et ce même si elles parvinrent à les garder à un niveau très réduit –
seuls 35 soldats sud-africains furent tués durant Savannah, dont cinq au
cours d’un tir fratricide survenu le 4 janvier 1976, lorsque une batterie de
20mm abattit une Alouette III de la SAAF, tuant tous ses occupants.
Si la guerre angolaise
durant l’année 1975 marqua le retour de la puissance militaire sud-africaine,
il sonna aussi le glas des ambitions zaïroises en la matière après la déroute
subie par des unités figurant parmi les meilleurs que comptaient les FAZ,
structurellement incapables de constituer une force cohérente, malgré la
pléthore d’armes modernes et d’instructeurs provenant de pays aussi variés que
la Belgique, Israël, la France ou la Corée du Nord auxquels elles purent
recourir durant leur existence, et ce à cause des travers inhérents au régime
de Kinshasa. A ce titre, et malgré plusieurs exceptions, la défaite de Quifangondo marqua le début de la longue liste de déroutes successives des
FAZ, qui ne s’acheva qu’avec leur disparition en 1997, consécutive à la chute
du pouvoir mobutiste.
Enfin, la genèse de
l’opération Carlota permet d’illustrer que la Guerre froide ne peut être
résumée ni comprise uniquement à travers le prisme des politiques suivies par
les deux superpuissances rivales. En effet, Moscou et Washington furent
longtemps hésitantes et peu enthousiastes à l’idée d’un engagement en Angola.
L’implication soviétique fut ainsi une conséquence directe de décisions prises
à La Havane, Moscou ne pouvant ensuite qu’appuyer, malgré ses réserves l’un de
ses alliés les plus emblématiques en dehors des pays du Pacte de Varsovie alors
que pendant longtemps, Cuba fut perçu comme l’exécutant fidèle d’une politique
expansionniste conçue au cœur de l’URSS. Par ailleurs, la dynamique de montée
aux extrêmes entre acteurs locaux, régionaux puis globaux si constitutive de la
Guerre froide n’avait rien d’inéluctable, du moins pas sous la forme que fut la
sienne, si l’on garde à l’esprit que le MPLA, alors encore très isolé, fit
plusieurs ouvertures auprès de Washington, notamment en manifestant son désir
de faire appel aux Américains afin de moderniser l’infrastructure aéroportuaire
du pays, durant les premiers mois de 1975.
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